Ce texte est celui du discours de Rentrée Académique tel que je l’ai prononcé le 22 septembre 2005. Je m’adressais à la Communauté universitaire mais également à de nombreuses personnalités ne faisant pas partie de l’ULg. Les sept plaidoyers qu’il contient s’adressent donc à tous et développent des thèmes ayant trait aux relations extérieures de l’ULg. D’autres grands chantiers, internes ceux-là, ne sont pas évoqués ici, mais sont tout autant au centre de mes préoccupations. Ils seront prochainement exposés dans ce blog.

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

J’articulerai mon discours sur 7 plaidoyers, qui définiront les grands axes de la politique que j’ai l’intention de mener afin de conduire cette Institution sur la voie de l’excellence, de la sérénité et de la modernité.

J’aurai la chance et le plaisir de faire ce premier discours de rentrée académique en la présence d’un aréopage de personnalités académiques que je vais vous présenter dans quelques instants, personnalités venues de partout dans le monde spécialement pour cette occasion. Je les remercie très sincèrement et avec beaucoup d’émotion pour leur présence amicale et bienveillante. Ils serviront, j’en suis sûr, de caution à mon propos et je les encouragerai donc à me démentir s’ils ne partagent pas, sinon la lettre, en tout cas le sens de mes paroles et ils forment, tous ensemble, un symbole fort et clair du lien qui rassemble toutes les universités de la planète car toutes sont investies de la même mission et elles savent toutes que leurs objectifs ne pourront être atteints que si elles s’entraînent, se soutiennent et s’encouragent les unes les autres.

L’Université est, partout dans le monde, un haut lieu de l’enseignement — je préfère dire la formation — et de la recherche.
L’originalité et la spécificité de l’Université est qu’elle est constituée de chercheurs et que les enseignements, la formation, sont dispensés par des chercheurs. La Recherche est donc non seulement l’image de marque, mais la force et la noblesse de l’Université. Sans elle, elle n’est plus qu’une école ordinaire.

L’Université, dans notre pays, notre Communauté comme nous disons ici, manque cruellement de moyens. Ce n’est pas un drame exclusivement belge francophone, mais la situation n’est pas brillante, tout le monde le sait. Le domaine universitaire unique au monde où vous vous trouvez en ce moment nécessite, pour son entretien et, dans certains cas déjà, sa remise en état, dix millions d’Euro alors que, dans une version optimiste des choses, nous pourrons au mieux en consacrer deux à cette fin. Ce n’est qu’un exemple. Nos moyens sont largement insuffisants en matière d’innovation pédagogique et de modernisation de nos outils de formation. La frustration qui naît de cette impossibilité de mettre en œuvre ce que nous savons nécessaire à un véritable progrès de l’éducation des jeunes, décourage certains d’entre nous parmi les plus dynamiques. Beaucoup ont recours à des activités de service ou d’expertise, plus rémunératrices, mais y consacrent parfois un temps tel que leurs activités de recherche pure et d’enseignement s’en ressentent. Quelquefois même, ils en viennent à créer des activités qui entrent en concurrence avec les entreprises dans lesquelles nos propres diplômés peuvent trouver des emplois et un épanouissement véritable.
Bien sûr, cette situation reste exceptionnelle et nous avons mis au point des mécanismes qui limitent ces cas extrêmes. Néanmoins, nous sommes entrés, et cela se banalise, dans un contexte paradoxal qui demande à être corrigé, sous peine de voir la recherche la plus pointue s’effacer au profit du profit.
Je tiens à préciser ici que je suis favorable à la rencontre entre les entreprises et l’Université, à leur interaction et aux synergies de plus en plus nombreuses que l’on découvre entre elles, mais de manière raisonnée et raisonnable, où chacun trouve son compte, garde ses spécificités et préserve sa dignité. Ces activités sont par ailleurs un moyen de garder le contact avec la réalité des choses et ouvrent les yeux de l’étudiant sur le monde où il travaillera bientôt.

L’Université se voit donc confier trois missions spécifiques : la formation, la recherche et les services à la communauté.
Et ceci nous entraîne immédiatement sur le terrain de la Recherche fondamentale : est-elle un luxe ou une nécessité ? Vous ne serez pas étonnés que je prenne parti en faveur de la deuxième hypothèse. Ouvrons les yeux. Si la recherche fondamentale est un luxe pour certains pays, heureusement de moins en moins nombreux, elle est une nécessité dans les pays industrialisés et une nécessité absolue dans ceux qui, parmi ceux-là et c’est le cas du nôtre, sont en difficulté en raison de la mondialisation des marchés et de la délocalisation des sites de production. Celle-ci s’oriente de plus en plus chez nous vers des produits de haute valeur ajoutée qui résultent d’une recherche très pointue, d’avant garde et innovante. Ils résultent même souvent d’une recherche qui n’avait nullement pour but de les produire, mais seulement de faire avancer les connaissances.

