Open Access


Le classement de juillet 2013 de Webometrics est sorti.
Contrairement aux classements d’universités (Rankings), Webometrics classe les dépôts (institutionnels ou non) en fonction de critères parfaitement objectifs et rend donc une image précise du fonctionnement relatif (et donc de l’utilité relative) des dépôts bibliographiques scientifiques.

ORBi, le dépôt institutionnel de l’ULg, se classe au 47ème rang mondial sur 1.650 répertoires de toutes catégories et devient le premier répertoire belge. Il est 34ème en taille, 115ème en visibilité, 68ème pour le nombre de textes intégraux.

Classement mondial des répertoires :

1) de toutes catégories, sur un total de 1.650 :
- ORBi (ULg) : 47ème, 20ème européen.
- LIRIAS (KULeuven) : 50ème, 22ème européen.
- UGIA (UGent) : 69ème, 32ème européen.
- DIAL (Académie Louvain: UCL, FUNDP, FUSL) : 716ème, 329ème européen.
- DIFUSION (Académie Wallonie-Bruxelles: ULB, UMons) : 803ème, 372ème européen.

2) institutionnels, sur un total de 1.563 :
- ORBi (ULg) : 33ème.
- LIRIAS (KULeuven) : 37ème.
- UGIA (UGent) : 52ème.
- DIAL (Académie Louvain: UCL, FUNDP, FUSL) : 656ème.
- DIFUSION (Académie Wallonie-Bruxelles: ULB, UMons) : 714ème.

On peut se demander pourquoi il existe un écart si important entre le classement de l’ULg, la KUL ou l’UGent et celui des académies Louvain ou Wallonie-Bruxelles. L’explication la plus plausible est le type de »mandat » appliqué. Imposer fermement le dépôt des publications scientifiques (qu’elles soient en accès ouvert ou non, peu importe) dans le répertoire institutionnel s’avère considérablement plus efficace pour l’université qui applique ce principe que pour celles qui laissent le choix aux auteurs et se contentent d’encourager le dépôt. Ce n’est évidemment pas une surprise, mais les chiffres sont là pour le démontrer aux incrédules.
Dès le moment où une institution décide de constituer un répertoire, il est inconcevable que l’ensemble des productions de ses chercheurs n’y soient pas obligatoirement déposé. L’université a tout à y gagner, mais surtout les chercheurs y trouvent rapidement la diffusion qu’ils sont en droit d’espérer pour leur travail.

La dernière décennie a vu naître une véritable contestation (au sens de mai 68) du mode traditionnel de la publication scientifique. Tous les ingrédients d’une évolution majeure sont présents:
(1) l’abus de détenteurs de monopoles, véritables caricatures de l’appât du gain,
(2) la capacité des « victimes » de communiquer rapidement entre elles avec le développement rapide des réseaux sociaux,
(3) l’essor des nouvelles technologies remettant en cause les vieux paradigmes de la publication scientifique,
(4) un questionnement légitime sur la nécessaire publicité des résultats de la recherche financée par le public,
(5) le désir de profiter de la rapidité contemporaine en matière de communication électronique, de son pouvoir de diffusion et de son ampleur sans précédent.

Une telle conjonction d’éléments nouveaux, une telle convergence contextuelle, auraient dû remettre instantanément en question le paysage de la communication scientifique. Certains l’ont senti tout de suite et se sont lancés dans une véritable croisade. Cependant
(1) la tradition, le besoin de références solides, le poids de l’establishment, la crainte de l’anarchie et la « rupture technologique » entre les générations, du côté des chercheurs;
(2) l’impérieuse nécessité de préserver un modèle financier particulièrement profitable du côté de certains éditeurs;
(3) le souci de ne pas nuire à un ce modèle du côté des pouvoirs publics
ont joué leur rôle de frein. Mais que sont dix années dans l’Histoire de la Science ?

