dim 31 août 2008
Au terme — on l’espère — de la saga de l’été 2008, celle du numerus clausus, il convient d’en tirer les leçons. J’y détecte essentiellement deux dérives.
La première consiste en l’ingérence progressive d’influences externes tels que les pouvoirs politique et judiciaire dans les prérogatives académiques des universités. Sous le couvert d’agir en faveur des étudiants, tous ceux qui se permettent cette intrusion nuisent profondément à ceux-ci et tout particulièrement aux plus méritants.
1. En exigeant, par exemple, des universités une totale transparence — au point qu’elles doivent aujourd’hui, au 1er Bac en Médecine, communiquer la totalité de leurs points, dans le moindre détail, aux étudiants AVANT la délibération —, le pouvoir politique croit faire plaisir aux étudiants, voire même les protéger, alors qu’en réalité il paralyse le processus même de la délibération et le vide de son sens. Or ce processus, lorsqu’il reste secret, assouplit toujours les décisions — j’en ai la longue expérience et tous mes collègues en témoigneront — en faveur de l’étudiant. Remplacer le jury par un tableur informatique sans la moindre latitude empêchera dorénavant de se montrer clément ou compréhensif.
2. En changeant les « règles du jeu » en cours de partie ou, comme nous venons de le vivre, après la fin de la partie, le pouvoir politique amène l’université à se déjuger et à annuler une proclamation comme si elle était entachée d’une erreur matérielle. Chacun se cherche ou se donne des valeurs à poursuivre et on attend des universités qu’elles s’en donnent et qu’elles les appliquent. La principale valeur d’une institution d’enseignement primaire, secondaire ou supérieur, devrait être, me semble-t-il, la valeur de l’exemple. Que penser, dans ces conditions, d’une université qui passe avec chacun de ses étudiants un « contrat », l’engagement pédagogique, véritable pacte où chacun s’engage à respecter un ensemble de promesses, et qui, sous la pression de son propre pouvoir organisateur (c’est le cas à l’ULg et à l’UMH) et de sa composante politique, change la donne pendant l’année académique en cours? Comment encore espérer transmettre le sens du respect de la parole donnée et de l’engagement pris?
La seconde est une tendance de plus en plus fréquente à recourir à des assignations en justice pour des divergences de vue que l’étudiant peut ressentir avec son encadrement formatif, y compris des contestations non pas de forme mais d’opportunité. Cette tendance n’est pas propre à l’Université, on la trouve dans toutes les formes d’enseignement et également dans beaucoup d’autres circonstances où l’intérêt particulier semble primer par rapport à l’intérêt général.
1. Dans un contexte de contingentement par compétition, cette tendance s’exacerbe puisqu’on trouve de nombreuses situations où un étudiant a réussi si l’on utilise les critères ordinaires applicables à toutes les sections sans numerus clausus mais où il ne peut néanmoins passer dans l’année supérieure. Le caractère profondément frustrant de cette mesure est un intense générateur de recours, et cela se comprend.
2. Dans ce même contexte, la moindre faiblesse (moins de 10/20 à un examen) ne pardonne pas: elle verse l’étudiant dans une catégorie où, quel que soit le nombre maximum, il n’est pas éligible, ce qui est également frustrant. L’envie est très forte pour lui de démontrer que cette note a été mal évaluée non seulement pour lui mais pour tout le monde. Ce deuxième cas se double nécessairement du premier (d’abord remonter dans le canot de sauvetage, ensuite sauver le canot).
Dans ces deux cas, l’action portée immédiatement (si on vit dans un environnement familial instruit des possibilités de recours, mais je ne m’étendrai pas cette fois-ci sur l’injustice sociale que ceci met en lumière) consiste en un recours au Conseil d’Etat. C’est le droit le plus strict de chacun, mais il ne faut pas négliger la dérive que cela implique et, par conséquent, les mesures préventives que ce type d’action pousse les enseignants à développer qui risquent forcément de se montrer, dans bien des cas, défavorables à l’étudiant concerné et même à l’ensemble des étudiants.
