L’année qui s’ouvre aujourd’hui devant nous marque un tournant important dans l’Histoire de notre Université. L’avenir nous dira si c’était un virage majeur.

• C’est l’année où nous intégrons la Faculté Universitaire des Sciences Agronomiques de Gembloux, un vieux rêve auquel j’ai travaillé déjà comme vice-recteur dès 1998, devenu réalité aujourd’hui.
• C’est l’année où nous intégrons les Instituts Supérieurs d’Architecture de Liège pour former la toute nouvelle Faculté d’Architecture de l’ULg.
• C’est aussi l’année où nos mettons en œuvre ce que j’ai appelé mon « Projet pour l’ULg » :
– une réforme qui vise à décloisonner les domaines de recherche et, partant, les domaines d’enseignement;
– une réforme des structures et de la gouvernance, plus profonde que toutes les évolutions accomplies dans le passé;
– une réforme cohérente avec celle de la départementalisation et celle de la détitularisation des professeurs;
– une réforme enfin qui place la nécessité et le mérite au centre de la réflexion stratégique dans l’attribution des moyens de recherche et d’enseignement.

Pour bien me faire comprendre, j’ai souvent dit que le principe reposait sur la dissociation des ressources allouées à l’enseignement et à la recherche. Malheureusement, cette expression a été souvent mal comprise car elle semblait impliquer une dissociation entre enseignement et recherche, ce qui serait contraire au principe fondamental de l’Université en général, et contraire à mes convictions profondes en matière d’excellence universitaire. L’enseignement et la recherche sont indissociables, le premier bénéficiant de la qualité de la seconde, sans exception possible. Mais cette association forte se réalise au travers des enseignants-chercheurs, ce que chacun d’entre nous est, à des degrés divers et variables dans le temps. Si l’on veille à ce qu’il continue à en être ainsi, la question ne se pose même pas. Mais que les ressources soient attribuées en fonction des nécessités de l’enseignement et en fonction des mérites de la recherche constitue une nouveauté qui rompt avec une longue tradition d’allocation forfaitaire des moyens, sans réel contrôle sur leur utilisation. En dissociant, non pas l’enseignement de la recherche, mais les flux de ressources correspondants, nous approchons une plus juste répartition. Il est évident que les décisions en matière d’allocation de moyens financiers, humains ou immobiliers doivent reposer sur des évaluations précises et aussi objectives que possible de l’enseignement et de la recherche. Une telle évolution, voire révolution, exige des changements structuraux importants et une conjonction de modifications décrétales est arrivée à point, le hasard faisant bien les choses, pour permettre ces changements. La possibilité de désigner des vice-recteurs supplémentaires chargés de missions a permis de trouver une solution élégante dans l’intégration de Gembloux, mais aussi de créer, à côté des responsabilités classiques telles que l’enseignement, la recherche et les relations internationales comme c’est l’habitude dans beaucoup d’autres institutions, un vice-rectorat à l’évaluation et à la qualité, ce qui constitue un signe fort de l’importance attribuée à cette nouvelle activité. La possibilité de subdiviser l’Université comme bon lui semble, ne faisant plus des facultés les entités composantes incontournables, nous a permis d’envisager non pas leur suppression, ce qui a été le choix dans d’autres institutions dans le monde, mais leur focalisation sur la gestion et l’évaluation de l’enseignement et des formations diverses, tout en créant des Instituts chargés de la gestion et de l’évaluation de la recherche. Ces modifications qui constituent un choc culturel important au sein de l’Institution, sont néanmoins perçues par ceux qui y regardent de près, comme une amélioration considérable. Une amélioration longtemps attendue, jamais clairement formulée, encourageant l’excellence, et prévoyant donc de l’évaluer. Evidemment, une telle procédure est lourde, complexe et exigeante, et elle doit être, si possible, incontestable.