Le tournant, c’est maintenant

Aujourd’hui, les yeux s’ouvrent, finalement. Les étudiants se mobilisent sur le plan international. De plus en plus de chercheurs, y compris en sciences humaines, rallient la cause. Des sommités en Angleterre, au Canada, aux USA, se prononcent. On assiste à une avalanche de décisions au plus haut niveau en Europe, aux États-Unis, en Australie, au Mexique, en Irlande, en Belgique, et dans bien d’autres pays, qui imposent la publicité des recherches publiques (pour faire court). C’est là, en fait, l’argument majeur qui a fait basculer l’opinion des instances dirigeantes. Tant qu’il ne s’agissait que de rapports de force sur le plan financier, les pouvoirs publics ne sont pas intervenus dans la guérilla entre chercheurs et éditeurs. C’est seulement lorsque l’argument du financement public devant intervenir deux fois (pour subventionner la recherche et puis pour en lire les résultats) a été brandi que les autorités publiques se sont manifestées. Même si, dans les recommandations les plus fermes et leur désir de bien faire, les autorités se sont peu ou prou fourvoyées, aux USA et au Royaume-Uni, la tendance est maintenant clairement lancée.

Le poids de ce changement d’attitude des pouvoirs publics subsidiants a été tel que la résistance des éditeurs est tombée et que toute leur énergie s’est repositionnée rapidement en sens inverse. Soudain, les grands éditeurs le plus réfractaires sont devenus des chantres de l’Open Access, créant ainsi la surprise. Comment expliquer ce revirement apparemment suicidaire? Tout simplement par une tentative d’inverser le processus et de remplacer le modèle du lecteur-payeur par celui de l’auteur-payeur.

Effets pervers

Toutefois, on réalise vite les limites de cette inversion. A priori, l’idée est intéressante. « There is no such thing as a free lunch » : tout travail méritant rémunération, il est normal que, si le paiement pour lire disparait, quelqu’un prenne financièrement en charge les opérations nécessaires à la mise en ligne. Et c’est là que le problème survient. Le nouveau modèle ne permettra jamais retrouver les profits de l’ancien, à moins d’exiger des sommes astronomiques pour la publication. En effet, si on peut ironiser en disant qu’il n’y a pas moins de lecteurs d’articles scientifique qu’il n’y a d’auteurs (c’est à peine caricatural), il y a en réalité bien moins d’auteurs que d’acheteurs (tout le monde ne lisant pas tout ce qui est acheté par les institutions de recherche, loin de là). Le coût d’un article pèse alors entièrement sur son ou ses auteurs et non plus sur une collectivité large. Les grandes maisons d’éditions récemment converties au Gold Open Access (accès immédiat) ont rapidement utilisé la réputation de qualité de leurs meilleurs journaux pour imposer un droit de publication extrêmement élevé (on dépasse aujourd’hui les 6.000 € pour un article dans les titres les plus sélects) et la dérive financière s’est immédiatement réinstallée.

Si on peut comprendre qu’on doive payer pour publier et que l’on puisse prévoir les frais de publication dans le budget de sa recherche, on ne peut encourager les dérives qui ramèneraient tout le monde à la situation précédente, ce que souhaitent les éditeurs et ce dont les chercheurs ne veulent pas.

Ce qui a fait les beaux jours des gagnants dans le modèle lecteur-payeur, c’est essentiellement qu’en réalité ce n’était pas directement le lecteur qui payait, mais son institution. Ce décalage déresponsabilisait le lecteur, qui trouvait normal d’avoir accès à un matériel nécessaire pour sa recherche. Aujourd’hui, le modèle auteur-payeur frappe le chercheur de plein fouet. Certains pourront se permettre les journaux les plus chers, beaucoup ne pourront pas. L’inégalité d’accès, non plus à la lecture mais à la publication, sera bien plus flagrante qu’auparavant…

On ne peut laisser s’installer un tel effet pervers. Il faut absolument endiguer toute dérive du modèle. Certes, nous ne pouvons entraver l’absolue liberté des prix et chaque éditeur pratiquera les prix qu’il entend appliquer. Mais il faut éveiller la conscience des chercheurs eux-mêmes, dans leur propre intérêt et lancer un mouvement actif a cet effet.

