Ayant été interpellé quelques fois ces derniers temps au sujet de la « marchandisation » de l’Université, du contrôle institutionnel de la publicité et du sponsoring, je souhaite livrer ici quelques réflexions personnelles.
Commençons par préciser de quoi on parle.

La publicité peut être considérée comme un acte complètement autonome de la part d’une entreprise commerciale, acte qui n’a, en principe, pas d’interférence avec des tiers.
Le sponsoring — ou, pour utiliser le français, le parrainage — lui, repose sur l’utilisation d’un événement comme support médiatique à des fins publicitaires. Le parrainage permet de réaliser un événement, d’ériger un bâtiment, d’aménager ou d’équiper des locaux, au prix de l’affichage — généralement discret mais pas toujours — du nom et/ou du logo de l’entreprise.

L’ULg n’a, délibérément, aucune politique institutionnelle organisée en ce qui concerne la publicité. En principe, l’affichage sauvage est interdit et les panneaux d’affichage sont réservés à des informations officielles ou aux activités estudiantines. La seule sanction est l’arrachage et celui-ci est assuré par le personnel de l’Université. Aucune ressource financière de l’Institution ne provient d’affichages publicitaires.

En matière de sponsoring, les choses sont plus complexes. Beaucoup d’activités estudiantines sont parrainées. Un certain nombre d’activités universitaires (réunions, colloques) sont sponsorisées. La recherche de sponsors est assurée par les organisateurs eux-mêmes. Une réflexion est actuellement en cours sur une certaine rationalisation, voire centralisation, de la prise de contact avec les sponsors éventuels, visant essentiellement à ne pas les solliciter de manière désordonnée, ni manquer une occasion coûteuse à cause d’une petite intervention préalable, mais une telle organisation n’est encore qu’à l’état de la réflexion.

Plus délicate est la question des chaires sponsorisées, c’est-à-dire la possibilité de faire couvrir le salaire et parfois même les frais de fonctionnement de professeurs par une entreprise. On peut en effet s’inquiéter de la sauvegarde de la liberté académique dans ces conditions. Dans les rares (2 ou 3) cas à l’ULg — cette pratique est nettement plus courante dans les universités « libres » —, cet écueil a été complètement évité, mais il est vrai qu’une grande vigilance s’impose.

Qu’en est-il des lois et règlements? Il n’existe pas de législation applicable aux universités en matière de publicité ou de parrainage.
En existe-t-il une dans les autres degrés d’enseignement ? L’enseignement maternel, primaire, secondaire et supérieur non universitaire sont régis, à cet égard, par la Loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l’enseignement dite « loi du pacte scolaire ». Cette loi prévoit en son article 41 que: « Toute activité et propagande politique ainsi que toute activité commerciale sont interdites dans les établissements d’enseignement organisés par les personnes publiques et dans les établissements d’enseignement libre subventionnés ».

La portée de cette loi a cependant été, depuis lors, tempérée par la circulaire n° 1026 du 27 décembre 2004 portant sur la « publicité dans les établissements scolaires et matériel didactique diffusé par des firmes commerciales » qui note que « il n’est pas aisé de déterminer ce qui constitue une activité commerciale dans un établissement d’enseignement » et précise : « Faut-il refuser toute initiative d’origine commerciale, même lorsqu’elle peut apporter un petit plus aux écoles ? ». La Ministre M. Arena y affirme deux choses: d’une part, sa confiance dans la sagesse des enseignants et des responsables scolaires et d’autre part, l’évidence même du fait que les élèves sont confrontés à la publicité en dehors de l’école alors que, dans cette dernière, les enseignants peuvent « former les enfants et les adolescents à développer une attitude critique face au matraquage publicitaire ».

A la lecture de la circulaire, il est évident que toutes les interrogations soulevées par cette loi concernent l’âge du public ciblé: les mineurs. Cette règlementation n’a donc pas de correspondance au niveau universitaire. Par ailleurs, en Europe, ce questionnement est appréhendé de façon fort différente dans chaque Etat. A ma connaissance, en Belgique francophone, les autres universités n’ont, pas plus que l’ULg, de règle stricte en la matière et raisonnent au cas par cas.

