dim 22 avr 2007
L’inconvénient du blog, c’est que des commentaires peuvent venir s’ajouter à des articles déjà anciens et passer inaperçus.
La discussion sur « Par le gros bout de la lorgnette » se développe, se complète, se précise, et vaut bien qu’on y retourne.
C’est aussi le cas d’une réaction à mon article du 24 mars dernier, »Prosélytisme » à propos de l’offensive créationniste.
Un jeune chercheur de l’ULg, pourtant actif dans une branche scientifique, y dévoile ses doutes et questionnements quant à ce qu’il considère comme le dogmatisme de la science qui, selon lui, n’est finalement qu’un ensemble de croyances. Il y dénonce le fait que la science, telle qu’il la voit, donc sans doute telle qu’on la lui a enseignée, est constituée de dogmes difficilement vérifiables et il s’interroge ainsi sur la nature des étoiles, sur la structure de la double hélice d’ADN ou celle de l’atome, et aussi sur l’évolution des espèces.
Il fait remarquer que, statistiquement, plus d’êtres humains dans l’histoire de notre espèce, ont cru que c’était le soleil qui tournait autour de la terre que l’inverse. Mais cela a-t-il pour autant valeur de referendum? Les conceptions de la majorité l’emporteraient-elles aujourd’hui, à l’échelle de l’histoire de l’humanité? Voilà comment on en arrive à nier tout avancement du savoir.
Si c’est là le fruit des formations que nous donnons, alors, c’est nous qui devons nous remettre en question.
Le seul fait que ce jeune chercheur s’interroge aussi fondamentalement sur ce qui constitue son métier de scientifique donne froid dans le dos, et doit nous interpeller.
N’est-il pas temps que nous nous interrogions sur notre manière d’enseigner, si vraiment elle laisse la place à de tels doutes ou les crée?
Le malaise de ce chercheur n’est-il pas révélateur du fait que nous avons trop tendance à enseigner ex cathedra et à asséner à nos étudiants des affirmations qui, pour eux, équivalent à des vérités révélées, au point qu’ils les considèrent comme des dogmes?
Ne nous éloignons-nous pas trop de la démonstration rigoureuse assortie d’une approche pratique, d’une familiarisation sensorielle avec le réel?
N’utilisons-nous pas trop souvent des raccourcis qui nous font dire que « c’est comme ça »?
N’énonçons-nous pas trop les choses sous forme assertive, sans démonstration, par souci excessif de rapidité et de concision, parce que nous voulons donner à nos étudiants trop de matière et pas assez de temps pour comprendre comment on a accumulé ces connaissances, comment on peut les acquérir?
Sous prétexte de la quantité croissante de connaissances à transmettre, ne sacrifions-nous pas le raisonnement ainsi que le cheminement historique de la pensée?
Une telle distanciation par rapport au concret est-elle compatible avec l’apprentissage de la science moderne et ne s’aggrave-t-elle pas de génération en génération?
J’ignore si la vision de ce jeune homme est exceptionnelle, mais le seul fait qu’elle existe mérite qu’on s’y penche sérieusement, sous peine de former de plus en plus de jeunes qui seront incapables de faire la part des choses entre la science, les mythes et les dogmes. Au lieu de leur apprendre à apprendre, nous en aurons fait des machines à emmagasiner des informations, entraînées à gober n’importe quoi, venant de n’importe qui. Un bon public pour les Harun Yahya.
En tant que paléontologue, biologiste/géologue, je trouve incroyable la phrase ci-dessous écrite par un scientifique de l’ULg (”je crois en l’évolution des espèces parce qu’on m’a dit qu’il existe des fossiles pour en attester. Tout cela n’en reste pas moins des croyances”). Les fossiles (et l’évolution qu’ils enregistrent) sont bien une réalité, nos tiroirs du département de géologie en regorgent, nos falaises, nos sols d’auditoires (en Bota par exemple) ou rebords de fenêtre aussi (la belle pierre bleue de wallonie). L’année prochaine, nous célébrerons l’année de la Terre. A cette occasion et dans le cadre du printemps des sciences et de la nouvelle galerie de l’évolution, il sera important d’expliquer et illustrer l’évolution de la vie sur notre planète depuis plus de 3.5 milliards d’années… ainsi que la différence entre croyance, hypothèse, et théorie.
