Une étude réalisée par des chercheurs du centre de recherche PME de HEC-ULg révèle que les spin-off universitaires wallonnes manquent de souffle et que, si elle sont nombreuses, à Liège en particulier, elles ne manifestent que beaucoup trop rarement l’audace qui fait les croissances rapides et importantes. La presse s’est emparée du sujet, chaque journaliste y ajoutant son interprétation, allant parfois bien au-delà des conclusions de l’étude elle-même, voire à l’opposé des données objectives elles-mêmes (L’Echo, P.3 le 2 mai; Le Soir, p.26 et Vers l’Avenir, p.8 le 3 mai; Trends/Tendances, pp.14-15 le 10 mai; La Libre Belgique, p.23 le 22 mai).

Trop de spin-off?
Qu’en est-il, en particulier à Liège, où l’Université s’est impliquée résolument dans ce processus? En effet, depuis 1981, l’ULg est à la base de la création de 82 entreprises de tous calibres, dont 62 sont actives actuellement. En 1999, nous avons mis en place un système d’accompagnement à la création des spin-off, et depuis lors, 45 nouvelles entreprises ont créé 205 emplois à Liège: sont-ce des emplois superflus? sont-ce, comme le suggère le rapport, des emplois de substitution pour universitaires frustrés en mal de carrière académique? D’une part, l’affirmer serait faire injure aux entrepreneurs qui se sont lancés dans l’aventure et à tous ceux qui construisent ces entreprises de demain. D’autre part, il n’existe pas d’emplois inutiles.

Une croissance trop lente?
Eurogentec, une des success stories liégeoises, qui occupe environ 300 personnes ici, mais aussi en Asie et en Amérique, a fêté ses 20 ans. Après 10 ans, sur base du rapport s’il était sorti à l’époque, on aurait montré du doigt cette société pour la lenteur de sa croissance. Il en aurait été de même pour Samtech (200 emplois) qui a le même âge à peu de chose près. Mithra (27 emplois) vient d’annoncer ses résultats (7,25 M€), Kitozyme lance son usine aux Hauts Sarts le 1er juin prochain, Nanocyl fera de même à Sambreville un peu plus tard, Quality Partner emploie 40 personnes à Herstal depuis 5 ans environ. Toutes ces entreprises ont besoin de temps pour achever la phase de maturation du projet, rendre leur technologie crédible pour un investisseur, faire la preuve de leur adéquation au marché qui souvent, est encore à créer. Cette phase de croissance souvent lente est indispensable. En Région Wallonne, elle est financée dans l’entreprise généralement créée très tôt, et non à l’Université. Il faut donc à une entreprise spin-off, plus de temps en Wallonie qu’en Flandre pour arriver à la phase de commercialisation. On pourrait dire que le défaut principal des spin-off wallonnes, c’est d’être des bébés prématurés, qui accusent une certaine lenteur de croissance. C’est en réalité le manque de disponibilité de fonds permettant une gestation plus longue — donc la mise au monde d’une entreprise moins fragile — qui provoque généralement ces naissances précoces. Et ce syndrome financier est plus marqué chez nous que chez nos voisins du Nord.

Une croissance obligée?
Certaines spin-off sont petites et le resteront probablement : Pro Fish Technologies, créée il y a 2 semaines, est de celles-là. Elle reçoit un accompagnement très mesuré de notre part est financée entièrement par des investisseurs privés. Elle a, comme toute entreprise, la vocation d’être profitable et utile, mais nullement de grandir à forte vitesse. C’est très clair dès le départ, il ne s’agit pas d’un manque d’ambition, mais d’une autre ambition que celle de la croissance à tout prix. D’autres spin-off n’entrent pas dans ce schéma et ont besoin d’un accompagnement renforcé, comme le suggère le rapport. C’est exactement pour donner un tel accompagnement qu’en 2003 a été créée SEED, devenue CIDE en 2005 : une équipe de professionnels capables de coacher les projets les plus prometteurs. Le rapport suggère des aides plus fortes sur moins de projets. C’est exactement la raison d’être de CIDE. Certains projets très technologiques, tels que ceux que génèrent la recherche spatiale ou biotechnologique, ont besoin d’accélérateurs de croissance, et c’est pour cela que la Région wallonne a créé WSL, incubateur spatial et WBC, incubateur biotech. A Liège, une des principales recommandations du rapport est déjà en place, car le portefeuille de projets permettait une telle différenciation qualitative et quantitative de l’aide apportée. Beaucoup de projets sont donc nécessaires si l’on veut développer des approches différenciées.