Il est donc clair qu’aujourd’hui, faute de mise en place d’une règlementation institutionnelle spécifique, tout ceci est laissé au jugement et à l’appréciation de chacun, ce qui fait de nous des funambules craignant de basculer d’un côté ou de l’autre: le laxisme de la marchandisation ou le puritanisme de la surprotection. Faut-il nécessairement, dans une université, placer des garde-fous partout? Allons-nous édicter des règles à propos de tout et de n’importe quoi? Ne pouvons-nous compter sur nous-mêmes, sur nos enseignants, sur notre personnel et aussi sur nos étudiants, pour trouver, en permanence, la juste limite?

Basons-nous sur les principes généraux de « non-discrimination » applicables aux services publics et sur l’éthique particulière que l’ULg entend respecter en la matière et évitons de légiférer. Les temps évoluent, les sensibilités aussi.
Gardons-nous de transformer notre université, où se côtoient des adultes responsables, en un enclos protégé de tout, loin des réalités de la vie et du temps.
Ce serait tout le contraire de ce que je souhaite pour notre Université et pour ses étudiants.

QS, la firme qui réalise (mal, à mon goût) les études de classement des universités pour le London Times Higher Education Supplement, produit aussi d’excellentes analyses de divers phénomènes qui affectent la vie universitaire.

Elle vient de publier un commentaire intéressant sur le plagiat, fléau de l’enseignement depuis toujours, mais malheureusement beaucoup plus généralisé, au point qu’il devient un problème majeur aujourd’hui, en raison de la facilité de le commettre dans un environnement électronique où le « copier-coller » est si simple. Et c’est un problème pour deux raisons: la violation des droits d’auteurs et le non-apprentissage par l’étudiant du processus rédactionnel.

Selon l’auteur, Tim Rogers, si la technique le favorise, le plagiat est essentiellement dû au manque d’éducation en matière de propriété intellectuelle, ou tout simplement à l’égard de la tricherie et de la fraude intellectuelle. Ensuite, la facilité pratique vient accélérer et répandre largement la dérive.

Condamner la technique serait un combat d’arrière-garde comme le serait l’idée de limiter les performances des automobiles pour prévenir les excès de vitesse. Tout est dans l’éducation à ne pas transgresser les interdictions qui ont une raison d’être sociétale.

Christine, une étudiante à l’Institut National des Techniques de la Documentation (INTD-CNAM) en France qui y prépare le diplôme de chef de projet en ingénierie documentaire, tient un blog fort intéressant sur les universités françaises vues par des yeux d’étudiant, qui peut — mutatis mutandis — nous aider à réfléchir.

Son analyse explore les difficultés que l’étudiant rencontre pour s’orienter dès le début de ses études universitaires, les difficultés de l’accès aux Grandes Ecoles, les difficultés de trouver un emploi avec un diplôme universitaire dans un pays où l’enseignement supérieur est dual (là, c’est l’université qui est le « second choix »), l’inquiétude des étudiants devant les réformes qui s’annoncent en France. Elle y évoque le danger des formations qui ne conduisent qu’à peu de débouchés, non tant par la qualité médiocre de la formation, mais plutôt en raison des préjugés sur la primauté des orientations spécialisées et pointues qui donnent l’illusion de l’efficacité d’emblée. Alors que ce qui importe, c’est l’adaptabilité que devraient acquérir tous nos étudiants, quel que soit leur parcours.

Un blog d’étudiante qui fait preuve de maturité, d’acuité et de profondeur. Encourageant.

Certains prétendent, à grand renfort de presse, qu’ils sont les seuls à donner des cours de chinois en Communauté française de Belgique.
Qu’ils en donnent, c’est fort bien. Ce qui l’est moins, c’est d’ignorer volontairement le plus grand centre de formation en langue et en culture chinoises, l’Institut Confucius de la Communauté française de Belgique, hébergé par l’ULg.
Que ceux que cela intéresse, et ils sont nombreux, se rendent sur le site web de l’Institut, pour en connaître les activités remarquablement diversifiées.

