août 2008


Au terme — on l’espère — de la saga de l’été 2008, celle du numerus clausus, il convient d’en tirer les leçons. J’y détecte essentiellement deux dérives.

La première consiste en l’ingérence progressive d’influences externes tels que les pouvoirs politique et judiciaire dans les prérogatives académiques des universités. Sous le couvert d’agir en faveur des étudiants, tous ceux qui se permettent cette intrusion nuisent profondément à ceux-ci et tout particulièrement aux plus méritants.

1. En exigeant, par exemple, des universités une totale transparence — au point qu’elles doivent aujourd’hui, au 1er Bac en Médecine, communiquer la totalité de leurs points, dans le moindre détail, aux étudiants AVANT la délibération —, le pouvoir politique croit faire plaisir aux étudiants, voire même les protéger, alors qu’en réalité il paralyse le processus même de la délibération et le vide de son sens. Or ce processus, lorsqu’il reste secret, assouplit toujours les décisions — j’en ai la longue expérience et tous mes collègues en témoigneront — en faveur de l’étudiant. Remplacer le jury par un tableur informatique sans la moindre latitude empêchera dorénavant de se montrer clément ou compréhensif.

2. En changeant les « règles du jeu » en cours de partie ou, comme nous venons de le vivre, après la fin de la partie, le pouvoir politique amène l’université à se déjuger et à annuler une proclamation comme si elle était entachée d’une erreur matérielle. Chacun se cherche ou se donne des valeurs à poursuivre et on attend des universités qu’elles s’en donnent et qu’elles les appliquent. La principale valeur d’une institution d’enseignement primaire, secondaire ou supérieur, devrait être, me semble-t-il, la valeur de l’exemple. Que penser, dans ces conditions, d’une université qui passe avec chacun de ses étudiants un « contrat », l’engagement pédagogique, véritable pacte où chacun s’engage à respecter un ensemble de promesses, et qui, sous la pression de son propre pouvoir organisateur (c’est le cas à l’ULg et à l’UMH) et de sa composante politique, change la donne pendant l’année académique en cours? Comment encore espérer transmettre le sens du respect de la parole donnée et de l’engagement pris?

La seconde est une tendance de plus en plus fréquente à recourir à des assignations en justice pour des divergences de vue que l’étudiant peut ressentir avec son encadrement formatif, y compris des contestations non pas de forme mais d’opportunité. Cette tendance n’est pas propre à l’Université, on la trouve dans toutes les formes d’enseignement et également dans beaucoup d’autres circonstances où l’intérêt particulier semble primer par rapport à l’intérêt général.

1. Dans un contexte de contingentement par compétition, cette tendance s’exacerbe puisqu’on trouve de nombreuses situations où un étudiant a réussi si l’on utilise les critères ordinaires applicables à toutes les sections sans numerus clausus mais où il ne peut néanmoins passer dans l’année supérieure. Le caractère profondément frustrant de cette mesure est un intense générateur de recours, et cela se comprend.

2. Dans ce même contexte, la moindre faiblesse (moins de 10/20 à un examen) ne pardonne pas: elle verse l’étudiant dans une catégorie où, quel que soit le nombre maximum, il n’est pas éligible, ce qui est également frustrant. L’envie est très forte pour lui de démontrer que cette note a été mal évaluée non seulement pour lui mais pour tout le monde. Ce deuxième cas se double nécessairement du premier (d’abord remonter dans le canot de sauvetage, ensuite sauver le canot).

Dans ces deux cas, l’action portée immédiatement (si on vit dans un environnement familial instruit des possibilités de recours, mais je ne m’étendrai pas cette fois-ci sur l’injustice sociale que ceci met en lumière) consiste en un recours au Conseil d’Etat. C’est le droit le plus strict de chacun, mais il ne faut pas négliger la dérive que cela implique et, par conséquent, les mesures préventives que ce type d’action pousse les enseignants à développer qui risquent forcément de se montrer, dans bien des cas, défavorables à l’étudiant concerné et même à l’ensemble des étudiants.

La surprise suivante est la tendance, observée cet été, qu’a le Conseil d’Etat à donner raison à l’étudiant dans une procédure en référé, en quittant son rôle de vérificateur de la légalité des actes administratifs pour déborder sur le terrain de l’opportunité qui devrait rester la prérogative absolue de l’institution d’enseignement. Cette précipitation conduit à des revers, comme la réalisation tardive du fait que les éléments à charge du dossier ont été « enjolivés » par l’étudiant, ce qui l’amène, dans un deuxième temps, à retirer sa plainte, faute de vrais arguments, sous le couvert valorisant du sacrifice héroïque en faveur de ses condisciples. En jouant ce jeu sans sérénité, le Conseil perd de sa crédibilité, et c’est dommage.

Il perd également de sa crédibilité lorsqu’il rejette la décision d’un jury universitaire qui souhaite organiser une juste répartition des attestations de réussite que le gouvernement lui accorde pour deux ans, et l’oblige à tout dépenser tout de suite. Voilà bien un jugement qui ne porte nullement sur la légalité de l’acte (le prélèvement sur 2009 était autorisé mais pas obligatoire) mais bien sur son opportunité. Le Conseil s’aventure, là, en dehors de ses prérogatives, et sur un terrain éminemment politique.

Malheureusement, de tels arrêts ne peuvent qu’encourager des étudiants en difficulté à prendre l’habitude de contester la validité de leurs examens ainsi que les décisions du jury, même si c’est précisément, au départ, au détriment de leurs condisciples. Je crains terriblement de voir arriver une vague de récriminations par voie juridique qui risquent de déstabiliser le système éducatif et d’instaurer un climat de recours permanents à propos de tout et de rien qui ne pourra qu’aboutir à la ruine de la qualité de la formation, ou à l’opposé, à un durcissement des évaluations et un raidissement du corps professoral. Dans les deux cas, si nous n’y prenons garde tout de suite, la qualité des systèmes de formation des jeunes sera la grande perdante de ce vaste dérapage.

Comme je l’ai dit plus haut, ces dérives sont exacerbées par le numerus clausus, qui rend les détails de la vie étudiante bien plus décisifs, stimule l’esprit de compétition au point de prôner le « chacun pour soi » et multiplie les actions de contestation. On a beau chercher comment résoudre ce problème, on arrive toujours à la même conclusion: il n’existe pas de bon système de contingentement. Ne cherchez pas, il n’y en a pas. Ils sont tous mauvais. Choisir le moins mauvais (à démontrer) n’est qu’un pis-aller.

