mars 2010


« Monsieur le Recteur,

J’ai terminé mes études de Médecin vétérinaire en 2004. J’ai ensuite réalisé une thèse de doctorat dans le laboratoire des Professeurs Lekeux et Bureau, thèse que j’ai défendue l’année passée. J’effectue actuellement un post-doctorat à la Harvard Medical School, d’où je peux continuer à suivre ce qui se passe dans mon Institution d’origine, notamment grâce à votre blog.

J’ai eu le bonheur d’être porte-drapeau (2002), trésorier (2003) et président (2004) de la Société Générale des Etudiants en Médecine Vétérinaire et je ne peux donc pas vous cacher que je suis profondément scandalisé par certains commentaires écrits sur votre blog. J’ai tenté d’y publier une réponse mais je n’y suis pas parvenu, peut-être est-elle trop longue? Je vous l’envoie donc, légèrement modifiée, par courrier électronique (ainsi qu’en copie à Monsieur le Doyen de la Faculté de Médecine vétérinaire). En guise de préambule, je tiens à préciser que ma réaction n’a pas pour but d’attaquer quelqu’un en particulier mais juste d’apporter une réponse à des commentaires et des sous-entendus maintes fois évoqués lorsqu’est initié un débat sur les baptêmes, particulièrement le nôtre. Il s’avère également que certains représentants de l’AGEL n’hésitent pas à utiliser la calomnie. Je constate d’ailleurs que l’attitude de ceux-ci n’a guère évolué depuis que j’ai terminé mes études, mais cela ne me surprend pas… Veuillez donc avoir l’obligeance d’excuser le ton un peu provocateur qui ne vous est évidemment pas destiné. »