Commentaire de Javaux Emmanuelle, le 23 avril 2007 sur le blog interne
Commentaire de Bernard Rentier, le 23 avr 2007 à 22:30Monsieur le recteur,
D’une part, et je pense que vous en conviendrez, un cours qui consiste à asséner des affirmations n’est qu’un mauvais cours ex cathedra.
D’autre part, on peut aussi bien se demander si une telle remise en cause, telle que vous la présentez, ne vient pas plutôt d’une pratique sans fond logique du libre examen, méthode corrélée à l’idéal d’une redécouverte autonome de tout ce qu’on peut prétendre savoir.
En effet, ce qu’on peut entendre, dans la phrase « Quant à moi, si je pense que la terre tourne autour du soleil et non pas l’inverse, je suis forcé d’admettre que c’est en fin de compte parce qu’on me l’a dit et que j’y ai cru » c’est, plus profondément qu’une plainte à l’encontre du cours ex cathedra, une certitude qui peut aller jusqu’à faire nécessairement apparaître ce dernier comme dogmatique, fut-il donné dans le souci de démontrer ce qui s’y trouve affirmé, certitude que l’on peut formuler ainsi : « Ce savoir, je ne l’ai pas redécouvert, or comme il est évident que je ne puis considérer comme certain que ce que je redécouvre, alors je puis ne le considérer comme une croyance ». Or, sans prendre égard au fait qu’il s’agit-là d’un nouveau dogme, une telle exigence est-elle de toute façon possible ?
Enfin, si le message de Cédric Gommes prête le flanc à la lecture que vous en proposez et qui, à juste titre, met en évidence un important débat en matière de pédagogie, celui-ci me semble, plutôt que de remises en cause irrationnelles, faire preuve de rigueur : on peut en effet définir la vérité comme croyance vraie ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Connaissance#La_connaissance_comme_croyance_vraie_et_justifi.C3.A9e selon la contribution de Julien Dutant, philosophe analytique) et dès lors remarquer que nous ne vérifions pas tout ce que nous prétendons savoir, fut-il question de croyances vraies.
Tel est du moins la lecture que j’en fais, et qui ne saurait se substituer à l’explication de l’intéressé.
NB: Cher « Lecteur », je n’ai pas l’habitude d’afficher des commentaires anonymes. Je le fais cette fois-ci. Une autre fois, ayez l’amabilité de vous identifier. Cela préservera la qualité et la transparence de la discussion. Merci. BR
Commentaire de Lecteur, le 25 avr 2007 à 20:01Monsieur le Recteur,
Je suis étonné des réactions suscitées par mon questionnement sur la nature de mes connaissances en tant que scientifique, et j’attends désormais avec une certaine curiosité la réaction des mathématiciens à ma boutade concernant Euclide. Quoi qu’il en soit, je crois pouvoir vous rassurer en vous disant je ne connais aucun géocentriste ou créationniste parmi mes anciens condisciples de l’ULg, pas même moi.
Mes deux propos étaient les suivants: (i) il n’est pas toujours facile de faire la part entre ce qu’on sait réellement et ce qu’on a toujours accepté, notamment dans des domaines scientifiques, et (ii) les scientifiques ne sont pas toujours beaucoup plus critiques que les personnes qu’ils qualifient volontiers de « peu instruites ».
En matière de lutte contre l’obscurantisme mon message était donc un appel à l’humilité. Que chacun de nous essaie de distinguer ce qu’il sait vraiment de ce que « tout le monde sait » et dont il n’a une connaissance que livresque. C’est le sens que je donnais au mot croyance. Je persiste à penser que le seul argument que j’aurais pour convaincre les grecs anciens de l’héliocentrisme serait que je viens du futur, et que par conséquent je sais des choses qu’ils ignorent.
Il y a autant de bon sens dans la rue que dans les labos. Si certaines personnes ne croient pas en l’évolution des espèces, ce n’est certainement pas par bêtise. C’est plus vraisemblablement parce qu’elles n’ont pas été exposées durant leur enfance à des raisons valables d’y croire, via un enseignement scientifique de qualité. Beaucoup d’émissions télévisées soi-disant scientifiques, pas mal de livres destinés à la jeunesse, et certaines revues de vulgarisation, se contentent d’exposer des conclusions sans parler de la démarche scientifique qui fait toute leur valeur. En agissant de la sorte, ceux-là se battent avec les mêmes armes que les obscurantistes les plus malhonnêtes.
