dim 20 mai 2007
Petits émois et vrais problèmes
Posté par Bernard Rentier dans Enseignement/Formation , International5 Commentaires
Mauvais procès
J’ai reçu, la semaine dernière, une pétition, également rendue publique par ses signataires sur un site web, dénonçant l’organisation, par une firme de boissons « énergisantes », d’un événement « didactique » sur le campus du Sart Tilman. Les signataires ont trouvé cet événement vulgaire et déplacé, ce qui est parfaitement leur droit. Ils s’interrogent sur les raisons qui m’auraient poussé à encourager une telle activité, signe avant-coureur de la « marchandisation » de notre Institution.
Je leur ai répondu en substance que nous n’y avions pas vu malice, qu’il s’agissait d’une initiative de l’asbl « Restaurants Universitaires » et non de l’ULg elle-même, que le contenu didactique était contrôlé par un collègue physicien et que si cette organisation a manqué son but, voire choqué trop de monde, nous veillerions à plus de vigilance à l’avenir. J’ai aussi précisé que je n’ai nullement l’intention de « marchandiser » l’ULg. Cette activité ne nous a pas rapporté un euro.
Il est en général utile de recevoir des informations de ce type — quoique je me passerais volontiers du ton accusateur et réprobateur — car nous ne pouvons accompagner tout ce qui se passe sur le domaine universitaire et vérifier la qualité de ce qui s’y produit. Que dire des guindailles parrainées par des marques de bière ? Sont-elles de meilleur goût ? Enfin, je ne souhaite pas me poser en censeur permanent, surtout pas d’initiatives qui ne sont pas à priori suspectes.
Ceci étant admis, je souhaite que les signataires de cette pétition décident de prolonger la logique de leur action et prennent l’initiative d’organiser des activités décentes à destination des étudiants. Leur bénévolat permettra d’éviter la présence de sponsors. Il ne s’agit pas d’une boutade, mais d’un appel très officiel. La « Fondation Marcel Dubuisson pour les activités culturelles au Sart Tilman » pourrait d’ailleurs soutenir une telle initiative. Je suis ouvert à toute proposition constructive.
La bolognaise sera-t-elle ratée ?
Si on en vient à parler de la marchandisation des universités et des dérives inégalitaires, il est des indications qui me semblent infiniment plus préoccupantes que celle-là.
J’ai participé cette semaine à Londres, en tant que président du CIUF et du CCOCES, à la Conférence des Ministres Européens de l’Enseignement Supérieur qui a pour but, tous les deux ans, de faire le point sur la mise en place des mesures découlant de la Déclaration de Bologne. J’y ai été frappé par le discours dominant qui parle de compétitivité, de comparabilité, de classements et d’ »employabilité », comme si l’on assistait à un suivi de « Lisbonne » et non de « Bologne ». Seuls quelques intervenants, hormis moi-même, ont relevé l’absence du volet social, finalement réinséré timidement dans le communiqué final.
Essayons de comprendre. Comment des dizaines de milliers d’enseignants, d’encadrants et d’administratifs, en Europe et au-delà, ont-ils trouvé le dynamisme nécessaire pour prendre à bras-le-corps les implications de « Bologne »? Pourquoi donc se sont-ils lancés dans la tâche titanesque de la révision complète des programmes du 1er et du 2nd cycle, ajoutant une année d’études et sacrifiant les DEA et DES pourtant bien utiles?
Etait-ce seulement pour harmoniser les programmes à l’échelle européenne, juste pour le plaisir, au risque de passer au rouleau compresseur sur toutes les aspérités qui faisaient l’originalité et la spécificité des universités européennes?
Non. C’était pour permettre une réelle mobilité des étudiants, avec ce qu’elle comporte d’intérêt pour leur formation et pour leur avenir ainsi que pour permettre aux étudiants de demain de se composer « à la carte » une formation supérieure riche.
Or, huit ans après son lancement, « Bologne » n’a pas fait progresser le moins du monde cette mobilité tant attendue. On ne la voit même pas poindre à l’horizon. Au sein des pays signataires, le pourcentage d’étudiants « mobiles » n’est que de 2,2 %…
Et quelle est donc la cause de cette paralysie ? Les coûts.
Aujourd’hui, les bourses sont trop rares et très insuffisantes par rapport aux dépenses à consentir. La mobilité est clairement corrélée aux moyens dont dispose l’étudiant grâce à sa famille ou, dans certains cas, à son travail.