Il est surprenant de constater le temps qu’il aura fallu pour que des institutions de grande qualité scientifique finissent par contester les méthodes ridiculement inadéquates qui sont employées pour les juger et les classer.

Voici enfin qu’un boycott des « rankings » est proposé par un groupe d’universités américaines. Il est commenté par D. Butler dans la revue Nature (447, 514-515, 31 May 2007) et par S. Harnad ce 3 juin dans l’American Scientist Open Access Forum.

En Europe, les voix ont été plus discrètes. Rares sont ceux d’entre nous qui ont rejeté d’emblée les « rankings » sur base de leur médiocrité scientifique, beaucoup ont accepté ces classements comme incontournables, certains ont même essayé de manipuler les chiffres à leur avantage et personne n’a vraiment réussi à convaincre la presse d’ignorer ces informations.

En substance, l’analyse de Nature est la suivante: « Experts argue that [the rankings] are based on dubious methodology and spurious data, yet they have huge influence. All current university rankings are flawed to some extent; most, fundamentally ».

Les auteurs défendent un point de vue qui est le mien depuis le début: aucun classement, que ce soit celui du U.S. News & World Report, celui du British Times Higher Education Supplement (THES) ou celui de la Jiao Tong University à Shanghai, pour citer les plus connus, n’est basé sur des critères ni sur une méthodologie irréprochables, loin s’en faut. Quant aux données du Thomson Scientific’s ISI citation data, elles sont inutilisables pour opérer des classements — le nom d’une même institution s’écrit de manière différente dans différents articles, voire même est mal orthographié ou complètement omis selon les cas — et elles ne concernent que les publications.

La conclusion est nette, les rankings, dans leur forme actuelle, sont purement et simplement à oublier.

Une étude réalisée par des chercheurs du centre de recherche PME de HEC-ULg révèle que les spin-off universitaires wallonnes manquent de souffle et que, si elle sont nombreuses, à Liège en particulier, elles ne manifestent que beaucoup trop rarement l’audace qui fait les croissances rapides et importantes. La presse s’est emparée du sujet, chaque journaliste y ajoutant son interprétation, allant parfois bien au-delà des conclusions de l’étude elle-même, voire à l’opposé des données objectives elles-mêmes (L’Echo, P.3 le 2 mai; Le Soir, p.26 et Vers l’Avenir, p.8 le 3 mai; Trends/Tendances, pp.14-15 le 10 mai; La Libre Belgique, p.23 le 22 mai).

Trop de spin-off?
Qu’en est-il, en particulier à Liège, où l’Université s’est impliquée résolument dans ce processus? En effet, depuis 1981, l’ULg est à la base de la création de 82 entreprises de tous calibres, dont 62 sont actives actuellement. En 1999, nous avons mis en place un système d’accompagnement à la création des spin-off, et depuis lors, 45 nouvelles entreprises ont créé 205 emplois à Liège: sont-ce des emplois superflus? sont-ce, comme le suggère le rapport, des emplois de substitution pour universitaires frustrés en mal de carrière académique? D’une part, l’affirmer serait faire injure aux entrepreneurs qui se sont lancés dans l’aventure et à tous ceux qui construisent ces entreprises de demain. D’autre part, il n’existe pas d’emplois inutiles.

Une croissance trop lente?
Eurogentec, une des success stories liégeoises, qui occupe environ 300 personnes ici, mais aussi en Asie et en Amérique, a fêté ses 20 ans. Après 10 ans, sur base du rapport s’il était sorti à l’époque, on aurait montré du doigt cette société pour la lenteur de sa croissance. Il en aurait été de même pour Samtech (200 emplois) qui a le même âge à peu de chose près. Mithra (27 emplois) vient d’annoncer ses résultats (7,25 M€), Kitozyme lance son usine aux Hauts Sarts le 1er juin prochain, Nanocyl fera de même à Sambreville un peu plus tard, Quality Partner emploie 40 personnes à Herstal depuis 5 ans environ. Toutes ces entreprises ont besoin de temps pour achever la phase de maturation du projet, rendre leur technologie crédible pour un investisseur, faire la preuve de leur adéquation au marché qui souvent, est encore à créer. Cette phase de croissance souvent lente est indispensable. En Région Wallonne, elle est financée dans l’entreprise généralement créée très tôt, et non à l’Université. Il faut donc à une entreprise spin-off, plus de temps en Wallonie qu’en Flandre pour arriver à la phase de commercialisation. On pourrait dire que le défaut principal des spin-off wallonnes, c’est d’être des bébés prématurés, qui accusent une certaine lenteur de croissance. C’est en réalité le manque de disponibilité de fonds permettant une gestation plus longue — donc la mise au monde d’une entreprise moins fragile — qui provoque généralement ces naissances précoces. Et ce syndrome financier est plus marqué chez nous que chez nos voisins du Nord.

