Enseignement/Formation


Il est toujours impressionnant de constater, dans les pays émergents, le contraste entre les conditions dramatiques de financement des universités et la qualité de l’enseignement qui y est dispensé. Cette observation est vraie pour la Chine, la Corée du Sud ou le Mexique, par exemple, et tout particulièrement pour le Vietnam. L’expérience de l’Inde tient de la même observation, mais avec ses caractéristiques propres.

En arrivant dans ce pays gigantesque d’un milliard deux cent millions d’habitants — près d’un cinquième de l’humanité — au moment même où il envoie avec succès un engin sur la lune, où les immenses complexes ultramodernes hébergeant des géants de l’informatique mondiale ou des sociétés de consultance multimilliardaires côtoient les villages de huttes ou les bidonvilles crasseux, il faut un moment pour comprendre où on est et ce qui s’y passe. Soixante pourcents de la population ont moins de 25 ans et le défi est, bien sûr, la formation. Six cent mille ingénieurs sont formés chaque année: une seule promotion suffirait à combler l’immense retard de l’Europe dans ce domaine car c’est exactement le nombre qui nous manque… On comprend donc pourquoi on ne peut qu’être rempli d’effroi, ici peut-être plus encore que dans les autres pays émergents, en se disant que s’il ne se passe pas très vite quelque chose qui ramène nos jeunes en grand nombre vers des études scientifico-techniques, ce n’est plus chez nous qu’on assurera le progrès technologique global, mais ailleurs. Tout particulièrement en Inde.

Où se situe le Président-élu des USA en matière d’éducation et de recherche ?

De toute évidence, son principal souci est de rendre plus accessible l’enseignement supérieur dont on sait combien, sur le plan financier, il est difficilement accessible dans ce pays. Par accessible, il entend formation préalable suffisante, prix démocratique, recherche de qualité pour alimenter la formation, contribution au développement économique et compétitivité internationale. Déjà entendu ça quelque part ?

A titre d’exemple, il faut lire ses engagements sur son site web, New America Foundation ou Inside Higher Education.

En ce qui concerne la recherche, il annonce un assouplissement de certaines contraintes éthiques (cellules-souches), il promet de « mener la recherche américaine vers une nouvelle ère d’innovation scientifique. » Pour cela, il envisage de « doubler l’investissement fédéral dans la recherche fondamentale afin de faire face aux grands défis du 21è siècle« , ce qui lui a valu le soutien officiel de 61 Prix Nobel. S’il tient ses promesses, il mettra fin à l’idée généralement répandue que les présidents républicains, contrairement à ce qu’on pourrait croire, sont généralement plus généreux que les démocrates dans l’investissement en recherche. Ce nouvel espoir pour un essor de la recherche aux USA transparaît également dans un article du Nouvel Observateur du 4 novembre, jour de l’élection.

Si tout ceci se confirme, les nouvelles sont bonnes. Certains, en Europe, ont pu se réjouir du ban américain sur l’utilisation des cellules-souches qui donnait une longueur d’avance aux chercheurs et aux médecins européens sur leurs « concurrents » du pays de l’oncle Sam. En fait, c’est un mauvais calcul pour deux raisons: d’abord parce que la recherche est universelle et que c’est ainsi que chacun en profite et ensuite parce que, si compétition il doit y avoir (je dirais émulation), ce n’est pas comme cela que nous voulons en relever le défi, non pas en tentant de profiter des entraves aux mouvements de nos partenaires, mais en parvenant à convaincre nos pouvoirs politiques, à tous les niveaux, de la nécessité absolue de subventionner généreusement la recherche fondamentale, celle qui alimente tout le reste — y compris l’économie — dans un monde globalisé.

Le communiqué de presse de la Ministre M.-D. Simonet commence par ceci: « Sur proposition de la Ministre de l’Enseignement supérieur, Marie-Dominique Simonet, le Gouvernement de la Communauté française a adopté ce vendredi 10 octobre une note visant à sécuriser la situation juridique des étudiants en médecine et dentisterie et à dégager des solutions pour le long terme ».

Attendez… vous dites « sécuriser la situation juridique » ?

Appelons un chat un chat.