Des recherches les moins orientées naissent les applications les plus originales et les plus innovantes.

Il est une étrangeté singulière en Belgique francophone : la séparation des compétences entre la Région et la Communauté. Pardonnez moi cette image simpliste — rien n’est jamais si simple ! — mais pour bien me faire comprendre: chez nous la Région est « riche » et la Communauté est « pauvre » et on ne voit guère de perspective de changement à cet égard. La Région subventionne la recherche appliquée, celle dont on voit bien au premier coup d’œil qu’elle a des chances de donner rapidement naissance à un produit ou à un procédé, et la Communauté subventionne la recherche fondamentale, essentiellement par le biais du Fonds National de la Recherche scientifique. Le clivage entre les deux concepts, dont cependant je défie quiconque de définir clairement la frontière car il n’y en a pas, ce clivage est pervers. Il laisse penser que l’on peut choisir la recherche que l’on doit soutenir pour créer la prospérité, il laisse penser qu’on peut se donner une recherche appliquée sans se préoccuper de l’alimenter en amont et qu’on peut se passer de la vraie innovation créative.
Il est temps d’ouvrir les yeux et de rompre une bonne fois pour toutes avec le vocabulaire trompeur, mal défini et paralysant qui distingue Recherche fondamentale et appliquée. La Recherche est une et indivisible, c’est un continuum. On ne peut en tronquer une partie sous peine de suivre le parcours inverse des pays actuellement émergents tels que la Chine, qui a parfaitement compris ce principe et développe aujourd’hui une recherche fondamentale qu’elle avait négligée jusqu’ici.

Mon premier plaidoyer sera donc pour la compréhension par tous d’un concept unifié de la Recherche scientifique, qui ne distingue ni fondamental ni appliqué et bannisse définitivement ces termes dont la frontière qui les sépare est indéfinissable. Ce plaidoyer sera pour une prise de conscience du public, des politiques et des universitaires eux-mêmes, du caractère pernicieux de cette distinction aléatoire car celle-ci compromet autant l’avenir de la Recherche en général, celui des universités et la qualité de la formation qu’elles dispensent, et tout ceci à court terme, que le développement indispensable à l’originalité et à l’innovation dans nos entreprises, à terme à peine plus long.

Depuis l’époque où j’y faisais mes premiers pas, l’Université a beaucoup changé. C’est un lieu paradoxal où se côtoient une grande tradition immuable — nos toges en témoignent en ce jour ! — et des recherches d’avant-garde. La mentalité rigide de quelques pithécanthropes heureusement en voie de disparition y freine encore les élans progressistes de la majorité des universitaires. Le dialogue de l’Université avec le monde qui l’entoure s’est développé de manière considérable ces dernières années et il a pris sa pleine vitesse récemment. Je n’en veux pour preuve que le nombre croissant et impressionnant de consultations qui sont sollicitées auprès de nous par des entreprises, des organismes privés et publics de tous ordres, des PME et j’en passe. L’Université s’est montrée elle-même créatrice d’entreprises nouvelles dites spin-off et a mis au point les mécanismes de sécurité qui empêchent toute dérive dans ce processus, tout en assurant sa propriété intellectuelle, souci qu’elle n’avait guère au temps hélas lointain où elle était financièrement à l’aise. Tout ceci a créé un climat de confiance et d’intérêt entre les partenaires et augure bien des synergies futures entre eux. Il importe que l’Université et les entreprises au sens large, privées et publiques, continuent dans cette voie de la compréhension et du dialogue, sans toutefois s’influencer exagérément au point de se faire perdre leurs objectifs à long terme. Par ailleurs, les relations de notre Université avec la Ville de Liège, la Province de Liège, la Province du Luxembourg et toutes les institutions et organismes qui lui sont proches n’a fait que croître et embellir durant ces dernières années. Je compte donner une impulsion encore plus grande à ces relations privilégiées. Enfin, je considère que l’Université se doit de reprendre sa part de l’activité culturelle directe ou induite qu’elle est capable de générer grâce aux talents multiples et variés et au patrimoine culturel inestimable qu’elle recèle. Sa collaboration avec la ville et avec les provinces doit s’intensifier sur ce plan et contribuer à rendre à Liège l’éclat qui fut le sien dans le passé. La salle académique nouvellement restaurée et les grands projets que je nourris devraient marquer les années futures avec la création de deux galeries d’exposition permanentes et temporaires nous permettant de faire connaître et de mettre en valeur la fabuleuse richesse de nos collections artistiques, de l’existence desquelles peu de gens, même dans nos murs, ont réellement conscience et sur lesquelles je souhaite leur ouvrir les yeux. Nos grands projets incluent également la création d’un vaste ensemble muséal axé sur les Sciences et les Techniques au sens large, qui verra le jour sur la rive droite de la Meuse et qui devrait prendre place au premier rang des réalisations de ce type en exploitant, contrairement à d’autres réalisations, davantage notre patrimoine et notre inventivité que les deniers publics. La Ville et la Province de Liège, qui constituent un pôle réputé d’enseignement et de formation en Belgique orientale, trouveront là un complément remarquable à leur mission pédagogique.