Notre Institution a connu des changements divers. Elle s’est construite par additions successives. Lors de sa fondation, en 1817, elle était l’héritière de 450 ans d’enseignement supérieur à Liège et fut constituée par le rassemblement de quatre écoles en quatre facultés: Médecine, Sciences, Droit et Philosophie et Lettres. Durant le 19è siècle, elle s’adjoindra une Faculté des Techniques qui deviendra, dans l’entre-deux guerres la Faculté des Sciences appliquées avec l’intégration de la célèbre Ecole des Mines. Plus récemment, elle a créé la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education ainsi que la Faculté d’Economie, Gestion et Sciences sociales, elle a constitué une Ecole de Criminologie, elle s’est adjoint la Faculté de Médecine Vétérinaire de Belgique francophone, puis la FUL à Arlon, puis HEC pour former HEC-Ecole de Gestion de l’ULg. On peut donc considérer qu’aujourd’hui, l’intégration de la Faculté des Sciences agronomiques de Gembloux est une continuation de ce processus, tout comme le sera celle des Instituts supérieurs d’Architecture liégeois. Ces nouvelles intégrations sont remarquables, par la complémentarité qu’elles apportent et par les perspectives enthousiasmantes de développements multidisciplinaires. Dans deux semaines, jour pour jour, la Faculté de Gembloux deviendra Gembloux Agro Bio Tech, la dixième faculté de l’ULg. Elle ne perdra ni sa localisation, ni ses caractéristiques, ni sa vocation. Elle gagnera par contre une ouverture considérable sur l’interdisciplinarité par ses plus amples opportunités de coopération avec les divers domaines couverts par l’Institution complète. Ce sont ces mêmes atouts que vont acquérir les Instituts supérieurs d’Architecture Lambert Lombard et Saint-Luc qui rejoindront l’Université dès le 1er janvier prochain et deviendront la onzième faculté de l’ULg.

Il y a quatre ans, ici même, en présence d’une vingtaine de recteurs et présidents d’université, j’annonçais une politique d’ouverture vers les établissements d’enseignement supérieur universitaire et non-universitaire, vers les régions frontalières et vers le monde. Je suis heureux que ce processus se soit effectivement mis en marche d’emblée et qu’il progresse aujourd’hui de manière étonnamment rapide, facilité par la mise en œuvre de réformes et d’adaptations constantes et culminant avec le Projet pour l’ULg. La relation avec Gembloux a abouti à une réelle fusion. Avec les Instituts supérieurs d’Architecture, nous avons réussi la gageure que je nous lançais d’emblée de faire fi du concept — inapproprié à mes yeux — de réseau qui mine notre enseignement en Communauté française. Dans le cadre de la Grande Région et avec les universités de Luxembourg, de Metz, de Nancy, de Saarbrück, de Kaiserslautern et de Trêves, nous avons entamé un pas de géant en créant l’UGR, l’Université de la Grande Région, une amorce de ce qui pourrait devenir la plus grande plateforme universitaire d’Europe, couvrant quatre pays et cinq régions frontalières. Enfin, nous avons créé des enseignement de master structurés en Tunisie, en Equateur et au Vietnam et consolidé nos participations actives avec nos partenaires du monde entier. C’est ainsi que nous avons créé, avec Sherbrooke au Québec, Monterrey au Mexique, Trento en Italie et Montpellier en France et sans doute bientôt Concepcion au Chili, le réseau Latinus en vue de promouvoir les échanges entre diverses universités de langue latine.

En 2010, l’Université de Liège sera très différente de ce qu’elle était en 2005. Deux facultés de plus, de nouveau masters innovants, une gouvernance entièrement revue, une informatisation spectaculairement développée au service des étudiants, des compétences linguistiques assurées à chacun d’entre eux, un quasi-doublement de la mobilité d’échange, un site web complètement refondu, réhabillé, repensé à travers l’œil de l’utilisateur, deux sites originaux de vulgarisation consacrés, l’un à la recherche, l’autre à la culture, offrant ainsi à l’Université l’occasion de jouer pleinement et avec modernité son rôle de diffuseur du savoir. A cet égard, elle s’est inscrite dans les rangs des universités pionnières dans la rébellion contre le modèle commercial de la publication scientifique exploitant les chercheurs, et dans le lancement, en novembre dernier, d’un dépôt électronique en accès libre des publications de ses chercheurs qui s’est déjà hissé à la 54ème place mondiale en nombre total de références parmi les 802 répertoires institutionnels actuellement connus. Elle a été épinglée par un magazine scientifique américain réputé comme un des dix endroits de qualité pour effectuer un post-doctorat dans les sciences de la vie.

En 2010, l’Université de Liège sera très différente de ce qu’elle était il y a peu. La difficulté est, bien entendu, de contrôler ces changements en veillant constamment à ne pas altérer les éléments qui font d’elle une université de longue tradition (elle aura192 ans dans quelques jours) mais en veillant aussi à lui permettre de s’adapter aux changements de société, à l’évolution des exigences du monde qui l’entoure, sans toutefois tomber dans une réponse servile, au coup par coup, aux besoins apparents du jour.