Aujourd’hui, surtout après avoir distribué toutes les attestations dont nous disposions, y compris 15% de celles de 2009, nous devons continuer à réagir. Nous ne pouvons nous contenter de laisser venir. Nous devons traiter les étudiants qui seront délibérés après les élections de 2009 comme ceux de cette année, avant les élections de 2009. Nous devons faire prévaloir une certaine justice et éviter de jouer le jeu de certains qui abusent de leur influence pour créer des conditions nouvelles, non annoncées et en faveur d’une seule cohorte d’étudiants, à un moment particulier.

Nous devons manifester notre conviction (c’est en tout cas la mienne) qui est que les universités sont là pour aider les jeunes à apprendre et à se former, non pas pour les contingenter et que la seule limitation à leur accès aux études doit être leur capacité personnelle à les mener à bien.

Le plaignant ayant retiré sa plainte, plus rien de s’oppose à la proclamation (finale j’espère) des résultats de la 1è session d’examens du 1er Bac en Médecine, qui aura lieu aujourd’hui à 17 heures.

L’ULg est convaincue de n’avoir jamais failli à ses devoirs et d’avoir, tout au long de ce pénible été, suivi une ligne de conduite cohérente, éthique et juste, soucieuse qu’elle est d’une parfaite équité. Il est vrai que, poussée par les événements et afin de ne pas prolonger ce qui est devenu pour des étudiants un véritable calvaire, elle est consciente de sacrifier un certain nombre de chances normalement réservées aux étudiants qui vont entrer en Médecine cette année. Elle n’en demeure pas moins convaincue d’avoir géré les choses au mieux, dans le contexte qui lui est imposé et elle a l’intention de continuer à lutter pour un assouplissement des contraintes.

Néanmoins, elle compatit avec les étudiants qui ne pourront bénéficier d’un accès en 2è Bac malgré leurs capacités, cette année, les années passées et les années suivantes. Elle réitère son affirmation que, même avec un contingentement d’accès à la profession, tout contingentement à l’accès aux études basé sur un autre critère que celui de l’aptitude individuelle est contre nature pour les universités. Et que les universités sont seules compétentes pour en juger. Elle continuera à se battre pour son indépendance dans l’exercice de ses missions par rapport aux influences extérieures, quelles qu’elles soient.

Et bien, ce ne fut pas long. J’avais prédit des recours, celui-ci a été ultra-rapide.
Comme je vous le disais, le système du numerus clausus est générateur de recours sans fin. J’ajoute qu’il l’est non seulement par lui-même mais encore plus lorsque l’on change les règles du jeu en cours de route ou même après coup.

Avant que le jury ne puisse proclamer ses décisions de ce matin, nous recevions la notification d’un recours auprès du Conseil d’etat introduit à l’extrème urgence par un étudiant en 1er Bac Médecine, M. Xavier GIET, assignant l’Université de Liège, le Recteur et le jury de 1er Bac. Au motif qu’un examen n’aurait pas été pondéré de manière correcte. Je n’entre pas dans les détails. M. Giet avait déjà introduit ce recours précédemment et le Conseil d’Etat, le 14 août, lui avait donné raison, à charge de l’ULg de mieux motiver sa décision. Le jury a maintenu sa décision et constitué un dossier qui en expose clairement les raisons. Ce dossier devait être défendu prochainement devant le Conseil d’Etat.

Le recours d’aujourd’hui, traité dès 14 heures par le Conseil, suspend donc toute proclamation puisque, si M. Giet se voit donner raison, il faudra recalculer ses points selon la pondération qu’il réclame, mais il faudra aussi, bien entendu, revoir les points de tous les étudiants, y compris ceux qui ont été délibérés précédemment. Il est évident que cette révision, que conteste catégoriquement le jury, changerait assez largement le classement des étudiants, voire même le fait qu’ils aient ou non une note en dessous de 10/20 (condition d’éligibilité du numerus clausus!). Certains vont « remonter dans le canot de sauvetage » (les 16 attestations encore disponibles car prélevées sur 2009), d’autres vont tomber à l’eau. Ce résultat serait profondément injuste et achèverait de créer le capharnaüm.

J’ai déjà dit que le numerus clausus faisait régner au sein du 1er Bac en Médecine une ambiance d’extrême compétition très déplorable, surtout chez de futurs médecins qu’on devrait former à la collaboration et à l’entraide. Il est clair que ce recours, s’il est reçu, ne contribuera pas à améliorer les choses…

Le Conseil d’Etat statuera le vendredi 29 août prochain. D’ici-là, les étudiants resteront dans la plus totale incertitude, ce que le jury voulait éviter en délibérant et proclamant aujourd’hui.
Lamentable.

(pour bien comprendre, lire les épisodes précédents)

Le jury de 1er Bac en Médecine de l’ULg a repris et terminé ce midi sa troisième délibération de première session commencée samedi dernier.

Pour cela, il attendait d’obtenir, par mon intermédiaire, des gouvernements fédéral et communautaire, des informations complémentaires sur les tenants et aboutissants de l’arrêt du Conseil d’Etat concernant les étudiants « reçus-collés ». Je n’ai pu leur ramener aucune garantie, aucune certitude. Mais toutefois la nette impression que, suite à tous ces événements, suite à toutes ces actions où nous avons essayé de mettre en lumière les incohérences et l’inadéquation des mesures en vigueur, plus personne n’ignore le problème et que chacun, à son niveau respectif, est décidé à bouger, et que quelque chose se passera lorsqu’on disposera du cadastre des professions médicales, espérons-le, dans quelques mois.

Je rappelle que, contrairement à ce que clame partout l’avocat des plaignants, l’arrêt du Conseil d’Etat n’est nullement contraignant et si le jury améliore la motivation de sa décision, elle peut être maintenue. Mais ce n’est pas ce que le jury a décidé. Non pas qu’il admette avoir tort, mais parce que sa persévérance nuirait gravement aux intérêts des étudiants car la procédure entraînerait un délai incompatible avec la suite de leurs études.

Il n’a pas voulu non plus jouer les Robin-des-Bois et laisser passer les 18 étudiants concernés, conformément au pacte de New York (1966) évoqué par le Conseil d’Etat. Il aurait alors distribué plus d’attestations qu’il n’en possédait (16). En outre, l’équité prônée par ce pacte voudrait que tous ceux qui réussissent leurs examens en 2è session reçoivent aussi chacun une attestation. Sans compter l’illégalité de cette action de faux-monnayeur et les risques d’annulation qu’elle comporte, elle aurait aussi été profondément injuste vis-à-vis des ajournés de juillet qui, considérant à juste titre que présenter une 2è session eût été bien inutile (les reçus-collés peuvent recommencer leur 1er Bac mais sans aucune dispense), ont préféré prendre du repos.