« A tous,
Personnellement, j’ai un peu de mal à comprendre comment un tragique accident survenu au cours d’une soirée organisée par l’AGEL (c’est-à-dire l’organisation encadrant les activités des comités de baptême de Liège, à l’exception des vétérinaires) peut dévier aussi rapidement sur le « fameux » baptême vété. Une diversion? Un exutoire? Certains imaginent peut-être échapper à leur propre autocritique en cherchant un bouc-émissaire facile (juste une hypothèse formelle, bien entendu)? « Quoi un problème de sécurité dans nos activités? mais mon bon monsieur, tout cela est évidemment de la faute de ces abominables baptisés de Cureghem! »
Et bien soit, parlons un peu de ce baptême alors. La sécurité, d’abord. Qui peut nier que depuis de nombreuses années, les responsables étudiants vétérinaires prennent des initiatives significatives afin d’améliorer celle-ci. Entre autres, et à titre d’exemples, les forfaits « bob » (avec contrôle associé), les nombreux lifts gratuits mis à disposition, et plus récemment encore, les contrôles d’alcoolémie obligatoires lors des activités de baptême afin d’être autorisé reprendre sa voiture… A moins que les choses aient bien changé depuis que j’ai terminé mes études, quelle autre comité, à Liège ou ailleurs, peut en dire autant?
Quant au baptême en lui-même, je ne chercherai pas en brosser un portrait idyllique mais simplement à rétablir certaines vérités. Les baptisés non vétérinaires se délectent à mettre en avant le caractère exigeant du « baptême Cureghem ». En interne, nous sommes plutôt fiers d’autres caractéristiques. Une structure hiérarchisée et organisée avec un règlement strict, accompagné de sanctions sévères en cas d’éventuels dérapages… Un accès au parrainage qui, lui, est particulièrement exigeant : l’obligation d’être en dernière année, une sélection organisée par les comités pour écarter les individus potentiellement dangereux et enfin un investissement humain et financier considérable pendant les 3 semaines d’activités de bleusaille. Je rappelle que les bleus vétés ne paient ni les activités (folkloriques mais aussi bien souvent bowlings, cinémas ou encore week-end aventure) ni leur nourriture ni leurs boissons pendant cette période. Il est tellement plus facile de faire boire quelqu’un qui doit payer lui même ses consommations… Aucune activité pouvant être, à tort, assimilée à une humiliation n’est organisée en public. Et enfin, contrairement à de nombreux baptêmes liégeois ou autres (à moins, encore une fois, que ceux-ci n’aient fortement évolué), aucune, absolument aucune activité à connotation sexuelle n’est tolérée à «  »Cureghem »! Quant aux activités pouvant être cataloguées de « dégoûtantes », croyez-moi, celles-ci sont très vite relativisées quand vous êtes amenés à autopsier un animal mort depuis plusieurs jours ou à réaliser une embryotomie sur un veau putréfié…
Je crois qu’il est bon également de rappeler ici le but ultime d’un baptême étudiant. Il ne s’agit ni d’ingurgiter le plus de bières possibles, ni d’avoir un nouveau couvre-chef pour parer aux mauvaises conditions climatiques ou encore moins d’acquérir le droit de hurler sur de pauvres victimes l’année suivante. Il existe bien sûr un aspect initiatique à un réel folklore dans le baptême étudiant, mais il s’agit surtout de rencontrer et d’apprendre à connaître un maximum de personnes. A mes yeux, le baptême doit donc être organisé afin de faciliter cet objectif (pas inutile dans des amphis de parfois plusieurs centaines d’étudiants). Il s’agit donc d’atteindre un pourcentage d’intégration suffisamment élevé pour être efficace. Ceci est particulièrement vrai chez nous. J’en profite pour récuser l’accusation selon laquelle nos bleus seraient particulièrement martyrisés. J’ai eu l’opportunité, pendant mes études, de participer à diverses activités folkloriques, que ce soit dans d’autres facultés à Liège, Bruxelles, Louvain-la-Neuve, Mons, Huy, Gembloux ou Gand et, bien qu’il soit difficile, même pour un baptisé, de juger le degré de difficulté d’un baptême que l’on ne connait pas entièrement, je n’ai jamais eu l’impression que nos activités étaient particulièrement éprouvantes. Pensez-vous que ce baptême soit si inhumain alors qu’il intègre (et je pense de loin) le plus grand nombre et le plus grand pourcentage d’étudiants en Belgique? Mais j’entends déjà certains jaloux avancer leurs arguments nauséeux alors je souhaite insister sur un point crucial: les étudiants vétérinaires ayant choisi de ne pas faire leur baptême n’ont absolument pas moins de droit que tout autre étudiant de l’ULg. L’accès aux activités organisées par l’Université, aux TPs, aux TDs, aux cours, aux élections à des conseils représentatifs au sein de l’Institution, aux syllabi (imprimés bénévolement par des étudiants baptisés, ce qui leur demande un investissement en temps considérable) est évidemment un droit pour tout étudiant et est clairement garanti pour tous. Comment peut-on, ne fut-ce qu’un instant, réellement imaginer qu’il en soit autrement? Dès lors, il n’existe aucun inconvénient pour ses études à choisir de ne pas faire son baptême à la FMV. Par contre, il est évident, que les étudiants ayant choisi de s’intégrer via le baptême vont bénéficier de certains avantages… Mais est-il illégitime, lorsque l’on organise, parfois plusieurs mois à l’avance, une activité privée de choisir qui sera invité? Est-il illégitime, lorsque l’on passe de nombreuses soirées à rédiger une version personnelle d’un syllabus ou à collecter certains « tuyaux », de choisir qui peut bénéficier du fruit de son travail? Si c’est le cas, alors je crois que nous vivons tout simplement dans des mondes différents et nous ne pourrons jamais nous comprendre. Il me paraît donc clair que les non baptisés ne souffrent d’aucune discrimination dans le cadre de leurs études… Néanmoins, je n’ai aucun tabou vis-à-vis des mots de la langue française, alors si vous souhaitez, à tout prix, continuer à associer le mot discrimination au baptême vété, il est plus correct de parler de discriminations positives à l’égard de ceux qui ont choisi de faire leur baptême mais en aucun cas d’évoquer des discriminations négatives envers ceux qui ont fait le choix contraire car ceux-ci, j’enfonce le clou, bénéficient des mêmes droits que tout autre étudiants à l’ULg! A titre personnel, je trouve qu’il est d’ailleurs bien symptomatique de notre société actuelle de consommation, que certains estiment avoir le droit de tout recevoir sans jamais faire d’efforts ou investir un peu de temps et d’énergie pour les autres…
Enfin, n’étant plus membre du personnel scientifique de l’ULg, je me sens moins tenu par un devoir de réserve vis-à-vis des étudiants de l’Institution, et je terminerai donc en émettant une opinion certainement plus polémique. Il nous a été (et est toujours je crois) souvent reproché que les représentants étudiants vétérinaires aux différents conseils de l’Université sont très majoritairement baptisés. Je pense qu’il s’agit d’une approche erronée du problème… J’ai, moi, toujours été étonné que les candidats à des élections, ouvertes à tous et annoncées en amphi, soient presque exclusivement constitués d’étudiants baptisés. Quelqu’un aurait-il un début de piste? Je peux même ajouter qu’il est régulièrement arrivé que les responsables baptisés prennent l’initiative de contacter des étudiants non baptisés afin de les sensibiliser à la problématique de la représentation étudiante et de les persuader de se porter candidat pour que tout le monde se sente vraiment représenté au sein des différents conseils et, par la même occasion, éviter de subir un reproche facile mais surtout faux…
Voilà, je suis bien conscient d’avoir été particulièrement long mais ce sujet me tenait à cœur. Je vous remercie de m’avoir lu et vous prie de pardonner un ton peut-être parfois un peu agressif assez difficile à éviter lorsque l’on débat d’un sujet passionnel.

