Discours prononcé à l’occasion de la Rentrée académique 200è-2008.
Mon premier discours de rentrée s’intitulait « Ouvrir les yeux ». Le second, « Se définir ». Ils annonçaient clairement les activités auxquelles nous allions nous employer pendant l’année qui suivait. Cette année, j’intitulerai mon intervention: « Devenir mobile de corps et d’esprit ».
En cette année 2007, nous sommes au cœur du désormais célèbre « processus de Bologne », et nous avons accompli 60 % de ses directives en matière de réforme des études en achevant les « Bacs ». Cette année, nous diplômons les premiers bacheliers et nous abordons la première année de master. Pour beaucoup de filières, la durée des études a ainsi été modifiée par l’ajout d’une année dont on peut se demander si, obnubilés par l’harmonisation de l’enseignement universitaire au sein de notre Communauté française, nous avons réellement bien saisi l’opportunité qu’elle représentait pour ajouter aux divers cursi une occupation du temps utile, efficace et novatrice.
En effet, dans son esprit comme dans sa forme, le « processus de Bologne » invite à un retour aux racines de l’Université. L’organisation des cycles et la terminologie utilisée rappellent, et ce n’est pas un hasard, les étapes de la formation aux métiers du Moyen-Age et, peu après, leur transposition au monde des études.
En ce temps-là, l’apprenti reçoit les bases de sa formation, observe et apprend en silence les bases, rudiments et fondements de son futur métier et vise à conquérir le grade de bachelier. Vers 1100, le terme bacheler s’applique à un jeune homme qui aspire à devenir chevalier, pour devenir, au 13e s., indifféremment sous les formes bacheler ou bachelier, un jeune homme noble. Au 14e s., il devient celui qui est promu au premier des grades universitaires. Le mot bachelier restera peu usité en matière de métiers dans le monde francophone, mais il gardera la signification de jeune étudiant universitaire et il persistera surtout sous la forme bachelor en Angleterre et dans les pays de son influence. Quant au baccalauréat français, c’est l’épreuve qui donne l’accès au premier cycle, donc préalable à celui-ci, ce qui induit évidemment une certaine confusion.
Devenu bachelier, l’apprenti qui a accompli ce premier parcours, accède alors au deuxième, celui qui le conduira au grade de maître. Aujourd’hui, on dit qu’il accomplit un master. Il est, durant ce second cycle, l’équivalent du compagnon d’antan, dont les tâches impliquaient impérativement le voyage, afin de parfaire, ailleurs, chez des maîtres chevronnés et à travers toute l’Europe, une formation très large et d’engranger le plus possible de connaissances et de compétences.
Devenu maître, il s’engage dans des parcours de perfectionnement qui le conduisent à continuer à apprendre toute sa vie, tout en dispensant son savoir aux jeunes générations. Il continue à voyager lorsque c’est possible mais l’exercice de son métier le sédentarise le plus souvent et il ne retrouve une certaine mobilité que lorsqu’il est entouré de suffisamment d’apprentis et de compagnons, voire de maîtres adjoints pour se le permettre. Les tout grands voyagent toujours. Vous aurez tracé vous-même le parallèle avec le doctorat d’une part et la formation continuée tout au long de la vie d’autre part.
C’est donc lors de l’acquisition de la maîtrise, donc durant ce que nous appelons les masters, que la mobilité des étudiants, comme celle du compagnon, doit s’intensifier le plus, c’est à ce moment qu’elle doit être réellement organisée. Le risque, en la laissant optionnelle, est que seuls les plus fortunés puissent y accéder.
Dans l’aménagement de la cinquième année, avons-nous laissé la place à six mois au moins, voire un an de mobilité, ce qui eût permis de répondre pleinement aux attentes de « Bologne » ? Je crains que non, pas dans tous les cas et pas suffisamment. Mais peut-être n’est-il pas trop tard. Car la première condition pour une mobilité des étudiants, c’est bien qu’on leur en laisse le temps et que l’aménagement des horaires en tienne très officiellement compte, renforçant ainsi la conviction que l’Institution-mère encourage au voyage et pousse l’oisillon hors du nid.
