avril 2007


En entendant un fils d’immigrés comme Sarkozy prendre des positions aussi radicales à l’égard de l’immigration (je sais, ce n’était que pour le premier tour, la nature de la confrontation du second incite à une sérieuse et rapide révision des concepts), je suis frappé par cette caractéristique de la nature humaine qui veut que le dernier arrivé dans un autobus bondé soit aussi le premier à trouver que cela suffit.

Lorsque la combinaison de l’implantation nouvelle de l’université et de l’exode centrifuge des citadins attira de nouveaux résidents aux abord du petit village du Sart Tilman, de nombreuses voix s’élevèrent contre l’urbanisation de cette zone boisée. Aujourd’hui, deux de ces nouveaux venus ont complètement oublié cet épisode et s’insurgent eux-mêmes contre l’extension du Parc Scientifique, fleuron de la région liégeoise en matière de reconversion industrielle et levier indispensable pour son redressement économique.
Or ce ne sont pas des industries polluantes qu’on veut y mettre, ce ne sont pas des hauts-fourneaux ni des usines de retraitement de déchets, encore moins des élevages de volailles en batterie ou un dancing. Il s’agit ici de PME de haute technologie, triées sur le volet et soumises à des normes très strictes en matière de nuisances.

Alors, où est le problème? Le problème, c’est que cela va créer de l’emploi. Et s’il y a de l’emploi, il va y avoir des gens. D’autres gens! Et, comme disait Sartre, « l’enfer, c’est les autres ». Des gens qui viendraient le matin et repartiraient le soir. Des gens qui auraient des voitures, rouleraient dans les rues et se parqueraient partout. Des gens qui pourraient même avoir des enfants qui viendraient surpeupler les crèches et les écoles. On ne saurait être assez prudent. Imaginez qu’on entende quelque chose! Ou que ça dégage une odeur de recherche! Après tout, on était les premiers dans le coin, ce serait moche que quelqu’un d’autre s’installe à proximité de ce qui, sans nous appartenir, fait partie de notre univers personnel. Nous ne sommes évidemment pas contre la création d’emplois, d’entreprises, de parcs scientifiques, mais chez les autres, pas derrière chez nous. C’est le célèbre syndrome NIMBY, not in my backyard.

Que cette activité, d’un calme exceptionnel (il suffit de se balader dans le Parc actuel pour s’en rendre compte), contribue à l’essor de la ville et ses environs tout en bénéficiant de la proximité de l’Université qui trouve là un territoire favorable au développement groupé et intégré de ses entreprises spin-off, qu’importe. Il y a en outre des chances pour que ce soient les mêmes personnes qui critiquent la lenteur du redressement économique régional, qui se demandent en quoi l’université prétend y contribuer et qui se plaignent du niveau élevé de leur fiscalité.

J’admire une démocratie qui permet au citoyen isolé de défendre ses droits contre toute forme de machine broyeuse et inhumaine le privant de ses droits fondamentaux. Mais je déplore que des projets importants soient compromis pour la seule raison qu’ils pourraient peut-être déranger quelques uns qui placent ce qu’ils estiment être leur confort personnel au-dessus de l’intérêt général.

En attendant, ce n’est pas seulement un retard que cette action va provoquer mais, à cause de ce retard, le risque très clair, d’une part, de ruiner les efforts de tout ceux qui ont contribué à convaincre une entreprise d’envergure internationale de s’installer dans l’extension du Parc et d’autre part, de faire perdre à la région liégeoise des sommes considérables en millions d’€ qui ne seront pas accordées par l’Europe, faute de respect des délais.

Mais au moins, heureux dans leur backyard, les plaignants auront la satisfaction de savoir que là-bas derrière les arbres, il ne se passe rien.

L’inconvénient du blog, c’est que des commentaires peuvent venir s’ajouter à des articles déjà anciens et passer inaperçus.

La discussion sur « Par le gros bout de la lorgnette » se développe, se complète, se précise, et vaut bien qu’on y retourne.

C’est aussi le cas d’une réaction à mon article du 24 mars dernier, »Prosélytisme » à propos de l’offensive créationniste.