Sincèrement vôtre,
Cédric Gommes
Commentaire sur le blog interne
Commentaire de Bernard Rentier, le 25 avr 2007 à 22:06Je suis entièrement d’accord avec vous. C’est bien comme ça que j’avais compris votre message. C’est d’ailleurs pourquoi je ne m’en suis pas pris à vous, mais à notre système d’enseignement, qui devrait laisser plus la place à l’accès au savoir par le travail individuel que par la mémorisation de principes tout faits. Je ne suis pas dans les salles de cours pour vérifier si c’est ou non le cas, mais je pose la question. je ne suis pas sûr de pouvoir y répondre moi-même quand je repense à la manière dont j’ai toujours donné cours. J’ai l’impression d’avoir toujours favorisé la première méthode plutôt que la seconde, mais en y réfléchissant bien, je me demande si je n’ai pas souvent utilisé l’approche “voilà comment ça se passe” qui oblige l’étudiant, ou plutôt qui l’amène à avaler toute crues les déclarations qu’on lui fait.
Je partage donc tout-à-fait votre appel à l’humilité, il me semble que c’était bien la teneur de ma réponse…
Bien à vous.
Commentaire de Bernard Rentier, le 25 avr 2007 à 21:05 e
Commentaire de Bernard Rentier, le 25 avr 2007 à 22:07Monsieur le Recteur,
Voici une proposition de texte pour alimenter ce débat passionnant !
La science rationnelle ou dogmatique ?
« Ne rien affirmer sans preuve, ne rien nier a priori ». Cette maxime due à un médecin étudiant en 1936 la radiesthésie fait écho à cet appel à l’humilité lancé par notre jeune chercheur liégeois. Il y a lieu me semble-t-il de distinguer entre différents niveaux de « croyances », selon la formation et les exigences de chacun, ceci dit sans dénier à personne la faculté d’intelligence et le droit de s’en servir.
Pour le spécialiste, l’exigence de rigueur est sans limite et les arguments doivent toujours être remis sur le métier. Ainsi, dans l’exemple éclairant de la Terre qui tourne autour du Soleil, il existe aujourd’hui une preuve plus convaincante que celle évoquée par Cédric Gommès, laquelle concerne la réussite des vols spatiaux. On trouve dans un livre d’Hubert Reeves (« Dernières nouvelles du cosmos », Ed. du Seuil 1994), un argument basé sur l’observation du rayonnement de fond de l’univers : une variation saisonnière apparaît qui marque clairement le mouvement bien réel de notre planète.
Concernant la « boutade » adressée à nos collègues mathématiciens, il me semble évident qu’il faut mesurer avec autant de précision qu’il est possible la somme des angles d’un triangle. Cela se fait en cosmologie, avec le test dit des diamètres apparents, et cela revient à mesurer les angles à l’intérieur d’un immense triangle formé par des galaxies. L’enjeu est de savoir si nous vivons dans un univers spatialement euclidien ou non. En effet, dans un espace courbe, par exemple la surface d’une sphère, la somme des angles d’un triangle est supérieure à 180 degrés. Il ne s’agit donc pas ici d’une simple boutade, car elle permet de rappeler que la géométrie fonctionne avec des postulats, indémontrables mais dont on peut mesurer les conséquences et donc les réfuter. Dans le cas présent, le fameux « postulat des parallèles » d’Euclide entraîne nécessairement que la somme des angles d’un triangle vaut deux droits.
Après ces deux exemples tirés de la cosmologie relativiste, il semble important de distinguer nettement « relativité » et « relativisme ». Il existe un courant moderne représenté par exemple par Bruno Latour, sociologue étudiant les mécanismes des découvertes scientifiques, et qui remet parfois violemment en cause les démarches des chercheurs. On parlera de « constructivisme social » : voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Constructivisme_social .
Extrait significatif : Sous cette perspective, la vérité elle-même des connaissances scientifiques doit être rapportée à un contexte institutionnel et historique particulier, et n’a aucune valeur absolue.
Par ailleurs, dans une démarche parallèle, on a vu qu’Isabelle Stengers n’a pas craint de préfacer un ouvrage sur les ovnis, en opposant rigueur (bornée ?) des scientifiques et verdict populaire.
Qu’en pensent nos sociologues et philosophes des sciences ? Si la démarche relativement provocatrice de notre jeune chercheur pouvait susciter un vrai débat interdisciplinaire, on ne pourra que l’en féliciter.