Un moratoire pour les APC ?

C’est pourquoi je propose l’instauration d’une charte morale de la publication scientifique, qui imposerait un « Three-Digit Moratorium » , assorti d’un boycott de toute charge de publication supérieure à 999 $ pour un article scientifique. Il est évident qu’on m’opposera le fait que l’inflation rendra ce coût irréaliste dans quelques années. Sans doute, mais il faudra encore bien des années et ceci peut faire changer progressivement les mentalités. On m’objectera aussi que, quel que soit le caractère prohibitif des prix surfaits, certains pourront se les permettre, que les prix sont libres et qu’une nouvelle hiérarchie des prix imposera une nouvelle hiérarchie de qualité, donc un nouveau ranking des titres et par conséquent une nouvelle base absurde pour l’évaluation des chercheurs basée sur les journaux où ils parviennent à publier. C’est un écueil, effectivement. On me dira également qu’un tel nivellement sur le plan financier nuira à la valeur ajoutée que peut apporter un éditeur dans le travail éditorial. C’est vrai, mais aisément vérifiable. On me dira enfin qu’on ne pourra plus faire la différence entre un bon éditeur (réellement utile à la fois à l’auteur et au lecteur) et les éditeurs frelatés que l’on voit proliférer aujourd’hui. C’est sans doute vrai et il faudra trouver la parade.

Revoir les méthodes d’évaluation

Mais pourquoi ne décidons-nous pas que, de même que nous devrions nous imposer l’effort d’évaluer les chercheurs sur la stricte base de la qualité de leur travail où qu’il soit publié et non sur le reflet indirect qu’en donne le facteur d’impact des revues où ils publient, nous devions aussi faire l’effort de juger les revues sur la valeur qu’elles ajoutent et non sur leur facteur d’impact?

Nous voici revenus à l’éternel dilemme du choix entre d’une part les méthodes pseudo-scientifiques de l’évaluation quantitative, rassurante parce qu’elle est chiffrée, pratique car les chiffres parlent d’eux-mêmes et dont on évite de remettre les fondements en cause, et d’autre part l’évaluation qualitative, plus longue, plus fastidieuse, plus exigeante en compétences et apparemment plus subjective puisqu’elle ne bénéficie pas de la fausse objectivité des cotations.

Gardons le cap

Nous avons appris qu’un combat. S’il est juste et intelligent, peut finir par être remporté. Ne laissons donc pas l’apparence insurmontable d’une nouvelle approche de l’évaluation nous détourner de l’objectif. L’Histoire est en marche, maintenons le cap. Dans le virage qui s’opère aujourd’hui en matière de communication scientifique, il faut bien attacher sa ceinture, bien tenir le volant et ne pas se laisser aveugler par les projections des intérêts particuliers qui nous éclaboussent le pare-brise.

A lire: le numéro spécial de Nature « The Future of Publishing, a new Page »
Mon journal Scoop.it

Je me fais rare sur mon blog. Il est vrai que l’implication de l’ULg dans une multitude croissante d’interactions avec le milieu économique et social m’empêche de consacrer le temps que je souhaiterais à cette rédaction.
Je reste toutefois très actif sur les réseaux sociaux qui sont incontestablement en train de supplanter celui qui est aujourd’hui devenu le « vieux » blog, déjà un peu désuet…

C’est ainsi que vous trouverez mes interventions récentes sur les sujets liés de plus ou moins près à l’ULg via Scoop.it « Université de Liège, vue côté Recteur ».

Par ailleurs, j’y relate également des informations qui me semblent dignes d’intérêt en matière d’accès libre aux publications scientifiques, ainsi que sur les classements et évaluations.