Soucieux en tout premier lieu du sort des étudiants, le jury a décidé d’accorder toutes les attestations dont il dispose, y compris 15% de celles de l’an prochain. Il continue à penser que c’est injuste pour les étudiants de 2008-2009 mais se rend à l’évidence malgré le cynisme que cela comporte: ceux-là ne sont pas encore identifiés et ne le savent pas encore eux-mêmes… Ils n’ont donc pas encore, eux, un soutien émotionnel général. Le combat doit continuer pour ceux-là aussi!

Evidemment, les 16 attestations dont il dispose en les prélevant sur 2009 ne résolvent pas le vrai problème: l’existence des reçus-collés. D’autres recours en perspective? Sans doute, mais ceux-là ne pourront être dirigés contre l’ULg et contre son jury qui ont fait tout ce qu’ils pouvaient, et même, comme aujourd’hui, contre leur intime conviction.

Ne manquez pas l’épisode suivant, c’est sûrement pour bientôt, le système le veut.
Mais pour la fin de la série, je crains qu’il faille attendre la disparition du caractère insupportablement étroit du numerus clausus fédéral.

Ce samedi, le jury de premier bac en Médecine a choisi d’interrompre sa délibération, considérant que l’imbroglio dans lequel il se trouve placé actuellement est inextricable, incompréhensible, et que toute solution envisagée, même si elle apporte un salut à certains étudiants, ne pourra que nuire gravement à d’autres, que ce soit ceux de cette année ou ceux de l’an prochain.

Comme je l’écrivais hier, il est soumis à des exigences gouvernementales et juridiques contradictoires.

• La Communauté française enjoint au jury d’organiser une sélection basée sur un numerus clausus, donc d’ajourner des étudiants qui ont, par ailleurs, satisfait à l’ensemble des épreuves (moyenne de 12/20 et pas de cote en dessous de 10/20) car ils ne satisfont pas au dernier critère imposé : se classer « en ordre utile ». Le jury s’y plie mais c’est éminemment désagréable.
• Le Conseil d’état reproche au jury de ne pas tenir compte d’un pacte international de 1966 qui invalide le principe même de la sélection par concours. Ce concours n’est pas du fait du jury qui, en outre, ne comprend pas pourquoi ce pacte s’appliquerait seulement à une partie des « reçus-collés ».

• La Communauté française accorde au jury des attestations supplémentaires (autorisant le passage en seconde), elle en ajoute également pour l’an prochain et l’autorise à opérer un prélèvement (15% max) dans celles de l’an prochain dès cette année, s’il le souhaite. En clair, il revient au jury de décider ce qu’il veut en faire, en âme et conscience.
• Le Conseil d’Etat condamne le jury pour n’avoir pas utilisé toutes ces ressources futures alors qu’il y était autorisé. La motivation du jury, à savoir qu’il ne voit aucune raison de favoriser les étudiants de 2008 au détriment d’étudiants qui seront mieux classés en 2009, est jugée insuffisante. (NB: il ne doit pas nécessairement obtempérer, il peut se contenter de mieux motiver sa décision).

• La Communauté française affirme ne pas pouvoir garantir plus d’attestations dans l’avenir sans une décision du Fédéral auquel elle rejette la balle. Ce dernier devrait assouplir le numerus clausus d’entrée dans la profession. Le Fédéral dit ne pas pouvoir se prononcer sur un tel assouplissement dès à présent, il évoque une étude scientifique des nécessités médicales qui pourrait éventuellement sortir en 2009 mais il ne peut en dire plus et ne souhaite certainement rien garantir.
• Le Conseil d’Etat condamne le jury pour ne pas avoir perçu un frémissement qui, selon lui, annoncerait que le carcan fédéral, donc le communautaire également, de 2009 sera assoupli.

Face à ces incohérences, le jury ne se considère pas dans les conditions sereines qui sont requises pour l’exercice de son métier: déterminer si un étudiant est, ou non, capable d’accomplir des études de Médecine. En tout cas pas tant que les pouvoirs judiciaire et politique ne se sont pas entendus pour clarifier les règles du jeu. Ni tant que les deux pouvoirs politiques impliqués, le fédéral et le communautaire, ne se sont pas mis d’accord pour éclairer les perspectives d’avenir.

Je soutiens cette décision, même si elle consiste à ne pas décider. Si certains pensent que c’est une dérobade et que le jury manque de cran, je leur réponds que c’est justement le contraire: il faut du courage pour ne pas choisir la solution la plus simple, la plus sympathique, mais aussi la plus irresponsable, celle à propos de laquelle on peut dire : «J’y étais bien obligé, je n’avais pas le choix». Justement, le jury a le choix mais, quel qu’il soit, ce choix heurte sa conscience. Il faut du courage pour dire à des étudiants qui sont dans l’angoisse : «attendez encore un peu, nous ne voulons pas trancher sans avoir en mains tous les tenants et aboutissants de l’arrêt du Conseil d’Etat qui est incompréhensible».

Il serait bien commode de se dire que si l’on réduit de 15% le quota de l’année prochaine, personne ne pourra s’en plaindre puisqu’il sera trop tard dans un an pour déposer un recours contre la décision que le jury aurait prise aujourd’hui. Ca, c’est de la dérobade.
Mais les membres du jury n’ont pas voulu s’en laver ainsi les mains. Le sort des étudiants qui vont entrer le mois prochain en premier bac leur importe, tout autant que celui des étudiants d’aujourd’hui. Le choix est, avouez-le, cornélien.
Bien sûr, les jurys universitaires sont habitués à prendre des décisions qui leur déchirent le cœur, mais ces décisions-là, ils en maîtrisent tous les éléments, ils connaissent les règles du jeu, claires, précises et invariables dans une même année académique.

Qu’on le veuille ou non, la balle est maintenant dans le camp du gouvernement fédéral. C’est lui qui impose le numerus clausus des numéros INAMI, un procédé qui a clairement montré ses limites et, de surcroît, son inefficacité. Comme je l’ai dit et redit maintes fois sur ce blog in tempore non suspecto, c’est là que réside le problème. Les mesures prises par la CFB ne sont que des filets de sauvetage visant, et c’est louable, à éviter à des étudiants d’accomplir toutes leurs études sans pouvoir, en fin de compte, pratiquer librement la médecine de prescription.