Mon deuxième plaidoyer sera donc pour une Université dynamique, innovante, intégrée et participante, pilier de sa ville, moteur du développement régional, promotrice des arts et de la culture et dispensatrice de formations prospectives et modernes, non pas taillées dans l’instant à la mesure de la demande du marché de l’emploi, mais prédictives des évolutions majeures de la Société.

L’Université est multiple. La Communauté française de Belgique en compte trois grandes, dites complètes, et six de taille nettement plus modeste, dont certaines présentent un éventail large de formations et d’autres sont très spécialisées. En tout, neuf institutions universitaires dans le paysage d’une communauté de quatre millions et demi de personnes. C’est beaucoup. Mais chacune a sa raison d’être, son histoire et son implantation géographique, ce qui n’est pas sans signification pour les villes qui les hébergent. Il n’en reste pas moins vrai que, si l’on veut ouvrir les yeux, c’est beaucoup.
Un premier signe de regroupement a été annoncé avec la création des Académies, mais il n’est pas certain que cette voie soit la bonne.
Ce qui est certain, c’est que l’entente entre les institutions universitaires francophones belges évolue dans un sens que je trouve fort intéressant et encourageant. Pas plus tard qu’il y a quinze jours, le 6 septembre dernier pour être précis — et cela vaut la peine, la date est historique —, le Conseil des Recteurs au grand complet a surmonté ses différences et ses réflexes ancestraux pour présenter enfin un visage unifié. Cet événement s’est accompli dans le contexte d’une participation des universités au désormais célèbre « Plan Marshall » de la Région Wallonne, lancé par nos jeunes ministres liégeois dont je salue le dynamisme et la détermination à faire bouger les choses, Jean-Claude Marcourt, Ministre de l’Economie et de l’Emploi et Marie-Dominique Simonet, Ministre de la Recherche. Les universités se sont présentées en front uni pour offrir leur expertise, leur savoir et leur savoir faire au service du plan qui, je le rappelle, est un plan de relance économique destiné aux entreprises mais dans lequel les universités et centres de recherche joueront un rôle important par leur compétence. Mais montrer un visage uni n’est pas simple, surtout lorsqu’il faut proposer un nom pour la tâche difficile de la coordination des pôles de compétitivité proposés par le Plan. Et c’est là que les Recteurs ont trouvé la grandeur : se mettre d’accord sur un responsable — chacun ne pouvant les avoir tous — et veiller à ce que chaque responsable joue honnêtement le jeu et fasse participer ses collègues de toutes les institutions compétentes à la construction du pôle.
Des maladresses de communication ont malheureusement terni inutilement ce beau succès : nombreux furent ceux qui, dans les universités, ont cru que cet accord signifiait une rationalisation et le sacrifice par les universités de secteurs entiers de recherche au profit de celle qui détient la coordination. Je profite de cette occasion pour rectifier cette erreur grossière. L’esprit des recteurs n’a précisément jamais été celui-là, mais l’inverse.