Une croissance obligée?
Certaines spin-off sont petites et le resteront probablement : Pro Fish Technologies, créée il y a 2 semaines, est de celles-là. Elle reçoit un accompagnement très mesuré de notre part est financée entièrement par des investisseurs privés. Elle a, comme toute entreprise, la vocation d’être profitable et utile, mais nullement de grandir à forte vitesse. C’est très clair dès le départ, il ne s’agit pas d’un manque d’ambition, mais d’une autre ambition que celle de la croissance à tout prix. D’autres spin-off n’entrent pas dans ce schéma et ont besoin d’un accompagnement renforcé, comme le suggère le rapport. C’est exactement pour donner un tel accompagnement qu’en 2003 a été créée SEED, devenue CIDE en 2005 : une équipe de professionnels capables de coacher les projets les plus prometteurs. Le rapport suggère des aides plus fortes sur moins de projets. C’est exactement la raison d’être de CIDE. Certains projets très technologiques, tels que ceux que génèrent la recherche spatiale ou biotechnologique, ont besoin d’accélérateurs de croissance, et c’est pour cela que la Région wallonne a créé WSL, incubateur spatial et WBC, incubateur biotech. A Liège, une des principales recommandations du rapport est déjà en place, car le portefeuille de projets permettait une telle différenciation qualitative et quantitative de l’aide apportée. Beaucoup de projets sont donc nécessaires si l’on veut développer des approches différenciées.

Des financements trop publics?
Lors de la création d’une spin-off de l’ULg, celle-ci apporte et valorise sa technologie via Gesval (l’ULg n’apporte jamais d’argent, mais du savoir faire valorisable en actions), et le fonds d’investissement Spinventure injecte de l’argent frais, à côté d’investisseurs para-publics, privés ou industriels. Depuis 1999, Gesval a apporté l’équivalent d’1 million d’€ de technologies dans les spin-off, Spinventure y a investi 2 millions d’€. Cela a permis de mobiliser un total de 22 millions d’€ de capitaux dont 68% sont privés. On y voit clairement un effet de levier et non un éteignoir.
Il est évident que, faisant de la recherche pour améliorer leurs produits, ces spin-off font souvent appel à des aides aux PME, comme n’importe quelle autre PME. Il n’y a là rien de critiquable.

Un esprit entrepreneurial trop rare?
Certains chercheurs font preuve de cet esprit. En faisant de la recherche, ils acquièrent le virus et n’ont de cesse de lancer leur entreprise. C’est fort bien. Certains en ont même la capacité. Pas tous, c’est bien normal. Beaucoup, sinon tous, ont besoin d’être encadrés par des professionnels compétents, une évidence qui ne heurte personne quant elle est transposée dans le monde des grands sportifs. Cet encadrement est déjà donné aux jeunes dans notre Ecole de Gestion (HEC-ULg). Les conseils d’administration des spin-off doivent veiller à l’amplification adéquate de l’équipe managériale, et c’est exactement notre pratique à l’ULg. Enfin, il est difficile d’espérer développer chez les jeunes un esprit entrepreneurial et un goût pour la prise de risque dans une région où, culturellement, l’échec commercial est réprouvé et montré du doigt. Tant que cet esprit étriqué prévaudra, il demeurera inutile de nous prendre pour la Californie.

