ven 22 août 2008
Il était une fois… un numerus clausus ?
Posté par Bernard Rentier dans Enseignement/Formation1 Commentaire
L’arrêt du Conseil d’Etat est tombé: les étudiants ayant introduit un recours contre la décision de jury qui les empêche d’accéder à la 2è année de Médecine ont eu gain de cause. Le jury doit re-délibérer demain et je ne souhaitais pas m’exprimer sur ce blog avant cela mais la relation qui en a été faite est parfois tellement confuse que quelques précisions s’imposent. Je me cantonnerai donc à l’arrêt du Conseil d’Etat, je commenterai les décisions du jury ce week-end.
Numerus clausus et attestations
• L’ULg n’est pas demandeuse d’une limitation du nombre d’étudiants en Médecine, mais un décret l’oblige, comme toutes les universités de la CFB, à l’organiser.
• Pour cela, elle dispose de 90 attestations (autorisations de passage en 2è Bac) pour 2008 (comme en 2006 et en 2007). C’est ce qu’elle a annoncé aux étudiants s’inscrivant en 2007 (environ 400). La règle est dure mais elle est claire et elle est connue.
Les sauveurs
• En juillet, émotion de M. Di Rupo et de Mme Milquet: on va « sauver les reçus-collés »! Le Gouvernement n’a qu’à en trouver le moyen.
• Simple: on ajoute 100 attestations en 2008 et 100 en 2009 « après coup » (après la délibération et la proclamation). A Liège, la délibération du jury a été menée sur base de ces 90 attestations. Mais voici qu’on « hérite » de 22 attestations supplémentaires (22% du quota communautaire) pour 2008 et 22 pour 2009. Plus surprenant encore: si on veut, on peut puiser en 2008 dans le quota de 2009 jusqu’à concurrence de 15% de 112=16. Conclusion: 22+16= 38.
Deuxième délibé
• Seulement voilà: on doit procéder à une nouvelle délibération, puisque les reçus-collés ont été proclamés « ajournés », comme le système nous l’impose. Le jury, forcément seul compétent, décide de faire réussir les 22 premiers reçus-collés classés sur la liste. Et de ne pas amputer le quota de 2009 qui aurait pour conséquence qu’à cette date, au lieu de 112, on ne pourrait plus en accorder que 96.
En effet, comment expliquerait-on au 97è de 2009 que son attestation a déjà été donnée au 128è de 2008? Il irait sûrement, comme les 15 autres, au Conseil d’Etat se plaindre de l’inégalité flagrante des chances d’une année à l’autre.
Recours
• Sept étudiants non-retenus dans la fournée des 22 font un recours au Conseil d’Etat et plaident que l’Université n’a pas bien géré les attestations dont elle disposait (38) puisqu’elle n’en a donné que 22. Certes, elle aurait dû amputer le quota de 2009 de 16 unités, mais elle doit savoir qu’il y a pénurie de médecins et que quelque chose va sûrement se passer. Elle aurait donc dû puiser dans ses ressources de 2009 car nul ne sait ce qui arrivera en 2009.
• Surprise générale, malgré cet argument pour le moins décoiffant, le Conseil d’Etat donne raison aux plaignants. Et confirme: l’ULg ne pouvait ignorer « que les autorités tant fédérales que communautaires recherchent des solutions à une pénurie médicale et que, dès lors, la justification de ne pas amputer le quota d’attestations disponibles pour les étudiants de l’année académique 2008-2009 n’est pas pertinente; que selon le rapport [qui accompagne l'arrêté ajoutant 200 attestations en 2008 et 2009 en CFB], ‘la nouvelle réglementation en matière d’attestations d’accès constitue une première réponse à la pénurie médicale, il importe d’aller plus loin et de favoriser au plus tôt la diplomation d’étudiants’; que toute autorité, même si comme en l’espèce elle dispose d’un pouvoir d’appréciation, a l’obligation de fonder ses décisions sur un examen complet et sérieux des éléments utiles pour le choix de la mesure à prendre ».