Voilà les défis qui nous attendent aujourd’hui. Ce ne sont plus exactement les mêmes qu’il y a quatre ans car, heureusement, les choses ont bien avancé et dans la bonne direction, mais le randonneur qui gravit une montagne finit toujours par s’apercevoir en atteignant le sommet qu’il lui reste autant à grimper jusqu’au sommet suivant, en réalisant alors que ce ne sera pas le dernier… C’est en abordant cette réalité qui mêle la conscience des responsabilités et le plaisir du progrès accompli que je remercie à nouveau mes collègues de m’avoir reconduit à la barre de ce beau navire pour un second et dernier terme. C’est un honneur et un plaisir pour moi d’entamer ainsi la dernière phase d’une carrière variée qui m’a apporté plus que je ne pourrai rendre. Une journée comme celle-ci, en présence de personnalités exceptionnelles, efface à elle seule toutes les difficultés à affronter et les problèmes à résoudre. C’est un moment de pur bonheur que je vous remercie tous, qui êtes ici aujourd’hui, de partager avec l’Université de Liège.

Les passeurs de musique

En janvier 1971, Henri Pousseur se lança dans une de ces utopies dont l’époque avait le secret. Il s’agissait de proposer à des musiciens , à des groupes de jazz et de rock de se rencontrer et de collaborer dans un vaste projet intitulé Midi-Minuit et sous titré Mélange non-stop de musiques. Pendant douze heures, le public put se promener dans les différentes salles du Palais des Congrès de Liège. On pouvait ainsi découvrir un ensemble baroque dans un coin, des enfants jouant des percussions dans un autre ou de la musique sérielle dans un troisième. Les avis portés sur ce spectacle furent mitigés. Henri Pousseur, lui, en parlait comme d’une réussite exemplaire. D’une manière générale, les musiciens venus d’horizons différents étaient peu préparés à provoquer de réels échanges. Un moment d’unité se produisit toutefois, à minuit moins vingt : quelques initiateurs chantèrent une note à l’unisson, bientôt rejoints par le reste du public Comme dans l’ouverture de La Création de Joseph Haydn, que Pousseur aimait analyser, la lumière émergea du chaos.
Parmi beaucoup d’autres, Robert Wyatt était dans la salle. Venu d’Angleterre avec l’un de ses comparses du groupe Soft Machine, il avait été attiré par cette utopie collectiviste dans laquelle s’effaçaient les frontières entre auditeur et musicien.
Quelques années plus tard, Pousseur devenu directeur du Conservatoire poursuit sa politique d’ouverture en introduisant de nouveaux visages et en créant de nouvelles classes. C’est ainsi que le pianiste et compositeur américain Frederic Rzewsky devient professeur de composition à Liège . Il fait partie de ces quelques musiciens classiques qui, dans les années 70, nouent des projets avec des musiciens jazz. Dans ce sens, c’était plutôt rare.
Pousseur fonde aussi un séminaire de jazz, une classe d’improvisation et un studio de musique électronique. Parmi les invités réguliers, les étudiants peuvent entendre Anthony Braxton, un multi-instrumentiste venu des milieux du jazz d’avant-garde et qui devint l’un des compositeurs les plus prolifiques de la seconde moitié du siècle.
Quatre des docteurs honoris causa honorés cette année sont donc déjà passés par Liège, une terre où l’ouverture à la création musicale s’inscrit dans l’histoire.
Pour les trois autres compositeurs, la situation est très différente. Tous trois montrent que l’éclectisme avait des limites. Arvo Pärt et ses compositions sérielles, en particulier, fut victime d’un sévère ostracisme. Ce n’est qu’après un changement de génération dans certains orchestres qu’il fut finalement inscrit régulièrement dans les programmes des concerts. La chanson n’avait pas meilleure presse. Même lorsque, comme chez Dick Annegarn, la construction du répertoire est d’une exceptionnelle créativité. Il franchit d’autres frontières, moins en prise avec les préoccupations académiques: celles de langue ou celle des attitudes décomplexées.
Quant à Archie Shepp, dernier des musiciens honorés, il mena une carrière plus à la marge. Interprête de jazz, un des fondateurs du Free Jazz, il ouvrit des perspectives nouvelles en s’intéressant au rock, au rap ou à la musique indienne.

Ce que nous enseignent nos docteurs honoris causa cette année, c’est que dans nos universités “citoyennes”, les études ne consistent plus seulement à acquérir des compétences et des savoirs mais qu’elles ont également pour finalité de donner du sens au monde. Ils symbolisent parfdaitement la volonté de l’Université de s’ouvrir sur la réalité du monde et qaue la culture n’a que les barrières qu’on veut bien lui imposer, mais certainement pas de barrières naturelles.

Je vais à présent tenter de vous décrire en quelques mots, forcément trop concis, les mérites de nos invités. Tâche périlleuse, pour laquelle j’ai pu apprécier l’aide de diverses personnes qui reconnaîtront des passages de leurs textes: Christophe Pirenne, Jean-Pol Schroeder (Maison du jazz), Laurent Demoulin, Jean-Pierre Bertrand, Gérald Purnelle, Pascal Decroupet, Pierre Bartholomée, Marie-Isabelle Collart et Didier Moreau.