Un constat trop pessimiste
On ne peut nier les informations et les données objectives du rapport. Les faits sont là. C’est avec leur interprétation et les conséquences à en tirer qu’on peut ne pas être d’accord. On n’y trouve pas de surprise lorsqu’on possède une longue expérience de la création d’entreprises et la plupart de ses recommandations sont déjà dépassées par les faits et la pratique dans notre université.
On peut cependant opérer un vrai constat: si l’université avait les moyens d’héberger plus longuement en son sein les projets prometteurs, les accompagner plus loin dans le processus de maturation, en faire plus complètement la preuve de principe, la plupart des différences s’estomperaient. La taille de l’entreprise serait plus grande à sa naissance, le capital de départ serait plus élevé, des managers plus expérimentés s’y intéresseraient, des investisseurs plus diversifiés y participeraient, la croissance serait plus rapide. Le rapport relève cette lacune, mais n’en mesure pas suffisamment les conséquences pratiques, sur le terrain.

L’Université de Liège n’a pas à rougir des sociétés qu’elle contribue à mettre sur pied, petites ou grandes. Il ne faut évidemment pas se tromper de méthode, ni d’échelle, mais tout projet abordé avec rigueur mérite de voir le jour, toute entreprise mérite de naître quand elle est sous-tendue par un vrai projet. Et tout projet très prometteur, à haut potentiel de croissance, doit recevoir un traitement spécifique.

Nées avant terme
J’aurais préféré que les conclusions de ce rapport, sans remettre en cause l’étude, soient moins négatives, moins décourageantes. J’aurais aimé que le traitement que lui a donné la presse soit moins défaitiste, participe moins à la sinistrose wallonne — maladie chronique régionale dont nous avons décidément bien du mal à guérir — car je suis convaincu que des articles comme ceux-là détruisent plus rapidement et plus radicalement le goût d’entreprendre des jeunes wallons que tous les efforts consentis pour le construire.

Pour moi, la conclusion de tout ceci, c’est simplement que nos universités enfantent des prématurés qui ont souvent du mal à croître rapidement et ce constat devrait permettre d’imaginer des remèdes relativement simples. C’est ce message-là qui aurait dû passer.

Mauvais procès

J’ai reçu, la semaine dernière, une pétition, également rendue publique par ses signataires sur un site web, dénonçant l’organisation, par une firme de boissons « énergisantes », d’un événement « didactique » sur le campus du Sart Tilman. Les signataires ont trouvé cet événement vulgaire et déplacé, ce qui est parfaitement leur droit. Ils s’interrogent sur les raisons qui m’auraient poussé à encourager une telle activité, signe avant-coureur de la « marchandisation » de notre Institution.

Je leur ai répondu en substance que nous n’y avions pas vu malice, qu’il s’agissait d’une initiative de l’asbl « Restaurants Universitaires » et non de l’ULg elle-même, que le contenu didactique était contrôlé par un collègue physicien et que si cette organisation a manqué son but, voire choqué trop de monde, nous veillerions à plus de vigilance à l’avenir. J’ai aussi précisé que je n’ai nullement l’intention de « marchandiser » l’ULg. Cette activité ne nous a pas rapporté un euro.

Il est en général utile de recevoir des informations de ce type — quoique je me passerais volontiers du ton accusateur et réprobateur — car nous ne pouvons accompagner tout ce qui se passe sur le domaine universitaire et vérifier la qualité de ce qui s’y produit. Que dire des guindailles parrainées par des marques de bière ? Sont-elles de meilleur goût ? Enfin, je ne souhaite pas me poser en censeur permanent, surtout pas d’initiatives qui ne sont pas à priori suspectes.

Ceci étant admis, je souhaite que les signataires de cette pétition décident de prolonger la logique de leur action et prennent l’initiative d’organiser des activités décentes à destination des étudiants. Leur bénévolat permettra d’éviter la présence de sponsors. Il ne s’agit pas d’une boutade, mais d’un appel très officiel. La « Fondation Marcel Dubuisson pour les activités culturelles au Sart Tilman » pourrait d’ailleurs soutenir une telle initiative. Je suis ouvert à toute proposition constructive.

La bolognaise sera-t-elle ratée ?

Si on en vient à parler de la marchandisation des universités et des dérives inégalitaires, il est des indications qui me semblent infiniment plus préoccupantes que celle-là.