En l’état, les universités peuvent-elles procéder à l’inscription en 2e année des étudiants inscrits en première année en 2005-2006, 2006-2007, 2007-2008 (médecine et dentisterie) qui ont obtenu les soixante crédits requis par le décret « Bologne »?
Non. Aucune autorisation officielle n’a été accordée aux universités étant donné que les textes de loi ne sont pas encore publiés. La décision revient donc aux Universités. A elles de se mettre en situation juridique non sécurisée et de prendre le risque d’inscrire les étudiants comme annoncé dans la presse… Et aux étudiants de signer une décharge indiquant qu’ils sont conscients de l’insécurité juridique qui plane sur leurs têtes.

Je salue la décision du gouvernement de mettre fin à cette histoire rocambolesque, mais je ne puis accepter qu’on laisse croire aux étudiants et au public que le problème est réglé et que la sécurité juridique est assurée. Elle ne l’est pas. Les étudiants doivent le savoir et il n’est pas normal que ce soient les universités qui, seules, aient à leur faire comprendre en dépit des déclarations de presse.

Les universités vont encore apparaître comme les grands méchants loups en cas de pépin, puisque tout était soi-disant verrouillé.
Je ne reproche pas au gouvernement l’incapacité de garantir quoi que ce soit tant que la Cour constitutionnelle ne s’est pas prononcée et qu’il n’a pas promulgué un nouveau décret, mais je trouve que parler de sécurité juridique donne des idées fausses aux gens concernés.

Pour notre part, nous procédons aux inscriptions en demandant à l’étudiant de signer un document attestant de sa connaissance des risques et du caractère provisoire de l’inscription. En outre, nous ne modifions pas son résultat de Bac 1.

Osé, mais que faire d’autre ?

La saga des « reçus-collés » se termine. L’absurdité de toute cette histoire prend une dimension qui serait comique, si elle n’était tragique dans beaucoup de cas.
Beaucoup d’étudiants de cette année dernière ont été durement secoués. Je ne sais pas si on s’en rend bien compte.

Pour certains, cela signifiait oublier une ambition pour laquelle ils s’étaient qualifiés, mais pas en ordre utile. et tout cela a pris tellement de temps que beaucoup sont inscrits dans d’autres sections, de second choix pour eux. Aujourd’hui, après un mois de cours, ils apprennent qu’ils peuvent, s’ils en font la demande, être accueillis en 2è année. Mais il faut leur dire bien clairement qu’il ne s’agit que d’une autorisation conditionnelle, sur laquelle plane toujours la menace de la Cour constitutionnelle, qui pourrait tout invalider. Après le naufrage, on leur a lancé une bouée mais les eaux à franchir pour atteindre la terre ferme sont encore dangereuses…

Pour d’autres, qui avaient satisfait aux exigences du « Décret Bologne » en 2006 et 2007, une annonce inimaginable et inespérée survient: s’ils le demandent, ils peuvent revenir en 2è bac. Non seulement ceux qui ont « failli passer » mais aussi ceux que n’étaient pas dans les conditions. Cela fait du monde. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts pour ceux-là. Ils ont dû réorienter leurs études depuis un an ou même deux. Certains voudront revenir quand même, d’autres renonceront. Deux années de perdues sans raison, c’est quand même lourd.

Sans compter les dentistes…

Cette semaine, il va donc se passer des choses étonnantes, de la joie au désespoir. Et pour pas mal de gens (voir le communiqué de presse de la Ministre).

Personnellement, je vis très mal tout ceci. D’abord parce que d’aucuns ont pensé, dit et écrit que l’Université se battait contre ses étudiants, et moi particulièrement. Ce n’était en rien le cas: on ne peut déposer un recours au Conseil d’Etat que pour contester une décision administrative de moins de 60 jours. Pour attaquer le numerus clausus aujourd’hui, alors qu’il est vieux de 3 ans, on ne peut s’en prendre qu’à sa mise en application la plus récente. D’où l’attaque contre l’Université qui a, conformément aux exigences du Décret, proclamé un ajournement. Le seul cas où j’ai contre-attaqué, c’est lorsqu’on a mis en cause le professionnalisme et la rigueur du jury pour gagner quelques fractions de points et changer de catégorie. Ca, c’était inadmissible. Et cela a pu donner l’impression que je changeais d’avis au cours de l’affaire.

