sam 15 juil 2006
Pour la première fois, les étudiants de 1er « bac » en Médecine et en Dentisterie ont eu à franchir, en Communauté Française de Belgique, une « année-concours ». Celle-ci remplace la sélection du numerus clausus qui était effectuée en fin de troisième année.
Certes, cette méthode-là était la pire qu’on puisse imaginer. Elle coupait l’élan d’étudiants après trois années réussies et les obligeait à se réorienter sans que rien ne soit prévu pour eux. Aucune expérience n’est jamais inutile, mais celle-ci ressemblait fort, pour l’étudiant malheureux qu’on empêchait ainsi de continuer son parcours pourtant honorable, à trois années perdues, tout simplement. Qu’on soit débarrassé de ce système inepte est évidemment une bonne chose.
Malheureusement, le nouveau système n’est qu’à peine plus sympathique. Il amène à une sélection en fin de première année (on en gagne déjà deux!) mais laisse sur le carreau des étudiants de qualité, qui ont réussi leur année mais pas leur année-concours car ils sont classés au delà du quota autorisé par université. On suggère aimablement à ceux-ci de recommencer leur 1er bac sans pouvoir faire valoir le moindre crédit pourtant parfaitement régulièrement obtenu ou on leur présente une liste d’autres filières d’études dans lesquelles ils peuvent valoriser les soixante crédits qu’ils ont obtenus. Les crédits ont donc une valeur différente (en fait, tout ou rien) selon l’usage qu’on veut en faire… Qui donc peut adhérer à un tel concept ? La preuve est claire que le problème n’est pas la mesure des compétences, rôle de l’Université, mais le contrôle de l’accès à une profession. Je n’arrive pas à me résoudre à abdiquer ainsi de nos prérogatives légitimes pour nous en voir imposer d’autres, qui n’ont rien à voir avec nous, ni avec notre fonction. Par ailleurs, tous les régimes planificateurs ont toujours montré leurs limites.
On me rétorquera que je suis contre la sélection pour les médecins alors que je suis pour une limitation des vétérinaires…
En fait, les choses sont très différentes: la limitation du nombre d’étudiants en Médecine vise à contingenter la profession. Elle est et devrait rester extra-universitaire. Celle des étudiants en Médecine vétérinaire vise à freiner une réelle pléthore d’étudiants, non de professionnels, par rapport à la capacité de formation de qualité dans les universités, en particulier au niveau des cliniques. Il n’y a pas de pléthore d’étudiants dans les cliniques de Médecine humaine, bien au contraire.
Mon propos n’est pas de rejeter toute sélection, loin s’en faut, mais d’attirer l’attention sur le caractère étriqué de celle-ci, en l’occurence.
A L’ULg, nous avons mis en place un dispositif renforcé d’aide aux étudiants de 1er bac en Médecine et Dentisterie, comprenant :
- un encadrement significativement augmenté grâce à la création de postes de didacticiens spécifiques;
- un soutien logistique et pédagogique accru avec intégration de cours préparatoires à la gestion des examens;
- un effort tout particulier de la part de l’ensemble du personnel encadrant pour renforcer la motivation des étudiants;
- la création d’un module interdisciplinaire transversal éveillant l’intérêt des étudiants pour leur futur métier.
Grâce à cet ensemble de mesures, on a pu maintenir le niveau de qualité de cette formation et atteindre un niveau remarquable de réussite dès la première session (34,4 % en Médecine, 24,3 % en Dentisterie). Ce succès dépasse de loin les résultats des autres universités (Médecine, ULB: 12,8 %; UCL: 11,4 %; FUNDP: 15,9 %; UMH: 20,8 % – Dentisterie, ULB: 5,0 %; UCL: 6,9 %).
Nous en sommes fiers. C’est davantage le rôle des universités d’entraîner les étudiants plutôt que de les éliminer ou de les décourager.
Malheureusement, ce succès est dévasté par la limitation : alors que les autres institutions, en raison du faible taux de réussite, ne remplissent guère leur quota, à l’ULg, 26 étudiants en médecine et 3 en dentisterie se voient cette année privés de l’accès en 2ème bac (116 réussites sur 337 en médecine, le quota étant fixé à 90; 20 réussites sur 70 en dentisterie, le quota étant à 17). Ce sont les « reçus-collés », pour reprendre l’expression utilisée en France, où l’on connaît ce système et ses défauts. Et aux autres, la seconde session ne pourra apporter que des crédits transférables à valoriser dans une autre section…
Mais à quoi diable cette sélection peut-elle servir ?
A limiter l’offre médicale dans notre pays. Tout le monde comprend la nature corporatiste de cette mesure mais le monde politique y adhère en prétextant le déficit de la sécurité sociale, faisant implicitement le lien entre le nombre de médecins prescripteurs et la consommation médicale, ce qui mérite discussion.
Cependant, il n’existe pas que des médecins prescripteurs. Beaucoup d’activités médicales n’ont aucun impact sur l’INAMI, sans compter les débouchés innombrables dans le monde où la pénurie médicale est immense. L’absurde atteint son comble lorsque, comme le dénonçait dans sa carte blanche au Soir le 7 juillet dernier Jean-Jacques Rombouts, doyen de la Faculté de Médecine de l’UCL, on réalise l’attrait que représente notre Communauté pour les médecins du tiers-monde, vidant ainsi celui-ci de ses propres ressources médicales !
Combien de temps continuerons-nous à nous priver de nos propres ressources en cassant les vocations de nos jeunes, en créant une pénurie criante de médecins chez nous et en contribuant, en pays nanti, à la pénurie médicale dans le monde ?