« Ça suffit! On commence à en avoir marre de pédaler, le nez dans le guidon, comme des forcenés, jour après jour, pendant trois semaines épuisantes, par monts et par vaux, sans rien voir du paysage, sans profiter de quoi que ce soit, ni des vues imprenables, ni des vastes plaines ni des hauts sommets, ni du soleil ni du brouillard, ni des petites vallées riantes où serpentent de jolis ruisseaux qui appellent au pique-nique, ni des petits restaurants sympathiques aux charmantes terrasses ensoleillées, ni des petits lacs où voguent les voiliers. On en a marre. Toujours plus vite, toujours plus fort, une vrai vie de forçat. »

Jacques Lechampêtre, coureur cycliste de son état, ne mâche pas ses mots face à son directeur sportif, Adrien Gagnon. On est en plein Tour de France, juste avant la neuvième étape et les choses, jusqu’ici ne se passaient pas trop mal. Mais Gagnon sentait bien, depuis quelques jours, après une cruelle saison des classiques, quasi toutes remportées par un coureur hors-pair, le célèbre Éric Painblanc, surnommé « le Cannibale », de l’équipe Vohrass, et ses coéquipiers, que quelque chose couvait dans le peloton et plus particulièrement dans l’équipe Belgiana, aux destinées sportives de laquelle il préside.

« En plus » ajoute Lechampêtre, « tous les maillots vont toujours aux mêmes, et ils raflent les primes au haut des côtes ou à chaque sprint sans nous en laisser une seule. Nous, on bosse comme des malades et on doit se contenter de notre petit salaire de rien ».

« Je vous comprends, » répond Gagnon, « mais ce n’est pas en ralentissant la cadence que vous allez résoudre le problème! Vous n’en serez que plus loin au classement. Et puis, comment vais-je pouvoir préserver l’existence de l’équipe? Plus aucun sponsor ne voudra nous soutenir. Même les subventions publiques ne nous parviendront plus puisque c’est sur base de vos résultats qu’on nous les octroie. »

« Mais c’est parce que tout le monde se trompe! On vit dans un monde déboussolé qui a perdu tous ses repères! Les gens ne voient plus les choses de façon réaliste! Où est-ce que cette frénésie nous mène? Au dopage, qui fichera notre santé en l’air, et qui menace même notre vie! Et que pourrons nous dire en fin de carrière, et ça viendra vite, de ce qu’aura été notre vie? Nous nous serons défoncés sans plus d’horizon qu’un mineur au fond du trou, et nous ne saurons comment continuer à vivre. Non, c’est clair, il faut qu’on arrête de courir à ce point et qu’on lève le pied. »

Ses coéquipiers applaudissent et reprennent en chœur: « On propose le « Slow Biking »! Nous allons rédiger un manifeste pour défendre une vraie valeur, le « Déchampionnat ». Nous lancerons une pétition et vous serez étonné du nombre de signatures que nous allons récolter auprès du peloton! Nous allons proposer un Tour de France en neuf semaines, qui nous laissera le temps de penser à notre condition, goûter les plaisirs de la promenade et du tourisme et vous verrez la compétence que nous allons acquérir! Au moins, à la fin de notre carrière, nous pourrons nous reconvertir en auteurs de guides touristiques et gastronomiques et notre avenir sera assuré! »

« Mais vous n’aurez même plus de spectateurs le long de votre parcours! » reprend Gagnon, excédé.

« Justement, tant mieux, nous pourrons au moins grimper au haut des cols sans être houspillés par un public surexcité, hurlant et courant à nos côtés! C’est très dangereux, d’ailleurs! »

« Je saisis vos arguments et, d’une certaine manière, je les trouve plutôt sympathiques. Mais il faut vraiment changer beaucoup de choses et convaincre des dizaines de milliers de gens de votre démarche. Les autres équipes, pas plus que les organisateurs du Tour ou des autres compétitions, ne sont prêts à vous emboîter le pas. Et si notre équipe est la seule à prendre cette direction, nous sommes fichus, c’est suicidaire! Nous serons dans le vrai, mais sans le sou ».