Que ce souci de limitation soit dû au coût de la sécurité sociale ou aux inquiétudes des associations de médecins face à la concurrence, (sinon on s’inquièterait aussi pour l’avenir professionnel des étudiants en psychologie et en communication…), ce sont de mauvaises raisons. Exercer un contingentement pour réduire la consommation ne peut constituer une bonne solution, en tout cas pas la seule. Il est temps qu’une réflexion approfondie sur la qualité et les coûts des soins de santé débouche sur autre chose qu’une limitation des diplômes des prestataires de soins. Il est temps de trouver d’autres moyens d’enrayer la surconsommation que le contingentement des médecins. Il est temps qu’on arrête de casser de l’étudiant pour soi-disant préserver un système alors qu’il fuit de partout, qu’il crée la pénurie et qu’on compense par l’accueil de médecins étrangers. Il faut accélérer l’étude commanditée par l’Etat pour connaître les besoins médicaux réels, dentistes compris, et nous donner enfin une vision objective et réelle des choses, pénurie ou besoin.

Aujourd’hui, en suspendant sa délibération, le jury de 1er bac en Médecine de l’ULg ne choisit en tout cas pas la facilité. Il dit à tous ces gens qui veulent le contrôler sans être à la manœuvre, sans être quotidiennement au contact direct de tous les étudiants, année après année : mettez-vous d’accord, harmonisez vos politiques, vos stratégies, vos planifications, puis revenez nous dire dans quel jeu on joue, pour que nous puissions alors en informer nos étudiants, qui sont, on vous le rappelle, des êtres humains avec des aspirations, des espoirs, des capacités, un potentiel, des devoirs mais aussi des droits. Et sans doute par-dessus tout le droit de faire les études qu’ils souhaitent faire pour autant qu’ils en aient les capacités.
Voilà ce que dit le jury, rien d’autre. Si, il dit aussi: arrêtez de nous prendre pour des marionnettes!
Il précise également qu’à son avis, «le Conseil d’Etat fait peser sur le pouvoir politique l’obligation de majorer ses quotas pour les porter [en 2009] à un niveau permettant d’au moins compenser le prélèvement qu’il serait ainsi amené à opérer».

Comme il me l’a demandé, je vais interroger les gouvernements communautaire et fédéral sur leurs intentions pour 2009 à cet égard. Muni de ces informations et en fonction de celles-ci, il reprendra sa délibération dès que possible et statuera. En toute connaissance de cause, j’espère.

L’arrêt du Conseil d’Etat est tombé: les étudiants ayant introduit un recours contre la décision de jury qui les empêche d’accéder à la 2è année de Médecine ont eu gain de cause. Le jury doit re-délibérer demain et je ne souhaitais pas m’exprimer sur ce blog avant cela mais la relation qui en a été faite est parfois tellement confuse que quelques précisions s’imposent. Je me cantonnerai donc à l’arrêt du Conseil d’Etat, je commenterai les décisions du jury ce week-end.

Numerus clausus et attestations

• L’ULg n’est pas demandeuse d’une limitation du nombre d’étudiants en Médecine, mais un décret l’oblige, comme toutes les universités de la CFB, à l’organiser.

• Pour cela, elle dispose de 90 attestations (autorisations de passage en 2è Bac) pour 2008 (comme en 2006 et en 2007). C’est ce qu’elle a annoncé aux étudiants s’inscrivant en 2007 (environ 400). La règle est dure mais elle est claire et elle est connue.

Les sauveurs

• En juillet, émotion de M. Di Rupo et de Mme Milquet: on va « sauver les reçus-collés »! Le Gouvernement n’a qu’à en trouver le moyen.

• Simple: on ajoute 100 attestations en 2008 et 100 en 2009 « après coup » (après la délibération et la proclamation). A Liège, la délibération du jury a été menée sur base de ces 90 attestations. Mais voici qu’on « hérite » de 22 attestations supplémentaires (22% du quota communautaire) pour 2008 et 22 pour 2009. Plus surprenant encore: si on veut, on peut puiser en 2008 dans le quota de 2009 jusqu’à concurrence de 15% de 112=16. Conclusion: 22+16= 38.

Deuxième délibé

• Seulement voilà: on doit procéder à une nouvelle délibération, puisque les reçus-collés ont été proclamés « ajournés », comme le système nous l’impose. Le jury, forcément seul compétent, décide de faire réussir les 22 premiers reçus-collés classés sur la liste. Et de ne pas amputer le quota de 2009 qui aurait pour conséquence qu’à cette date, au lieu de 112, on ne pourrait plus en accorder que 96.
En effet, comment expliquerait-on au 97è de 2009 que son attestation a déjà été donnée au 128è de 2008? Il irait sûrement, comme les 15 autres, au Conseil d’Etat se plaindre de l’inégalité flagrante des chances d’une année à l’autre.

Recours

• Sept étudiants non-retenus dans la fournée des 22 font un recours au Conseil d’Etat et plaident que l’Université n’a pas bien géré les attestations dont elle disposait (38) puisqu’elle n’en a donné que 22. Certes, elle aurait dû amputer le quota de 2009 de 16 unités, mais elle doit savoir qu’il y a pénurie de médecins et que quelque chose va sûrement se passer. Elle aurait donc dû puiser dans ses ressources de 2009 car nul ne sait ce qui arrivera en 2009.

• Surprise générale, malgré cet argument pour le moins décoiffant, le Conseil d’Etat donne raison aux plaignants. Et confirme: l’ULg ne pouvait ignorer « que les autorités tant fédérales que communautaires recherchent des solutions à une pénurie médicale et que, dès lors, la justification de ne pas amputer le quota d’attestations disponibles pour les étudiants de l’année académique 2008-2009 n’est pas pertinente; que selon le rapport [qui accompagne l'arrêté ajoutant 200 attestations en 2008 et 2009 en CFB], ‘la nouvelle réglementation en matière d’attestations d’accès constitue une première réponse à la pénurie médicale, il importe d’aller plus loin et de favoriser au plus tôt la diplomation d’étudiants’; que toute autorité, même si comme en l’espèce elle dispose d’un pouvoir d’appréciation, a l’obligation de fonder ses décisions sur un examen complet et sérieux des éléments utiles pour le choix de la mesure à prendre ».

Cerise sur le gâteau

• Il ajoute même une couche: un pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels signé à New York en 1966, en son article 13, 2,c, dont découle une obligation de standstill, dispose comme suit: « L’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration de la gratuité ». Le jury de 1er Bac en Médecine de l’ULg aurait bien évidemment dû le respecter…

Que conclure ?

• Le jury doit se réunir à nouveau pour examiner ces faits nouveaux: troisième délibé, du jamais vu.

• Il dispose essentiellement de deux possibilités:
1. s’en tenir à sa décision du 25 juillet et conserver pour 2009 les 112 attestations prévues. Il faut pour cela qu’il motive « mieux » ses raisons de ne pas procéder à cette amputation recommandée par le Conseil d’Etat.
2. se plier à l’injonction et accorder les 16 attestations. Ceci ne sera toutefois pas suffisant pour « sauver » tout le monde.