Henri Pousseur
Ceux qui l’ont connu disent d’Henri Pousseur d’une curiosité boulimique, sans a priori de genre, de forme, d’époque, d’origine géographique. Il était passionné de musiques américaines et africaines… A la recherche de relations organiques entre les musiques des différentes époques, il s’est attelé à établir des liens entre la musique contemporaine, projetée dans l’avenir, et la musique ancienne. La musique de Pousseur s’inscrit dans la tradition et le dépassement du passé, pas du tout dans la rupture avec celui-ci.
C’était aussi un bâtisseur. Il voulait créer les conditions pour que la musique puisse évoluer. Il a créé le Studio de Musique électronique de Bruxelles, d’où il a pu faire sortir des oeuvres majeures comme Trois visages de Liège.
Avec la complicité de Pierre Bartholomée, il crée l’Ensemble Musique Nouvelle que nous aurons le plaisir d’écouter ce soir à l’OPL. En liaison avec cet Ensemble, il fonde également le Centre de Recherche et de Formation musicale de Wallonie avec pour objectif donner des moyens plus importants et de nouvelles technologies au Studio de Musique Electronique, et de créer des ateliers afin d’initier des amateurs ou des professionnels à la musique contemporaine. L’Insitut de pédagogie musicale de Paris lui doit également d’exister.
Sa carrière d’enseignant l’a mené à Darmstat, à Bâle, aux USA, en Allemagne, en Angleterre sans oublier Liège. Pédagogue influent et innovant, il a marqué l’enseignement de la musique et de la musicologie au Conservatoire Royal de Musique de Liège puis à l’Université de Liège, où il enseigna de 1975 à 1994. Au Conservatoire, il créa les cours d’improvisation, de musique électronique ou de jazz, tandis que dans notre université, il fonda au sein du département d’Information & Communication, une section d’Art et Science de la Musique.
Henri Pousseur fut également un magnifique être humain. Dans les cours qu’il dispensa dans notre Université, ses étudiants ont pu apprécier son inépuisable curiosité, sa générosité et son humanité. Il avait en outre un pouvoir d’émerveillement qui lui permettait de délivrer des œuvres remplies d’optimisme, même dans les situations les plus difficiles.
Ce n’est pas l’usage de décerner cette distinction à titre posthume, mais Henri Pousseur valait vien une exception. C’est Pierre Bartholomée qui a accepté de recevoir en son nom les insignes de docteur hornoris causa, l’étole, le diplôme et la médaille.

Frederic Rzewski
Frederic Rzewski entreprend des études musicales avec Charles Mackey à Springfield, puis étudie à Harvard et à Princeton sous la conduite notamment de Walter Piston, Randall Thompson, Roger Sessions et Milton Babbit. En 1960, il séjourne à Florence, tout en entamant une carrière de pianiste spécialisé dans les musiques nouvelles. Il prendra part aux premières performances de Karlheinz Stockhausen. Six ans plus tard, à Rome, il fonde avec Alvin Curran et Richard Teitelbaum, Musica Elettronica Viva, un collectif avant-gardiste qui mêle improvisation et musique électronique.
En 1977, il rejoint le Conservatoire royal de Musique de Liège, alors dirigé par Henri Pousseur , en qualité de professeur de composition. Il est également professeur invité dans de prestigieuses universités américaines et européennes telles que Yale, Cincinatti, San Diego, La Haye et Berlin.
L’œuvre de Rzewski est marquée depuis le début par un engagement politique inconditionnel. Antimilitariste déclaré, il prend la défense de tous ceux qui subissent aliénation et injustice. Son engagement se traduit par l’incorporation dans son écriture musicale de formes et de thèmes populaires qu’il revisite à sa manière. Ainsi son œuvre la plus connue, puissamment exécutée par ses soins, The People United Will Never Be Defeated! est est une série de 36 variations sur une chanson révolutionnaire latino-américaine.
En 1993, le Baker’s Biographical Dictionary of Musicians le décrit comme « un technicien du piano d’une puissance granitique, capable de produire d’énormes masses de matériaux sonore sans nécessairement détruire l’instrument ».
Gageons que son fils, Jan Rzewski, saxophoniste de jazz, suivra une voie tout aussi artistiquement exceptionnelle.