Ensuite, parce que rien n’est plus vexant que d’avoir raison trop tôt. Je me suis exprimé sur ce sujet, au terme de la première année, avec vigueur, dans un billet sur ce blog le 15 juillet 2006. On y lit clairement ce que je pensais à l’époque. En le relisant aujourd’hui, je n’y changerais pas une ligne.

Comme annoncé, le numerus clausus en Médecine est mort.
En effet, même si elles ne sont pas définitives et dans l’attente d’une réponse de la Cour constitutionnelle à la question préjudicielle que lui pose le Conseil d’Etat, les récentes décisions de justice ont miné l’édifice au point de rendre inévitable son effondrement.
Dès aujourd’hui, la Ministre de l’Enseignement supérieur nous autorise à accueillir en 2è bac les étudiants « reçus-collés » qui ont obtenu une moyenne de 12 lors de la première ou de la 2è session sans avoir aucune note de moins de 10. Bien sûr, l’épée de Damoclès est toujours là: la Cour constitutionnelle pourrait rejeter ces décisions prises à titre conservatoire et nul ne sait quand elle pourrait le faire. Ce serait évidemment catastrophique pour ces étudiants déjà copieusement secoués tout l’été, mais un tel revirement serait étonnant.

Reste-t-il des problèmes potentiels? Probablement. Un nombre respectable d’étudiants a obtenu une moyenne de 12 et une seule note en dessous de 10, ce qui constitue les conditions de réussite prévue par le processus de Bologne. Le décret numerus clausus n’autorisait pas le passage en seconde de ces « reçus-collés » de seconde catégorie, mais à partir du moment où le décret est contesté et suspendu par un moratoire sur la base d’une « apparence d’illégalité », c’est tout le mécanisme du contingentement qui est remis en cause par sa créatrice elle-même. On doit donc s’attendre à l’expression des revendications de cette seconde catégorie de « reçus-collés » qui, très souvent ont atteint une moyenne bien supérieure à ceux qui ont déjà été « sauvés » ou le sont aujourd’hui. Certains nous ont déjà interpellé. Toutefois, nous ne sommes pas autorisés à les accepter en seconde, puisqu’aucune ordonnance de justice n’a été formulée dans ce sens. Seul un nouveau décret abrogeant le précédent pourrait leur ouvrir la porte…

Comme annoncé dès le mois juillet, le mécanisme du numerus clausus est un véritable château de cartes. Il fallait, soit ne pas y toucher, soit l’abroger immédiatement. Vouloir y faire des aménagements, quels qu’ils soient, ne pouvait qu’entraîner un écroulement inexorable et complet, mais qui allait soumettre de bons étudiants à des chocs émotionnels interminables. Et ce n’est pas fini.

Abondamment pressé d’expliquer plus clairement ce qui se passe dans la saga des « reçus-collés », je romps le silence que je m’étais imposé à cause du désagréable sentiment que j’avais de ne plus jamais parler que de la même chose.

Dernier feuilleton (j’en profite pour rétablir les chiffres variablement repris dans la presse, chiffres qui, ici, ne concernent que l’ULg):

• Juillet: 130 étudiants satisfont aux exigences universitaires, 90 attestations sont délivrées, comme prévu par le décret dit « du numerus clausus« .
• Après la délibération: ajout de 22 (=112) par un arrêté ministériel, le Jury redélibère et les accorde.
• Août: le Conseil d’Etat ordonne la délivrance de 16 attestations supplémentaires (=128), à prélever sur la quota de 2008-2009; le Jury redélibère et les accorde. Il reste 2 « reçus-collés ».
• Onze étudiants satisfont aux exigences universitaires en 2è session. Ils sont automatiquement « reçus-collés ». Donc 13 en tout.

L’idée annoncée par des hautes personnalités politiques de faire en sorte qu’il n’y ait pas de « reçus-collés » cette année n’est que très partiellement réalisée, d’autant que le même phénomène se produit à l’UMH, à l’ULB et aux FUNDP. Seule l’UCL, où le taux d’échec est suffisamment élevé, échappe aux reçus-collés et fait cadeau de ses attestations surnuméraires aux FUNDP, membres de son académie, comme le décret le prévoit, sans toutefois arriver à les « sauver » tous.