Désobéissance ?

• Dans ce deuxième cas, on peut se demander si l’obéissance au Conseil d’Etat ne doit pas aller jusqu’à accorder toutes les attestations, même celles qu’on n’a pas, afin de se conformer au pacte de New York en 1966. Et puis, si tout va s’arranger en 2009 comme le promet le Conseil d’Etat, allons-y, sauvons tout le monde…

• Le jury est souverain. On verra demain ce qu’il décide de faire.

Conséquences

On peut néanmoins, sans vouloir influencer le jury, s’interroger sur cet arrêt du Conseil d’Etat.

1. Sa recommandation d’utiliser les « cartouches » de 2009 dès aujourd’hui sur base d’une incertitude de l’avenir ne me paraît pas, malgré tout le respect que je lui dois, raisonnable. C’est tout simplement une injonction à « jouer au poker » avec le sort des étudiants de 2009.

2. Son allusion au pacte de New York de 1966 ne s’adresse en rien à l’ULg, ni à aucune université. Elle s’adresse en réalité à tout qui exige un concours et/ou impose un numerus clausus. Elle remet en cause ces processus dans leur principe.
Mais elle ouvre également la voie à des recours:
- des reçus-collés des années précédentes,
- des excédentaires de cette année, dans toutes les universités, y compris en 2è session (l’ULg disposant d’une proportion faible d’attestations par rapport au nombre d’inscrits, elle sert « d’éclaireur » pour les autres universités),
- des nombreux reçus-collés de 2009 et peut-être des années suivantes,
- des reçus-collés en dentisterie (et j’en profite pour dire que, tiens donc c’est étrange, mais personne, vraiment personne ne s’émeut de leur sort, à ceux-là…)
- de toutes les victimes d’une quelconque forme de concours (et non pas d’examen) ou de numerus clausus préalable à des études (y compris les étudiants étrangers!).

On peut donc dire que cet arrêt tire un trait. Il y aura toujours un avant et un après cet arrêt. Qui pourra, dorénavant, parler du numerus clausus des études de médecine sans tenir compte de tout ce qui a été dit, décrété et arrêté à son sujet?

Le magazine Science & Avenir, en juin dernier, se penchait sur le problème de l’évaluation de la recherche et des chercheurs au moyen du facteur d’impact. En effet, le CNRS a maintenant demandé à ses chercheurs de fournir une évaluation de la qualité leur recherche au moyen du facteur d’impact (F.I.) des journaux scientifiques, à savoir:

nombre de fois qu’un des articles parus pendant les 2 dernières années dans le journal est cité durant l’année en cours / nombre d’articles publiés par le journal durant les 2 dernières années

mais sous une variante qui s’applique directement au chercheur:

nombre d’articles ayant cité un article du chercheur / nombre d’articles que ce chercheur a publiés.

Par extension, cette mesure peut également s’appliquer à une équipe de recherche, à un laboratoire, à un institut et, pourquoi pas, à une université, une région, un pays, etc., remplacez simplement le terme « le chercheur » par ces autres entités.

Le simplisme de cette exigence soudaine mais, il faut bien le dire, attendue tôt ou tard, suscite chez les chercheurs français une vive polémique, en raison de l’inadéquation ou, à tout le moins, du caractère très indirect de l’utilisation du F.I. pour une mesure de la qualité d’une recherche. Il y a 30 ou 40 ans, faute de mieux, certains s’en contentaient. Mais aujourd’hui, les conséquences des évaluations deviennent tellement majeures pour le chercheur et son équipe, leur financement et la pérennité de leur recherche, qu’on ne peut plus se contenter de raisonnements aussi approximatifs.

Le F.I. d’un journal n’intéresse en principe que l’éditeur du journal. Il indique l’impact du journal sur le « monde du savoir ».
Encore faut-il que le numérateur de la formule (« nombre de citations ») soit significatif par l’exhaustivité du « monde du savoir » examiné à ce propos. Or il est évident que, pour ce qui concerne le F.I. (le plus connu est répertorié par Thomson Scientific), le « monde du savoir » est loin d’être couvert par la liste des journaux où les citations sont détectées. En particulier, le biais en faveur des publications anglophones, et surtout de celles qui émanent des Etats-Unis d’Amérique, est considérable. Première approximation grossière, donc.

Par ailleurs, juger un chercheur sur la base de la moyenne des indices d’impact des journaux où il publie (et additionner les valeurs pour chacun de ses articles) ne donne en réalité qu’une idée très fausse de la valeur du chercheur. Deuxième approximation grossière.

Juger de la valeur d’un chercheur par l’impact de ses travaux personnels sur le « monde du savoir » nous rapproche déjà d’une certaine vérité. Et comment juger de cet impact si ce n’est par la fréquence de ses citations dans la littérature scientifique? L’on sait cependant que les citations ont une composante aléatoire, qu’elles dépendent de la qualité de l’analyse faite par d’autres, que les idées et concepts se transmettent et qu’ainsi la paternité peut se transformer rapidement en grand-paternité, voire au delà et disparaître dans l’oubli. On sait aussi que de nombreux éléments peuvent contribuer à la notoriété d’un chercheur et qu’il peut sembler avantageux de citer un « opinion leader » à l’appui de sa propre thèse plutôt qu’un inconnu. Enfin, on comprendra aisément que, si la citation devient le must, il est possible de se livrer à une « ingéniérie » de la citation, même en évitant l’auto-citation. Troisième approximation grossière.

Enfin, on ne peut éluder la question du domaine du savoir dans lequel le chercheur travaille. Il peut y avoir une variation de 1 à 100 entre les pratiques de citation selon les domaines ou entre le nombre de journaux relevant d’un domaine. Certains domaines requièrent la publication de livres et beaucoup moins d’articles dans des périodiques. D’autres domaines encore font appel à des véhicules différents pour la transmission du savoir (cartes, plans, etc). Enfin, quelle que soit l’utilité d’une recherche, elle n’aboutit pas toujours, et parfois rarement, à des publications d’intérêt universel méritant une diffusion internationale. Quatrième approximation grossière.

Trop d’approximations grossières privent tout calcul de sa validité.

Il est impératif d’élaborer des systèmes d’évaluation plus précis, plus représentatifs de la vraie utilité d’un chercheur pour le bien général. On pourra (et il faut y contribuer d’urgence) améliorer les systèmes de mesure qui sont disponibles ou qui sont en train de le devenir. L’intensification et la généralisation de plus en plus grande des processus d’évaluation nous conduit à trouver des algorithmes performants et rapides. Tant mieux. Mais il faut se faire une raison: on n’échappera jamais au surcroît de travail qu’entraîne l’examen approfondi des travaux d’un chercheur ni au temps nécessaire pour l’étude minutieuse de l’influence qu’il peut avoir sur la collectivité, à différents niveaux d’échelle.

