Du numerus clausus en Médecine et en Sciences dentaires

Une université est, comme chacun le sait, une institution d’enseignement, de recherche et de services. Elle doit pouvoir accomplir ses missions en toute liberté, limitée seulement par un certain nombre de règles et règlements, de lois et autres contraintes légales, sans ingérence extérieure d’aucune sorte dans l’opportunité de ses recherches et l’indépendance de son jugement pédagogique.

Les événements survenus cet été à la Faculté de Médecine, auxquels je ne peux manquer de faire allusion et qui sont d’ailleurs commentés avec fougue par mes collègues recteurs dans leurs discours de rentrée, ne peuvent échapper à mon analyse, que je conserverai brève car je me suis déjà beaucoup exprimé depuis le mois de juillet, l’ULg étant en ligne de front dans cette histoire. Je ne reviendrai donc pas sur mes critiques d’une intervention externe changeant les règles du jeu de l’étudiant et des professeurs en cours d’année académique, ce qui est contraire à tous les principes d’engagement pédagogique. Je ne reviendrai pas sur un jugement qui nous a obligés à gérer nos attestations d’une année à l’autre en dépit du plus élémentaire bon sens. Je ne reviendrai pas sur un jugement qui a tenté d’obliger un jury à changer ses décisions de délibération sur la base de la contestation de la pondération d’un cours à la demande d’un étudiant sur 400. Je ne reviendrai pas sur ces incohérences et sur ces ingérences dont je signale quand même qu’elles risquent fort de compromettre la sérénité des jurys au grand désavantage des étudiants, in fine. Je n’y reviendrai pas parce que je veux regarder devant nous et faire en sorte qu’un tel chaos ne se reproduise plus.
Mais je ne m’étendrai pas non plus en un débat pourtant inévitable, sur la réalité de la demande médicale et sur le rôle pervers de la limitation de l’accès aux numéros INAMI, dont le bien-fondé reste à démontrer et qui est la source de tous les maux.

Espérer établir un numerus clausus en premier bac sans reçus-collés, c’est comme vouloir faire une omelette sans casser des œufs. Seul un miracle ferait correspondre le nombre de réussites au nombre d’attestations disponibles. C’est précisément, entre nous soit dit, ce qu’on nous demande de faire, puisque nous devons proclamer « ajournés » ceux qui ne se classent pas en ordre utile. Un faux, en quelque sorte, puisque sur base de tous les autres critères, ils auraient réussi. Espérer que ce système puisse devenir bon est illusoire.

C’est pourquoi les doyens des facultés de Médecine ont proposé un examen d’entrée. D’emblée, cette proposition, pourtant étudiée avec beaucoup de soin, a été rejetée en raison de son soi-disant caractère anti-social et l’idée qu’il ne permettrait pas un contingentement précis. Quelques jours plus tard, ce contingentement précis était pulvérisé puisqu’on ajoutait, entre les deux sessions, 200 attestations à répartir sur 2 ans. Voilà un argument qui disparaissait instantanément. Aujourd’hui, dans une unanimité qui est une première historique, les recteurs des 3 universités complètes relancent cette proposition car on ne peut critiquer sans proposer d’alternative. Notre Ministre la décrit dans la presse d’avant-hier comme une « fausse bonne solution » dit-elle « car les étudiants seront jugés sur base de leur parcours scolaire et sur des matières qui n’ont rien à voir avec la médecine ».

Tout d’abord, j’espère que nul ne doit avoir honte de son parcours scolaire. Permettez-moi de faire ensuite remarquer que le concours de fin de premier bac n’est pas non plus particulièrement médical (chimie, physique, biologie, pour l’essentiel). Par ailleurs, si on analyse bien le document proposé par les doyens, on voit que l’examen est pensé pour éviter ces écueils autant que faire se peut. Il porte sur des capacités de compréhension, d’analyse et de synthèse, beaucoup plus que sur des capacités de mémorisation ou l’accumulation de matière acquise.