Des « reçus-collés » à Mons, Bruxelles, Namur et Liège intentent des actions et introduisent des recours dans les tribunaux de Première Instance ou au Conseil d’Etat contre leurs universités et contre la CFB. La cible de ces recours est en réalité le principe-même du numerus clausus.

On attend.

Puis voici les premières salves: l’auditeur du Conseil d’Etat donne raison à deux étudiants de Namur, le président du tribunal de première instance de Liège donne raison à une étudiante, sur base d’une « apparence d’illégalité » du décret imposant le numerus clausus. On verra ce que le jugement sur le fond décidera. En attendant, elle est en 2è bac. Quant au Conseil d’Etat, il a confirmé aujourd’hui l’analyse de son auditeur et s’est clairement prononcé, cette fois-ci, sur l’illégalité du numerus clausus au regard de la Constitution et du Pacte international de New York en 1966 (il renvoie toutefois la question préjudicielle à la cour constitutionnelle).

Soyons lucides: aujourd’hui le numerus clausus au début des études de Médecine en CFB est mort. Qu’il repose en paix. Et tant mieux pour les étudiants capables de vaincre les épreuves universitaires, qui se sont battus contre eux-mêmes et non contre les autres. Je m’en réjouis.

Cependant, au terme (?) de cette épopée, j’aurai au moins appris que, dans notre pays, on n’a pas le droit (sous peine de condamnation) d’appliquer un décret si on lui trouve une « apparence d’illégalité ou d’anticonstitutionnalité » ou simplement si on le trouve « inefficace ». Mon étonnement révèle sans doute l’étendue de mon ignorance en matière juridique, mais je suis sûr de ne pas être le seul à m’étonner. Je n’ose imaginer le désastre auquel la stricte application de ce principe pourrait mener…

Dans son blog toujours très intéressant, Enro « scientifique et citoyen » évoque le croisement des disciplines et cite le philosophe Paul Boghossian.
Il aborde le problème sémantique de l’utilisation des termes trans-, inter- ou pluri-disciplinarité que nous utilisons, il faut le reconnaître, à tort et à travers.

« Pour Boghossian, cela ne fait aucun doute : nous sommes à l’ère de la pluri-disciplinarité, c’est-à-dire de l’échange entre disciplines qui ont des choses à se dire, plutôt que dans celle de la trans-disciplinarité qui cherche à abattre les murs des disciplines ou celle de l’inter-disciplinarité qui suppose quelques électrons libres naviguant à leur gré entre plusieurs champs auxquels ils n’appartiennent pas vraiment ».

Incontestablement les trois approches sont souhaitables à l’université. Mais il importe de savoir ce qu’on fait et ce qu’on encourage. On peut imaginer que l’on doive tendre vers la trans-disciplinarité, celle qui favorise au mieux la fertilisation croisée des disciplines, celle qui doit en principe générer le plus d’innovation (j’entends ici innovation dans tous les domaines, pas seulement dans celui de l’applicabilité industrielle des recherches) donc de créativité. On n’accède à la trans-disciplinarité que par la pluri-disciplinarité préalable. La seconde peut se suffire à elle-même mais elle est le passage obligé vers la première. L’inter-disciplinarité, souhaitable également, reste anecdotique, même si elle est probablement très fertile.

Mais il ne faut pas ériger les croisements de disciplines en principe absolu tel qu’il envahisse les enseignements de base. Car pour faire de la bonne pluri- ou trans-disciplinarité, il est essentiel d’être devenu expert dans une discipline, puis de s’ouvrir aux autres. Il m’arrive souvent de vanter les mérites incomparables de la trans-disciplinarité, mais il ne faudrait pas comprendre que je tienne à rompre toutes les cloisons disciplinaires dès le premier cycle universitaire. La vraie fertilisation croisée vient d’individus bien formés à leur discipline qui sortent progressivement de leur champ pour l’enrichir et non de touche-à-tout superficiels.

En résumé, et de manière caricaturale, on pourrait dire idéalement: 1er cycle disciplinaire (bacheliers), 2è cycle pluri-disciplinaire (masters), 3è cycle transdisciplinaire (doctorats et recherche).

