Ce samedi, le jury de premier bac en Médecine a choisi d’interrompre sa délibération, considérant que l’imbroglio dans lequel il se trouve placé actuellement est inextricable, incompréhensible, et que toute solution envisagée, même si elle apporte un salut à certains étudiants, ne pourra que nuire gravement à d’autres, que ce soit ceux de cette année ou ceux de l’an prochain.
Comme je l’écrivais hier, il est soumis à des exigences gouvernementales et juridiques contradictoires.
• La Communauté française enjoint au jury d’organiser une sélection basée sur un numerus clausus, donc d’ajourner des étudiants qui ont, par ailleurs, satisfait à l’ensemble des épreuves (moyenne de 12/20 et pas de cote en dessous de 10/20) car ils ne satisfont pas au dernier critère imposé : se classer « en ordre utile ». Le jury s’y plie mais c’est éminemment désagréable.
• Le Conseil d’état reproche au jury de ne pas tenir compte d’un pacte international de 1966 qui invalide le principe même de la sélection par concours. Ce concours n’est pas du fait du jury qui, en outre, ne comprend pas pourquoi ce pacte s’appliquerait seulement à une partie des « reçus-collés ».
• La Communauté française accorde au jury des attestations supplémentaires (autorisant le passage en seconde), elle en ajoute également pour l’an prochain et l’autorise à opérer un prélèvement (15% max) dans celles de l’an prochain dès cette année, s’il le souhaite. En clair, il revient au jury de décider ce qu’il veut en faire, en âme et conscience.
• Le Conseil d’Etat condamne le jury pour n’avoir pas utilisé toutes ces ressources futures alors qu’il y était autorisé. La motivation du jury, à savoir qu’il ne voit aucune raison de favoriser les étudiants de 2008 au détriment d’étudiants qui seront mieux classés en 2009, est jugée insuffisante. (NB: il ne doit pas nécessairement obtempérer, il peut se contenter de mieux motiver sa décision).
• La Communauté française affirme ne pas pouvoir garantir plus d’attestations dans l’avenir sans une décision du Fédéral auquel elle rejette la balle. Ce dernier devrait assouplir le numerus clausus d’entrée dans la profession. Le Fédéral dit ne pas pouvoir se prononcer sur un tel assouplissement dès à présent, il évoque une étude scientifique des nécessités médicales qui pourrait éventuellement sortir en 2009 mais il ne peut en dire plus et ne souhaite certainement rien garantir.
• Le Conseil d’Etat condamne le jury pour ne pas avoir perçu un frémissement qui, selon lui, annoncerait que le carcan fédéral, donc le communautaire également, de 2009 sera assoupli.
Face à ces incohérences, le jury ne se considère pas dans les conditions sereines qui sont requises pour l’exercice de son métier: déterminer si un étudiant est, ou non, capable d’accomplir des études de Médecine. En tout cas pas tant que les pouvoirs judiciaire et politique ne se sont pas entendus pour clarifier les règles du jeu. Ni tant que les deux pouvoirs politiques impliqués, le fédéral et le communautaire, ne se sont pas mis d’accord pour éclairer les perspectives d’avenir.
Je soutiens cette décision, même si elle consiste à ne pas décider. Si certains pensent que c’est une dérobade et que le jury manque de cran, je leur réponds que c’est justement le contraire: il faut du courage pour ne pas choisir la solution la plus simple, la plus sympathique, mais aussi la plus irresponsable, celle à propos de laquelle on peut dire : «J’y étais bien obligé, je n’avais pas le choix». Justement, le jury a le choix mais, quel qu’il soit, ce choix heurte sa conscience. Il faut du courage pour dire à des étudiants qui sont dans l’angoisse : «attendez encore un peu, nous ne voulons pas trancher sans avoir en mains tous les tenants et aboutissants de l’arrêt du Conseil d’Etat qui est incompréhensible».
Il serait bien commode de se dire que si l’on réduit de 15% le quota de l’année prochaine, personne ne pourra s’en plaindre puisqu’il sera trop tard dans un an pour déposer un recours contre la décision que le jury aurait prise aujourd’hui. Ca, c’est de la dérobade.
Mais les membres du jury n’ont pas voulu s’en laver ainsi les mains. Le sort des étudiants qui vont entrer le mois prochain en premier bac leur importe, tout autant que celui des étudiants d’aujourd’hui. Le choix est, avouez-le, cornélien.
Bien sûr, les jurys universitaires sont habitués à prendre des décisions qui leur déchirent le cœur, mais ces décisions-là, ils en maîtrisent tous les éléments, ils connaissent les règles du jeu, claires, précises et invariables dans une même année académique.
Qu’on le veuille ou non, la balle est maintenant dans le camp du gouvernement fédéral. C’est lui qui impose le numerus clausus des numéros INAMI, un procédé qui a clairement montré ses limites et, de surcroît, son inefficacité. Comme je l’ai dit et redit maintes fois sur ce blog in tempore non suspecto, c’est là que réside le problème. Les mesures prises par la CFB ne sont que des filets de sauvetage visant, et c’est louable, à éviter à des étudiants d’accomplir toutes leurs études sans pouvoir, en fin de compte, pratiquer librement la médecine de prescription.
Que ce souci de limitation soit dû au coût de la sécurité sociale ou aux inquiétudes des associations de médecins face à la concurrence, (sinon on s’inquièterait aussi pour l’avenir professionnel des étudiants en psychologie et en communication…), ce sont de mauvaises raisons. Exercer un contingentement pour réduire la consommation ne peut constituer une bonne solution, en tout cas pas la seule. Il est temps qu’une réflexion approfondie sur la qualité et les coûts des soins de santé débouche sur autre chose qu’une limitation des diplômes des prestataires de soins. Il est temps de trouver d’autres moyens d’enrayer la surconsommation que le contingentement des médecins. Il est temps qu’on arrête de casser de l’étudiant pour soi-disant préserver un système alors qu’il fuit de partout, qu’il crée la pénurie et qu’on compense par l’accueil de médecins étrangers. Il faut accélérer l’étude commanditée par l’Etat pour connaître les besoins médicaux réels, dentistes compris, et nous donner enfin une vision objective et réelle des choses, pénurie ou besoin.
Aujourd’hui, en suspendant sa délibération, le jury de 1er bac en Médecine de l’ULg ne choisit en tout cas pas la facilité. Il dit à tous ces gens qui veulent le contrôler sans être à la manœuvre, sans être quotidiennement au contact direct de tous les étudiants, année après année : mettez-vous d’accord, harmonisez vos politiques, vos stratégies, vos planifications, puis revenez nous dire dans quel jeu on joue, pour que nous puissions alors en informer nos étudiants, qui sont, on vous le rappelle, des êtres humains avec des aspirations, des espoirs, des capacités, un potentiel, des devoirs mais aussi des droits. Et sans doute par-dessus tout le droit de faire les études qu’ils souhaitent faire pour autant qu’ils en aient les capacités.
Voilà ce que dit le jury, rien d’autre. Si, il dit aussi: arrêtez de nous prendre pour des marionnettes!
Il précise également qu’à son avis, «le Conseil d’Etat fait peser sur le pouvoir politique l’obligation de majorer ses quotas pour les porter [en 2009] à un niveau permettant d’au moins compenser le prélèvement qu’il serait ainsi amené à opérer».
Comme il me l’a demandé, je vais interroger les gouvernements communautaire et fédéral sur leurs intentions pour 2009 à cet égard. Muni de ces informations et en fonction de celles-ci, il reprendra sa délibération dès que possible et statuera. En toute connaissance de cause, j’espère.