Laissez-moi vous présenter les acteurs de cet incomparable pas en avant. Nous avons le plaisir et l’honneur d’avoir parmi nous aujourd’hui réunis sept recteurs de la Communauté française de Belgique :
• le Professeur Pierre de Maret, Recteur de l’Université Libre de Bruxelles,
• le Professeur Bernard Coulie, Recteur de l’Université Catholique de Louvain.
Ils sont tous deux les recteurs des deux autres universités complètes. Nos trois institutions hébergent plus de quatre-vingt pourcents de la population étudiante universitaire de Belgique francophone. L’entente et la confiance entre nous trois est une condition indispensable à la recherche de la sérénité et de l’harmonie dans notre paysage éducatif. Je veux voir en leur présence ici aujourd’hui, un message clair de leur volonté de trouver les voies de la sagesse entre nous et je les en remercie très vivement.
Sont également avec nous quatre recteurs des institutions, plus petites bien sûr, mais qui ont des spécificités diverses, soit par une grande spécialisation, soit par le rôle qu’elles jouent dans leur environnement local, donnant à leur ville et à leur région un rayonnement universitaire bienvenu.
• le Professeur André Théwis, , Recteur de la Faculté Universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux, une institution de réputation internationale qui fait partie de notre Académie Wallonie-Europe et dont les spécificités sont parfaitement complémentaires des nôtres, l’agronomie et la médecine vétérinaire étant les deux volets scientifiques majeurs du domaine agro-alimentaire ;
• le Professeur Michel Scheuer, Recteur des Facultés Universitaires Notre Dame de la Paix à Namur, avec lesquelles les flux d’étudiants et d’enseignants ont été, de longue date, très fréquents et le sont encore aujourd’hui. Nous sommes situés dans les deux grandes villes mosanes et ce point commun nous rapproche incontestablement ;
• le Professeur Christian Delporte, Recteur des Facultés Universitaires Catholiques de Mons, avec lesquelles nous avons des collaborations diverses, en particulier dans le cadre des pôles d’attraction interuniversitaires ;
• le professeur Serge Boucher, Recteur de la Faculté Polytechnique de Mons ; faculté sœur de notre faculté des Sciences appliquées.
Il n’en manque que deux. Je dois rapporter ici les excuses des Recteurs Jean-Paul Lambert des Facultés Universitaires Saint-Louis à Bruxelles et Bernard Lux de l’Université de Mons-Hainaut, tous deux retenus par d’autres obligations mais m’assurant de leurs regrets sincères de ne pouvoir être avec nous cet après-midi.
J’ajouterai que l’université Libre de Bruxelles a fait très fort : l’ancien Recteur et actuel Président du Conseil d’Administration, Jean-Louis Vanerweghem, est également présent et je l’en remercie.

Si l’on veut bien ouvrir les yeux, on ne peut manquer de s’apercevoir que notre paysage universitaire francophone en Belgique manque de rationalité, de logique et partant, d’efficacité. Un gaspillage considérable de forces vient tout simplement d’impératifs politiques et régionaux ou plus exactement sous-régionaux. Et pourtant, on peut également voir qu’il n’est nul besoin de fermer des institutions pour résoudre ce problème et que l’efficacité ne naît pas nécessairement de la centralisation à outrance —ce ne sont pas nos amis français qui me démentiront ! —. Certaines institutions sont petites, mais toutes sont de qualité, avec leurs spécificités propres. Je prétends qu’il est possible de maintenir les universités et les centres universitaires ou les facultés isolées dans leur situation géographique et leur proximité locale, dont on comprend l’importance, tout en réexaminant leurs statuts et en organisant leur fédération. Ouvrons les yeux : A neuf, nous représentons un potentiel universitaire tout à fait remarquable.

Mon troisième plaidoyer sera donc pour une Université francophone de Belgique unie et solidaire, dans le respect de son incomparable diversité de pouvoirs organisateurs, de réseaux, de tendances, de valeurs et d’implantations géographiques, une Université qui apparaîtra à la face du monde comme une grande Fédération, diversifiée mais homogène, parlant d’une même voix, fière de la position à laquelle ses synergies la feront immanquablement accéder parmi les meilleures institutions de la planète dans les classements internationaux désormais incontournables, fière d’apporter à sa communauté, à ses régions et à son pays un label de qualité et de prestige international.

Le paysage de l’enseignement supérieur en Belgique francophone est très singulier, si on le compare à celui de la grande majorité des pays du monde. Il est un des rares où existe une subdivision entre universitaire et non universitaire. A titre d’exemple, en Europe au sens fort large, il n’y a qu’en Belgique et en Bulgarie que les instituteurs ne sont pas formés à l’Université. Les hautes écoles constituent un paysage bis. Certaines de leurs formations sont redondantes pour une large partie avec celles que dispense l’Université. Cette dichotomie a sa raison d’être car elle donne aux étudiants un vaste éventail de choix, mais en même temps, elle les cantonne dans un système cloisonné, parfois à tort, et ne favorise pas — à quelques exceptions près appelées passerelles — la bifurcation vers l’autre système, dans les deux sens d’ailleurs. Si l’on veut bien ouvrir les yeux, on est aveuglé par l’absurdité d’un tel système, engoncé dans ses structures historiques et dépassées, servant plus des intérêts particuliers que l’intérêt général et donnant de l’enseignement supérieur de notre pays une image inutilement complexe, bien en ligne avec la complexité infinie de nos institutions.

Mon quatrième plaidoyer sera donc pour une intégration des enseignements supérieurs en Belgique francophone, tout en conservant les spécificités des filières d’études qui ont toutes leurs qualités propres, élargissant ainsi une offre globale de formations pour les jeunes ainsi que des possibilités nombreuses et parfaitement organisées de réorientation en cours d’études. Ceci devrait contribuer à une revalorisation des filières les mieux adaptées à chacun sans conserver ces hiérarchies de valeurs qui entraînent les adolescents dans des voies qui leur conviennent mal, où ils subissent les frustrations de l’échec, banalisent l’errance et encombrent les orientations les plus prisées mais qui leur sont inadéquates. Cette intégration permettra aussi une revalorisation des métiers délaissés et dont notre région manque cruellement aujourd’hui.