Alors, devant ce constat que personne ne conteste, il semble que le souci essentiel, voire exclusif que devraient avoir les gouvernements et les parlements des pays impliqués, est la prise en compte de la dimension sociale de cette réforme ambitieuse. Si on ne lui accorde pas les moyens qu’elle nécessite réellement, on va tout droit à l’échec et cet immense chamboulement des études supérieures n’aura vraiment servi à rien.
Rappelons que la fin de la mise en place du processus de Bologne sera sifflée en 2010. Si en 2009, lors de la prochaine réunion des ministres européens concernés qui se tiendra en Belgique, on fait le même constat qu’aujourd’hui, si on se contente de demander aux parents de financer ce que les gouvernements ont prétendu promouvoir, ou pire, si on le demande à des investisseurs privés en échange d’on ne sait quoi, je crains fort qu’on déclare alors ce que je pense déjà aujourd’hui: qu’on n’y arrivera jamais dans les délais,… et que la réunion se solde par une conclusion navrante: « on s’accorde une décennie supplémentaire! »
Deux éléments de commentaires :
1)Concernant l’évènement qui fâche
C’est un peu navrant parfois de constater que certains crient au scandale de la marchandisation quand des évènements — certes organisés par des industriels — sont organisés au sein des campus. J’ai parfois l’impression que ce sont les mêmes qui crient à l’absence de mobilité, or en mon for intérieur je ne puis m’empêcher de penser que, lorsque ce genre de manifestation a lieu, c’est le privé qui s’immisce sans s’ingérer dans l’université, à titre d’échange d’une certaine façon.
Quels sont les risques? A mon sens aucun, si ce n’est d’apporter de l’oxygène à nos sphères nombrilistes — légitimement parfois — universitaires.
Parlons de l’entreprise à l’université, parlons d’apprentissage au sens noble du terme (Apprentis sages).
La gestion d’une manifestation est une gageure en elle même, parfois un défi, et il me semble important que les étudiants se rendent compte que l’université ne fais pas qu’apporter, elle doit recevoir, sous peine de s’enliser dans l’écho du vide de ces grands bâtiments.
Oui, je crois que l’étudiant moyen ne se bouge pas parce que son voisin ne se bouge pas et que certains prennent un malin plaisir à confondre Marketing et Impérialisme économique despotique. A ce rythme, nous serons bientôt la plus molle des institutions en dehors de nos célèbres festivités bibitives qui engagent toujours le même petit nombre des « happy few » comme disait Shakespeare pour contenter la toujours plus grande masse des anonymes assoiffés… Là encore, nous défions les lois du commerce et de l’engagement estudiantin, mais nous sommes toujours si peu de l’autre coté du miroir — rames de gobelets d’une main et pompe de l’autre.
2) Mobilité Universitaire
Je retombe sur mes pattes par mon réquisitoire, la mobilité, ce n’est pas simplement changer de pays, c’est aussi être mobile dans ses choix et ses possibilités d’investissement au sein de son institution. Envoyer les étudiants au quatre coins du monde c’est bien, mais comment avanceront nos réformes nécessaires et de plus en plus occurrentes?
Il ne faut pas se leurrer, la mobilité peut être aussi une grande facilité à aller chercher à coté le moins de travail possible… Les formations compétitives en langues peuvent être également une forme de mobilité. Et quelle compétitivité pour une formation lorsque celle-ci est morcelée entre 4 universités de niveaux différents à programmes adaptés entre le premier et le second cycle?
Pour parler d’écrasante tyrannie du commerce, le « tout, tout de suite », c’est aussi une forme d’hégémonie latente mondialisante. Pourquoi ne pas accepter que l’université est un espace de construction vers l’extérieur ET vers l’intérieur dont les bâtisseurs ne sont pas que les techniques, les scientifiques et les académiques, mais également — et surtout — la masse bruyante, fêtarde et trop invisible des étudiants…
Léonard Théron
Commentaire de Bernard Rentier, le 22 mai 2007 à 10:57sur le blog interne
Le “désenchantement de Bologne” était inscrit dans les astres et les “dérives” prévisibles. Les effets du processus dénoncés à juste titre par Bernard Rentier, auquel j’ajouterais pour faire court la baisse d’exigences induite par la concurrence interuniversitaire au sens commercial du terme, sont peut-être moins des “dérives” qu’une “volonté programmée de marchandisation de l’enseignement supérieur”. Mais le “rouleau compresseur” est lancé et je crains qu’il ne s’accélère sous prétexte que la réforme ne fonctionne pas bien parce qu’elle n’est pas assez poussée. Alors l’adieu définitif à “l’originalité” et à “la spécificité des universités européennes” sera prononcé et l’heure de la compétitivité sauvage aura sonné.