Denis Bedoret.
Ancien président, trésorier et porte-drapeau de la Société Générale des Etudiants en Médecine Vétérinaire. »

« Persuadé que vous saurez restaurer la vérité dans ce débat, je vous prie d’agréer, Monsieur le Recteur, l’expression des mes salutations distinguées.

Denis Bedoret »

En 2009, l’équipe de Reflexions a mis en ligne 85 articles « A la une », 15 « Science en s’amusant » (dont 5 Doc’cafés) et 10 « Décryptages ». Le site va mettre en ligne son 200e article « A la une » en un peu plus de 2 ans de fonctionnement, dressant le portrait de près de 230 chercheurs et enrichissant son glossaire de 575 termes. Depuis un an, il a reçu plus de 160.000 visites de 158 pays, soit 13.000 par mois, 18.000 environ ces deux derniers mois.
C’est un remarquable succès, qui fait de Reflexion un outil exceptionnel de documentation scientifique dans tous les domaines, utile pour les étudiants et enseignants du secondaire, les étudiants universitaires et tous ceux qui le souhaitent. C’est également une très belle vitrine de la recherche à l’ULg.

Le débat lancé précédemment sur les festivités estudiantines a fait beaucoup de bruit, non seulement sur mon blog, mais également dans la presse. Outre les articles sur le sujet publiés par divers quotidiens, j’ai fait l’expérience intéressante d‘un « chat » en direct sur le site web de La Meuse.
Cette discussion a confirmé les questions fréquemment posées sur le sujet et, une fois encore, la diversité des opinions.
J’ai recopié (et mis en ordre, car les questions se bousculent sur le « chat ») l’ensemble de l’échange dans le commentaire ci-dessous.

Au Chili, le 27 février, le tremblement de terre et le tsunami qui a suivi ont provoqué le désastre que l’on sait dans la région du Biobio: aux dernières nouvelles, environ 500 morts identifiés (probablement beaucoup plus en réalité), un million de bâtiments détruits ou endommagés, d’innombrables écoles, hôpitaux, routes et ponts anéantis. Et peut-être plus encore que par tout ce désastre, nos amis chiliens ont été choqués par les scènes de pillage qui ont déshonoré la ville de Concepción, proche de l’épicentre…

C’est là que se trouve une université avec laquelle nous entretenons des relations de collaboration depuis près de quarante ans. J’ai eu le plaisir de la visiter il y a un peu plus d’un an avec une délégation de l’ULg et de donner une impulsion pour une amplification de notre travail commun. Divers programmes sont venus s’ajouter et commençaient à voir le jour.