La Belgique est un pays étrange s’il en est.
Petit et de surcroît divisé autant qu’on peut l’être, fragmenté selon des clivages que peu de gens peuvent comprendre. Tous les pays ont leurs clivages politiques voire idéologiques. Nous y ajoutons des clivages linguistiques — trois langues chez nous — et culturels. Et paradoxalement, ou ironiquement, notre devise nationale proclame que : « L’Union fait la force ». Mais qui aura le courage un jour d’ouvrir les yeux sur ces incohérences et de réaliser que nous avons tout avantage à œuvrer ensemble dans un même but et à cesser d’éparpiller le plus clair de notre énergie politique à trouver des compromis pour résoudre des querelles dignes de Jonathan Swift qui dans ses Voyages de Gulliver avait préfiguré la Belgique plus d’un siècle avant qu’elle existât et plus de deux siècles avant qu’elle ne tombât dans ces travers ridicules. ? Nous vivons dans un pays où le ridicule ne tue pas, heureusement. Mais les universitaires sont restés inébranlables pour la plupart dans ces querelles. Ils ont continué à s’entendre, à se voir et à travailler ensemble. La politique belge a bien essayé de les dissocier et il fut un temps où certains d’entre eux, voire même certains de leurs dirigeants, ont pris fait et cause pour ces visées séparatistes et il serait faux de dire que cela n’a pas donné un coup de frein aux relations interuniversitaires de part et d’autre de la ligne de démarcation linguistique.
Ouvrons les yeux : les universités sont faites pour s’entendre, où qu’elles se situent. Mieux encore, elles doivent montrer l’exemple de la sagesse et de la raison et donner à leurs étudiants une formation qui aplanit les méfaits des différences et qui, au contraire, en exalte les bienfaits.
Faut-il en venir à citer Marx, je veux dire Groucho Marx, qui écrivait à sa fille : « S’entendre avec les autres est d’une importance si vitale que je ne comprends pas pourquoi l’université ne consacre pas de vrais cours à ce domaine ».

Nous avons le grand plaisir d’accueillir aujourd’hui le professeur Waer, Vice-Recteur de la Katholieke Universiteit Leuven, représentant le Recteur Vervenne. Nos collaborations avec la KUL sont très nombreuses. Certains de nos professeurs exercent partiellement dans les deux institutions, beaucoup de nos chercheurs ont travaillé à la KUL pendant de nombreuses années et nos liens sont donc multiples. Je pèse bien toute la signification de sa présence aujourd’hui et le message qu’il me lance ainsi et je l’en remercie.
Je souhaite vous présenter également le Professeur Luc De Schepper, recteur du Limburgs Universitair Centrum, le Centre universitaire du Limbourg à Hasselt. Luc, dont le prénom s’identifie aux initiales de son institution — Ulg serait moins élégant ! — est venu en voisin. Nous sommes très proches par la distance mais également par l’Histoire de la Principauté de Liège et par notre culture en large partie commune depuis un bon millénaire. Comment ne pas ouvrir les yeux et voir ainsi, à un jet de pierre, une institution avec laquelle la nôtre pourrait entretenir bien plus de collaborations qu’aujourd’hui ? Nous sommes tous deux membres d’un consortium plus large, ALMA, je vais en reparler, et nos relations sont donc en train de s’amplifier. Je le remercie également pour sa présence.

Mon cinquième plaidoyer sera pour une alliance universitaire belge, plaçant l’intelligence aux avant-postes d’un combat de la raison en faveur une entente des peuples francophone et néerlandophone de notre pays, entente qui n’a jamais vraiment faibli dans le monde universitaire où les deux communautés se rencontrent et s‘apprécient mutuellement. Ce plaidoyer sera pour que les échanges entre nos institutions s’intensifient et qu’une véritable mobilité institutionnelle s’installe et se renforce, offrant ainsi à nos étudiants, et en particulier à ceux pour lesquels la mobilité internationale pose des problèmes financiers difficiles, la possibilité de s’immerger dans une autre culture et une autre langue qui sont néanmoins celles de notre propre pays.