André Lausberg, physicien
Commentaire de Bernard Rentier, le 26 avr 2007 à 17:02Sur le blog interne
Monsieur le Recteur, je tenais à vous faire part de mes félicitations à transmettre à Yael Nazé, femme de l’année 2007…
L’article vient de sortir sur le Website de la Libre Belgique.
http://www.lalibre.be/article.phtml?id=10&subid=90&art_id=345012
Etienne Lambert, Licencié en communication en 1996
Commentaire de Etienne, le 26 avr 2007 à 21:18Monsieur le Recteur, Messieurs,
Ce débat passionnant illustre bien plusieurs problèmes importants :
-la nécessité de préciser les écrits ET d’en débattre afin que le message initial ne soit pas altéré
-la nécessité de préciser, de détailler, d’illustrer les enseignements de base (dès le premier bac) et de développer l’esprit critique chez les étudiants (ce qui nécessite un investissement personnel plus important encore de la part des enseignants mais aussi des étudiants, ainsi qu’un plus grand encadrement par l’institution)
- la nécessité d’exposer les étudiants plus avancés (master) à d’autres disciplines que la leur, car l’interdisciplinarité ouvre l’esprit et peut souvent aider à suggérer de nouvelles hypothèses et de nouvelles questions..
Comme Mr Gommes le précise bien :
« (i) il n’est pas toujours facile de faire la part entre ce qu’on sait réellement et ce qu’on a toujours accepté, notamment dans des domaines scientifiques, et (ii) les scientifiques ne sont pas toujours beaucoup plus critiques que les personnes qu’ils qualifient volontiers de « peu instruites » .
L’existence même de ce débat sur un blog de l’ULg témoigne du souci de trouver un équilibre entre l’enseignement (établir une base de connaissances tout en formant l’esprit critique) et la démarche scientifique (remettre en question, proposer de nouvelles hypothèses, et les tester). L’avenir s’annonce riche et passionnant ! l’évolution continue…
Emmanuelle Javaux, sur le blog interne
Commentaire de Bernard Rentier, le 28 avr 2007 à 0:15Monsieur le Recteur,
Il est heureux de constater que ce blog puisse susciter au sein de la communauté scientifique ce qui pourrait être les prémices d’un débat sur les relations entre les sciences et la société.
Je comprends et partage votre réaction immédiate et ferme face à la montée d’un courant créationniste inspiré de thèses religieuses que nous pensions d’un autre âge. En écho à cela, permettez-moi de citer ici Albert Jacquard : « Le péché fondamental des religions est de faire des adeptes qui ne posent plus de questions. L’attitude scientifique est exactement à l’opposé ». J’ajouterai encore cette citation d’Eric-Emmanuel Schmitt, un écrivain qui se dit croyant : « Pendant des siècles, la foi fut seule sur le marché du savoir. Longtemps, croire fut savoir, croire revint à ne pas douter. Faute de concurrence, la foi se montrait présomptueuse, arrogante, péremptoire. L’homme religieux se méprenait sur ses croyances lorsqu’il prétendait détenir des connaissances. »
Je suis pertinemment convaincu que la plus grande richesse de l’enseignement scientifique est de susciter des questionnements chez nos étudiants (et d’aller bien au-delà de Wikipedia !). J’espère tout comme vous, qu’une grande majorité de nos collègues le conçoivent ainsi et adaptent leur mode d’enseignement en conséquence.
Cependant, je suit parfaitement Cédric Gommes lorsqu’il souligne qu’il peut difficilement vérifier par lui-même toutes les théories qu’on lui enseigne et qu’il en est donc souvent réduit à une croyance. Toute la difficulté est là. Nous ne parvenons plus à expérimenter par nous-même !
Nous vivons depuis quelques mois une situation que je trouve emblématique des difficiles rapports entre science et société. Les médias se sont emparés jusqu’à saturation du thème du réchauffement climatique. L’homme de la rue est devenu très réceptif car il pense (souvent à tort) expérimenter par lui-même les changements climatiques. Les politiques ne peuvent plus rester impassibles face à cette sensibilité désormais bien ancrée dans la société et nombre de nos collègues, convaincus qu’il s’agit-là d’un enjeu essentiel pour l’avenir, ont aussi embrayé dans ce qui s’avère un thème lucratif pour le financement de leurs recherches.