Nous n’avons pu reprendre contact avec l’Université de Concepción (UdeC) que jeudi, près de deux semaines après le sinistre, pour découvrir l’ampleur de la catastrophe, comme nous le craignions au vu des reportages provenant de la région. Concepción s’est déplacée de plus de 3 mètres vers l’ouest. L’UdeC a été durement frappée, on y pleure deux étudiants et deux membres du personnel. Ses infrastructures ont été gravement endommagées. La Faculté des Sciences chimiques a entièrement brûlé, celle de Dentisterie est également détruite, la grande Bibliothèque le serait aussi, mais tous les bâtiments ont souffert du séisme à des degrés divers et les dégâts au matériel et aux équipements sont considérables. Le retour à la normale prendra incontestablement très longtemps et coûterait, selon les premières estimations, plus de 50 millions de dollars… Le personnel de l’UdeC reprendra ses activités dès demain, lundi 15 mars et les cours recommenceront en avril, après Pâques.

Là-bas, nos collègues comptent sur nous pour les aider au mieux. Nous tentons actuellement d’évaluer le soutien que nous pourrions leur apporter, en termes de matériel, produits et réactifs perdus en raison de l’absence d’électricité, mais également d’accueil pour les étudiants en cours de doctorat, par exemple. Actuellement, quatre étudiants de l’UdeC ont entamé un doctorat chez nous: trois en Sciences de l’Ingénieur et un en Sciences biomédicales et pharmaceutiques.

Beaucoup de membres de la communauté universitaire liégeoise m’ont sollicité pour savoir ce que l’on pouvait faire. Sans contact depuis deux semaines, il était difficile de se prononcer. Maintenant, les choses deviennent plus claires. Nos collègues chiliens vont nous envoyer des listes de besoins. L’Université du Chili à Santiago, avec laquelle nous avons également des collaborations, a provisionné un fonds de secours qui pourra prendre en charge les frais de transport des produits et leur dédouanement.

De notre côté, le professeur ordinaire émérite Pierre Beckers, un familier de l’UdeC depuis le début des années ’70 et à qui nous avions confié la coordination des collaborations ULg-UdeC, se tient prêt à centraliser nos idées, vos idées, quant au soutien à apporter. Il a accepté d’assurer une mission de l’ULg sur place dès que possible et de présider dès à présent un groupe de travail que nous créons pour gérer cette action. Il peut être contacté à l’adresse suivante: pierre.beckers@ulg.ac.be (copie à cabinet.recteur@ulg.ac.be).
Merci d’avance pour votre mobilisation.

Le débat sur le billet précédent ayant suscité des réactions-fleuve de lecteurs et des réponses-fleuve de ma part, voici un résumé de mes opinions sur la question:

1. Je n’ai rien contre les activités folkloriques pour autant qu’on y évite tout débordement. Les organisateurs doivent assumer leurs responsabilités.

2. Je n’ai rien contre les baptêmes pour autant qu’ils ne deviennent pas la condition de la réussite d’un étudiant et qu’ils évitent les comportements humiliants en public. Si de tels comportements sont subis avec consentement et qu’il ne s’agit clairement que d’un jeu bien compris par les « bleus », je n’y vois pas (trop) malice, mais je ne souhaite pas que ceci soit interprété au premier degré par un public non averti auquel un tel spectacle est donné malgré lui. Sans tomber dans l’hypocrisie, une certaine discrétion s’impose. En particulier, je suis opposé à de telles démonstrations qui entravent l’entrée principale du bâtiment central de l’Université. Mais je ne souhaite pas non plus qu’un confinement discret dissimule des comportement indignes.

3. Je sais que, quel que soit l’emplacement trouvé pour l’organisation de soirées ou d’événements culturels, on n’éliminera jamais complètement les dangers d’accident, ni au sein même de l’activité, ni sur le chemin du retour, ce n’est donc pas une raison pour bannir toute forme de divertissement. Le risque zéro n’existe pas.

4. Je suis d’accord de réfléchir sur un éventuel emplacement pour les festivités estudiantines. Il ne me semble cependant pas que l’université — qui peine à maintenir en bon état son patrimoine immobilier et qui, en douze ans n’a pu construire qu’un seul édifice: le nouveau restaurant — puisse se permettre de prendre à sa charge l’édification d’un « bunker à guindailles ». Au risque de paraître ennuyeux, je considère que de tels moyens seraient mieux utilisés pour améliorer les conditions d’étude, tant au Sart Tilman qu’en ville. Les étudiants universitaires ne représentent d’ailleurs qu’une partie du public étudiant concerné. Mais si les fonds sont disponibles par ailleurs, je suis prêt à discuter d’un emplacement éventuel.