Je viens de l’évoquer, ALMA est un consortium de quatre universités rassemblant soixante mille étudiants, créé il y a une quinzaine d’années.
Outre l’Université de Liège et le LUC, ALMA compte deux autres institutions :
l’Université de Maastricht, représentée ici par son Recteur, le professeur Gerhard Mols. Gerhard est devenu un ami. Nos deux institutions, indépendamment d’ALMA, ou devrais-je dire, au sein d’ALMA, ont entrepris une vaste opération d’association étroite impliquant cinq facultés, prévoyant l’organisation en commun de maîtrises et de formations de troisième cycle, dont certaines ont déjà commencé, dans un effort inter-institutionnel sans précédent. Je suis très heureux que Gerhard soit ici pour témoigner de notre attachement mutuel et de l’ampleur des projets que nous avons ensemble. Le 5 octobre prochain, tous les acteurs de notre collaboration, tant à l’Université de Maastricht qu’à celle de Liège se réuniront une fois de plus, cette fois à Maastricht, pour faire le point de l’évolution de nos projets communs et le bilan des avancées déjà en cours.
Le quatrième partenaire d’ALMA est l’Université technologique d’Aix-la-Chapelle (le RWTH) dont le Recteur, le Professeur Burkhart Rauhut, m’a fait savoir qu’il aurait vraiment voulu être là pour nous manifester son attachement, mais qu’il était dans l’impossibilité de venir aujourd’hui, en raison d’engagements pris de longue date. Néanmoins il m’assure de sa confiance dans les progrès que nous pourrons faire ensemble.

Non loin de nous et chère à notre cœur, se trouve la toute nouvelle Université du Luxembourg. Sa naissance a été très vite endeuillée par la disparition de son premier Recteur, François Tavenas, décédé deux mois seulement après sa prise de fonction. C’est aujourd’hui le Professeur Rolf Tarrach qui a pris les rênes de cette jeune institution qui nous est proche car nos liens avec le Grand Duché sont nombreux. Ce sont des liens de voisinage bien sûr, mais nos collaborations avec l’ancien Centre Universitaire du Luxembourg furent abondants, nous sommes voisins sur notre campus d’Arlon et le Recteur Legros fait partie du Conseil international de Gouvernance de la nouvelle université depuis sa création. C’est la première fois que je rencontre le Recteur Tarrach et j’en suis ravi. J’espère que nous aurons souvent l’occasion de travailler ensemble. Je connais depuis beaucoup plus longtemps le Professeur Jean-Paul Lehners, vice-recteur de l’Université de Luxembourg, avec qui j’ai eu le plaisir de travailler dans le cadre de la Charte des universités de la Grande Région Sarre-Lorraine-Luxembourg, Rhénanie Palatinat-Wallonie — à laquelle il serait utile que l’on trouve un nom un peu plus accrocheur, il faut bien le dire ! — mais également dans le cadre de Campus Europæ, un programme d’échange particulièrement ambitieux dont je vous toucherai un mot dans quelques instants. Jean-Paul nous fait également le plaisir d’être avec nous aujourd’hui.
Puisque je viens d’évoquer la Grande Région, parlons-en. Permettez-moi de vous présenter le Professeur Richard Lioger, Président de l’Université de Metz. Richard est un excellent ami. Nous partageons quelques passions avouables, dont l’amour du bon vin et de la bonne table, un intérêt très vif pour toutes les formes d’art et de culture et un enthousiasme certain pour les relations internationales ainsi que la modernisation des universités et leur insertion dans le monde socio-économique. Richard est également vice-président de la Conférence des présidents d’université de France (la CPU), une instance consultative importante présidée par le ministre en charge de l’enseignement supérieur, qui réunit l’ensemble des universités, les écoles normales supérieures et les grands établissements de France. Aujourd’hui, il a séché une réunion de la CPU pour être avec nous aujourd’hui et comme je connais la sincérité de son implication dans cette action, son geste d’amitié fraternelle me va droit au cœur.
Egalement dans la Grande Région, la ville de Nancy est une pépinière d’institutions universitaires importantes. Nous avons le plaisir de recevoir aujourd’hui le Professeur Hubert Néry, Président de l’Université de Nancy 2, venu en son nom propre mais également en représentation de nos collègues les Professeurs Jean-Pierre Finance, Président de l’Université de Nancy 1 et Louis Schuffenecker, Président de l’Institut National Polytechnique de Lorraine qui n’ont pu se joindre à nous, mais que nous rencontrons très régulièrement dans le cadre de la Charte. Nos contacts avec Nancy sont nombreux par les relations individuelles qu’ont mes collègues de l’ULg avec ceux de Nancy, et nos institutions sont membres de la Charte, mais je pense que nous devons nous atteler à trouver des synergies intéressantes au niveau institutionnel global. C’est pourquoi je suis très heureux de la présence du Président Hubert Néry et je len remercie vivement.
Le recteurs des universités de Sarrebrucken, de Kaiserslautern et de Trêves me prient de les excuser, ils sont eux-mêmes en rentrée académique également.

Mon sixième plaidoyer sera donc pour la création d’un grand consortium universitaire d’Europe occidentale dont l’image étincellera aux yeux du monde entier comme un vaste ensemble cohérent et attractif pour les étudiants venus de partout et au sein duquel une très grande fluidité sera organisée.