Ma demande d’accès à l’éméritat il y aura bientôt trois ans était fondée sur ce pronostic dont j’aurais sincèrement souhaité qu’il ne s’avère pas. J’en avais fait part publiquement au recteur de l’époque, à mon Département de Langues et Littératures Romanes et aux collègues de la Faculté de Philosophie et Lettres qui, peut-être, s’en souviendront.
Jacques Joset, Professeur émérite
Commentaire de Bernard Rentier, le 22 mai 2007 à 10:58sur le blog interne
Vrais problèmes…. rajoutons en un:
Des manchots et des Hommes
J’ai assisté ce soir à la projection du film « Des manchots et des hommes » dans le cadre de « Exploration du Monde » (voir : http://www.explorationdumonde.be/presse/manchots.pdf)
Un des caméraman, Jérome Maison, brillant, était présent. L’équipe a réalisé également « Le dernier empereur »…
De la meilleure veine.
Nous sommes en Antarctique. Cette calotte glaciaire (-30 à -80°C) posée sur de la roche et qui ressemble à un mycélium géant bien visible sur google earth par exemple.
L’on y apprend que fin février, début mars, les Manchots Empereurs y débarquent.
Ils sont 500.000 répartis là-bas et quittent, à l’âge de la maturité sexuelle (5-6 ans), les eaux profondes pour se rassembler sur la « glace ferme » en groupes de quelques centaines à plusieurs milliers d’individus…
Après une période d’acclimatation de 15 jours, ces oiseaux d’1m20 (debout) et 25 kgs commencent à parader et entamer des chants amoureux.
L’accouplement donne lieu, après 15 jours, à la ponte d’un œuf de 450g par femelle.
Le plus étonnant est que les femelles épuisées transmettent de manière acrobatique l’œuf à leur mâle qui le place dans sa poche de couvaison à lui. Elles quittent ensuite la colonie pour rejoindre à marche forcée, en 6 jours et 6 nuits (dans ce cas ci, 100km) les eaux où elles pourront se rassasier durant 2 mois…
Commence alors pour les mâles une période d’autant de mois de jeûne durant laquelle les œufs sont couvés… donnant lieu à l’éclosion de ceux-ci et l’apparition de frêles « oisillons ».
Fait marquant, en cas de retard de retour des femelles, les mâles, à jeun depuis si longtemps peuvent encore régurgiter pour leurs affamés coquins quelques morceaux d’aliments stockés dans leur poche gastrique…
Ensuite, ce sont les mâles qui quittent le groupe pour aller eux aussi pêcher à 100 kms de là.
A 5 mois, les jeunes accompagnent les adultes qui retournent en eau vive.
Ces animaux qui vivent 40 ans, passent 70% de leur vie dans l’eau, plongent durant 20 minutes à des profondeurs de 500 mètres et survivent sans manger durant des mois et par des températures extrêmes constituent sans doute un must en matière d’évolution et d’adaptation au milieu…
Magnifique me direz vous.
Mais il y a un hic…
La péninsule antarctique, cet épine pointant loin en direction de Ushuaia, si je ne me trompe pas, abrite une colonie bien connue de 700 individus.
Ces dernières années, la température, bien qu’en baisse régulière de 0,2°C par an à cet endroit a commencer à s’élever rapidement.
La distance séparant les manchots des eaux de rassasiement, de même que la localisation des proies ont considérablement été modifiées, à la hausse pour la première, géographiquement pour la seconde.
Les femelles ne revenant pas assez tôt, la plupart des mâles ont ainsi abandonné leurs jeunes en dernière limite pour éviter de mourir de faim eux-mêmes, …
Il reste aujourd’hui 10 Manchots des 700 initiaux à cet endroit précis.
Et alors ? Nous avons tous nos tracas… Il y a même des groupes qui osent vouloir construire un parc scientifique dans le fond de mon jardin penseront d’autres… Des gens meurent de faim un peu plus loin…
Certainement
Par contre, la brique de chacun peut construire l’habitat de tous.