Anthony Braxton
Né en 1945 à Chicago, Anthony Braxton allait participer fin des années ‘60 à la naissance de l’Association for Advancement of Creative Musicians, dont il incarne l’aile intellectuelle et « abstraite » quand l’Art Ensemble of Chicago en constituerait la frange dadaïste et « concrète ».
Le professeur Braxton, titulaire à l’Université Wesleyan au Connecticut et directeur d’une fondation privée destinée à promouvoir sa musique, la Tri-Centric Foundation, est de ceux qui n’ont jamais cessé de susciter des controverses, autant chez les musiciens que chez les critiques ou le public averti.
Dès son entrée en scène en 1967, il a créé la surprise. Avec Three Compositions of New Jazz, il lançait un trio original et jusque là inédit en jazz : saxophone, violon (Leroy Jenkins) et trompette (Léo Smith).
En 1968, son premier disque, For alto, entièrement joué au saxophone est dédié à Cecil Taylor, pianiste et poète américain, un des créateurs, avec Ornette Colman et Archie Shepp, du free jazz, et à John Cage, compositeur poète et plasticien américain. C’est l’univers musical de référence de ce saxophoniste qui évolue aux marges du jazz, un jazz qu’il pratiquera pourtant (sur les traces d’Eric Dolphy, d’Ornette Coleman ou de Lennie Tristano) au sein du groupe Circle (avec Chick Corea) ou dans de curieux albums de standards pour le label Steeplechase.
Une autre étape importante de son parcours reste la formation, en 1984, de son quartette avec Marilyn Crispell (piano), Mark Dresser (contrebasse) et Gerry Hemingway (batterie)
Compositeur boulimique, improvisateur hors norme, musicologue, multi-instrumentaliste (saxophone, clarinette, flûte, piano, etc.), féru d’égyptologie, Anthony Braxton est homme d’excès et aussi de rigueur.
Les titres de ses œuvres, rébus allégoriques, formules mathématico-hiéroglyphiques en disent long sur la matière musicale qu’il met en formes ou qu’il déconstruit.
Compositeur et musicien de génie, expérimentateur musical, le virus s’est transmis. Tyondai Braxton, son fils, est la voix du groupe expérimental de math rock New-Yorkais Battles.

Robert Wyatt
« Je voudrais seulement chanter d’une manière aussi naturelle que je parle, sans aucun artifice, mais tout de même avec des notes! ». Le compositeur de musique « impopulaire », comme il se définit lui même, a fait du chemin depuis l’époque où il apprenait la batterie avec le batteur de jazz américain George Niedorf. Il commence sa carrière en 1963 dans le Trio David Allen avant de rejoindre le groupe Wild Flowers dont il deviendra le chanteur.
L’été 1966 voit la formation du groupe Soft Machine au sein duquel Robert Wyatt excelle à la batterie. Pour avoir participé à la période mythique de ce groupe novateur, Robert Wyatt jouit d’une aura considérable dans le milieu musical et parmi les amateurs de rock progressif.
Le batteur qu’il fut jusqu’en 1973 est souvent décrit comme « imaginatif »: son jeu est libre, lyrique, inventif, polyrythmique. Sous ses baguettes, la batterie devient un instrument à part entière.
Mais c’est à sa voix que Robert Wyatt doit une grande part de son renom, tant auprès des musiciens qui feront appel à lui durant quarante ans qu’auprès d’un public de fans inconditionnels. On peut multiplier à l’infini les adjectifs pour la qualifier : cristalline, lumineuse, douce, fragile, intense, souple, plaintive, mais aussi sombre, poignante et avant tout humaine. Elle paraît ténue, mais se révèle extrêmement riche, alternant l’aigu et le grave, la plus grande justesse avec une imprécision expressive et totalement volontaire. Robert Wyatt peut aussi bien chanter les mélodies les plus simples ou se servir de sa voix comme d’un pur instrument.
De ses expériences en groupes, il a tiré une écriture et un style qui, puisant leurs racines dans le jazz, ne peuvent se réduire à celui-ci, et certainement pas davantage à la simple musique rock. On le voit avec son album-phare, Rock Bottom, qu’il publie en 1974 et qui lui a valu une reconnaissance unanime et le prix prestigieux de l’académie Charles-Cros.
Robert Wyatt est empreint, naturellement, d’un humour très britannique, qui émaille sa musique, ses paroles ou les titres de ses compositions. Par exemple sur le très pataphysique deuxième album de Soft Machine, il chante l’alphabet en anglais, à l’endroit puis à l’envers.
Politiquement engagé il se mobilise, via les paroles de ses chansons, pour les causes les plus notoires ou les plus oubliées, comme, par exemple, la Palestine (Dondestan sur Dondestan) ou le Timor oriental (East Timor sur Old Rottenhat). Lorsqu’il reprend une chanson, c’est généralement en raison de sa portée politique ou humanitaire ; parmi ses plus belles reprises, on citera Biko de Peter Gabriel, Strange Fruit (Billie Holiday), Caimanera/Guantenamera, Te Recuerdo Amanda, Hasta Siempre Comandante. Marquante fut son interprétation du Shipbuilding d’Elvis Costello en raction à la guerre des Malouines.
Depuis plus de 40 ans, il travaille avec le soutien inconditionnel de celle qui est à la fois son épouse et son manager, Alfie, artiste réalisatrice de ses pochettes de disques et de paroles de ses chansons. Il fut à nouveau distingué il y a quinze jours lors de la 7e édition des Victoires du Jazz, l’une des plus prestigieuses récompenses du jazz en France, où l’album Around Robert Wyatt de l’Orchestre national de jazz de Daniel Yvinec a été primé et a reçu le titre d’Album instrumental français de l’année.