Depuis 2001, notre université s’est engagée résolument dans l’aventure du Campus Europae, un réseau d’universités européennes qui a pour but de faciliter les échanges d’étudiants et la mobilité telle que la concevait au départ le processus de Bologne, permettant aux étudiants de partir pendant deux fois une année dans des universités du réseau. Ceci leur permet de réaliser sans difficultés administratives leurs études dans trois institutions différentes et dans trois langues différentes. Certains me disent très sérieusement qu’il serait mieux d’apprendre à bien maîtriser sa propre langue avant de vouloir en posséder d’autres, mais je répondrai par la voix de Goethe : « Celui qui ne connaît pas les langues étrangères ne connaît rien de sa propre langue ».

La mise sur pied de ce programme n’a pas été facile, elle fut parfois décourageante, souvent exaltante, toujours sympathique et pragmatique. Une telle épopée n’aurait pu voir le jour sans l’énergie, la conviction et la persévérance exemplaires de deux hommes en particulier :
Le Professeur Konrad Schilly, fondateur et président de l’Université Witten-Herdecke en Allemagne, qui devait être avec nous, mais a dû renoncer à la dernière minute pour des raison de santé. Je lui souhaite un prompt rétablissement.
Le docteur Christoph Ehmann, ancien Sous-Secrétaire d’Etat au Ministère de l’Education allemand, chargé de la Science et de la Culture. Il a consacré, avec une énergie et un enthousiasme communicatifs, sa retraite de la politique à une action inlassable pour cette nouvelle passion grâce à laquelle il a voyagé partout en Europe et est devenu un grand amateur de Liège.

Représentant les autres Recteurs et présidents des universités membres de Campus Europæ, le Recteur Davide Bassi de l’Université de Trento (Trente) en Italie, a fait le voyage pour nous rejoindre. Comme son prédécesseur Massimo Egidi, qui fut un grand défenseur du programme, le recteur Bassi tient à maintenir constant l’effort de promotion de Campus Europæ. Je garde un excellent souvenir de la réunion du Conseil d’Administration de Campus qui s’est décentralisée vers cette jolie ville des Alpes italiennes un jour de juillet de l’an dernier.

Leur présence à tous les deux me récompense du temps et des efforts consentis pour donner vie et animation à ce beau programme, ambitieux et de grande qualité.
Si j’ai focalisé aujourd’hui l’attention sur le programme Campus Europæ, c’est à titre exemplatif, parce qu’il est le plus récent et parce que je m’y suis impliqué depuis sa fondation et même, devrais-je dire, de sa conception. Il symbolise l’ensemble de nos efforts dans la participation à d’autres programmes et réseaux : Erasmus-Socrates, Santander et beaucoup d’autres.

En 1992, le Recteur Arthur Bodson, célébrant les fastes du 175è anniversaire de l’Université de Liège, disait: « Liberté de l’Université publique et vocation européenne de l’Université, voilà ce que m’inspirent en ce jour la géographie et l’histoire de Liège ». Ces mots restent parfaitement d’actualité.

Aujourd’hui, nous avons l’immense plaisir d’accueillir des amis venus d’autres continents. J’en suis d’autant plus ému qu’ils ont tenu à faire le voyage uniquement pour cette circonstance. C’est vous dire si, au delà de la symbolique qui se dégage de l’événement, le message est aujourd’hui très fort : les liens entre universités très éloignées à la surface du globe sont aussi puissants que des liens de proximité. Ils correspondent à une volonté bien sûr, mais aussi à un désir, à une soif de se parler, d’interagir, de travailler ensemble, qui laissent présager de fructueux échanges pour nos chercheurs et pour nos étudiants, participant ainsi à la grande mobilité académique mondiale de demain.

J’ai le plaisir d’accueillir le Professeur Bruno-Marie Béchard, Recteur de l’Université de Sherbrooke, dont la sympathie pour Liège et son université fut immédiate et chaleureuse, dès sa première rencontre avec le Recteur Legros avec qui l’on ne peut nier, lorsqu’on les connaît un peu, qu’il ait de nombreux points communs. Et leur formation commune d’ingénieur n’explique pas tout. Leur vision du rôle et de la mission des universités, ainsi que de la gestion de celles-ci dans un monde malheureusement peu enclin à les soutenir, présente maintes similitudes. Leur approche des relations avec le monde politique sont étonnamment semblables. L’Université de Sherbrooke est maintenant devenue une vraie université-sœur. Notre association est très forte et ceci par le jumelage de cinq de nos facultés jusqu’à ce jour. Nos échanges d’étudiants sur base institutionnelle ont commencé dès l’année académique précédente. Le Recteur Béchard était chez nous avec une importante délégation en mai dernier et nous en avions fait de même en mars et en octobre de l’an dernier. Nous sommes heureux et fiers de cette association d’une ampleur audacieuse avec l’Université qui, au Québec et même au Canada tout entier, connaît depuis quelques années la croissance la plus grande et le développement le plus dynamique. C’est le début d’une longue et belle histoire.