J’ai souvent fustigé la pratique qui consiste à résumer quelque chose d’aussi complexe qu’une université par un seul chiffre, comme on le fait dans les « rankings ». Est-il plus raisonnable, même si l’on se situe un ordre de grandeur au-dessous, de réduire les mérites d’un chercheur, avec ses qualités et ses spécificités, à un seul chiffre…?

Parmi les critiques avancées par les étudiants « reçus-collés », leurs parents et leurs avocats, on relève qu’un étudiant de l’ULg serait discriminé par rapport à ceux qui sont en Bac1 Médecine dans d’autres institutions parce que là-bas, disent-ils, comme toutes les attestations ne sont pas distribuées en juin, il reste des « chances » d’être sélectionné en septembre. Un étudiant aurait donc, dans ces autres institutions, deux chances de réussir le concours et à Liège, une seule.

Tentant comme raisonnement, mais spécieux. Ce qui importe, ce sont les chances de réussite de l’étudiant inscrit au Bac1. Tous les encadrants de Bac1 Médecine se dépensent sans compter depuis des années pour amener les étudiants à la réussite, avec ou sans numerus clausus. Nous avons recruté deux « logisticiens d’enseignement » complémentaires pour encadrer les Bac1 en Médecine et en Sciences dentaires. Le module « Apprentissage de la démarche scientifique » a mobilisé énormément de monde, dont des chercheurs du FNRS dans le cadre des prestations qu’ils sont autorisés à effectuer. Le résultat est qu’une proportion importante de ceux qui réussissent le font dès la 1è session. De plus, les professeurs les encouragent vivement à ne pas scinder leur session en deux mais à faire l’effort de tout présenter dès la 1è session. Et ça marche! Il n’y a rien à redire à cela.

Il est donc, dans ce contexte polémique, intéressant de retourner aux chiffres des années précédentes pour vérifier si l’accusation qui nous est faite a bien pour corollaire d’également nous accuser d’être devenus plus laxistes afin de nous débarrasser dès la 1è session du problème des habilitations et du concours, ce que nous récusons catégoriquement.

En effet, observons les chiffres repris dans le graphique ci-dessous qui concerne uniquement l’ULg.

En reprenant les 10 années qui précèdent celle-ci, on remonte exactement à 1997-98, année académique de l’instauration du numerus clausus communautaire (CFB) en réponse au numerus clausus fédéral limitant à partir de 2004, l’accès des diplômés médecins à un numéro de l’INAMI, source de toute la problématique.

Pour plus de clarté, le graphique dégage 3 périodes-clé:

- Période I : le contingentement dans les universités est imposé par le gouvernement de la CFB. La sélection est établie sur l’ensemble des résultats des 3 premières années, y compris des activités dites « spécifiques ». On a pu montrer que le résultat de cette sélection était prévisible à 90% par celui des examens partiels de janvier en 1ère candidature!

- Période II : face au caractère inacceptable de ce procédé (où les étudiants peuvent réussir 3 années et se retrouver à la case départ, donc 3 années réussies mais totalement perdues), la Ministre F. Dupuis abolit toute sélection. Les étudiants qui s’inscrivent durant cette période pourront donc accomplir des études de médecine et en obtenir le diplôme, mais, si le verrou fédéral demeure inchangé, ils n’auront pas nécessairement l’autorisation de prescrire des soins, ce qui limitera considérablement leur choix professionnel et les contraindra à exercer la médecine à l’étranger ou les confinera dans des domaines « non-prescripteurs » (médecine d’entreprise, du travail, etc.).
Comme la Ministre prend cette décision dans le courant de l’année académique 2002-2003, les étudiants inscrits en 2000 n’ont appris qu’ils échappaient à toute sélection par concours qu’en fin de 3è candidature. C’est pourquoi la période III est subdivisée en une sous-période IIa (les étudiants s’inscrivent en croyant qu’il y aura sélection en fin de 3è) et une sous-période IIb (les étudiants qui s’inscrivent en 2003 et en 2004 savent d’emblée qu’ils ne subiront pas de sélection). Tous les étudiants inscrits durant la période II (a et b) savent qu’en fin de compte, ils auront à faire face à une compétition en vue de l’obtention d’un numéro INAMI. Certain d’entre eux constituent, sans le savoir de manière sûre, la cohorte dite « des surnuméraires« .

- Période III : La Ministre M-D. Simonet instaure un concours en fin de première année, qui s’applique aux étudiants inscrits à partir de 2005. Elle prévoit aussi un système de réorientation des étudiants vers le 2è bac d’autres filières, permettant ainsi de valoriser leur réussite au cas où ils ne seraient pas « classés en ordre utile » bien qu’ayant réussi leur année à 60 crédits. Pour l’ULg, le décret prévoit 90 attestations de réussite du concours par an (petit trait noir horizontal). Cette mesure s’appliquera en 2006 et en 2007. Logiquement, elle devait s’appliquer en 2008 également, comme les années suivantes. L’intervention des partis politiques au gouvernement a dégagé 100 attestations supplémentaires en 2008 et 100 en 2009, soit 22 pour l’ULg, amenant la barre fatidique à 112.

Avant 1997 (donc en dehors de tout contingentement à l’université), le pourcentage de réussite (graphique violet) oscillait entre 40 et 45%, pour 300 à 350 inscrits (graphique bleu), sauf les 2 dernières années, quand la menace du numerus clausus de l’INAMI commence à décourager les vocations, où on descend à 250.
Depuis 1997, on discerne 2 périodes. La première jusqu’en 2003-2004, où le nombre d’inscrits est assez stable (autour de 200) et où le taux de réussite varie entre 35 et 55% selon les années, sans corrélation claire avec un « effet numerus clausus« . A partir de 2004-2005, le nombre d’inscrits en 1er Bac augmente fortement et régulièrement chaque année, pour doubler et atteindre 400 cette année-ci. Il est difficile de donner une interprétation à ce nouvel engouement, d’autant que cette période correspond pratiquement à celle du numerus clausus en fin de 1è année et qu’on aurait pu s’attendre à une diminution du type de celle qu’on avait constatée lors de l’imposition du numerus clausus en fin de 3ème.