Des financements trop publics?
Lors de la création d’une spin-off de l’ULg, celle-ci apporte et valorise sa technologie via Gesval (l’ULg n’apporte jamais d’argent, mais du savoir faire valorisable en actions), et le fonds d’investissement Spinventure injecte de l’argent frais, à côté d’investisseurs para-publics, privés ou industriels. Depuis 1999, Gesval a apporté l’équivalent d’1 million d’€ de technologies dans les spin-off, Spinventure y a investi 2 millions d’€. Cela a permis de mobiliser un total de 22 millions d’€ de capitaux dont 68% sont privés. On y voit clairement un effet de levier et non un éteignoir.
Il est évident que, faisant de la recherche pour améliorer leurs produits, ces spin-off font souvent appel à des aides aux PME, comme n’importe quelle autre PME. Il n’y a là rien de critiquable.

Un esprit entrepreneurial trop rare?
Certains chercheurs font preuve de cet esprit. En faisant de la recherche, ils acquièrent le virus et n’ont de cesse de lancer leur entreprise. C’est fort bien. Certains en ont même la capacité. Pas tous, c’est bien normal. Beaucoup, sinon tous, ont besoin d’être encadrés par des professionnels compétents, une évidence qui ne heurte personne quant elle est transposée dans le monde des grands sportifs. Cet encadrement est déjà donné aux jeunes dans notre Ecole de Gestion (HEC-ULg). Les conseils d’administration des spin-off doivent veiller à l’amplification adéquate de l’équipe managériale, et c’est exactement notre pratique à l’ULg. Enfin, il est difficile d’espérer développer chez les jeunes un esprit entrepreneurial et un goût pour la prise de risque dans une région où, culturellement, l’échec commercial est réprouvé et montré du doigt. Tant que cet esprit étriqué prévaudra, il demeurera inutile de nous prendre pour la Californie.

Un constat trop pessimiste
On ne peut nier les informations et les données objectives du rapport. Les faits sont là. C’est avec leur interprétation et les conséquences à en tirer qu’on peut ne pas être d’accord. On n’y trouve pas de surprise lorsqu’on possède une longue expérience de la création d’entreprises et la plupart de ses recommandations sont déjà dépassées par les faits et la pratique dans notre université.
On peut cependant opérer un vrai constat: si l’université avait les moyens d’héberger plus longuement en son sein les projets prometteurs, les accompagner plus loin dans le processus de maturation, en faire plus complètement la preuve de principe, la plupart des différences s’estomperaient. La taille de l’entreprise serait plus grande à sa naissance, le capital de départ serait plus élevé, des managers plus expérimentés s’y intéresseraient, des investisseurs plus diversifiés y participeraient, la croissance serait plus rapide. Le rapport relève cette lacune, mais n’en mesure pas suffisamment les conséquences pratiques, sur le terrain.

L’Université de Liège n’a pas à rougir des sociétés qu’elle contribue à mettre sur pied, petites ou grandes. Il ne faut évidemment pas se tromper de méthode, ni d’échelle, mais tout projet abordé avec rigueur mérite de voir le jour, toute entreprise mérite de naître quand elle est sous-tendue par un vrai projet. Et tout projet très prometteur, à haut potentiel de croissance, doit recevoir un traitement spécifique.

Nées avant terme
J’aurais préféré que les conclusions de ce rapport, sans remettre en cause l’étude, soient moins négatives, moins décourageantes. J’aurais aimé que le traitement que lui a donné la presse soit moins défaitiste, participe moins à la sinistrose wallonne — maladie chronique régionale dont nous avons décidément bien du mal à guérir — car je suis convaincu que des articles comme ceux-là détruisent plus rapidement et plus radicalement le goût d’entreprendre des jeunes wallons que tous les efforts consentis pour le construire.

Pour moi, la conclusion de tout ceci, c’est simplement que nos universités enfantent des prématurés qui ont souvent du mal à croître rapidement et ce constat devrait permettre d’imaginer des remèdes relativement simples. C’est ce message-là qui aurait dû passer.