Un jeune chercheur de l’ULg, pourtant actif dans une branche scientifique, y dévoile ses doutes et questionnements quant à ce qu’il considère comme le dogmatisme de la science qui, selon lui, n’est finalement qu’un ensemble de croyances. Il y dénonce le fait que la science, telle qu’il la voit, donc sans doute telle qu’on la lui a enseignée, est constituée de dogmes difficilement vérifiables et il s’interroge ainsi sur la nature des étoiles, sur la structure de la double hélice d’ADN ou celle de l’atome, et aussi sur l’évolution des espèces.
Il fait remarquer que, statistiquement, plus d’êtres humains dans l’histoire de notre espèce, ont cru que c’était le soleil qui tournait autour de la terre que l’inverse. Mais cela a-t-il pour autant valeur de referendum? Les conceptions de la majorité l’emporteraient-elles aujourd’hui, à l’échelle de l’histoire de l’humanité? Voilà comment on en arrive à nier tout avancement du savoir.

Si c’est là le fruit des formations que nous donnons, alors, c’est nous qui devons nous remettre en question.
Le seul fait que ce jeune chercheur s’interroge aussi fondamentalement sur ce qui constitue son métier de scientifique donne froid dans le dos, et doit nous interpeller.

N’est-il pas temps que nous nous interrogions sur notre manière d’enseigner, si vraiment elle laisse la place à de tels doutes ou les crée?
Le malaise de ce chercheur n’est-il pas révélateur du fait que nous avons trop tendance à enseigner ex cathedra et à asséner à nos étudiants des affirmations qui, pour eux, équivalent à des vérités révélées, au point qu’ils les considèrent comme des dogmes?
Ne nous éloignons-nous pas trop de la démonstration rigoureuse assortie d’une approche pratique, d’une familiarisation sensorielle avec le réel?
N’utilisons-nous pas trop souvent des raccourcis qui nous font dire que « c’est comme ça »?
N’énonçons-nous pas trop les choses sous forme assertive, sans démonstration, par souci excessif de rapidité et de concision, parce que nous voulons donner à nos étudiants trop de matière et pas assez de temps pour comprendre comment on a accumulé ces connaissances, comment on peut les acquérir?
Sous prétexte de la quantité croissante de connaissances à transmettre, ne sacrifions-nous pas le raisonnement ainsi que le cheminement historique de la pensée?
Une telle distanciation par rapport au concret est-elle compatible avec l’apprentissage de la science moderne et ne s’aggrave-t-elle pas de génération en génération?

J’ignore si la vision de ce jeune homme est exceptionnelle, mais le seul fait qu’elle existe mérite qu’on s’y penche sérieusement, sous peine de former de plus en plus de jeunes qui seront incapables de faire la part des choses entre la science, les mythes et les dogmes. Au lieu de leur apprendre à apprendre, nous en aurons fait des machines à emmagasiner des informations, entraînées à gober n’importe quoi, venant de n’importe qui. Un bon public pour les Harun Yahya.


Jean-Pierre Cassel, lors du tournage des « Sapins Bleus » au château de Colonster, le 29 décembre dernier.

« Au bout de leur chemin, Isabelle Thomas et Jacques Thisse plaident dans un premier temps pour « un grand pôle scientifique au niveau wallon », qui regrouperait l’ULB, l’UCL, les Facultés agronomiques de Gembloux et les Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur. « 
Le Soir, le 16 avril 2007

Loin de moi le désir de monter au créneau chaque fois que des universitaires font part à la presse du résultat de leurs études. En particulier, je ne me permettrais pas de remettre en question les données brutes d’une étude réalisée dans un domaine dont je ne suis pas un spécialiste. Mais je ne peux m’empêcher de réagir lorsque, forts de leurs résultats, les chercheurs franchissent un pas de trop et se permettent de tirer des conclusions qui n’ont, en fait, rien à voir avec la stricte interprétation scientifique de leurs données.

Je suis toujours sidéré par l’arrogance de certains chercheurs de talent (Jacques Thisse est lauréat d’un des prix quinquennaux 2006 du FNRS) qui, forts de leur science, dérapent et outrepassent, avec une naïveté désarmante, leur champ de compétence.

Je suis toujours navré de voir la presse se précipiter sur des affirmations simplistes et donner un retentissement indu à des conclusions manifestement abusives.