5. Les comportements que je stigmatisais dans le billet précédent n’ont rien à voir avec le folklore estudiantin ni avec les soirées festives. Il ne faut donc pas faire d’amalgame. Tout au plus en sont-ils un dérapage incontrôlé,. Dans le cas de graves déprédations lors de vacances en groupe, ils n’ont strictement rien à voir, ni avec le folklore, ni avec le divertissement sain.

6. Je suis ouvert à la discussion sur tout. Le Conseil de la Vie Etudiante (CVE) récemment installé me semble constituer, au sein de l’ULg, le forum idéal pour aborder l’ensemble de ces sujets que je suis d’accord de ne pas amalgamer: cortèges folkloriques (St Nicolas, St Torè), soirées sous chapiteau, baptêmes et démonstrations publiques, conciliation entre activités estudiantines et image institutionnelle (cela peut être tout-à-fait compatible), lutte contre les assuétudes et en particulier l’alcoolisme; tout ceci indépendamment des autres sujets traités au CVE, tels que les logements, les transports, etc.

J’espère que ceci clarifie ma position.

Dans le charmant petit athénée champêtre où j’ai fait mes études secondaires, le directeur-préfet — un homme aux dehors bourrus mais chez qui plusieurs signes nous ont finalement indiqué qu’il avait plus grand cœur que ses attitudes martiales et autoritaires ne le laissaient penser — décida un jour qu’il était interdit de jouer au ballon dans la cour de récréation. Nul bris de vitre, nulle urgence à l’infirmerie n’avait précipité cette décision suprême… c’était comme ça, point final. La contravention ne se fit pas attendre: l’interdiction donnait même une attractivité particulière à un jeu pourtant négligé par beaucoup d’entre nous, en temps ordinaire, et nous inventâmes toutes sortes de jeux de balle clandestins qui eurent vite du succès. Non pas que nous ayons éprouvé une passion particulière pour ces jeux, mais nous détestions l’interdiction. Déjà, bien avant ’68. La sanction fut immédiate: tout le monde fut puni et nous dûmes passer l’heure de midi à tourner en carré, en rang par deux, dans la cour. Un professeur peu amène dont la satisfaction sadique éclairait le visage réjoui se trouva investi du rôle de garde-chiourme, planté au milieu de la cour, prêt à aggraver la peine de celui qui oserait rompre l’ordonnancement improvisé de cette belle manifestation de discipline. Après quelques minutes de ce manège qui en rappelait d’autres, bien plus graves, une dame toute menue, un professeur de morale, croisa les rangs et avança droit sur son collègue (que nous avions déjà, avec notre humour instantané de potache, traité à voix basse de « sauvage central »), se souleva sur la pointe de pieds et lui mit une claque bien sonnante en pleine figure en le traitant de « nazi ». Ceci eut pour effet de dissoudre le double rang et d’éparpiller tout le monde en une fin de récréation plutôt calme. Nous eûmes l’élégance de ne pas relancer de ballon…

Cette anecdote me revient souvent à l’esprit, comme une belle démonstration de divers aspects importants de la relation d’autorité, en particulier l’inefficacité de l’abus de pouvoir stupide et l’injustice de la sanction collective disproportionnée.

Notre université a été récemment endeuillée par la noyade accidentelle d’un de nos étudiants lors d’une fête estudiantine organisée par une association d’étudiants de l’Enseignement supérieur dans un chapiteau dressé au Val Benoît. Nous en avons tous été très sincèrement consternés. Mon propos ici ne sera pas de chercher les responsabilités. Le monde est rempli d’endroits dangereux, les fêtes estudiantines sont toujours très arrosées, les jeunes adultes majeurs dont les actes sont habituellement responsables cèdent naturellement aux excès de ces soirées, il n’est donc pas surprenant que des accidents stupides arrivent. Le chapiteau est planté sur un terrain dont l’Université est encore propriétaire et les abords du fleuve qui coule à proximité ne sont guère sécurisés à cet endroit. Personne n’est satisfait de cet emplacement, dont nous avons souligné à maintes reprises les dangers: la voie rapide, la Meuse proche, etc. Par ailleurs, la Ville et l’Université ont reçu la demande d’autorisation de la part des organisateurs plus d’une semaine après le drame.