Je suis le premier à dénoncer depuis des années que notre mode de vie n’est ni durable ni équitable. Je désire depuis toujours œuvrer au changement des mentalités et à une technologie mieux appropriée. Mais, en toute honnêteté scientifique, je ne peux pas dire à mes étudiants que je suis convaincu qu’il existe une relation de cause à effet entre l’activité humaine et le changement climatique. Je ne peux pas dire à mes étudiants, comme le prétendent les médias, que les scientifiques sont unanimes sur le sujet. Je dois donc les inviter à s’intéresser à un débat scientifique d’autant plus complexe qu’il implique de très nombreuses disciplines.
Malheureusement, je ne suis pas certain que tous les scientifiques adoptent cette position. N’est-il pas inquiétant de constater que le groupe d’experts (GIEC ou IPCC en anglais) n’a diffusé qu’une note de 15 pages à l’intention des politiques sans vraiment rendre publique l’ensemble des données sur lesquelles ils s’accordent pour argumenter de l’impact de l’activité anthropique sur le climat (on parle d’une probabilité à 90 %) ?
Au contact des médias et des politiques, ces scientifiques se sont fait les porte-parole d’une science qui me paraît dogmatique car elle ne témoigne pas assez de la richesse et de la complexité du débat au sein de la communauté scientifique internationale. Il me paraît utile que des voix s’élèvent pour oser le dire. Mais, lequel d’entre nous n’aurait pas peur de prendre cette responsabilité et de s’exposer à un lynchage médiatique immédiat. En conclusion, je lance aussi un appel à la vigilance. Nous devons cultiver sans cesse cette culture du questionnement qui est le propre de la science sans quoi, nous verserons nous aussi dans l’obscurantisme médiatique.
Commentaire de Eric Pirard, le 29 avril 2007, sur le blog interne
Commentaire de Bernard Rentier, le 30 avr 2007 à 6:31Monsieur le Recteur, Mesdames, Messieurs,
Allez, hop, je me lance dans ce débat très intéressant en tentant de nuancer l’intervention de mon collègue Eric Pirard en reprenant certains passages de son commentaire.
[1] « Je ne peux pas dire à mes étudiants, comme le prétendent les médias, que les scientifiques sont unanimes sur le sujet [du réchauffement climatique]. » Dieu merci, il y a toujours des recherches, de plus en plus nombreuses, sur le sujet extrêmement vaste du réchauffement climatique. Mais, pardonnez-moi, force est de constater que ce sont des scientifiques qui prétendent qu’il y a bel et bien réchauffement climatique, pas les médias… qui, même si ils tentent de relayer au mieux les informations relatives au réchauffement climatique, ne l’ont pas toujours fait. Bien au contraire ! On ne peut pas reprocher aux médias d’informer le grand public sur une problématique qui pourrait mettre en difficulté d’une partie de l’humanité dans les générations à venir.
[2] « N’est-il pas inquiétant de constater que le groupe d’experts (GIEC ou IPCC en anglais) n’a diffusé qu’une note de 15 pages à l’intention des politiques sans vraiment rendre publique l’ensemble des données sur lesquelles ils s’accordent pour argumenter de l’impact de l’activité anthropique sur le climat ». Une chose à la fois… Si vous souhaitez lire dès maintenant les 2500 pages qui composent les trois rapports de l’IPCC, version 2007, je les ai, comme beaucoup de climatologues intéressés à cette question. Mais attendez quelques jours encore… Comme lors des trois fois précédentes, les experts se réunissent pour faire le résumé à l’intention des décideurs puis publient le document ‘en long et en large’. C’est comme quand nous écrivons un article scientifique : on le rédige et, seulement à la fin, on écrit le résumé et puis, seulement après cela, on le soumet. Puis il est publié. Ici, c’est le même principe… Pas de secret, donc, après la troisième réunion qui se tient actuellement à Bangkok, tout sera publié ‘in extenso’.