Bruxelles et Luxembourg sont des villes d’importance européenne: aucune surprise.
Bruxelles et Luxembourg sont des villes où les loyers sont chers, où les propriétés sont chères, où les salaires sont élevés, où le taux de chômage est moindre, etc.: aucune surprise.
Tracer une ligne droite entre ces deux cités et déclarer l’utilité exclusive d’un axe qui les rejoint et où se dessinerait la prospérité future est d’un simplisme désarmant.
Exclure tout ce qui n’est pas dans cet axe n’a aucun sens.
Ne voir d’avenir que dans ces deux métropoles, telles des étoiles sœurs (qu’elles ne sont pas d’ailleurs, elles sont trop dissemblables), sur le seul critère de la prospérité du moment témoigne d’une incroyable étroitesse de vue.

Etendre le raisonnement aux universités est extraordinairement abusif. Il faut vraiment vivre dans sa petite tour d’ivoire au milieu d’un environnement nanti et confortable pour imaginer que les seuls pôles scientifiques qui méritent de subsister sont ceux qui se trouvent dans des zones économiquement prospères.
Déclarer que « le seul pôle scientifique d’avenir au niveau wallon regrouperait l’ULB, l’UCL, les Facultés agronomiques de Gembloux et les Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur » est tout simplement consternant. C’est méconnaître gravement toutes les universités de la Communauté française de Belgique, assimiler leur valeur à leur position géographique et au contexte économique local dans lequel elles se développent et c’est donc tout confondre.
Quelle énormité absurde et péremptoire ! Quel dommage pour la crédibilité de ces chercheurs en particulier et de la recherche en général !

On dira sûrement que je suis indisposé par cette analyse parce que je suis liégeois et que je défends mon université. Certes. Mais franchement, de quel aveuglement faut-il être frappé pour faire tout bonnement disparaître du paysage wallon sa seule université publique complète, une université qui n’a rien à envier à personne en matière de recherche, d’enseignement et de contribution au développement régional ?

Par le gros bout de la lorgnette, on n’y voit guère plus loin que le bout de son nez.

Voici un remarquable article d’Alma Swan qui vient tout juste de sortir dans American Scientist: « Open Access and the Progress of Science. The power to transform research communication may be at each scientist’s fingertips ». Un exposé clair de la question de l’OA aujourd’hui.

Nouvelle toute fraîche: le Fonds de la Recherche Scientifique flamand, le FWO, adhère au principe de l’auto-archivage institutionnel obligatoire.
« Following the Berlin Declaration of 2003 for the promotion of free access to scientific knowledge and cultural heritage, beneficiaries of FWO projects, mandates and credits must deposit the publications that result from FWO subsidies in a public « Open Access » database, at the latest one year from publication date, in order to effect greater impact and valorization of their work. Researchers are also advised to deposit their other publications in such an « Open Access » database, together with the research data that resulted in these publications. »
Il ne franchit toutefois pas le cap de l’ID/OA, le dépôt immédiat obligatoire, même en accès fermé, mais c’est un premier pas intéressant. Il serait bien que le FNRS prenne la même direction, et même directement celle de l’ID/OA, je m’y emploie de mon mieux.

Les Presses de l’Université de Chicago autorisent l’OA « vert » (dépôt institutionnel)

Pour rappel, l’ID/OA obligatoire impose l’archivage immédiat de toutes les publications, que ce soit avec ou sans accès libre, selon ce qu’admet l’éditeur.
Dans le cas où l’accès est fermé, il le reste jusqu’à la date la plus proche à laquelle l’éditeur autorise la mise en OA (généralement 6 mois, parfois 1 an, au pire, jamais!) mais pendant ce temps, l’article est référencé, assorti de mots-clés, donc repérable par les moteurs de recherche tels que
Google Scholar ou OAIster, et fait l’objet de l’envoi d’un tiré-à-part électronique sur demande. Le plus sûr chemin vers le passage généralisé de la Science vers l’OA. Le but ultime.