Suite à cet accident, j’ai reçu un abondant courrier, unanime quant à ma non-responsabilité, mais suggérant paradoxalement que je « fasse quelque chose ». On sent le malaise. Et revenait invariablement la notion d’interdiction, me rappelant ainsi l’anecdote de l’athénée. De toute façon, la seule chose que je puisse interdire à des majeurs en l’occurrence, c’est l’utilisation de l’emplacement. Tout le reste sort de ma compétence. Je ne puis interdire les « guindailles », baptêmes et autres libations et ce n’est pas, vous l’aurez compris, ma philosophie en cette matière. Je suis même tellement conscient de cette impuissance bien assumée, que j’ai proposé l’utilisation d’un terrain sécurisé dans le domaine du Sart Tilman. Je me sentais évidemment coincé comme un parent à qui sa fille demande si elle peut prendre « la pilule »: résolu à protéger mais pas vraiment prêt à admettre… On n’est jamais gagnant dans ce dilemme. Mais la proposition fut refusée car elle était « trop ULg » (la majorité des « guindailleurs » est non-universitaire) et puis elle ne réglait pas le moins du monde le problème des risques en les reportant au moment du retour vers la ville, on ne sait dans quel état ni par quels moyens…

Aujourd’hui, le chapiteau du Val Benoît est « sécurisé », entouré d’une haute grille qui lui donne des airs de centre fermé, ou de parc à bestiaux, mais que pouvait-on faire de mieux? Les abords de la Meuse sont également barricadés, et voilà. Un emplâtre sur une jambe de bois, mais c’est mieux que rien. Le bourgmestre a également ordonné une présence policière sur les lieux lors des « événements ». On comprend évidemment que tout ceci ne résout rien de manière définitive. D’autres villes universitaires ont joué le jeu de l’installation, à grands frais, de véritables bunkers destinés aux libations, avec les excès que cette sorte d’officialisation peut induire, les nuisances de quartier et les dangers du retour vers les lieux de résidence, quoi qu’il arrive.

Après l’accident, j’ai immédiatement mis cette question à l’ordre du jour de notre Conseil d’administration de février. Nous y avons décidé de discuter de ce sujet au nouveau Conseil de la Vie Etudiante, qui est notre organe officiel de concertation. Je l’ai également fait mettre à l’ordre du jour de notre prochaine réunion de contact Ville de Liège-Université. Le Premier Vice-Recteur a déjà organisé une rencontre avec les étudiants du C.A. pour devancer les échéances en ce qui concerne les « guindailles » et le bal. Par ailleurs, l’Administration de l’Enseignement et des Etudiants avait lancé depuis plusieurs années avec l’aide de mon conseiller à la santé des campagnes de sensibilisation des étudiants aux assuétudes, tabac, alcool, drogues. Elle distribue des publications sur le sujet, mais nous ne pouvons tout interdire, pas plus que de jouer au ballon dans la cour…

Et que dire des excès dénoncés dans la presse ces derniers jours, de la part d’étudiants partis aux sports d’hiver et qui, lors de beuveries imbéciles, se livrent à de véritables déprédations. La presse ne parle pas de simples jeunes gens, citoyens adultes et supposés responsables. Elle parle d’étudiants de HEC-ULg, comme si la faculté devait porter une quelconque responsabilité, ne fut-ce que morale dans ces dérives scandaleuses. Ne doit-on pas s’interroger sur l’ensemble des responsables éducatifs qui accompagnent les enfants vers l’âge adulte où ils deviennent responsables d’eux-mêmes, à commencer par les parents? Récemment, des étudiants, plusieurs heures après la fin de l’autorisation qui leur avait été donnée d’organiser une « fête » au Sart Tilman, ont fait irruption dans un amphithéâtre et ont vidé un extincteur sur le professeur, en plein cours. Malheureusement pour eux, l’un d’eux avait filmé la scène en video. Devant la gravité des événements et le coût exorbitant des dommages causés, le caméraman prit peur et livra son document. Le responsable fut convoqué, admonesté et exclu de l’université (de manière temporaire mais entravant sérieusement la suite de ses études). Il était le seul du groupe à être étudiant à l’ULg.

