Dans le dernier numéro de la revue Futuribles, Jean-Jacques Salomon (professeur honoraire au Conservatoire National des Arts et Métiers, auteur de « Survivre à la Science; une certaine idée du futur » chez Albin Michel), publie un article intitulé: « L’assassinat des universités françaises ». Sous ce titre provocateur, on trouve des éléments de réflexion bien intéressants pour nos universités de la Communauté française de Belgique, même si comparaison n’est pas raison…

J-J. Salomon s’inquiète du mauvais classement des universités françaises selon l’université Jiao Tong de Shanghai ou le Times Higher Education Supplement (THES). Il attribue ce mauvais résultat au fait qu’en France, les structures d’excellence en recherche sont distinctes de l’université et que les grandes écoles côtoient les universités mais en sont indépendantes.
On ne peut certes extrapoler ces caractéristiques à nos institutions.
Toutefois, pour lui, si la dégradation des universités françaises est incontestable, elle n’est pas due exclusivement à une insuffisance de financement. Selon lui, elle est imputable à quelques éléments qui bloquent l’évolution des universités:
1. leur manque d’autonomie,
2. le mode d’affectation des crédits,
3. le statut de fonctionnaire des chercheurs,
4. le centralisme d’État,
5. la multiplication des universités,
6. l’augmentation considérable du nombre d’étudiants, sans que les moyens d’encadrement n’y soient ajustés, « résultant d’une pseudo-démocratisation de l’enseignement secondaire et de la priorité accordée en France aux filières d’enseignement long plutôt qu’aux enseignements professionnels et techniques excessivement méprisés. L’objectif d’amener 80 % d’une génération au niveau du baccalauréat est profondément démagogique et trompeur, d’abord, en raison du nombre de jeunes sortant du système éducatif sans diplôme ni formation, ensuite parce que cela n’empêche pas les meilleurs de s’orienter vers les établissements d’enseignement supérieur de haut niveau, enfin parce que tous les autres se trouvent orientés dans des universités qui n’ont en réalité pas les moyens de les accueillir convenablement, a fortiori d’amener tout le monde au niveau d’excellence auquel seule une dizaine d’universités pourraient prétendre ».

Là, par contre, nous pouvons établir des comparaisons en reconnaissant que le centralisme est moins marqué chez nous, mais en admettant que pour ce qui est des autres points, nous avons intérêt à nous interroger sérieusement.

Quel remède prescrit-il ?
« Conférer aux universités une autonomie suffisante pour qu’elles puissent choisir leurs étudiants, leurs professeurs, leurs administrateurs, leurs droits d’inscription, leurs orientations, leurs programmes… »

Qu’en est-il chez nous ?
Nous ne choisissons pas nos étudiants, il est vrai. Nous sommes loin du système maintenant appliqué chez nos voisins de l’Université de Maastricht, qui sélectionnent leurs étudiants par un système de « matching ». Un interrogatoire amène à déterminer l’adéquation de l’étudiant à l’Université, en d’autres termes, « l’étudiant convient-il bien à l’Institution ? ». J’imagine mal une telle approche chez nous.
Nous choisissons nos professeurs et même si ils doivent être confirmés par le Ministre de tutelle, il est rarissime que ce choix soit contesté. Il en est de même pour nos administrateurs (au sens large), élus par leurs corps, seul les extérieurs étant désignés par des instances hors de notre contrôle.
Nous n’avons pratiquement aucun contrôle sur l’établissement des droits d’inscription (si ce n’est à la baisse!) et toutes les institutions universitaires pratiquent les mêmes tarifs, par ailleurs très réduits en comparaison avec les autres pays.
Quant aux orientations et aux programmes, nous sommes plus que jamais, depuis 2004, dépourvus de toute autonomie à cet égard.
Pour le reste, l’inquiétude concernant la multiplication des universités et la massification des effectifs étudiants devrait nous alarmer également.

L’analyse de J-J. Salomon à propos de l’assassinat des universités françaises s’applique donc, sinon complètement, en tout cas assez largement aux nôtres et son cri d’alarme devrait nous interpeller sérieusement.