Il ressort clairement des statistiques que, certes, il y a une chute, une stabilisation puis une augmentation significative du nombre absolu de réussites (graphique vert), mais parmi une population qui évolue proportionnellement (graphique bleu). Le pourcentage de réussite n’a donc pas réellement varié (graphique violet), à part une poussée pendant la période sans contingentement, justement. Doit-on y voir un effet positif de l’absence de compétition outrancière que l’on connait en période de limitation? Ne peut-on pas imaginer que l’entraide a remplacé la rivalité, et qu’au total, les choses se passent mieux pour un plus grand nombre…?

Autre observation intéressante: pas d’augmentation du pourcentage de réussite durant les années « Simonet » (2006, 2007), au contraire, il est descendu à 40% (réussites cumulées en 1ère et en 2ème session, graphique violet). Par contre, en première session, le taux de réussite à l’ULg n’a fait qu’augmenter depuis 2004 (graphique rouge). La proportion de ceux qui réussissent en 1ère session est très grande (84% des réussites de l’année en 2005-6 et 86% en 2006-7), preuve que la préparation est excellente pour un passage en juin. La proportion de réussites en septembre est, par conséquent, faible. Le pourcentage cumulé (1è + 2è session) est à son niveau le plus bas depuis 16 ans, à 2 exceptions près (en 1996 et en 2001), ce qui démontre que le Bac 1 Médecine n’est pas devenu plus facile à Liège. Les autres institutions, qui ont en 1ère session un nombre moindre de réussites que celui des habilitations auxquelles elles ont droit, ont forcément un taux de réussite inférieur, dans certains cas de l’ordre de 15%. On en pense ce qu’on veut, mais il ne faut sûrement pas en inférer une diminution des chances à l’ULg, mais plutôt une augmentation des chances de réussir en 1è session. Le laxisme dont certains nous accusent n’est pas fondé, les chiffres le démontrent. Il serait très intéressant de confronter ces données à celles des 4 autres institutions.

Maintenant, cela suffit !

Quoi qu’il en soit, toutes ces polémiques autour du numerus clausus m’exaspèrent, je ne vous le cache pas. J’ai dit et redit depuis deux ans que j’étais, tout comme mon prédécesseur, adversaire du concours et de ses répercussions absurdes (en bref, le plus grave: on « casse » de l’étudiant qui a pourtant réussi, et le plus absurde: on aggrave la pénurie médicale). Je relance donc un appel au gouvernement fédéral pour qu’il réexamine ses prévisions et, par conséquent, le contingentement qu’il impose, le plus rapidement possible. Et qu’au moins, si les quotas fédéraux n’entraînent pas de pénurie, que cela soit objectivement démontré, dans la mesure du possible.

Dans nos universités, pendant combien de temps encore allons-nous continuer à ajourner des étudiants qui ont réussi ? Pour les professeurs et leurs équipes d’encadrants, cette situation, qui serait burlesque si elle n’était tragique, devient intenable.

Les Doyens des facultés de Médecine ont très pragmatiquement proposé une solution « de moindre mal »: un examen d’entrée, comme il en existe un chez les ingénieurs. J’y étais personnellement favorable, comme les représentants présents de l’enseignement secondaire, même si tous mes collègues recteurs n’étaient pas de cet avis.
Dans les circonstances actuelles, j’y reviens.

De tout temps, chez les ingénieurs, un tel examen n’a choqué personne. On en connaît la difficulté, on s’y prépare si on en a le courage, voilà tout. Et il vaut mieux savoir tout de suite si on fera ces études-là ou non. Si on y tient, on recommence (il y a une 2è session et on peut recommencer un an plus tard si on persévère). Rien de scandaleux en cela.
De plus, les Doyens des facultés de Médecine proposent que l’examen soit communautaire, donc identique pour toute la CFB.

Quels sont les arguments qu’on oppose à cette proposition?
- « C’est antisocial ». Dites-moi en quoi la possibilité financière dont peuvent disposer certains de perdre un an (ou 3 ans ou 7 ans) est sociale?
- « C’est le prélude à une généralisation de l’examen d’entrée à l’Université en général, toutes sections confondues ». Dites-moi pourquoi on ne pourrait justifier que, dans ce cas-ci, il s’agit de donner un visage plus humain à un contingentement qui nous est imposé et assurer qu’il ne s’agit en rien du début d’une mise en application générale. Le Gouvernement de la CFB pourrait être clair à cet égard.
- « Cela va déclencher une compétition entre les établissements d’enseignement secondaire et encourager l’élaboration de classements ». Dites-moi si l’examen d’entrée aux études d’ingénieur a développé ces effets pervers? Certains établissements ont meilleure réputation que d’autres et ce n’est pas un examen d’entrée en Médecine qui va changer les choses. Si un tel esprit se développe, il contribuera à une saine émulation entre établissements. La formation aux études scientifiques s’en trouvera peut-être améliorée. Et peut-être cela poussera-t-il les pouvoirs publics à soutenir plus efficacement les établissements qui en ont le plus besoin.
- « Cela va susciter le bachotage ». Dites-moi qui se plaint de la préparation que certains étudiants s’imposent avant d’affronter l’examen d’entrée des ingénieurs? Par ailleurs, l’examen que nous proposent les Doyens des facultés de Médecine est basé sur des compétences bien plus que sur de la mémorisation. Une préparation aux qualités qu’on attend d’un médecin ne fera de tort à personne.
- « Cela va manquer l’objectif de la sélection, qui est le contingentement strict de la formation médicale ». Dites-moi en quoi l’ouverture des vannes par le gouvernement en juillet 2008, sur un coup de tête, ou plutôt sous le coup de l’émotion, et l’ajout soudain de 200 attestations respecte plus strictement ce contingentement? Le gouvernement fédéral se plaint-il de l’examen d’entrée organisé en communauté flamande? On ne m’ôtera pas de l’esprit qu’on nous a opposé un argument qu’on a ensuite escamoté pour adopter une autre solution.

Je reviens donc avec cette proposition et j’entends la défendre en tout lieu.