Du numerus clausus en Médecine et en Sciences dentaires

Une université est, comme chacun le sait, une institution d’enseignement, de recherche et de services. Elle doit pouvoir accomplir ses missions en toute liberté, limitée seulement par un certain nombre de règles et règlements, de lois et autres contraintes légales, sans ingérence extérieure d’aucune sorte dans l’opportunité de ses recherches et l’indépendance de son jugement pédagogique.

Les événements survenus cet été à la Faculté de Médecine, auxquels je ne peux manquer de faire allusion et qui sont d’ailleurs commentés avec fougue par mes collègues recteurs dans leurs discours de rentrée, ne peuvent échapper à mon analyse, que je conserverai brève car je me suis déjà beaucoup exprimé depuis le mois de juillet, l’ULg étant en ligne de front dans cette histoire. Je ne reviendrai donc pas sur mes critiques d’une intervention externe changeant les règles du jeu de l’étudiant et des professeurs en cours d’année académique, ce qui est contraire à tous les principes d’engagement pédagogique. Je ne reviendrai pas sur un jugement qui nous a obligés à gérer nos attestations d’une année à l’autre en dépit du plus élémentaire bon sens. Je ne reviendrai pas sur un jugement qui a tenté d’obliger un jury à changer ses décisions de délibération sur la base de la contestation de la pondération d’un cours à la demande d’un étudiant sur 400. Je ne reviendrai pas sur ces incohérences et sur ces ingérences dont je signale quand même qu’elles risquent fort de compromettre la sérénité des jurys au grand désavantage des étudiants, in fine. Je n’y reviendrai pas parce que je veux regarder devant nous et faire en sorte qu’un tel chaos ne se reproduise plus.
Mais je ne m’étendrai pas non plus en un débat pourtant inévitable, sur la réalité de la demande médicale et sur le rôle pervers de la limitation de l’accès aux numéros INAMI, dont le bien-fondé reste à démontrer et qui est la source de tous les maux.

Espérer établir un numerus clausus en premier bac sans reçus-collés, c’est comme vouloir faire une omelette sans casser des œufs. Seul un miracle ferait correspondre le nombre de réussites au nombre d’attestations disponibles. C’est précisément, entre nous soit dit, ce qu’on nous demande de faire, puisque nous devons proclamer « ajournés » ceux qui ne se classent pas en ordre utile. Un faux, en quelque sorte, puisque sur base de tous les autres critères, ils auraient réussi. Espérer que ce système puisse devenir bon est illusoire.

C’est pourquoi les doyens des facultés de Médecine ont proposé un examen d’entrée. D’emblée, cette proposition, pourtant étudiée avec beaucoup de soin, a été rejetée en raison de son soi-disant caractère anti-social et l’idée qu’il ne permettrait pas un contingentement précis. Quelques jours plus tard, ce contingentement précis était pulvérisé puisqu’on ajoutait, entre les deux sessions, 200 attestations à répartir sur 2 ans. Voilà un argument qui disparaissait instantanément. Aujourd’hui, dans une unanimité qui est une première historique, les recteurs des 3 universités complètes relancent cette proposition car on ne peut critiquer sans proposer d’alternative. Notre Ministre la décrit dans la presse d’avant-hier comme une « fausse bonne solution » dit-elle « car les étudiants seront jugés sur base de leur parcours scolaire et sur des matières qui n’ont rien à voir avec la médecine ».

Tout d’abord, j’espère que nul ne doit avoir honte de son parcours scolaire. Permettez-moi de faire ensuite remarquer que le concours de fin de premier bac n’est pas non plus particulièrement médical (chimie, physique, biologie, pour l’essentiel). Par ailleurs, si on analyse bien le document proposé par les doyens, on voit que l’examen est pensé pour éviter ces écueils autant que faire se peut. Il porte sur des capacités de compréhension, d’analyse et de synthèse, beaucoup plus que sur des capacités de mémorisation ou l’accumulation de matière acquise.