A ce propos, la seule sanction dont je dispose en dehors de la simple admonestation, c’est l’exclusion, ce qui compromet l’année d’études voire l’ensemble des études si elle est définitive (et il s’agit alors d’une décision du Conseil d’administration). Je le regrette car ce sont des sanctions qui entravent les études, ce qui est aux antipodes de notre mission. Je milite donc pour pouvoir prescrire des peines dites alternatives. En clair, je pense que ce garnement (dommage de devoir dire cela d’un majeur) aurait pu recevoir une bien meilleure leçon que celle d’un échec universitaire forcé en étant, par exemple, contraint de nettoyer complètement les toilettes que sa joyeuse bande d’écervelés avait souillés au delà de toute description.

Du coup, on déborde sur le sempiternel sujet des baptêmes estudiantins et de leur expression dérangeante en public dans les rues de la ville, jusque sur les marches du bâtiment central. Je ne puis interdire les baptêmes, tout au plus puis-je les interdire sur les propriétés universitaires. Mais ce qui me dérange vraiment, au point de l’interdire formellement sous peine de sanctions graves, ce n’est pas tant la beuverie et les risques qu’elle comporte, ni l’endroit où elles se déroulent, que l’humiliation qu’infligent à des êtres humains d’autres êtres humains sur la seule base de leur ancienneté dans l’Institution. C’est là que la gifle au prof traité de « nazi » me revient en mémoire. C’est là que l’abus de pouvoir me heurte car je ne puis me résoudre à admettre qu’une telle soif de pouvoir sur l’autre au delà de toute décence et de toute humanité puisse être inscrite dans nos gènes au point qu’elle ne puisse être empêchée. Et c’est là que je franchis la barrière que je m’impose en matière d’interdiction. En particulier lorsque l’humiliation — que les défenseurs des baptêmes me disent acceptée par des « bleus » consentants — se dévoile comme une épreuve discriminatoire, toutes sortes de privations de droits élémentaires sanctionnant son refus par un nouveau venu. Là, c’en est trop. Il s’agit en fait d’un harcèlement moral caractérisé, qui n’a pas sa place dans notre université. Point final. Certes, les aficionados du bizutage me renverront à mon anecdote, mais ici, il ne s’agit plus de jeu de ballon dans une cour de récréation, il s’agit de droits humains élémentaires et d’abus d’autorité, même ci celle-ci reste occulte. J’aime beaucoup le vieux slogan soixante-huitard « il est interdit d’interdire » mais la liberté des uns s’arrête lorsqu’elle atteint celle des autres. Nous interdirons donc.

J’en terminerai par une note envoyée par le recteur aux étudiants, il y a… quelque temps:

Madame,
Mademoiselle,
Monsieur,

Vous vous inscrivez pour la première fois à l’Université de Liège. Je vous souhaite la bienvenue, et plein succès dans vos études.
Sans doute serez-vous sollicité prochainement pour participer au rituel du baptême étudiant. Je tiens à cet égard à vous faire les commentaires suivants.
Les baptêmes constituent des manifestations privées, totalement étrangères à l’Université, qui n’assume dès lors aucune responsabilité à ce sujet. Ils ne peuvent avoir lieu dans ses locaux ni impliquer en aucune façon son personnel. Dès lors, ils n’ont, bien entendu, aucun caractère obligatoire.
Les baptêmes ne peuvent avoir aucune conséquence, quelle qu’elle soit, sur le déroulement des études. Ceci signifie que tous les étudiants, baptisés ou non, doivent bénéficier des mêmes conditions d’accès aux locaux, aux cours et aux syllabus.
Tout étudiant qui estimerait faire l’objet de mesures discriminatoires à cet égard est en droit d’en avertir le Recteur, qui pourra prendre les dispositions qui se révéleraient nécessaires.
Par ailleurs, vous devez savoir que de telles discriminations ainsi que certains excès dans les contenus des épreuves imposées aux candidats au baptême sont passibles des sanctions de droit commun.
En résumé, vous êtes un adulte libre d’accepter ou non de participer à ces rituels et dont la décision ne peut avoir aucune conséquence dommageable.
Bien conçu, le baptême doit rester un mode sympathique d’accueil et d’intégration des étudiants.