J’ai participé cette semaine à Londres, en tant que président du CIUF et du CCOCES, à la Conférence des Ministres Européens de l’Enseignement Supérieur qui a pour but, tous les deux ans, de faire le point sur la mise en place des mesures découlant de la Déclaration de Bologne. J’y ai été frappé par le discours dominant qui parle de compétitivité, de comparabilité, de classements et d’ »employabilité », comme si l’on assistait à un suivi de « Lisbonne » et non de « Bologne ». Seuls quelques intervenants, hormis moi-même, ont relevé l’absence du volet social, finalement réinséré timidement dans le communiqué final.

Essayons de comprendre. Comment des dizaines de milliers d’enseignants, d’encadrants et d’administratifs, en Europe et au-delà, ont-ils trouvé le dynamisme nécessaire pour prendre à bras-le-corps les implications de « Bologne »? Pourquoi donc se sont-ils lancés dans la tâche titanesque de la révision complète des programmes du 1er et du 2nd cycle, ajoutant une année d’études et sacrifiant les DEA et DES pourtant bien utiles?
Etait-ce seulement pour harmoniser les programmes à l’échelle européenne, juste pour le plaisir, au risque de passer au rouleau compresseur sur toutes les aspérités qui faisaient l’originalité et la spécificité des universités européennes?

Non. C’était pour permettre une réelle mobilité des étudiants, avec ce qu’elle comporte d’intérêt pour leur formation et pour leur avenir ainsi que pour permettre aux étudiants de demain de se composer « à la carte » une formation supérieure riche.

Or, huit ans après son lancement, « Bologne » n’a pas fait progresser le moins du monde cette mobilité tant attendue. On ne la voit même pas poindre à l’horizon. Au sein des pays signataires, le pourcentage d’étudiants « mobiles » n’est que de 2,2 %…

Et quelle est donc la cause de cette paralysie ? Les coûts.
Aujourd’hui, les bourses sont trop rares et très insuffisantes par rapport aux dépenses à consentir. La mobilité est clairement corrélée aux moyens dont dispose l’étudiant grâce à sa famille ou, dans certains cas, à son travail.

Alors, devant ce constat que personne ne conteste, il semble que le souci essentiel, voire exclusif que devraient avoir les gouvernements et les parlements des pays impliqués, est la prise en compte de la dimension sociale de cette réforme ambitieuse. Si on ne lui accorde pas les moyens qu’elle nécessite réellement, on va tout droit à l’échec et cet immense chamboulement des études supérieures n’aura vraiment servi à rien.

Rappelons que la fin de la mise en place du processus de Bologne sera sifflée en 2010. Si en 2009, lors de la prochaine réunion des ministres européens concernés qui se tiendra en Belgique, on fait le même constat qu’aujourd’hui, si on se contente de demander aux parents de financer ce que les gouvernements ont prétendu promouvoir, ou pire, si on le demande à des investisseurs privés en échange d’on ne sait quoi, je crains fort qu’on déclare alors ce que je pense déjà aujourd’hui: qu’on n’y arrivera jamais dans les délais,… et que la réunion se solde par une conclusion navrante: « on s’accorde une décennie supplémentaire! »

Elsevier — l’éditeur scientifique international le mieux connu pour sa politique intransigeante en matière de monopole , d’augmentations sauvages et déraisonnables de prix et de non respect de ses engagements, et dont la pratique de prise en otage des chercheurs est particulièrement irritante — annonçait, en mai 2006, le lancement d’une série de périodiques en mode Open Access (OA) hybride. En résumé, l’éditeur offre à ses auteurs l’option de payer eux-mêmes un montant de « sponsoring » (3.000 €) permettant que leur article, déjà accepté pour publication, soit rendu librement disponible à tous, sans souscription, via ScienceDirect. En juillet 2006, 34 autres titres venaient compléter la liste. C’était un beau coup pour faire payer les publications deux fois, une imitation d’OA appelée Open Choice (le cheval de Troie dont j’ai déjà parlé), et dont la moindre des choses est qu’elle ne comporte pas de surcharge financière pour le lecteur, puisque l’auteur paie.
A cette occasion, Elsevier rassurait publiquement: « When calculating subscription prices we plan to only take into account content published under the subscription model. We do not plan to charge subscribers for author sponsored content ». Très clair.