[3] « Au contact des médias et des politiques, ces scientifiques se sont fait les porte-parole d’une science qui me paraît dogmatique car elle ne témoigne pas assez de la richesse et de la complexité du débat au sein de la communauté scientifique internationale. Il me paraît utile que des voix s’élèvent pour oser le dire. Mais, lequel d’entre nous n’aurait pas peur de prendre cette responsabilité et de s’exposer à un lynchage médiatique immédiat. » Si un groupe quelconque de scientifiques pouvait démontrer que le consensus sur le réchauffement climatique régnant actuellement au sein de la communauté scientifique internationale est incorrect, ce serait sans aucun doute l’article de l’année, de la décennie, voire même du siècle. Et il n’y aurait pas lynchage mais bien starification. Moi-même, je souhaiterais que cela ne soit qu’une mauvaise blague… Moi-même, je souhaiterais que cette succession improbable d’années exceptionnellement chaudes (les dix années les plus chaudes de ces deux derniers siècles ont été observées au cours des quinze dernières années) ne soit que le fruit du hasard… Moi-même, je souhaiterais que la succession actuelle de records saisonniers de températures très exceptionnelles [*] ne soit juste qu’une coïncidence, mais cette coïncidence est aussi probable que celle de se faire écraser en Antarctique par un rhinocéros (ceci est juste un exemple, je n’ai pas tous les chiffres).
Et donc, je dis ceci : bien sur, il n’y a que 90% de chances pour que le réchauffement soit dû aux activités humaines, et donc il y a 10% de chances pour que cela ne soit pas correct. Mais quand nous savons quelles vont être les répercussions à venir (et déjà palpables et mesurables) de ces ‘dérèglements climatiques’, il faut agir pour s’adapter et réduire la vulnérabilité de nos sociétés. Dans le cas contraire, nous serions tous heureux et ce qui aurait été ne serait de toutes les manières pas de l’argent jeté par les fenêtres.
Quant à l’obscurantisme médiatique… Je ne comprends pas très bien… Je suis convaincu que les universitaires doivent s’exposer et s’exprimer aux médias. J’ai personnellement décidé de consacrer une partie de mon temps libre (soirée et WE) pour aller à la rencontre des médias et des citoyens, même si cela devient parfois un marathon. Je pense que cette démarche est essentielle, parfois gratifiante, et qu’elle fait partie des multiples rôles (et peut-être devoirs) de l’Université. Et je suis surpris quand les gens (ou les journalistes) me disent « C’est bien de voir que des scientifiques viennent nous transmettre ce qu’ils savent car nous avons des craintes, mais sont-elles fondées ou pas ? » ou « Que pouvons-nous faire ? » ou « Comment se fait-il que vous ne fassiez pas ‘pression’ sur le politique pour qu’il réagisse à telle ou telle chose ? », etc. Peut-être sommes-nous en effet trop absent du monde civil ?
Je pense que lorsque, seul ou avec d’autres, j’écris des articles sous forme de carte blanche ou d’opinion sur la désertification, sur les effets du réchauffement climatique, ou lorsque je dénonce l’absurdité des « sauts de puce » aériens ou encore que notre choix de consommation n’est pas toujours opportun, je ne fais que donner une partie de cours, non plus à mes quelques poignées d’étudiants, mais à la société civile. Je tente d’informer et de sensibiliser. Et cela fonctionne.
Prenons le cas de l’article (coécrit avec mon collègue Dominique Perrin de Gembloux) intitulé Prendre l’avion de Charleroi à Liège ?, dans La Libre Belgique, 18 octobre 2006. Minutieusement préparé et scientifiquement irréprochable, cet article décrivait le coût environnemental d’un vol Charleroi-Liège qui allait être effectué régulièrement (6 fois par semaine) avec un Boeing 737-400. L’article a directement déchaîné les passions en Belgique et a bénéficié d’une couverture très complète et immédiate dans la presse belge et même étrangère. Quelles ont été les répercussions de cet article ?
La liaison aérienne Charleroi-Liège sera finalement interdite par le Ministre wallon André Antoine, en charge de la politique régionale aéroportuaire, tant en raison de critères économiques qu’environnementaux et je retiens trois choses de cette expérience :
1] les médias se sont emparés du dossier et ont clairement expliqué ‘pourquoi’ cette liaison aérienne de 85 kilomètres était une absurdité environnementale. Notre objectif était donc atteint : informer et sensibiliser le citoyen.
2] la liaison aérienne Charleroi-Liège a été interdite. Autre objectif atteint : interpeller le pouvoir politique.
3] la liaison aérienne Charleroi-Liège a été interdite. Nous ne nous attendions pas à ce que cet article ait un tel retentissement ! L’air de rien, l’interdiction de ce vol a permis d’éviter les émissions de près de 700 tonnes de CO2 dans l’atmosphère. En outre, l’idée a fait tache d’huile puisque la Belgique s’est engagée à interdire tous les vols aériens parcourant une distance inférieure à 150 kilomètres. De plus, le dossier est actuellement à l’examen à l’Europe pour tenter de généraliser la mesure à toute l’Union Européenne.