Arthur BODSON
Recteur

Que du bon sens. Pas une ligne à changer, 20 ans après… Je l’ai donc renvoyé aux étudiants… l’an dernier…

Reçu le 3/2, à propos du livre de Jacques Balthazart, sorti le 4 février 2010, « La biologie de l’homosexualité »:
[J'ai été choqué par un] article du Vif parlant des recherches du Dr. Balthazart appuyant ses « arguments » grâce à son nom de professeur de l’ULg.
Je ne suis pas convaincu qu’il ait estimé l’impact que peut avoir le titre de « professeur à l’ULg » dans un article de journal surtout quand celui-ci présente des HYPOTHESES et que celui-ci est destiné au grand public. L’impact qu’il a déjà dans les conversations autour de moi est effrayant… et dangereux, à mon sens.
Tout le monde émet des hypothèses sur l’homosexualité mais sa capacité à repérer les homosexuels grâce à des statistiques est hallucinante! Son « truc » des doigts de la main est proche de la mystification et de la Morphopsychologie et de ces autres fumisteries!!! Je suis homosexuel et mes doigts 2 et 4 ont la même taille… les statistiques ne font pas la Science!!!
Je m’emporte mais je suis sidéré de voir comme cette personne fait revenir une idée reçue que tous le monde essaye d’effacer, comme si l’homosexualité était une « tare génétique »… sans vouloir abuser du point Godwin, nous savons tous où ce genre d’idée peut mener à partir du moment où on identifiera un gène supposé responsable (ce qui devrait arriver grâce à ce genre de méthode scientifique douteuse).
Cordialement,

(Le message n’est pas anonyme pour ce qui me concerne, mais l’auteur ne l’ayant pas mentionné dans le texte, j’ai préféré ne pas le dévoiler, vu le côté délicat de ses affirmations. B.R.)

Monsieur,
Je voudrais tout d’abord vous suggérer de lire le livre plutôt que deux pages d’un magazine qui résument de façon schématique et partielle la thèse qui y est défendue. Par ailleurs, j’ai consulté M. Balthazart qui me dit ceci:
1) il ne s’appuie nullement sur un titre de professeur pour défendre les idées exposées dans le livre mais sur des résultats scientifiques largement admis par la communauté scientifique internationale;
2) le livre ne présente pas des hypothèses mais un faisceau d’arguments scientifiques qui conduisent logiquement à une conclusion, c’est ainsi que la Science avance;
3) le livre n’est pas centré sur des différences génétiques qui expliqueraient l’homosexualité mais sur des effets hormonaux prénataux, ce qui est très différent: en effet, cela veut dire que les homosexuels ne sont pas responsables de leur orientation sexuelle et une analyse génétique aussi poussée qu’elle soit ne peut permettre de le détecter, pas plus qu’aucune autre technique d’analyse;
4) contrairement à ce que vous dites, les statistiques font la Science! Elles seules démontrent l’existence d’un fait d’observation. Ceci dit, des écarts à la moyenne ne permettent aucune prédiction quant aux cas individuels, il ne s’agit donc pas ici de « repérage »;
5) pour faire bref, l’association d’un changement du rapport des longueurs des doigts 2 et 4 avec l’homosexualité ne se retrouve que chez les femmes homosexuelles, pas chez les hommes (comme indiqué correctement dans le Vif). Il n’est donc pas inattendu que vous ne retrouvez rien d’anormal au niveau de vos doigts (voir aussi point 4).
Quant aux conséquences sociales des recherches scientifiques et de leur divulgation, l’auteur s’en est clairement expliqué dans le Soir du 4 février. Vous trouverez des éléments d’information objectifs sur le blog de Luc Roger ou dans la discussion en cours sur le forum Yagg. En outre, le professeur Balthazart accepte d’être consulté par mail: jbalthazart@ulg.ac.be

B. Rentier