L’augmentation moyenne de 2006 à 2007 des prix de l’ensemble des revues chez Elsevier était de 5,50 %. Celle des 40 titres en libre accès hybride a atteint 6,39 %. Dont acte.

Le Vif/L’Express a publié hier, dans son courrier des lecteurs, ma réaction à sa publication de la semaine dernière sur les classements d’universités. Pour des raisons de place, il n’a gardé que les trois derniers paragraphes. La voici en entier.

L’être humain souffre du syndrome du hit parade. Il aime les classements. Ça le rassure.
Mais certaines choses sont inclassables et les universités sont de celles-là.

On ne peut classer aisément que les choses auxquelles il est possible d’attribuer une note chiffrée et seulement si un seul critère objectif est pris en compte. On peut, par exemple, classer des livres d’après le nombre d’exemplaires vendus. C’est objectif, encore que cela ne donne guère d’indications directes sur la qualité de l’œuvre. On peut supposer que l’achat est vaguement en relation avec une certaine qualité, mais il faut bien admettre que beaucoup d’autres facteurs interviennent, tels que les moyens publicitaires consentis par l’éditeur, la campagne médiatique organisée lors de la sortie du livre, etc.

Si un deuxième critère indépendant intervient, les choses se compliquent. Comment décider du poids relatif à lui accorder ? Et si ce critère est subjectif, c’est pire. Imaginons qu’on décide d’évaluer la qualité poétique de l’ouvrage. Le classement sera difficile et dépendra énormément du juge. La combinaison des deux critères devient presque impossible. Et si on s’y aventure malgré tout, quelle est alors sa véritable signification et comment l’exprimer ?

Il en va de même avec les universités. On peut dénombrer les étudiants, c’est un critère objectif, mais qui ne donne guère d’indication utile sur leur qualité.
Si toutefois nous ajoutons un autre critère, la qualité de la recherche par exemple, on se retrouve dans la situation décrite plus haut : comment mesurer le poids respectif d’un critère objectif et d’un autre, subjectif ? (même s’il existe des mesures de la recherche, c’est encore une tâche impossible pour l’ensemble des domaines couverts par une université complète).

On voit donc bien où réside le problème. Mais c’est encore peu de chose. Une université se caractérise non par deux, mais par des dizaines de critères, objectifs (nombre d’étudiants, nombre d’encadrants, revenus financiers, espace disponible, etc.) ou subjectifs (qualité de la recherche, de l’accueil et de l’accompagnement des étudiants, des logements, de la relation encadrant-encadré, etc.). Mission impossible.

Il est légitime d’essayer de résoudre cette quadrature du cercle, mais il faut savoir admettre l’étendue de l’approximation et de la subjectivité d’une telle entreprise. En particulier, il faut impérativement abandonner l’idée d’un classement global, aussi séduisant qu’il puisse être. Au mieux, on peut espérer classer les universités pour chaque critère séparément. Dans ce cas, on verra qu’une institution peut se situer parmi les meilleures pour la qualité de son encadrement mais se retrouver moins bien classée lorsque sa recherche est analysée. Par ailleurs, on trouvera des universités de grande qualité pour leurs sciences humaines et d’autres plutôt pour les sciences et techniques.

Je partage le souci du Professeur Tulkens et de son université, l’UCL, de tenter d’améliorer la méthodologie du Times Higher Education Supplement dont les biais et le caractère expéditif interpelle. Chaque université souhaiterait en effet élaborer une expression plus juste de sa valeur. Mais il est indispensable d’abandonner définitivement l’idée d’une évaluation globale en un seul chiffre, condition nécessaire au classement, car un tel chiffre ne peut consister qu’en une moyenne saugrenue de valeurs correspondant à de nombreux critères très différents. Il faut séparer les critères et probablement aussi les domaines d’activité.