Qu’il y ait des différences de qualité entre les établissements d’enseignement secondaire ne fait aucun doute, mais il est à la mode aujourd’hui de considérer qu’il s’agit là d’un tabou, d’un problème qui ne peut être évoqué ni mesuré (voyez la levée de boucliers face au test que propose le Ministre Dupont).
On préfère ne pas savoir ou faire semblant de ne pas savoir et repartir soi-disant à zéro à l’université. Comme si les disparités bien connues des 6 ans du secondaire pouvaient être aplanies par une première année de bac universitaire. C’est fameusement minimiser le déficit de formation que de croire qu’il s’efface ainsi en un an. Chacun aujourd’hui peut mesurer le taux de succès dans telle ou telle branche à l’université des élèves de tel ou tel collège, lycée ou athénée. Quand donc quelqu’un osera-t-on dénoncer ces œillères qui pervertissent notre enseignement secondaire ? On ne peut ignorer cela aujourd’hui. On ne peut plus nier l’importance d’évaluer nos enseignements, quels qu’ils soient. Rejeter un examen d’entrée sur cette base, c’est entériner définitivement le décalage entre les institutions, tout en en le reconnaissant mais en considérant qu’il n’y a rien à faire et que l’écart ne pourra que continuer à grandir. Qu’on arrête donc de brandir ce spectre de l’inégalité des chances et qu’on se décide à l’affronter de face. Et comment mieux le faire qu’en se fixant des objectifs ? La réussite d’un examen d’entrée intelligemment pensé peut être un objectif — parmi d’autres certes — mais un objectif tangible. Le nier est une dérobade. D’autant plus que la capacité à affronter une année de premier bac universitaire est conditionnée par les mêmes inégalités. Ce sont elles qu’il faut combattre bien plus tôt déjà et qu’il faut arriver, dans le secondaire, à gommer.

Faire de nos enfants des universitaires accomplis, ça se prépare bien avant. Et un pays comme le nôtre ne peut espérer maintenir son niveau de développement que par la qualité de ses diplômés de l’enseignement supérieur, en compétition flagrante avec ceux des pays émergents, la Chine, l’Inde, le Brésil, le Mexique, pour ne citer que ceux-là. Alors ressaisissons-nous et ne nous réfugions pas derrière le caractère soi-disant inéluctable des inégalités.
Si les recteurs défendent l’idée d’un examen d’entrée, ils restent néanmoins ouverts à d’autres solutions, mais ils demandent que le pour et le contre des diverses propositions soit pesé honnêtement et sans parti pris. Ils demandent en tout cas, que l’on trouve une solution acceptable, et que l’on cesse d’empêcher les étudiants de faire les études qu’ils ont envie de faire alors qu’ils en sont jugés capables. C’est un droit humain fondamental qui prime par rapport aux initiatives législatives locales ou contextuelles.

Tout ceci souligne la nécessité, pour nos universités, non pas de s’adapter à la baisse pour pallier les manquements de la préparation qui précède, mais de s’adapter à la hausse par l’exigence et l’excellence, seuls atouts à développer face à la compétition internationale. Je ne parle pas ici de mondialisation ni de marchandisation, deux concepts qu’en matière universitaire, je réprouve. Je parle de l’émulation avec les autres universités du monde pour que nos diplômés trouvent, aujourd’hui et demain, dans un monde de plus en plus ouvert et mobile, mais aussi changeant, une place de choix et un réel épanouissement. Un tel objectif implique des coûts exorbitants et il est vrai que notre enseignement universitaire reste un des plus mal financés au monde. Heureusement, nous avons acquis cette capacité extraordinaire de faire bien avec peu, et nous en sommes fiers, mais nous ne devons pas cesser de combattre pour que chacun comprenne que l’investissement dans la formation des jeunes est notre meilleur placement.