La surprise suivante est la tendance, observée cet été, qu’a le Conseil d’Etat à donner raison à l’étudiant dans une procédure en référé, en quittant son rôle de vérificateur de la légalité des actes administratifs pour déborder sur le terrain de l’opportunité qui devrait rester la prérogative absolue de l’institution d’enseignement. Cette précipitation conduit à des revers, comme la réalisation tardive du fait que les éléments à charge du dossier ont été « enjolivés » par l’étudiant, ce qui l’amène, dans un deuxième temps, à retirer sa plainte, faute de vrais arguments, sous le couvert valorisant du sacrifice héroïque en faveur de ses condisciples. En jouant ce jeu sans sérénité, le Conseil perd de sa crédibilité, et c’est dommage.
Il perd également de sa crédibilité lorsqu’il rejette la décision d’un jury universitaire qui souhaite organiser une juste répartition des attestations de réussite que le gouvernement lui accorde pour deux ans, et l’oblige à tout dépenser tout de suite. Voilà bien un jugement qui ne porte nullement sur la légalité de l’acte (le prélèvement sur 2009 était autorisé mais pas obligatoire) mais bien sur son opportunité. Le Conseil s’aventure, là, en dehors de ses prérogatives, et sur un terrain éminemment politique.
Malheureusement, de tels arrêts ne peuvent qu’encourager des étudiants en difficulté à prendre l’habitude de contester la validité de leurs examens ainsi que les décisions du jury, même si c’est précisément, au départ, au détriment de leurs condisciples. Je crains terriblement de voir arriver une vague de récriminations par voie juridique qui risquent de déstabiliser le système éducatif et d’instaurer un climat de recours permanents à propos de tout et de rien qui ne pourra qu’aboutir à la ruine de la qualité de la formation, ou à l’opposé, à un durcissement des évaluations et un raidissement du corps professoral. Dans les deux cas, si nous n’y prenons garde tout de suite, la qualité des systèmes de formation des jeunes sera la grande perdante de ce vaste dérapage.
Comme je l’ai dit plus haut, ces dérives sont exacerbées par le numerus clausus, qui rend les détails de la vie étudiante bien plus décisifs, stimule l’esprit de compétition au point de prôner le « chacun pour soi » et multiplie les actions de contestation. On a beau chercher comment résoudre ce problème, on arrive toujours à la même conclusion: il n’existe pas de bon système de contingentement. Ne cherchez pas, il n’y en a pas. Ils sont tous mauvais. Choisir le moins mauvais (à démontrer) n’est qu’un pis-aller.
Aujourd’hui, surtout après avoir distribué toutes les attestations dont nous disposions, y compris 15% de celles de 2009, nous devons continuer à réagir. Nous ne pouvons nous contenter de laisser venir. Nous devons traiter les étudiants qui seront délibérés après les élections de 2009 comme ceux de cette année, avant les élections de 2009. Nous devons faire prévaloir une certaine justice et éviter de jouer le jeu de certains qui abusent de leur influence pour créer des conditions nouvelles, non annoncées et en faveur d’une seule cohorte d’étudiants, à un moment particulier.
Nous devons manifester notre conviction (c’est en tout cas la mienne) qui est que les universités sont là pour aider les jeunes à apprendre et à se former, non pas pour les contingenter et que la seule limitation à leur accès aux études doit être leur capacité personnelle à les mener à bien.
Il est consternant d’entendre que les recteurs des trois grandes universités francophones pensent que les droits et libertés fondamentales ne sont pas leur affaire, mais celle du politique, qu’ils se sentent contraints d’appliquer les règles que le politique leur impose, même si philosophiquement et intellectuellement le numerus clausus est contraire à leurs valeurs, et qu’ils parlent alors de «farce» quand le Conseil d’Etat, une des plus hautes juridictions du pays leur rappelle qu’ils sont qualifiés pour penser en fonction des droits et libertés fondamentales de leurs jeunes étudiants.
Les droits et libertés fondamentales, reconnus par notre constitution, la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des pactes internationaux comme le Pacte de New York font partie de notre droit au niveau le plus élevé.
Tous en Belgique doivent les respecter et tous peuvent s’en prévaloir.
Ces droits comprennent notamment le droit et la liberté fondamentale de faire les études de son choix et d’exercer la profession de son choix. Le numerus clausus pour les études et la profession de médecin sont une atteinte à ces droits et libertés fondamentales.
Dans les décisions où les universités exercent un pouvoir libre et indépendant, un pouvoir « souverain », comme dans un jury d’examen, les éminents professeurs ont non seulement le droit, mais le devoir d’appliquer ces lois fondamentales avant les règles des politiques.
