Mauvais procès

J’ai reçu, la semaine dernière, une pétition, également rendue publique par ses signataires sur un site web, dénonçant l’organisation, par une firme de boissons « énergisantes », d’un événement « didactique » sur le campus du Sart Tilman. Les signataires ont trouvé cet événement vulgaire et déplacé, ce qui est parfaitement leur droit. Ils s’interrogent sur les raisons qui m’auraient poussé à encourager une telle activité, signe avant-coureur de la « marchandisation » de notre Institution.

Je leur ai répondu en substance que nous n’y avions pas vu malice, qu’il s’agissait d’une initiative de l’asbl « Restaurants Universitaires » et non de l’ULg elle-même, que le contenu didactique était contrôlé par un collègue physicien et que si cette organisation a manqué son but, voire choqué trop de monde, nous veillerions à plus de vigilance à l’avenir. J’ai aussi précisé que je n’ai nullement l’intention de « marchandiser » l’ULg. Cette activité ne nous a pas rapporté un euro.

Il est en général utile de recevoir des informations de ce type — quoique je me passerais volontiers du ton accusateur et réprobateur — car nous ne pouvons accompagner tout ce qui se passe sur le domaine universitaire et vérifier la qualité de ce qui s’y produit. Que dire des guindailles parrainées par des marques de bière ? Sont-elles de meilleur goût ? Enfin, je ne souhaite pas me poser en censeur permanent, surtout pas d’initiatives qui ne sont pas à priori suspectes.

Ceci étant admis, je souhaite que les signataires de cette pétition décident de prolonger la logique de leur action et prennent l’initiative d’organiser des activités décentes à destination des étudiants. Leur bénévolat permettra d’éviter la présence de sponsors. Il ne s’agit pas d’une boutade, mais d’un appel très officiel. La « Fondation Marcel Dubuisson pour les activités culturelles au Sart Tilman » pourrait d’ailleurs soutenir une telle initiative. Je suis ouvert à toute proposition constructive.

La bolognaise sera-t-elle ratée ?

Si on en vient à parler de la marchandisation des universités et des dérives inégalitaires, il est des indications qui me semblent infiniment plus préoccupantes que celle-là.

J’ai participé cette semaine à Londres, en tant que président du CIUF et du CCOCES, à la Conférence des Ministres Européens de l’Enseignement Supérieur qui a pour but, tous les deux ans, de faire le point sur la mise en place des mesures découlant de la Déclaration de Bologne. J’y ai été frappé par le discours dominant qui parle de compétitivité, de comparabilité, de classements et d’ »employabilité », comme si l’on assistait à un suivi de « Lisbonne » et non de « Bologne ». Seuls quelques intervenants, hormis moi-même, ont relevé l’absence du volet social, finalement réinséré timidement dans le communiqué final.

Essayons de comprendre. Comment des dizaines de milliers d’enseignants, d’encadrants et d’administratifs, en Europe et au-delà, ont-ils trouvé le dynamisme nécessaire pour prendre à bras-le-corps les implications de « Bologne »? Pourquoi donc se sont-ils lancés dans la tâche titanesque de la révision complète des programmes du 1er et du 2nd cycle, ajoutant une année d’études et sacrifiant les DEA et DES pourtant bien utiles?
Etait-ce seulement pour harmoniser les programmes à l’échelle européenne, juste pour le plaisir, au risque de passer au rouleau compresseur sur toutes les aspérités qui faisaient l’originalité et la spécificité des universités européennes?

Non. C’était pour permettre une réelle mobilité des étudiants, avec ce qu’elle comporte d’intérêt pour leur formation et pour leur avenir ainsi que pour permettre aux étudiants de demain de se composer « à la carte » une formation supérieure riche.

Or, huit ans après son lancement, « Bologne » n’a pas fait progresser le moins du monde cette mobilité tant attendue. On ne la voit même pas poindre à l’horizon. Au sein des pays signataires, le pourcentage d’étudiants « mobiles » n’est que de 2,2 %…

Et quelle est donc la cause de cette paralysie ? Les coûts.
Aujourd’hui, les bourses sont trop rares et très insuffisantes par rapport aux dépenses à consentir. La mobilité est clairement corrélée aux moyens dont dispose l’étudiant grâce à sa famille ou, dans certains cas, à son travail.

Alors, devant ce constat que personne ne conteste, il semble que le souci essentiel, voire exclusif que devraient avoir les gouvernements et les parlements des pays impliqués, est la prise en compte de la dimension sociale de cette réforme ambitieuse. Si on ne lui accorde pas les moyens qu’elle nécessite réellement, on va tout droit à l’échec et cet immense chamboulement des études supérieures n’aura vraiment servi à rien.

Rappelons que la fin de la mise en place du processus de Bologne sera sifflée en 2010. Si en 2009, lors de la prochaine réunion des ministres européens concernés qui se tiendra en Belgique, on fait le même constat qu’aujourd’hui, si on se contente de demander aux parents de financer ce que les gouvernements ont prétendu promouvoir, ou pire, si on le demande à des investisseurs privés en échange d’on ne sait quoi, je crains fort qu’on déclare alors ce que je pense déjà aujourd’hui: qu’on n’y arrivera jamais dans les délais,… et que la réunion se solde par une conclusion navrante: « on s’accorde une décennie supplémentaire! »