Ce que « Vers l’Avenir » me fait dire ce matin en réponse à sa question: « Faut-il encore faire l’Unif? » est effectivement ce que j’ai répondu. Mais pas dans ce contexte. Si la question m’avait été posée comme cela, j’aurais évidemment, comme mes collègues de l’UCL et de l’ULB, répondu oui.
En réalité, la question, telle quelle, ne m’a jamais été posée. L’interview portait sur l’intégration éventuelle des hautes écoles dans les universités? J’avais répondu que j’y étais favorable et qu’ainsi les étudiants se verraient proposer, à l’entrée dans le supérieur, une gamme étendue de possibilités au sein-même de l’Université. Cela permettrait de gommer les idées préconçues quant à une hiérarchie de qualité, de mérite, etc, de revaloriser les filières de haute école dans l’Université agrandie et, par conséquent, de faire disparaître le besoin de venir en touriste à l’université pour y subir des échecs et devoir se réorienter vers un « pis-aller ».
En outre, la coexistence, au sein des universités, des différentes filières permettrait une orientation plus efficace, une aide au choix, mais aussi une réorientation rapide et intégrée par des passerelles simples dans un sens comme dans l’autre.
Dans une telle optique, et seulement dans ce cas, je réponds: « Non, il n’est pas nécessaire de choisir des filières universitaires si l’on n’en a pas l’envie ou les capacités, si l’on sent bien que ses goûts personnels ne sont pas là, et si l’on ne souhaite pas jouer au touriste ».
Dans l’article, c’est le prérequis qui manque, ainsi que le contexte. Il correspond à mon propos si on le précède par cette proposition: l’intégration des hautes écoles dans les universités, comme en beaucoup de pays dans le monde.

Au terme — on l’espère — de la saga de l’été 2008, celle du numerus clausus, il convient d’en tirer les leçons. J’y détecte essentiellement deux dérives.

La première consiste en l’ingérence progressive d’influences externes tels que les pouvoirs politique et judiciaire dans les prérogatives académiques des universités. Sous le couvert d’agir en faveur des étudiants, tous ceux qui se permettent cette intrusion nuisent profondément à ceux-ci et tout particulièrement aux plus méritants.

1. En exigeant, par exemple, des universités une totale transparence — au point qu’elles doivent aujourd’hui, au 1er Bac en Médecine, communiquer la totalité de leurs points, dans le moindre détail, aux étudiants AVANT la délibération —, le pouvoir politique croit faire plaisir aux étudiants, voire même les protéger, alors qu’en réalité il paralyse le processus même de la délibération et le vide de son sens. Or ce processus, lorsqu’il reste secret, assouplit toujours les décisions — j’en ai la longue expérience et tous mes collègues en témoigneront — en faveur de l’étudiant. Remplacer le jury par un tableur informatique sans la moindre latitude empêchera dorénavant de se montrer clément ou compréhensif.

2. En changeant les « règles du jeu » en cours de partie ou, comme nous venons de le vivre, après la fin de la partie, le pouvoir politique amène l’université à se déjuger et à annuler une proclamation comme si elle était entachée d’une erreur matérielle. Chacun se cherche ou se donne des valeurs à poursuivre et on attend des universités qu’elles s’en donnent et qu’elles les appliquent. La principale valeur d’une institution d’enseignement primaire, secondaire ou supérieur, devrait être, me semble-t-il, la valeur de l’exemple. Que penser, dans ces conditions, d’une université qui passe avec chacun de ses étudiants un « contrat », l’engagement pédagogique, véritable pacte où chacun s’engage à respecter un ensemble de promesses, et qui, sous la pression de son propre pouvoir organisateur (c’est le cas à l’ULg et à l’UMH) et de sa composante politique, change la donne pendant l’année académique en cours? Comment encore espérer transmettre le sens du respect de la parole donnée et de l’engagement pris?

La seconde est une tendance de plus en plus fréquente à recourir à des assignations en justice pour des divergences de vue que l’étudiant peut ressentir avec son encadrement formatif, y compris des contestations non pas de forme mais d’opportunité. Cette tendance n’est pas propre à l’Université, on la trouve dans toutes les formes d’enseignement et également dans beaucoup d’autres circonstances où l’intérêt particulier semble primer par rapport à l’intérêt général.

1. Dans un contexte de contingentement par compétition, cette tendance s’exacerbe puisqu’on trouve de nombreuses situations où un étudiant a réussi si l’on utilise les critères ordinaires applicables à toutes les sections sans numerus clausus mais où il ne peut néanmoins passer dans l’année supérieure. Le caractère profondément frustrant de cette mesure est un intense générateur de recours, et cela se comprend.