Le Recteur Lufunda de l’Université de Lubumbashi, ville jumelée avec Liège, avait décidé d’avancer son voyage en Belgique de deux jours pour le faire coïncider avec cette journée. J’en étais très touché. Malheureusement, il est retenu à Kinshasa pour un problème de visa et ne pourra nous rejoindre à temps. Je lui adresse mes remerciements et je suis désolé pour lui et pour nous, de ce contretemps.
L’ULg et l’Université du Rwanda ont un passé de collaborations qui remontent bien avant les évènements dramatiques que l’on sait. Si nos relations ont toujours été en dent-de-scie, c’est par la force des évènements, jamais par désintérêt ou désaffection de notre part. Nous avons relancé depuis quelque temps maintenant les collaborations interrompues et nous comptons en développer de nouvelles.

Enfin, j’ai l’immense plaisir de vous présenter un ami qui est venu tout spécialement de Chine pour cette cérémonie : le président Anderson Liu de l’Université Bornet, près de la ville de Fuzhu. Lors d’un voyage royal officiel en Chine que nous avons accompagné en juin dernier, les recteurs de Maret, Coulie et moi-même avons été frappés par l’essor chinois et en particulier l’essor de leurs universités, le gouvernement chinois ayant compris l’importance d’accomplir tout le continuum de la Recherche, depuis le plus fondamental jusqu’au plus appliqué. Cette évidence, il la mettent en pratique en finançant maintenant une recherche très en amont des applications commerciales, c’est elle que nous aimerions voir comprise ici également. Cette démarche implique qu’ils créent là-bas une culture de recherche pure, alors qu’il nous suffirait d’amplifier celle que nous avons déjà et depuis longtemps avant qu’elle ne disparaisse.
Avant même d’entreprendre ce voyage, nous avions conclu des accords avec l’université Bornet qui est située dans la province du Fuzhen, province en pleine expansion jumelée avec la province de Liège. Dès 2006, nous accueillerons une centaine d’étudiants de Bornet qui auront au préalable suivi une formation intensive en langue française avant d’entamer leur séjour chez nous. Parmi ces étudiants, on trouvera bon nombre d’adultes engagés dans des métiers de service public ou d’entreprises, désireux de se former à la langue française et aux cultures européennes. Je suis très reconnaissant au Président Liu d’avoir décidé aussi rapidement de venir, et de s’être fait accompagner par une équipe de collaborateurs pour profiter de l’occasion, rencontrer les autorités de la Province et de la Ville et avancer dans la réalisation pratique de nos accords. La presse télévisée chinoise l’accompagne et transmettra en Chine les messages d’amitiés de la Belgique en général et de Liège en particulier. Je le remercie très chaudement pour ce magnifique cadeau qu’ils me fait d’assister à notre Rentrée académique et pour le poids symbolique de sa présence ici ce jour.

Mon septième et dernier plaidoyer sera enfin pour l’essor d’une véritable communauté planétaire des universités et pour qu’au delà de ce qui existe déjà aujourd’hui en matière d’échanges internationaux, les universités apprennent à parler d’une même voix face aux grands problèmes du monde, pour qu’elles constituent un élément de raison et de sagesse universelle face à la folie des hommes.

Et croyez-moi, tout ceci n’a pas pour fondement un snobisme du voyage ou du dépaysement, ni même l’illusion trompeuse que l’herbe doit être plus verte dans les autres prés, c’est tout simplement qu’à force d’ouvrir les yeux ailleurs, on revient chez soi avec un autre regard. Comme le disait Chesterton : « Le but du voyage n’est pas de poser le pied sur une terre étrangère. C’est finalement de poser le pied dans son propre pays comme s’il s’agissait d’une terre étrangère ».

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Ces sept plaidoyers correspondent à sept vœux qui sont les miens pour mon université, pour nos universités, durant les quatre années de mon rectorat et au delà. Ils me serviront de balises pour mener la politique que je souhaite insuffler à cette Institution qui m’est chère et à laquelle je vais, plus encore qu’auparavant, consacrer mon temps et mon énergie. Certes, nos ambitions sont grandes — utopiques diront certains — et j’ai conscience des responsabilités que cela implique mais j’espère que ces principes seront partagés par le plus grand nombre. Ce sont ces ambitions qui, tout au long de ce voyage, garderont mes yeux ouverts.

Je vous remercie.