Commentaire de Charles de Selliers, le 7 sept 2008 à 22:11‘‘Le Titanic coule et les officiers refusent des chaloupes disponibles à une poignée d’«enfants»; certains ne survivront pas d’autres pourront peut-être nager en attendant les secours…’’
Cette image évoque le sort actuel de quelques étudiants de Liège et de Mons qui bien qu’ayant réussi leur année académique ne pourront pas s’inscrire en seconde.
Et la vague semble se refermer dans la bonne conscience générale?
Leur profonde déception et leurs troubles sont régulièrement ravivés par des félicitations déplacées qui doublent leur préjudice de non-reconnaissance: «Alors, ça y est, tu as été sauvé» s’exclament des bienveillances,même familiales, tant le désordre et l’absurde se sont partagés l’actualité de l’été,créant la confusion dans les esprits. Il faut alors rappeler encore et encore toute l’inadéquation du système, la maladresse des «bienfaiteurs», la souffrance d’être les préjudiciés de l’incurie politique ; on avait mal calculé ou alors il ne faudrait pas prendre un ratage pour une réussite!!!! Soixante crédits Bologne, ça n’a de valeur que dans une réorientation d’un autre niveau…
Je trouve inacceptable, voire inconcevable, que ce petit nombre d’étudiants subissent un sort différent des milliers d’étudiants belges (probablement même européens), en communauté française ou flamande, quelle que soit la discipline qu’ils aient choisie, en ce compris la médecine. En effet, les autres reçus collés soit ont été « sauvés », soit concourent à nouveau pour une place en seconde session, avec le bénéfice de leurs mérites académiques de première session. Ceux de l’ULG et de l’UMH n’y ont pas eu accès et je ne pourrais accepter l’argument, d’ailleurs réfuté par les études produites par le recteur de l’ULG, que leurs épreuves auraient été plus faciles en première session.
Le bateau qui prend l’eau de toutes parts coule irrémédiablement: plus de concours de fin de première sûrement, plus de limitation d’accès à la profession peut-être, un numerus clausus à ajuster d’urgence face à la pénurie bien connue et préjudiciable à la santé de la population: ces changements s’entendent clairement dans les interventions de toutes parts.
Et il faudrait tolérer le sacrifice de cette poignée de jeunes méritants sur l’autel d’un système invalidé et caduque?
Je suis la mère d’un de ces étudiants et me mobilise à ce titre bien sûr mais je veux aussi témoigner en tant que professionnelle de la santé psychique. Psychiatre et psychothérapeute, je souhaite dénoncer les impacts traumatiques de ces situations que sont amenés à vivre ces jeunes au seuil de leurs vies d’adulte et l’enjeu déterminant sur leur participation citoyenne et plus spécifiquement sur leur vocation de professionnel de la santé. La disqualification des Institutions qui constituent des cadres de référence engendre l’insécurité et le désarroi. Un repli défensif, des affects dépressifs, une perte de confiance en soi et dans les autres inhibent ou bloquent l’implication personnelle, la participation et la solidarité qui sont les valeurs fondatrices de l’engagement adulte et de la vie en société.
Avec les changements intempestifs de cet été, promesses et Arrêté ministériel survenus après les proclamations de première session, on a pu les observer, ces disqualifications successives des systèmes impliqués, et on a pu effectivement constater le désarroi puis la méfiance chez les étudiants.
Reconnaissance, réhabilitation, réparation.
Il est urgent de réparer! Après avoir reconnu les souffrances injustes et inutiles, il faut restaurer la confiance par des solutions rationnelles et cohérentes, adaptées au contexte et surtout et avant tout respectueuses de la valeur des étudiants.
J’évoque ici aussi les étudiants des années précédentes, déboutés et dévoyés, toujours en demande de légitime réparation. Quelle société peut se permettre de se passer d’eux, d’ignorer leur désir et leur volonté de ne pas abandonner le projet de consacrer sa vie professionnelle à la santé des autres quand le monde en a un besoin criant ?
Je continue, à leurs côtés, à solliciter la solution du bon sens…Que les universités qui ont reconnu leurs capacités continuent à les former à devenir de bons médecins, scientifiquement et humainement éclairés.
Geneviève Lepage Goffioul
Commentaire de Bernard Rentier, le 9 sept 2008 à 18:26par courriel