Arvo Pärt
Né le 11 septembre 1935 en Estonie, Arvo Pärt fait partie de ces rares artistes dont la créativité dut se déployer au milieu des contraintes les plus fortes. Tiraillé entre communisme et capitalisme, sérialisme et minimalisme, orient et occident, athéisme d’état et foi personnelle.
Sa première œuvre, Necrology, écrite dans un langage sériel considéré par le régime en place comme un avatar de la décadence bourgeoise occidentale lui attire immédiatement d’importantes inimitiés. L’affirmation explicite de sa foi dans ses compositions d’inspiration religieuse de même que son adoption persistante du sériel ne lui attirent que de l’animosité et limitent considérablement le rayonnement de son œuvre. Pendant longtemps, il travaillera comme ingénieur du son à la radio et compositeur de musiques de films, tout en se démenant pour que sa musique puisse être jouée.
Pendant huit années, Arvo Pärt s’est imposé le silence, la réflexion et l’étude des polyphonies du Moyen-Age, du chant grégorien ou de la musique sacrée orthodoxe russe. Cette recherche trouve son aboutissement avec Für Alina. Il réussit à se forger une voie tout à fait personnelle qui généra une nouvelle catégorie stylistique qu’il a appelée « tintinabulisme », une quête sonore d’une simplicité comparable au son d’une cloche.
Sa musique est désormais caractérisée par une grande pureté et une spiritualité tranquille.
Arvo Pärt écrira dans ce nouveau style trois de ses pièces les plus importantes : Fratres, Cantus in Memoriam Benjamin Britten et Tabula rasa.
En 1981, il part pour Berlin où il vit depuis lors. Son succès croît désormais dans tout le monde occidental. Ses œuvres sont jouées dans le monde entier et ont donné lieu à des dizaines d’enregistrements, ainsi qu’à de très nombreuses utilisations pour l’illustration sonore de films, de Leos Carax à Gus Van Sant en passant par Robert de Niro. Fratres vient ainsi d’être utilisé dans la bande sonore du film There Will Be Blood (2008) de Paul Thomas Anderson. Il a aussi collaboré avec de prestigieux plasticiens dont Anish Kapoor et de nombreux chorégraphes.
Parmi les multiples distinctions qui l’ont couronné, Arvo Pärt est membre de l’American Academy of Arts and Letters (1996) et il est docteur Honoris Causa des universités de Durham, Sidney, Tartu et Fribourg.

Archie Shepp
« Le jazz raconte la souffrance d’une masse de gens. Il parle de l’émancipation, de la destruction des ghettos et du fascisme. Je suis un musicien de jazz noir, un père de famille noir, un Américain noir, un antifasciste: je suis indigné par la guerre, le Vietnam, l’exploitation de mes frères, et ma musique raconte tout ça. C’est cela la New Thing. » Ainsi s’exprimait Archie Shepp dans Jazz Magazine en 1965.
Archie Shepp est l’icône universel du jazz militant, du jazz en tant véhicule de la cause black. « Negro music and culture are intrinsically improvisational ; existential. Nothing is sacred » dit-il en 1990). A la fois saxophoniste, compositeur, pianiste, chanteur, poète engagé et dramaturge, Archie Shepp est né en Floride en 1937, il grandit dans le quartier noir de Brick Yard à Philadelphie, bercé par Lee Morgan, Ted Curson, Henry Grimes ou le Rhythm’n Blues. C’est avec son père qu’il apprend le banjo avant d’étudier le piano et le saxophone. Universitaire, Shepp se passionne pour la littérature, le théâtre, la poésie, disciplines à travers lesquelles se développe sa conscience politique. C’est dès la fin des années 1950 qu’il commence à se produire à Paris, notamment au célèbre club de jazz Le chat qui pèche. Il fait ses débuts aux côtés de Cecil Taylor, travaille avec Bill Dixon, le New-York Contemporary Five, puis participe aux actes fondateurs du free-jazz. Il fait partie des jeunes loups dont s’entoure John Coltrane pour l’emblématique Ascension de 1965. Il revisite l’Afrique ancestrale autant que la soul de James Brown, pour, au milieu des années ’70 redécouvrir le brûlot parkérien. Au début des années 1970, il dirige l’Attica Blues Big Band, inspirations soul et blues qui influenceront son œuvre jusqu’à aujourd’hui. Que ce soit au ténor ou au soprano, son style se caractérise par des phrases au son tranchant, avec des dénivelés de notes impressionnants et une puissance expressive permanente.
De 1970 jusqu’il y a peu, Archie Shepp fut professeur au département d’études afro-américaines de l’Université d’Amherst dans le Massachusetts où il enseigna la musique et l’histoire de la musique afro-américaine.
Il continue à se produire partout dans le monde. En avril 2006, il a été accueilli par la Fondation Cartier pour l’art contemporain au cours du cycle thématique Nuits noires des Soirées Nomades. Après avoir fêté ses 70 ans sur scène lors d’un spectacle intitulé Born Free axé autour de la musique afro-américaine, il a joué en novembre 2007 au Tryptique à Paris dans le cadre de sa collaboration pour le film 24 Mesures de Jalil Lespert avec Benoît Magimel.