2. Dans ce même contexte, la moindre faiblesse (moins de 10/20 à un examen) ne pardonne pas: elle verse l’étudiant dans une catégorie où, quel que soit le nombre maximum, il n’est pas éligible, ce qui est également frustrant. L’envie est très forte pour lui de démontrer que cette note a été mal évaluée non seulement pour lui mais pour tout le monde. Ce deuxième cas se double nécessairement du premier (d’abord remonter dans le canot de sauvetage, ensuite sauver le canot).

Dans ces deux cas, l’action portée immédiatement (si on vit dans un environnement familial instruit des possibilités de recours, mais je ne m’étendrai pas cette fois-ci sur l’injustice sociale que ceci met en lumière) consiste en un recours au Conseil d’Etat. C’est le droit le plus strict de chacun, mais il ne faut pas négliger la dérive que cela implique et, par conséquent, les mesures préventives que ce type d’action pousse les enseignants à développer qui risquent forcément de se montrer, dans bien des cas, défavorables à l’étudiant concerné et même à l’ensemble des étudiants.

La surprise suivante est la tendance, observée cet été, qu’a le Conseil d’Etat à donner raison à l’étudiant dans une procédure en référé, en quittant son rôle de vérificateur de la légalité des actes administratifs pour déborder sur le terrain de l’opportunité qui devrait rester la prérogative absolue de l’institution d’enseignement. Cette précipitation conduit à des revers, comme la réalisation tardive du fait que les éléments à charge du dossier ont été « enjolivés » par l’étudiant, ce qui l’amène, dans un deuxième temps, à retirer sa plainte, faute de vrais arguments, sous le couvert valorisant du sacrifice héroïque en faveur de ses condisciples. En jouant ce jeu sans sérénité, le Conseil perd de sa crédibilité, et c’est dommage.

Il perd également de sa crédibilité lorsqu’il rejette la décision d’un jury universitaire qui souhaite organiser une juste répartition des attestations de réussite que le gouvernement lui accorde pour deux ans, et l’oblige à tout dépenser tout de suite. Voilà bien un jugement qui ne porte nullement sur la légalité de l’acte (le prélèvement sur 2009 était autorisé mais pas obligatoire) mais bien sur son opportunité. Le Conseil s’aventure, là, en dehors de ses prérogatives, et sur un terrain éminemment politique.

Malheureusement, de tels arrêts ne peuvent qu’encourager des étudiants en difficulté à prendre l’habitude de contester la validité de leurs examens ainsi que les décisions du jury, même si c’est précisément, au départ, au détriment de leurs condisciples. Je crains terriblement de voir arriver une vague de récriminations par voie juridique qui risquent de déstabiliser le système éducatif et d’instaurer un climat de recours permanents à propos de tout et de rien qui ne pourra qu’aboutir à la ruine de la qualité de la formation, ou à l’opposé, à un durcissement des évaluations et un raidissement du corps professoral. Dans les deux cas, si nous n’y prenons garde tout de suite, la qualité des systèmes de formation des jeunes sera la grande perdante de ce vaste dérapage.

Comme je l’ai dit plus haut, ces dérives sont exacerbées par le numerus clausus, qui rend les détails de la vie étudiante bien plus décisifs, stimule l’esprit de compétition au point de prôner le « chacun pour soi » et multiplie les actions de contestation. On a beau chercher comment résoudre ce problème, on arrive toujours à la même conclusion: il n’existe pas de bon système de contingentement. Ne cherchez pas, il n’y en a pas. Ils sont tous mauvais. Choisir le moins mauvais (à démontrer) n’est qu’un pis-aller.

Aujourd’hui, surtout après avoir distribué toutes les attestations dont nous disposions, y compris 15% de celles de 2009, nous devons continuer à réagir. Nous ne pouvons nous contenter de laisser venir. Nous devons traiter les étudiants qui seront délibérés après les élections de 2009 comme ceux de cette année, avant les élections de 2009. Nous devons faire prévaloir une certaine justice et éviter de jouer le jeu de certains qui abusent de leur influence pour créer des conditions nouvelles, non annoncées et en faveur d’une seule cohorte d’étudiants, à un moment particulier.

Nous devons manifester notre conviction (c’est en tout cas la mienne) qui est que les universités sont là pour aider les jeunes à apprendre et à se former, non pas pour les contingenter et que la seule limitation à leur accès aux études doit être leur capacité personnelle à les mener à bien.

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