« C’est ça! Changeons le monde! Il faut être stupide pour ne pas comprendre ce que nous voulons dire! » lance Lechampêtre. Et ses trois coéquipiers, fidèles « porteurs d’eau », Folâtre, Gambadin et Butinot, de reprendre en chœur: « Changeons le monde, changeons le monde ! »

**********

Il est vrai que les revendications de nos sympathiques contestataires de l’équipe Belgiana prêtent à l’ironie tant elles sont naïves et irréalistes. Tout aussi candides que celle des tenants de la « désexcellence » et de la « Slow Science » à propos desquels j’ai publié de précédents articles de ce blog. Mais je reconnais volontiers que leur cri d’alarme, comme celui de mes personnages fictifs, pousse à la réflexion.

L’accélération du rythme universitaire est incontestable et elle nuit à la qualité du travail, quoi qu’on en pense. Certes, ceci peut varier beaucoup selon le domaine du savoir. Il existe des champs d’activité où l’on doit nécessairement réfléchir, prendre du recul et laisser mûrir ses idées. Mais ne nous méprenons pas. Cette nécessité est évidemment vraie partout et l’idée que certains champs d’investigation y échappent est absolument erronée. La réalité est simplement que, dans les sciences expérimentales et techniques, on en arrive à oublier cette exigence de décantation intellectuelle et c’est dommage. Un sentiment d’urgence et la conviction d’être au cœur d’une perpétuelle compétition en sont certes responsables mais il faut se demander pourquoi il en est ainsi, comment on en est arrivé là et, en fin de compte, à qui profite cette hyperactivité trépidante.

On pourrait gloser à perte de vue sur ce sujet, mais je me contenterai de relever un point en particulier. On estime aujourd’hui à environ un million et demi le nombre de publications de recherche paraissant chaque année (Björk, Roos & Lauri, 2008), immensément plus qu’il y a quarante ans. Dans le même temps, la pression du « publish or perish » n’a cessé de croître, le nombre de candidats à une carrière de recherche a considérablement augmenté, les postes disponibles également — mais pas dans la même proportion — et les moyens technologiques d’accélérer la recherche ont énormément évolué. Le système s’est emballé. Nos institutions ont emboîté le pas avec beaucoup de candeur et ont plongé dans l’illusion du rendement et de la productivité à outrance. Rares sont ceux qui ont su prendre suffisamment conscience de ce piège. Nous avons adopté un système d’évaluation estimant la qualité d’un vaste ensemble de compétences nécessaires au chercheur sur la simple valeur des journaux dans lesquels il publie, entre autres absurdités telles que le nombre absolu de publications. Le nombre pour le quantitatif, la cote du journal pour le qualitatif. Deux critères non pas totalement irrelevants mais relativement peu significatifs dans bien des cas.

Certaines voix, dont la mienne se sont élevées, mais en vain, car comment décider de faire marche arrière sans handicaper gravement sa propre institution tant que la compétition internationale ne fait pas relâche ? Et comment espérer qu’elle le fasse ? Et nous voilà revenus à la bonne logique de nos coureurs cyclistes…

À côté de cette globalisation qui a entraîné les universités dans une logique de tourbillon, un autre élément a pesé très lourd. Les grandes maisons d’édition scientifique, qui avaient déjà compris tout le profit qu’on pouvait tirer du monde de la recherche qui n’avait aucune vision stratégique par rapport à son processus de publication, se mirent à multiplier les journaux jusqu’à atteindre le nombre effarant de 26.000, estimation actuelle. Et cette explosion ne ralentit pas. Ceci a largement contribué à rendre possible un véritable excès de publications, une fragmentation des résultats visant à multiplier les articles avec le même message, bref, une accélération du processus de production scientifique. Une grande société privée a tout simplement acheté l’ISI (Institute for Scientific Information) qui a établi la notion même de ‘facteur d’impact’. Elle a persuadé la communauté scientifique de la validité des méthodes d’évaluation des chercheurs basées sur celle des revues où ils publient. Et elle a rendu incontournable cette mesure pour les évaluateurs que le caractère trépidant de la vie a poussé vers la confiance en une mesure chiffrée, facile et rapide à obtenir. Une illusion de rigueur.