Dick Annegarn
Auteur-compositeur-interpète atypique, Dick Annegarn est aussi autodidacte. Sa première guitare, il l’emprunte à son frère et il apprend seul à en jouer en écoutant des disques folks et blues américains. Né en Hollande et après une jeunesse à Bruxelles, ville dont il est citoyen d’honneur, Dick Annegarn prend la direction de Paris en 1972. Son premier disque, il l’enregistre en 1973. C’est un succès immédiat !
Dick Annegarn a multiplié les expériences musicales en s’associant avec des musiciens d’horizons divers. Il explore les univers contrastés du jazz, du folk, du blues, de la musique ethnique, voire d’une musique frôlant la dissonance et crée des chansons qui n’ont plus rien de confortable et qui n’ont que peu de points communs avec le format habituel. Non seulement, ses arrangements sont aux antipodes de ce qui s’entend communément à la radio, mais même la longueur des chansons excède les sacro-saintes trois minutes cinquante. Certains titres de Dick Annegarn, notamment dans l’album Chansons fleuves (1990), approchent les dix minutes.
Tout en refusant l’étiquette de « chanteur à texte », il apporte un soin particulier à ses paroles, en marge des traditions de la chanson française la plus reconnue. Il a ainsi développé une façon très personnelle de faire sonner la langue, en multipliant les assonances, les allitérations, les paronomases, les mots-valises, les néologismes et les calembours de diverses natures, qui sont poussés tellement loin que ses chansons y gagnent un caractère expérimental. Les thèmes qu’il aborde dans ses textes sont extraordinairement variés, comme s’il voulait transformer toute l’expérience humaine en chansons.
Il a ainsi chanté du Boris Vian, du Rimbaud et, plus étonnant, du Boileau! Mais la littérature ne constitue pas sa seule source d’inspiration : une belle chanson de son dernier disque est une lettre de Vincent Van Gogh à son frère Théo. Et si, à l’occasion, il abandonne le français pour le néerlandais ou l’anglais, il lui est arrivé d’écrire une chanson partiellement en… latin !
Dans sa vie, il est un homme engagé. Il a souvent agi comme un passeur en créant des associations, en s’insérant dans des structures culturelles (il est membre du Collège de Pataphysique), en gérant des lieux culturels (telle que les péniches qui accueillaient les jeunes des banlieues parisiennes dans les années septante), en organisant des manifestations, comme le « Festival du Verbe », chaque année dans son fief de Laffite-Toupière près de Toulouse, depuis 2003.
En 2006, le disque Le Grand Dîner, sous-titré Tribut à Dick Annegarn, réunit des artistes comme Alain Souchon, Alain Bashung, Louis Chédid, -M-, et Bénabar, chacun reprenant des chansons de Dick en hommage à sa carrière de plus de 30 ans.
Il tiendra prochainement un rôle dans Matmout, une comédie sociale, aux côtés de Gérard Depardieu, Isabelle Adjani, Bouli Lanners, Benoît Poelvoorde et Yolande Moreau, entre autres.
Enfin, cela ne pourra que faire sourire de savoir que l’Université de Liège honore un artiste célèbre pour avoir si bien chanté… Bruxelles.