Le processus de Bologne impose beaucoup de charges nouvelles aux universités, beaucoup de changements chronophages, beaucoup de restructurations énergétivores. A mon avis, il impose également aux gouvernements de tous les pays participants un effort particulier d’imagination pour mettre à la disposition des jeunes en cours d’études universitaires des moyens raisonnables leur donnant à tous les chances de partir temporairement à l’étranger, indépendamment de l’établissement où ils sont inscrits. Des solutions existent pour y arriver, qui préservent les universités d’une concurrence additionnelle entre elles et grâce auxquelles chaque étudiant, où qu’il soit, dispose des mêmes chances d’obtenir une aide s’il en a besoin. Une telle implication volontariste donnerait un coup d’accélérateur considérable à la mobilité étudiante et placerait notre Communauté française en première ligne parmi les pays signataires de Bologne à cet égard. Les retombées sur la maturité, la motivation et, donc, la formation de ce qu’il est convenu d’appeler nos futures élites, au sens très large, seraient telles qu’on pourrait également imaginer une participation active des Régions dans cet investissement. Un pas est déjà franchi dans cette direction, avec le Conseil Supérieur de la Mobilité qui aura à gérer le Fonds de Mobilité, réceptacle des fonds européens. Nous devrons soutenir cette initiative gouvernementale afin que les montants permettent finalement à tous d’être mobiles — on en est encore loin avec 70.000 € ! — et qu’ils deviennent accessibles aux étudiants universitaires, bien sûr.
Ceci résoudrait la première des trois réticences des étudiants par rapport au séjour à l’étranger: le coût. La seconde est la barrière des langues qui devrait disparaître grâce à l’introduction généralisée, dans toutes les filières et toutes les années, de formations en langues pour un total de 5 crédits sur 60. Cette mesure a été mise en place et fonctionne dès aujourd’hui dans l’ensemble de notre Institution, une prouesse remarquable dont je me réjouis et pour laquelle je félicite l’ensemble de mes collègues.
La troisième barrière est la non-reconnaissance du séjour à l’étranger par l’institution même, une aberration qui fait pratiquement partie du passé mais dont il subsiste encore quelques traces. Une implication plus forte des enseignants dans l’organisation de ces échanges et une plus grande mobilité de leur part dans ce cadre améliorerait la connaissance mutuelle et donc le respect de la notion d’équivalence des formations entre universités partenaires. Ce respect ne peut être obtenu que si les enseignants envoient les étudiants dans des universités qu’ils connaissent fort bien eux-mêmes, c’est pourquoi nous avons prévu des moyens permettant désormais à nos collègues de se déplacer dans ce contexte bien plus qu’auparavant.
Le succès pour l’étudiant de son séjour dans une autre université dépend directement de ses capacités d’adaptation et des compétences qu’il aura acquises en matière d’auto-apprentissage. Notre mode d’enseignement réserve encore une place trop congrue à l’acquisition de compétences par un développement personnel, même si quelques expériences sont en cours dans certaines de nos facultés, à des degrés divers. De nombreuses méthodes existent pour atteindre cet objectif. Dorénavant, les nouveaux enseignants et les nouveaux assistants suivront des formations dans ce domaine et les plus anciens seront encouragés à y participer. Ces formations utiliseront elles-mêmes des méthodes interactives et participatives basées sur l’échange des expériences de chacun.
On pourra donc bientôt dire que l’Université de Liège est une institution dont tous les nouveaux diplômés, premièrement, pratiqueront au moins une langue étrangère de manière raisonnable, deuxièmement, auront effectué un séjour dans une autre institution hors-Communauté française et troisièmement, auront acquis des compétences dans le domaine de l’auto-formation. Ces trois caractéristiques devraient leur fournir des atouts majeurs pour aborder la vie professionnelle par après et leur permettre de s’y maintenir au meilleur niveau.
Voilà le défi que nous nous lançons au profit des étudiants qui nous font confiance et que nous avons l’intention de relever sans tarder.