Qu’il y ait des différences de qualité entre les établissements d’enseignement secondaire ne fait aucun doute, mais il est à la mode aujourd’hui de considérer qu’il s’agit là d’un tabou, d’un problème qui ne peut être évoqué ni mesuré (voyez la levée de boucliers face au test que propose le Ministre Dupont).
On préfère ne pas savoir ou faire semblant de ne pas savoir et repartir soi-disant à zéro à l’université. Comme si les disparités bien connues des 6 ans du secondaire pouvaient être aplanies par une première année de bac universitaire. C’est fameusement minimiser le déficit de formation que de croire qu’il s’efface ainsi en un an. Chacun aujourd’hui peut mesurer le taux de succès dans telle ou telle branche à l’université des élèves de tel ou tel collège, lycée ou athénée. Quand donc quelqu’un osera-t-on dénoncer ces œillères qui pervertissent notre enseignement secondaire ? On ne peut ignorer cela aujourd’hui. On ne peut plus nier l’importance d’évaluer nos enseignements, quels qu’ils soient. Rejeter un examen d’entrée sur cette base, c’est entériner définitivement le décalage entre les institutions, tout en en le reconnaissant mais en considérant qu’il n’y a rien à faire et que l’écart ne pourra que continuer à grandir. Qu’on arrête donc de brandir ce spectre de l’inégalité des chances et qu’on se décide à l’affronter de face. Et comment mieux le faire qu’en se fixant des objectifs ? La réussite d’un examen d’entrée intelligemment pensé peut être un objectif — parmi d’autres certes — mais un objectif tangible. Le nier est une dérobade. D’autant plus que la capacité à affronter une année de premier bac universitaire est conditionnée par les mêmes inégalités. Ce sont elles qu’il faut combattre bien plus tôt déjà et qu’il faut arriver, dans le secondaire, à gommer.

Faire de nos enfants des universitaires accomplis, ça se prépare bien avant. Et un pays comme le nôtre ne peut espérer maintenir son niveau de développement que par la qualité de ses diplômés de l’enseignement supérieur, en compétition flagrante avec ceux des pays émergents, la Chine, l’Inde, le Brésil, le Mexique, pour ne citer que ceux-là. Alors ressaisissons-nous et ne nous réfugions pas derrière le caractère soi-disant inéluctable des inégalités.
Si les recteurs défendent l’idée d’un examen d’entrée, ils restent néanmoins ouverts à d’autres solutions, mais ils demandent que le pour et le contre des diverses propositions soit pesé honnêtement et sans parti pris. Ils demandent en tout cas, que l’on trouve une solution acceptable, et que l’on cesse d’empêcher les étudiants de faire les études qu’ils ont envie de faire alors qu’ils en sont jugés capables. C’est un droit humain fondamental qui prime par rapport aux initiatives législatives locales ou contextuelles.

Tout ceci souligne la nécessité, pour nos universités, non pas de s’adapter à la baisse pour pallier les manquements de la préparation qui précède, mais de s’adapter à la hausse par l’exigence et l’excellence, seuls atouts à développer face à la compétition internationale. Je ne parle pas ici de mondialisation ni de marchandisation, deux concepts qu’en matière universitaire, je réprouve. Je parle de l’émulation avec les autres universités du monde pour que nos diplômés trouvent, aujourd’hui et demain, dans un monde de plus en plus ouvert et mobile, mais aussi changeant, une place de choix et un réel épanouissement. Un tel objectif implique des coûts exorbitants et il est vrai que notre enseignement universitaire reste un des plus mal financés au monde. Heureusement, nous avons acquis cette capacité extraordinaire de faire bien avec peu, et nous en sommes fiers, mais nous ne devons pas cesser de combattre pour que chacun comprenne que l’investissement dans la formation des jeunes est notre meilleur placement.