Les fondateurs de la nouvelle communication

De la création du langage HTML à la plus grande récolte de fonds organisée dans le cadre d’une campagne électorale américaine (celle du candidat Obama), le Web a fait des bonds de géant depuis 20 ans, changeant radicalement, et en très peu de temps, notre rapport au monde, au travail, à l’information, aux loisirs et même aux relations interpersonnelles.
Quelques chiffres donnent le tournis :
• 1,6 milliards d’internautes dans le monde
• Plus de 25 milliards de pages web
• 220 millions de sites web
• 1,1 milliard de recherches sur Google chaque jour
• Quelques entreprises géantes, cotées à Wall Street, qui se partagent le gâteau des parts de marché des moteurs de recherche
• La « blogosphère » qui s’enrichit de 850.000 nouveaux articles quotidiennement
• Plus de 200 millions de profils sur Facebook
• …

Sir Tim Berners-Lee, Robert Cailliau, aviez-vous conscience du phénomène mondial que vous alliez générer lorsqu’au détour des années 1989 et 1990, vous travailliez ensemble à un projet de système hypertexte destiné à améliorer le partage de documents entre les milliers de chercheurs (et leurs ordinateurs) du CERN ? Grâce à vous, le prestigieux centre de recherche européen de l’énergie nucléaire peut s’enorgueillir d’être le véritable berceau du World Wide Web.
Si j’en crois Wikipédia (un des grands succès du web !), le principe de base du Web était, selon Tim Berners-Lee, d’une grande simplicité. « Je n’ai fait que prendre le principe d’hypertexte et le relier au principe du TCP et du DNS et alors – boum ! – ce fut le World Wide Web ! », explique-t-il sur le site internet du Consortium W3C. En science, on sait que les découvertes sont souvent sous nos yeux et découlent d’une géniale intuition…

L’acte de naissance du web, c’est une note interne, un document sobrement intitulé « La gestion de l’information : une proposition »>/em>. Le supérieur de Tim Berners-Lee l’annote : « vague mais passionnant ». La révolution du Web était pourtant en marche…
Tim Berners-Lee, l’inventeur du Web, est rapidement rejoint par notre compatriote Robert Cailliau, qui l’accompagne dans les premiers développements de ce qui constitue aujourd’hui encore les principales technologies du Web, les adresses IP, les protocoles HTTP (Hypertext Transfer Protocol ), HTML (Hypertext Markup Language), … donnant ainsi une impulsion décisive à la diffusion mondiale de la nouvelle technologie et de ses applications

Tim Berners-Lee
Né à Londres en 1955, Tim Berners-Lee obtient en 1976 son diplôme en physique à l’Université d’Oxford. Il entre au CERN comme ingénieur informaticien. Auréolé de sa prestigieuse invention, il quitte le CERN en 1994 et rejoint le MIT à Boston où il occupera la chaire 3Com (Computer Communication Compatibility).
En 1994 également, il crée le World Wide Web Consortium (W3C), une organisation internationale qui, aujourd’hui encore, se charge de promouvoir une compatibilité maximale des différents standards du web et de fournir des recommandations aux concepteurs et développeurs pour la qualité du web.
En 2004, il rejoint l’Université de Southampton, où il occupera la chaire de science informatique à la School of Electronics and Computer Science. Il y conçoit les contours d’une nouvelle génération du Web, le Web sémantique basé sur l’exploitation de métadonnées. Une nouvelle étape.
Sir Tim Berners-Lee a été anobli en 2004.

Robert Cailliau
Né à Tongres en janvier 1947, Robert Cailliau est Ingénieur civil en électricité et mécanique de l’Université de Gand. Il est également diplômé de l’Université du Michigan. Il a rejoint le CERN en 1974 et en sera le responsable des systèmes bureautiques.
Il est un des rares à l’époque à s’enthousiasmer du projet que présente Tim Berners-Lee. Il travaillera étroitement avec lui au développement des outils du Web.
Robert Cailliau est un avocat infatigable du Web, d’un Web le plus ouvert possible, donnant accès librement aux informations, et devenant ainsi comme un outil d’émancipation, de promotion sociale, d’accès aux savoirs et à la culture. Un utopiste dirait : un facteur de paix entre les gens… Dans une université comme la nôtre, qui fait œuvre pionnière dans le monde en militant très activement et en créant sur le Web les outils du Libre Accès aux publications scientifiques, cette conception du Web, Monsieur Cailliau, reçoit un accueil particulièrement chaleureux !
En 1993, Robert Cailliau fut à l’origine des très influentes International World Wide Web Conferences. La mise en application du Web dans les écoles reste une des préoccupations majeures de Robert Cailliau, de même que ses appels à la prudence face aux dangers de cette technologie .

A bien des égards, par son impact social, économique et politique, par son rôle au cœur des projets éducatifs, par la place prépondérante qu’il prend dans la vie des citoyens, des communautés et des entreprises, faisant émerger constamment de nouvelles questions et générant de nouveaux défis, stimulant la recherche et la créativité, le Web apparaît bien comme une invention majeure du 20e siècle, probablement la révolution technologique et culturelle la plus importante depuis l’invention de l’imprimerie par Gutenberg.
C’est avec un grand plaisir que notre Université honore ceux qui ont ainsi contribué à changer aussi radicalement une face du monde.