Sans disposer d’un outil de mesure réellement fiable, mais devant la nécessité d’évaluer, on peut estimer qu’une approche plus raisonnable est celle qui se base sur le nombre de citations. Il est clair que beaucoup d’effets pervers entachent cette mesure, mais elle peut donner une idée approximative de la « pénétrance » d’un auteur dans son environnement scientifique, donc de son impact sur la communauté. Sur cette base, il est clair que l’accessibilité gratuite des publications sur le Web et leur repérage par des moteurs de recherche augmentent considérablement les chances d’être lu, donc cité.

Et la boucle est bouclée. Cela n’étonnera personne que j’en arrive à prétendre que l’Open Access (OA) offre une possibilité de se libérer des contraintes de la trépidante excessive de la vie de chercheur. Et pour moi, la nécessité de cette libération n’est pas, pour le chercheur, l’aspiration à travailler moins, mais à travailler autrement, l’aspiration à prendre le temps de la réflexion, l’aspiration à ne publier que ce qui est utile, sans redondance et sans « saucissonnage ». Je reconnais évidemment que, si l’OA présente beaucoup de mérites, rien n’indique qu’il contribuera à ralentir la cadence de la vie universitaire pour lui rendre une certaine sérénité. Mais nous savons aujourd’hui que des articles oubliés reviennent à l’honneur grâce à cette ouverture libre et l’accès libre à l’ensemble des publications sur un sujet permet, pour autant qu’on en prenne le temps, de mieux cibler sa propre recherche et de la relativiser.

Les tenants de la « Slow Science » vont plus loin, et plus sûrement sur la voie cette sérénité, mais au prix d’un changement radical qui n’est autre que celui que revendiquent également Lechampêtre et ses compagnons. Ceux-ci ont sans doute raison, au moins partiellement, mais ils n’ont qu’une infime chance de convaincre leurs sponsors dans la caravane du Tour et les milliers de spectateurs tout au long de la route de la nécessité d’en venir à une course au ralenti dans laquelle l’objectif ne serait pas de gagner…

Le Gouvernement britannique promeut l’Open Access mais par la voie la plus chère (The Guardian, ce matin).

Conséquence: un surcoût pour les fonds de recherche, donc pour les chercheurs, d’environ 50 millions de £ par an afin d’ouvrir l’accès tout en préservant les profits des maisons d’édition.

Cette initiative, qui apparaît à première vue comme un soutien à la Recherche et à sa diffusion libre, pourrait résoudre une des deux revendications du mouvement de l’Open Access (la liberté d’accès aux résultats de la Recherche) mais gravement enrayer l’autre (combattre l’escalade astronomique des coûts de publication).

L’extension à l’ensemble de la Communauté Européenne de cet exemple imparfait (voire même trompeur, car on peut n’y voir que l’aspect positif) pourrait endommager gravement la recherche universitaire pour une relativement longue durée, celle de la période intermédiaire avant que toute la production scientifique soit diffusée directement dans des journaux publiés en Open Access. A ce moment-là, le seul coût sera celui des charges strictement liées à la publication et au travail d’édition, y compris le peer reviewing. La proposition intermédiaire et hybride où les universités paient pour lire ET pour publier est tout simplement catastrophique pour nos budgets et réduit la part de nos moyens attribuable directement à la recherche.

On est bien là au cœur du dilemme: promouvoir la recherche internationalement ou sauver le business model des grandes maisons d’édition scientifique.

À Washington se tient Berlin 9, la neuvième édition du rassemblement annuel des signataires de la Déclaration de Berlin sur l’Open Access (OA), étendu aujourd’hui à un public très large, y compris des sociétés d’édition.
Hier à eu lieu la journée de pré-conférence à laquelle j’étais invité à décrire ORBi, notre dépôt institutionnel,  l’historique de la mise en place de ce bel outil et la stratégie développée en interne pour y arriver ainsi que les éléments qui me font penser que c’est un succès.