On me fera certainement remarquer que je me tire dans le pied, en réduisant par un examen préalable le nombre d’étudiants qui fréquenteront le 1er Bac en Médecine, réduisant ainsi la subvention au nombre d’étudiants qui finance les universités. Je rétorquerai que c’est la même chose pour tous, donc que dans un système de financement en enveloppe fermée, cela importe très peu. D’autre part, ces étudiants se dirigeront vers d’autres formations, ce qui devrait équilibrer les choses. Mais surtout, ils n’auront subi que l’échec d’un examen, pas l’échec d’une année d’études ratée ni, bien pire, l’échec paradoxal d’une année réussie! A côté de ces considérations humaines, celle du financement est bien dérisoire…

Si la solution de l’examen d’entrée est rejetée, il faudra impérativement éviter de se rendormir sur la question et ne pas attendre qu’une nouvelle session d’examens nous réveille, sous peine de toujours réformer sous la pression de l’urgence et d’aboutir à des solutions boîteuses et éphémères, alors que nos étudiants, eux, compromettent leur vie entière. Aucun décideur ou acteur impliqué ne pourra faire l’économie d’une réflexion bien mûrie sur le système à mettre en place. Chacun devra prendre en compte le fait que, comme les Ministres successifs l’ont imposé — à juste titre — aux universités, l’étudiant DOIT connaître les règles du jeu dès le commencement de ses études. C’est ce que nous faisons, mais l’histoire de la dernière décennie montre à suffisance que des éléments extérieurs nous font souvent mentir.

Je suis en vacances, figurez-vous. Ce n’est pas trop tôt et ce n’est pas immérité.
D’autant que les derniers jours ont été bien remplis, non seulement par la myriade de choses à faire et à régler, mais aussi par la charge inattendue de la saga du numerus clausus en Médecine et en Dentisterie.

En effet, suite aux derniers billets de ce blog, les choses se sont encore compliquées.
J’avais rudement critiqué l’attitude de certaines personnalités politiques qui entraient soudain dans un débat difficile, soumettant tout le monde, ministres, professeurs et étudiants à un traitement en chaud-froid peu acceptable. Ce qui me préoccupait surtout, c’était l’incertitude qui continue à planer sur l’élargissement éventuel, d’ici 2014, des quotas d’accès à l’INAMI, c’est-à-dire à la médecine de prescription.

Pour autant que le gouvernement, suivi en cela par le parlement, nous dise: « pas de souci, il y aura d’ici-là, place pour 200 médecins supplémentaires, on va donc attribuer 200 attestations de plus et les étaler sur 2008 et 2009″, nous ne pouvons que nous en réjouir. Ces 200 sont donc répartis entre universités (sur une base qui prête clairement à discussion, mais c’est là un autre débat) et sur deux années. On s’exécute. On re-délibère. A Liège, on prend les 22 auxquels on a droit et on en garde 22 pour 2009. Le monde politique n’aura qu’à expliquer aux étudiants éliminés en 2006 et 2007, ainsi qu’à ceux des années 2010 et suivantes pourquoi le caractère trop étroit du filtre n’a été pris en compte qu’en 2008 et 2009. Personnellement, je ne sais pas comment « ils » vont expliquer cela. Mais ce n’est pas mon problème, c’est le leur.

Vendredi, l’affaire se corsait. Les parents des 14 « reçus-collés » de 2008 non sauvés par le gong communautaire (puisqu’on n’en « sauve » que 22 sur 36) créent un collectif et donnent une conférence de presse. A la RTBF et dans 7 sur 7 on signalait que: « Les étudiants liégeois regrettent également que le Recteur de l’ULg ait refusé d’appliquer la mesure qui permet de décerner en 2008 un maximum de 15% des attestations disponibles en 2009. A Liège, 16 ou 17 étudiants supplémentaires auraient pu être admis. »

Samedi, Le Soir écrivait: « Le collectif adresse un reproche aux autorités de l’ULg. La Communauté française autorise les universités à augmenter leur quota de 15%, à condition de resserrer encore l’étau les années suivantes. Les 14 reçus-collés auraient ainsi pu être sauvés, mais l’ULg s’y refuse. Il paraît que l’ULg l’aurait fait exprès pour provoquer des recours, termine le porte-parole du collectif. C’est bien joué, mais c’est prendre 14 gosses en otage. »

Je comprends la déception des parents et je la partage. Mais j’ai quelques remarques:

1. Ces étudiants ne sont plus des « gosses ». Nous, nous ne les considérons pas comme cela. Ils ont, pour la plupart, au moins 19 ans, ils ont le droit de vote, ils sont adultes (Il nous est même interdit, vu leur situation d’adultes, de communiquer leurs résultats ou toute information à leur sujet aux parents, c’est tout dire!)

2. Une saine gestion de cet imbroglio ridicule et sans précédent, ne consiste pas, à mon avis, à jouer à « sauve qui peut », ni même à emmagasiner un maximum d’attestations en jouant au poker et en prévoyant que tout le système s’effondrera sûrement d’ici l’année prochaine. Une saine gestion consiste à dire: soyons heureux de prendre le supplément des 22 accordés à ULg cette année et gardons les 22 autres pour 2009. Ne puisons pas dans les 16 que nous pourrions prendre (mais que rien ne nous oblige à prendre), cela ne nous en laisserait que 6 pour l’an prochain, au lieu de 22, et ce serait injuste, voire même, dans ce cas-là je pense, attaquable. Car dites-moi, comment expliquerions-nous alors au probable futur collectif des parents de reçus-collés s’étalant du 97è au 112è en juillet 2009, que les attestations de leurs enfants ont été données à des étudiants de l’année précédente classés du 113è au 126è rang ? En quoi le 126è classé de 2008 est-il meilleur que le 96è de 2009 ?

Il n’y a donc pas d’autre solution que celle qui a été choisie par le jury du 1er Bac en Médecine à l’ULg, en toute souveraineté comme il se doit (il s’agit ici d’une prérogative absolue du jury d’examens, contrairement à ce que certains croient, nullement du recteur ou de quiconque d’autre!). Je trouve cette décision d’une sagesse extrême et j’admire le jury pour le sang froid qu’il a su garder face à une situation invraisemblable où on lui a fait faire des choses et leur contraire en quelques jours de temps.

Quand au Collectif de parents, j’en comprends l’émoi, la colère même, mais en s’attaquant au Recteur de l’ULg, ils se trompent de cible. Affirmer « que l’ULg l’aurait fait exprès pour provoquer des recours » témoigne d’une désinformation consternante. Jamais l’ULg n’a voulu, ni ne voudra faire passer un message sur le dos de ses étudiants. Ce n’est pas notre genre. Je le répète inlassablement: il fallait répartir « l’aubaine » sur les deux années, le jury a décidé de le faire et il a bien fait.

Comme je l’ai dit et redit, la vraie cible c’est le contingentement de l’accès à la profession. En attaquant la Communauté ou même l’Université, les parents concernés ne font qu’essayer de faire grimper leurs « gosses » dans des canots de sauvetage improvisés et fragiles, probablement en risquant de pousser des condisciples (de cette année, mais surtout de l’an prochain) par dessus bord. C’est un réflexe compréhensible et humain. Mais le capitaine, lui, doit organiser le sauvetage de la façon la plus juste et, dans un naufrage, il n’y a rien de vraiment juste.