Cerise sur le gâteau
• Il ajoute même une couche: un pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels signé à New York en 1966, en son article 13, 2,c, dont découle une obligation de standstill, dispose comme suit: « L’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration de la gratuité ». Le jury de 1er Bac en Médecine de l’ULg aurait bien évidemment dû le respecter…
Que conclure ?
• Le jury doit se réunir à nouveau pour examiner ces faits nouveaux: troisième délibé, du jamais vu.
• Il dispose essentiellement de deux possibilités:
1. s’en tenir à sa décision du 25 juillet et conserver pour 2009 les 112 attestations prévues. Il faut pour cela qu’il motive « mieux » ses raisons de ne pas procéder à cette amputation recommandée par le Conseil d’Etat.
2. se plier à l’injonction et accorder les 16 attestations. Ceci ne sera toutefois pas suffisant pour « sauver » tout le monde.
Désobéissance ?
• Dans ce deuxième cas, on peut se demander si l’obéissance au Conseil d’Etat ne doit pas aller jusqu’à accorder toutes les attestations, même celles qu’on n’a pas, afin de se conformer au pacte de New York en 1966. Et puis, si tout va s’arranger en 2009 comme le promet le Conseil d’Etat, allons-y, sauvons tout le monde…
• Le jury est souverain. On verra demain ce qu’il décide de faire.
Conséquences
On peut néanmoins, sans vouloir influencer le jury, s’interroger sur cet arrêt du Conseil d’Etat.
1. Sa recommandation d’utiliser les « cartouches » de 2009 dès aujourd’hui sur base d’une incertitude de l’avenir ne me paraît pas, malgré tout le respect que je lui dois, raisonnable. C’est tout simplement une injonction à « jouer au poker » avec le sort des étudiants de 2009.
2. Son allusion au pacte de New York de 1966 ne s’adresse en rien à l’ULg, ni à aucune université. Elle s’adresse en réalité à tout qui exige un concours et/ou impose un numerus clausus. Elle remet en cause ces processus dans leur principe.
Mais elle ouvre également la voie à des recours:
- des reçus-collés des années précédentes,
- des excédentaires de cette année, dans toutes les universités, y compris en 2è session (l’ULg disposant d’une proportion faible d’attestations par rapport au nombre d’inscrits, elle sert « d’éclaireur » pour les autres universités),
- des nombreux reçus-collés de 2009 et peut-être des années suivantes,
- des reçus-collés en dentisterie (et j’en profite pour dire que, tiens donc c’est étrange, mais personne, vraiment personne ne s’émeut de leur sort, à ceux-là…)
- de toutes les victimes d’une quelconque forme de concours (et non pas d’examen) ou de numerus clausus préalable à des études (y compris les étudiants étrangers!).
On peut donc dire que cet arrêt tire un trait. Il y aura toujours un avant et un après cet arrêt. Qui pourra, dorénavant, parler du numerus clausus des études de médecine sans tenir compte de tout ce qui a été dit, décrété et arrêté à son sujet?
Il y a une hiérarchie dans les sources de droit. Les pactes internationaux sont supérieurs aux législations nationales, et donc infiniment supérieurs au décret de 2005 instaurant le numerus clausus. Toute personne qui agirait conformément à un pacte international signé par la Belgique, ne pourrait pas être attaquée sur base d’un décret communautaire, de niveau inférieur.
Alors, du cran , jury de l’ULG ! Faites comme votre Recteur le suggère ! Faites passer tous les étudiants qui ont réussi. Il ne s’agit pas de désobéissance aux règles de la cité, il s’agit de se conformer à une loi supérieure ! Et pas une loi divine ! Un pacte international signé par la Belgique et qui l’engage absolument ! Ce sera à la Communauté Française de démontrer que les pactes internationaux ratifiés par la Belgique ne s’appliquent pas. Difficile exercice de mauvaise foi, et pas très populaire !
Créon ne pourra rien contre Antigone, et l’âme de Polynice sera sauvée de l’errance !
Commentaire de Charles de Selliers, le 23 août 2008 à 19:59