À l’étranger, ORBi est connu et considéré comme un modèle du genre. Les spécialistes en ont fait le type 1 de la typologie développée pour décrire les différents systèmes existant aujourd’hui.
ROAR (Registry of Open Access Repositories) qui effectue des « rankings » (tres objectifs, ceux-là) classe ORBi en première position mondiale en termes d’activité moyenne (médium). On ne trouve une autre université qu’en huitième position, et non la moindre: l’Université de Southampton, pionnière mondiale des dépôts institutionnels en OA. Pendant la période de croissance qui a suivi la lancement d’ORBi, nous avons même occupé la première place de la catégorie « activité haute » mais nous y sommes redescendus à la 27e place depuis que nous sommes en vitesse de croisière pour les dépôts: 63 par jour en moyenne (nous avions atteint la moyenne de 75).

Le succès est en grande partie lié au caractère « obligatoire » du dépôt. En fait, il n’a rien d’obligatoire (la nuance est d’importance dans la guerre permanente qui nous oppose à certains éditeurs-requins) puisque la stratégie à l’ULg n’est autre que l’ignorance, dans tout processus d’évaluation, des articles non déposés dans ORBi. À chacun de décider ce qu’il ou elle veut faire. Il n’y a donc pas d’obligation formelle. Je sais que ceci fera sourire, mais la précision à tout son poids.

Aujourd’hui, au sein de l’institution, le caractère plutôt coercitif de la mesure est globalement bien compris et surtout, les avantages d’ORBi pour les chercheurs eux-mêmes n’est plus à démontrer. Nous le faisons néanmoins à l’aide d’évaluations statistiques probantes.

Le modèle ORBi, de type 1, est donc devenu le modèle de référence. Il ne lui manque plus qu’un élément pour devenir la référence absolue: la cession par chaque auteur de ses droits, non plus à l’éditeur comme aujourd’hui encore, mais à l’Université. Celle-ci pourra alors détenir un vaste portefeuille de droits qui constituent un atout majeur dans les négociations difficiles avec certains éditeurs opiniâtrément attachés à leurs gigantesques profits et qui n’hésitent pas à intimider les chercheurs en interagissant avec eux individuellement. La cession des droits n’a rien d’inconvenant: les universités détiennent déjà actuellement les droits de propriété intellectuelle des chercheurs, ce qui les met en première ligne pour la valorisation des recherches. Cette appropriation des droits d’auteur (je le répète: actuellement concédés aux éditeurs et qui sera librement consentie) dans des conditions bien spécifiées trop longues à exposer ici (telles que la possibilité de rétrocession à l’auteur, etc.) constitue maintenant la prochaine étape à laquelle je souhaite faire participer la communauté universitaire de la recherche à l’ULg.

C’est, avec URBi (University Repository of Biographies, le futur dépôt institutionnel des CV), le prochain objectif institutionnel en matière de production scientifique. Ces initiatives mettent notre université en lumière au niveau international et je m’en réjouis.

Ma présentation à Washington est disponible sur… ORBi bien sûr!

Aujourd’hui, à 10 heures, le FNRS rassemble des spécialistes mondiaux pour un colloque sur l’Open Access à la Fondation Universitaire, pour célébrer la fin de mes trois années de présidence, une charmante attention…

Avec Stevan Harnad (UQAM Montréal, Québec, CN / U. Southampton UK /EOS), Philippe Van Parijs (UCLouvain, B.), Jacques Reisse (ULB, B.), Alicia Wise (Elsevier), Carl-Christian Buhr (EC), Alma Swan (EOS), Eric de Keuleneer (Fondation Universitaire, B.), Salvatore Mele (CERN, Geneva, CH), Thomas Parisot (@oncletom, Bordeaux, F.), Jos Engelen (NWO, NL), John Smith (EUA) & Véronique Halloin (Secretary General F.R.S.-FNRS, B.).

Le colloque sera webcasté en direct.

Le journaliste britannique Richard Poynder a trouvé l’expérience ORBi à l’université de Liège suffisamment remarquable pour en faire une success story sur son célèbre blog.