Et si effectivement l’on ne peut traiter -ou participer à la résolution de tous – les problèmes, l’on peut certainement y participer, chacun à sa manière.
Ce film m’a rappelé que l’Université mettait en place une cellule énergie. Il est important de le redire. Et de rappeler aussi qu’en plus d’en être spectateur, comme du film de ce soir ou de son compte rendu, nous pouvons tous en être acteurs et participer à la préservation de notre environnement qui nous est sans doute ce que la glace est aux Manchots… Une terre, glacée ou non, mais indispensable.
Pierre Drion
Commentaire de Drion Pierre
Commentaire de Bernard Rentier, le 25 mai 2007 à 9:23sur le blog interne
Bonjour,
Etudiant à l’Ulg, soucieux du cadre dans lequel j’étudie, et ceci d’autant plus que je commence à y être depuis un moment, je trouve que vous évitez soigneusement de répondre à la question soulevée par cette pétition, en dehors de l’épiphénomène « La gravité sponsorisée par Red-Bull » : Quelle place pour la publicité à l’université? Par exemple, le bâtiment des restaurants universitaire au Sart Tilman est tapissé d’affiches vantant tout et n’importe quoi (du café liègeois au string vert pour faire vendre du soda). Puisqu’il est aparemment utopique de vouloir revenir à la situation préconisée par la loi (interdiction de la publicité dans les établissements scolaires), on pourrait juste commencer par éclaircir la manière dont celle-ci est gérée : Qui décide des espaces dédiés à la pub? Où partent les rentrées générées par ces réclames? Quelles limites existent quant au produit vanté/ au message véhiculé? (entre autre le sexisme et la tendance à la caricature que beaucoup reprochent à la pub)
A toutes ces questions, après plusieurs années à traîner à l’université et dans la représentation étudiante, je n’ai trouvé aucune réponse satisfaisante. C’est peut-être l’occasion ou jamais
C. Jonckheere
Commentaire de Cedric Jonckheere, le 26 mai 2007 à 11:542° Licence en sociologie ULg
Vos questions sont interpellantes en effet. Depuis mon accession au rectorat, j’avoue ne me les être jamais posées.
Les espaces d’affichages sont gérés par l’Administration des Ressources Immobilières sous la supervision de l’Administrateur.
Je n’ai pas connaissance de rentrées financières liées à l’exploitation des espaces publicitaires. Ceux-ci sont mis à disposition par l’Institution pour les affichages divers et, que je sache, l’ULg a toujours eu pour principe d’accorder une très grande liberté à cet affichage, se considérant plus comme une ville (d’adultes) que comme une école. Les excès que vous dénoncez sont d’ailleurs très peu fréquents et se concentrent plus dans un bâtiment comme celui des restaurants.
Mon principe vaut ce qu’il vaut, mais il est d’exercer un contrôle discret, d’ailleurs opéré par les membres de l’institution qui enlèvent spontanément les affichages obscènes ou anti-démocratiques. Le sexisme et la tendance à la caricature sont des caractéristiques, hélas, de la publicité contemporaine. En fait, ils ont toujours existé mais aujourd’hui, ils témoignent clairement d’une volonté de provocation. On peut le déplorer. Doit-on pour autant pratiquer la censure? Personnellement, j’y répugne profondément. J’ai toujours considéré les étudiants, qui ont le droit de vote dès 18 ans, comme des adultes bien assez mûrs pour qu’on ne doive les protéger des méfaits de la pub plus qu’ailleurs, en ville, sur les routes ou dans les journaux. L’Université est un microcosme quasi représentatif de la Société. Je ne suis pas pour qu’on en fasse un cocon abrité de tout.
Il serait intéressant de savoir si ce que vous dénoncez heurte beaucoup de monde. Pour ma part, c’est la première fois que j’y suis confronté, on ne peut donc parler de scandale permanent! Je vais néanmois faire procéder à une petite enquête sur ce sujet.
J’ai été frappé par l’article enthousiaste des étudiants dans le nouveau numéro du P’tit Torê concernant le Red Bull Gravity Challenge…
Commentaire de Bernard Rentier, le 27 mai 2007 à 11:43Les avis les plus divers se côtoient donc à propos des mêmes choses, et c’est très bien ainsi. Que chacun continue à vanter ou dénoncer ce qui lui plaît ou déplaît selon son opinion, c’est ainsi que le débat existera et lui, je ne veux en aucun cas le censurer.