Dans le dernier numéro de la revue Futuribles, Jean-Jacques Salomon (professeur honoraire au Conservatoire National des Arts et Métiers, auteur de « Survivre à la Science; une certaine idée du futur » chez Albin Michel), publie un article intitulé: « L’assassinat des universités françaises ». Sous ce titre provocateur, on trouve des éléments de réflexion bien intéressants pour nos universités de la Communauté française de Belgique, même si comparaison n’est pas raison…

J-J. Salomon s’inquiète du mauvais classement des universités françaises selon l’université Jiao Tong de Shanghai ou le Times Higher Education Supplement (THES). Il attribue ce mauvais résultat au fait qu’en France, les structures d’excellence en recherche sont distinctes de l’université et que les grandes écoles côtoient les universités mais en sont indépendantes.
On ne peut certes extrapoler ces caractéristiques à nos institutions.
Toutefois, pour lui, si la dégradation des universités françaises est incontestable, elle n’est pas due exclusivement à une insuffisance de financement. Selon lui, elle est imputable à quelques éléments qui bloquent l’évolution des universités:
1. leur manque d’autonomie,
2. le mode d’affectation des crédits,
3. le statut de fonctionnaire des chercheurs,
4. le centralisme d’État,
5. la multiplication des universités,
6. l’augmentation considérable du nombre d’étudiants, sans que les moyens d’encadrement n’y soient ajustés, « résultant d’une pseudo-démocratisation de l’enseignement secondaire et de la priorité accordée en France aux filières d’enseignement long plutôt qu’aux enseignements professionnels et techniques excessivement méprisés. L’objectif d’amener 80 % d’une génération au niveau du baccalauréat est profondément démagogique et trompeur, d’abord, en raison du nombre de jeunes sortant du système éducatif sans diplôme ni formation, ensuite parce que cela n’empêche pas les meilleurs de s’orienter vers les établissements d’enseignement supérieur de haut niveau, enfin parce que tous les autres se trouvent orientés dans des universités qui n’ont en réalité pas les moyens de les accueillir convenablement, a fortiori d’amener tout le monde au niveau d’excellence auquel seule une dizaine d’universités pourraient prétendre ».

Là, par contre, nous pouvons établir des comparaisons en reconnaissant que le centralisme est moins marqué chez nous, mais en admettant que pour ce qui est des autres points, nous avons intérêt à nous interroger sérieusement.

Quel remède prescrit-il ?
« Conférer aux universités une autonomie suffisante pour qu’elles puissent choisir leurs étudiants, leurs professeurs, leurs administrateurs, leurs droits d’inscription, leurs orientations, leurs programmes… »

Qu’en est-il chez nous ?
Nous ne choisissons pas nos étudiants, il est vrai. Nous sommes loin du système maintenant appliqué chez nos voisins de l’Université de Maastricht, qui sélectionnent leurs étudiants par un système de « matching ». Un interrogatoire amène à déterminer l’adéquation de l’étudiant à l’Université, en d’autres termes, « l’étudiant convient-il bien à l’Institution ? ». J’imagine mal une telle approche chez nous.
Nous choisissons nos professeurs et même si ils doivent être confirmés par le Ministre de tutelle, il est rarissime que ce choix soit contesté. Il en est de même pour nos administrateurs (au sens large), élus par leurs corps, seul les extérieurs étant désignés par des instances hors de notre contrôle.
Nous n’avons pratiquement aucun contrôle sur l’établissement des droits d’inscription (si ce n’est à la baisse!) et toutes les institutions universitaires pratiquent les mêmes tarifs, par ailleurs très réduits en comparaison avec les autres pays.
Quant aux orientations et aux programmes, nous sommes plus que jamais, depuis 2004, dépourvus de toute autonomie à cet égard.
Pour le reste, l’inquiétude concernant la multiplication des universités et la massification des effectifs étudiants devrait nous alarmer également.

L’analyse de J-J. Salomon à propos de l’assassinat des universités françaises s’applique donc, sinon complètement, en tout cas assez largement aux nôtres et son cri d’alarme devrait nous interpeller sérieusement.

Dans le monde entier, 23 institutions universitaires ou de recherche dont l’ULg, seule belge, ont aujourd’hui adopté la formule de l’archivage institutionnel obligatoire (Green OA Self-Archiving Mandates): 9 institutions, 3 départements, 11 organismes subsidiants, y compris l’European Research Council). Six autres sont en passe de franchir le pas.
C’est lent, par rapport au nombre de signataires de la Déclaration de Berlin, mais c’est déjà un résultat, considérant la difficulté de mise en place du système et son caractère obligatoire, donc peu sympathique a priori. Mais il est clair que la même action, sur base volontaire, ne marche pas, comme l’explique fort bien Alma Swan.

Tout se complique… Certains veulent faire payer le Green Open Access. Un comble !