Et tout cela en acceptant procéder à des sélections injustifiées et forcément injustes?
Commentaire déposé sur le blog interne
Enfin et merci !
Monsieur le Recteur, mon cher Collègue, mon cher Bernard,
Enfin et merci ! Enfin, car la Faculté de Médecine n’avait pas émis de signaux de fumée suffisamment forts pour que l’on ne doute de ses choix dans la justification du numerus clausus. Merci car une voix officielle de l’Université de Liège, et la première de surcroît, dénonce avec une justesse de propos le plus inique des systèmes visant à contingenter l’accès à la profession de médecin. Dans le petit Robert, la définition de numerus clausus (dérivé du nom latin « nombre fermé ») est « limitation discriminatoire ».
Depuis 9 ans, nos étudiants ont tout connu, dans la plus grande des pagailles, dans la plus grande incohérence, priés d’avaler des justifications tantôt économiques, tantôt politiques, voire même scientifiques (sic) pour faire accepter ce numerus clausus venant d’un pouvoir politique poussant à l’extrême la logique surréaliste du compromis à la belge. Et ce dans la plus grande indifférence. Tant pis pour les conséquences humaines immédiates, individuelles ou familiales, touchant l’étudiant empêché d’aller plus loin dans ce métier de l’humain qu’il avait choisi. Tant pis pour les conséquences à venir qui vont gangrener les soins de santé. Trois filtres ont été imaginés : sélection après trois ans, sélection après 7 ans, sélection après un an malgré la réussite de crédits non transférables dans la discipline depuis 2006 !
Pourquoi faut-il donc que nous acceptions ce qu’en notre fors intérieur nous rejetons car nous sommes convaincus de la fausseté des arguments qui nous sont présentés ? Paul Auster dans le premier tome de sa trilogie new-yorkaise, la cité de verre, dit : «jusqu’à quel point les gens tolèreraient-ils le blasphème pourvu qu’ils s’en divertissent ».
Ressentions-nous une quelconque joie à dissuader un étudiant n’ayant pas reçu l’attestation A de braver le système et de continuer malgré tout !
Trouvions-nous un certain plaisir à voir l’effondrement de l’étudiant de 4ème doctorat pleurant sa non-sélection dans la spécialité de son choix le jour même où la Faculté, en la présence du Recteur, le récompensait de 7 années éprouvantes par un diplôme de Docteur en Médecine ?
Pouvons-nous sans le moindre frisson et remise en question de notre métier d’enseignant affronter 26 étudiants et leur famille à qui l’on dit en 2006 qu’ils ont réussi leur Bac 1, mais raté l’obtention du sésame qui leur permettrait d’aller plus loin ?
Peut-t-on se satisfaire de leur fournir le catalogue des passerelles (faites votre choix…) ou de leur conseiller d’abandonner tout ce qu’ils ont réussi et de tout rejouer l’an prochain (une sorte de « reset » académique) ?
Où est la cohérence d’imposer un tel sacrifice à nos enfants au moment où l’Europe nous impose la mobilité des professions pour les membres du club communautaire, et où la mobilité des étudiants fait partie des paris que nous devons encore réussir? Sans compter sans une importation extra-communautaire qui a déjà commencé dans certains réseaux car indispensable au fonctionnement correct du paysage hospitalier belge !
Les voies des universitaires n’ont jamais été entendues, mais elles n’ont jamais crié bien fort. En bataille dispersée, les Cogan, de Wever, Deliège, Rombouts, Buyschaert, Limet n’ont pu s’opposer à la désinformation alimentée par le pouvoir politique et les corporatistes.
Car vous avez mille fois raison, Monsieur le Recteur, la limitation de l’offre médicale dans notre pays est au départ de nature corporatiste avec ce lien implicite, voulu par le politique, entre le nombre de médecins prescripteurs et la consommation médicale. Et comme vous, j’aimerais que ce lien vite tissé soit soumis au débat scientifique.
Oui, vous avez mille fois raison, Monsieur le Recteur, de dire que vous n’abdiquerez pas en nous laissant déposséder de nos prérogatives légitimes de formation pour s’en voir imposer d’autres qui nous sont étrangères.
L’Université ne peut être le vecteur permettant de mettre en place une politique de rage normative sur des critères spécieux et douteux.
Enfin, comme pour conforter vos propos sur les limites des régimes planificateurs, je terminerai par une remarque du Professeur Pierre Landrieu publiée dans le Monde du 24 févier 2004 sur la gouvernance hospitalière et rappelant que « tarifer la complexité du vivant est une des utopies constructivistes modernes ». L’Université ne doit pas être utilitariste. Après 9 ans de galère, la Commission de planification propose maintenant de réajuster les quotas à un nombre qui correspond au nombre de diplômés de 1997. Qu’elle est encore la logique, sinon politique -et de refuser éventuellement de reconnaître courageusement que l’on s’est trompé-, de maintenir une politique de sélection ? Bernard Kouchner a inventé de droit d’ingérence. Il est urgent de réveiller le devoir de résistance. Avec une telle prise de position rectorale, j’ose espérer que la (les) Faculté(s) de Médecine va (vont) enfin se sentir concernée(s) non pas seulement par la planification du numerus clausus, mais enfin et surtout par sa justification.
Je vous prie de croire, Monsieur le Recteur, mon cher Collègue, mon cher Bernard,
à l’assurance de mes meilleures salutations.
Michel Malaise
Professeur ordinaire
Commentaire de Bernard Rentier, le 25 août 2006 à 13:35Faculté de Médecine
Président du Conseil médical du CHU de Liège