Il m’a, en outre, interviewé, afin de mieux comprendre comment nous avions pu obtenir un tel taux de participation et un tel succès, qui fait de notre dépôt institutionnel le premier au monde en termes d’activité: « Today ORBi is the most active institutional repository of its type in the world (Ranking first of 1,418 IRs) ». Cet interview est disponible en accès libre et en pdf.

SPARC Europe publie un entretien avec Paul Ayris (pdf) de l’UCL (University College London) sur les droits d’auteur. Une mise au point fort éclairante.

Il me faut cependant préciser le point 13: quelles que soient les exigences de l’éditeur, lorsque l’Institution à laquelle l’auteur appartient exige que ses publications soient intégrées dans le dépôt institutionnel, c’est cette deuxième exigence qui prime. Ceci se fait dans le respect de la première exigence, celle de l’éditeur: ne pas mettre en accès libre pendant la durée de l’embargo (la plupart des éditeurs aujourd’hui accepte que l’accès aux articles — ne parlons pas ici des ouvrages —, soit libre d’emblée, certains après six mois, rarement après un an, voir la liste et les conditions de chacun dans SHERPA-Romeo). Dans ce cas, l’accès n’est pas libre mais le travail est consultable sur demande. En attendant, il est entreposé dans le dépôt institutionnel, c’est ce qui compte. On peut donc répondre de manière plus claire à la question 13.

English version below.

La « 2011 CIHE Engineering & Manufacturing Task Force », établie l’an dernier par le « Council for Industry and Higher Education » au Royaume Uni, dans son rapport inaugural, presse les universités de partager leurs idées gratuitement. Leur slogan: « Powering Up; Business and Universities Collaborating for Manufacturing Competitiveness in the New Industrial Revolution ».

L’idée est de demander aux universités du Royaume Uni de mettre généreusement leur savoir à disposition et de distribuer gratuitement leurs idées. Le CIHE affirme qu’en dépit de nombreux succès, les universités dépensent plus de 50 millions de livres sterling par an pour breveter leurs idées, dont beaucoup sont sans valeur commerciale, dit-il.

Pour moi, il s’agit ici d’un véritable braquage. Et de surcroît, on surfe sur la popularité croissante de l’Open Access (OA), dont il se trouve que je suis un supporter enthousiaste. Mais il s’agit ici d’une vision distordue de l’OA qui nous ramène loin dans le temps, aux temps heureux pour l’industrie, lorsque les données produites par les universités pouvaient être allègrement transférées au privé pour des cacahuètes.

L’OA, ce n’est pas cela. En aucun cas il n’interfère avec la propriété intellectuelle ni ne force à y renoncer. Si un brevet doit être pris, que l’on publie en OA ou non ne fait pas la moindre différence. Et il est choquant de constater qu’une institution respectable comme le CIHE tente de tirer profit d’un mouvement majeur au sein du monde scientifique pour semer la confusion chez les chercheurs et les gestionnaires des universités sur un sujet essentiel. S’il est vrai que la recherche réalisée avec les deniers publics doit être rendue publique, cela n’empêche en rien la prise de précautions en matière de brevets et de licences d’exploitation. C’est trop de pointer son nez maintenant, à la faveur d’un nouveau concept d’accès libre très en vogue, de demander que toutes les barrières tombent et de se servir dans l’étalage gratuit des informations de recherche.

Je l’ai dit, je suis un enthousiaste de l’Open Access, mais dans un contexte bien défini, où la propriété intellectuelle est pleinement respectée. Les universités ont trop longtemps abandonné à d’autres le profit de leur travail et leurs découvertes. Depuis quelque temps, elles ont appris à les garder pour elles et à ne les laisser partir vers l’exploitation qu’avec précaution et sur base de contrats clairs. Elles ont, par ailleurs, réagi fortement contre une exploitation éhontée du marché des publications par des requins féroces, ce n’est pas le moment d’abandonner tous ces progrès et d’être abusés sur la signification de l’accès libre, en faisant à quiconque le cadeau du fruit de leur travail.

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