Nous devons sortir de notre logique unique qui est de publier dans des revues à haut ‘citation index’ et tenter de faire les deux, avec toutes les contraintes que cela implique.
Et j’en appelle à ce que nous soyons plus présents sur le terrain de la société civile, tout en respectant certaines limites à ne pas transgresser. Car nous restons avant tout des scientifiques avec une certaine expertise dans certains domaines.
Finalement, une maîtrise en Climatologie se met en place à l’Université de Liège dès l’année prochaine. J’ose espérer que les étudiants qui sortiront de ces deux années seront à même de pouvoir expliquer autour d’eux que le réchauffement climatique est là et bien là et que, même si des incertitudes persistent, le rôle anthropique est bel et bien évident et ne fait quasiment plus aucun doute !
Bien à vous.
Pierre Ozer
Plus d’infos : http://pierreozer.blog4ever.com/
[*] L’été 2006 est le quatrième plus chaud depuis 1833. Notez que quatre des cinq étés les plus chauds observés en Belgique se sont déroulés ces 30 dernières années et que le record absolu de chaleur date de 2003.
Par ailleurs, le mois de septembre a également été le plus chaud en Belgique depuis 1833. Avec 18,4°C, il fut de 4°C supérieur à la normale… Le dernier record datant de 1999 avec 17,7°C !!!
Pour continuer la série, sachez que le mois d’octobre 2006 a été lui aussi exceptionnel (14,2°C), et le deuxième plus chaud depuis 1833 (14,4°C, record de 2001!).
Enfin, le mois de novembre 2006, il a aussi été exceptionnellement chaud avec une température moyenne de 9,1°C, juste 3°C au dessus de la normale du mois…
Quant à l’automne… il est très exceptionnellement chaud … rien de moins que le plus chaud de ces 500 dernières années!!! selon le climatologue Marc Vandiepenbeeck interrogé par La Libre Belgique. Avec une température moyenne de 13,9°C, cet automne a été 3,5°C plus chaud que la normale et 1,6°C plus chaud que le précédent record de température datant de … 2005 !!!
Et ce n’est pas fini! Après cet automne très exceptionnellement chaud, l’hiver a pris le relais et est à son tour très exceptionnellement chaud… (on a l’impression de toujours dire la même chose). Ainsi, avec 6,6°C, la température moyenne de l’hiver 2007 a été de 3,5°C plus élevée que la normale (3,1°C) et 0,5°C plus chaud que le précédent record de température datant de 1990 (IRM). En outre, l’hiver 2007 a été caractérisé par l’absence totale de jours d’hiver (température maximum
Commentaire de Pierre Ozer, le 30 avr 2007 à 17:18En réponse brève à Pierre Ozer,
Loin de moi l’idée de nier que nous sommes dans une phase exceptionnellement chaude en regard des derniers siècles d’enregistrement météorologique.
Loin de moi de critiquer ceux qui dénoncent le gaspillage énergétique et l’impact environnemental de notre mode de vie (sauts de puce en avion, aliments exotiques, etc.)
Loin de moi l’idée que nous ne devons publier que dans des revues à haut “citation index”.
Ma position “modérée” et “scientifiquement réservée” se réfère au lien de cause à effet entre l’activité anthropique et les changements climatiques. Elle consiste aussi à garder un oeil critique sur nos capacités de modélisation de mécanismes climatiques éminemment complexes.
Tout le problème est de communiquer ces nuances au grand public tout en l’invitant à s’interroger sur l’utilisation que nous faisons quotidiennement de la science et des technologies.
Cordialement
Eric PIRARD (Ingénieur Géologue)
Commentaire de Eric Pirard, le 1er mai 2007 sur le blog interne
Commentaire de Bernard Rentier, le 1 mai 2007 à 17:33« Rien ne m’est sûr que la chose incertaine »
Commentaire de Bernard Rentier, le 4 mai 2007 à 16:22Montaigne
Professeur visiteur à L’Ulg à l’Ulg, je me promenais sur ce site et je suis re-tombé sur ce débat auquel mon fils a contribué in illo tempore. Il est ironique de relire les points des uns et des autres au sujet du dogmatisme scientifique au regard des récents déboires du GIEC… (voir Climategate pour ceux qui n’auraient pas suivi la chose).
Amitiés à tous à l’Ulg!
Commentaire de rene gommes, le 1 mar 2010 à 15:08