Malheureusement, ce n’est nullement la voie dans laquelle M. Tulkens s’est engagé. Il a cherché à donner plus de poids à certains critères et moins à d’autres et c’est bien là ce qui a choqué lors de la sortie de l’article du Vif. En effet, son intervention sur les données de base était lourde de subjectivité et il est difficile de dire si ses choix étaient plus judicieux que d’autres qui pourraient être proposés. Le hasard qui, selon lui, a conduit à un grand bond en avant de son université dans le classement a jeté un fâcheux discrédit sur son approche. Et ce n’est pas tant la divulgation de cette manipulation de données sur le site internet du centre de recherches dont il relève à l’UCL qui a suscité l’ironie, que la façon dont Le Vif-L’Express s’est emparé de ce travail pour le présenter comme un nouveau classement solide et fiable, commettant ainsi une erreur journalistique fort surprenante.

Je reste partisan d’études qui permettraient d’arriver à un consensus entre universités dans le monde entier quant aux critères à utiliser et à la manière de collationner et traiter les données pour enfin constituer une évaluation équitable et réellement utile. A condition de s’imposer de ne pas publier de hit parade simpliste et forcément réducteur.

Après la boutade de mon affichage précédent, je tiens à revenir plus sérieusement sur le fond du problème de classement international des universités.

Il est vrai que le classement du Times Higher Education Supplement (THES) pèche essentiellement par le fait qu’il résume chaque université à un seul chiffre après avoir tenté d’évaluer de très nombreux critères, objectifs et subjectifs, très différents les uns des autres. Comme il désire faire un classement unique, il y est bien obligé. Pour obtenir ce chiffre, il faut faire une sorte de moyenne en donnant un poids relatif à chacun des critères. L’approche d’Henry Tulkens consiste à remettre en cause ce poids relatif et à établir une nouvelle pondération qui tienne mieux compte des réalités universitaires. En soi, cette préoccupation est très louable. Personnellement, je suis aussi preneur d’une méthode plus adaptée, si — et puisque — il faut vraiment entrer dans l’ère des classements.

Mais alors, je pense qu’il fallait aller plus loin, et dénoncer non seulement le poids relatif accordé aux critères, mais leur rassemblement en une seule valeur. On peut faire un classement des universités sur la qualité des logements, la beauté du campus ou son intégration urbaine, le rapport encadrants-encadrés, la qualité de la formation de ses ingénieurs, de ses médecins, de ses juristes OU de ses philologues, le nombre de ses Prix Nobel, le nombre de ses entreprises spin-off, le nombre de livres dans ses bibliothèques, le nombre de mètres carrés, d’arbres ou de places de parking par étudiant, etc. Mais tous ces classements n’ont que l’intérêt de ce qu’ils représentent et ne sont pas mélangeables ni moyennables. Il faut donc maintenir des classements séparés, pour qu’ils restent réellement informatifs, pour que chacun y trouve exactement ce qu’il cherche, si tant est que c’est à cela que doivent servir les classements…

Le choc ne venait pas de l’initiative compréhensible de notre collègue Tulkens, il venait du traitement de son travail par un hebdomadaire qui ne nous a pas habitués à des dérives sensationnalistes en cette matière et qui n’a guère fait dans le détail cette fois-ci. J’écris par ailleurs au journal pour y défendre ce point de vue.

Placée en 201è position en 2006, l’ULg a échappé au retraitement des données par l’étude de l’UCL qui n’a concerné que les 200 premières institutions selon le THES. Je ne sais donc ce que cela aurait donné mais cela m’importe peu. Quel que soit le sérieux qu’on puisse appliquer à cette manipulation des données, elle reste toujours une manipulation et elle prête forcément le flanc à la critique. On pourra toujours lui reprocher de servir un propos délibéré, surtout quand, dans toute sa subjectivité, elle sert l’institution de l’auteur, suscitant ainsi la suspicion.

Il est temps que les universités s’entendent sur le moyen de donner au public des informations sur leurs qualités et défauts respectifs de la manière la plus objective qui soit, sans faire d’amalgame et sans simplification réductrice.

On ne peut résumer une université à un chiffre et encore moins à une position dans un hit parade.

« Page précédentePage suivante »