sam 24 mar 2007
On l’attendait depuis quelque temps, depuis que la sonnette d’alarme avait retenti en France le mois dernier. Nous venons de voir débarquer en masse de nombreux exemplaires de « L’Atlas de la Création », un luxueux ouvrage de près de 800 pages signé Harun Yahya, magnifiquement illustré et qui se consacre entièrement à la réfutation des lois de l’évolution des espèces. Nous ne sommes pas les premiers. L’ouvrage a déjà inondé tous les continents, tel un raz-de-marée de l’obscurantisme. Certes, le propos, répétitif et lancinant, est d’un simplisme navrant qui ne saurait tromper un esprit un peu averti, mais il peut être extrêmement pernicieux pour les personnes peu instruites qui ne manqueraient pas de se laisser impressionner par la qualité de la réalisation. Car en effet, c’est là le truc: donner à cet ouvrage un aspect terriblement convaincant, par le luxe même de son édition.
C’est d’ailleurs ce qui a fait réagir la Ministre Marie Arena qui, face à l’envahissement des écoles par ce cadeau empoisonné, a immédiatement diffusé un communiqué visant à « mettre en garde de l’ensemble des équipes éducatives contre les valeurs véhiculées dans ce document », communiqué relayé et commenté par la Libre Belgique hier. L’Université n’a pas échappé au fléau.
Le concept est surprenant, mais efficace. On n’ose penser à l’investissement que représente l’impression et l’envoi ciblé de millions d’exemplaires partout dans le monde. Ce pathétique effort de conviction au service d’un véritable révisionnisme créationniste est servi par des moyens incommensurables. L’auteur, un turc nommé Adnan Oktar, n’en est pas à son coup d’essai. Il a également commis un livre négationniste intitulé Soykırım Yalanı (Le Mensonge de l’Holocauste) et toute sa biographie est édifiante.
L’auteur explique que l’évolutionnisme selon Darwin est une imposture car seule la Création s’impose à l’évidence. Qu’on retrouve des formes fossiles identiques aux animaux ou plantes actuels suffit, à ses yeux, à démontrer l’inanité du concept de l’évolution. Jusque là, rien de très grave, c’est seulement risible. Cela procède du principe affligeant que M. Toutlemonde peut avoir son avis sur un principe scientifique amplement démontré et qui n’est plus, depuis longtemps, une théorie, même si on continue — à tort — à l’affubler de ce statut fragile. Mais quand un long chapitre est consacré à nous démontrer que Darwin est lié conceptuellement à Hitler et au terrorisme tel que nous le subissons aujourd’hui, et que seul l’Islam est l’issue salvatrice, il y a un très gros problème… Si vous avez échappé au livre, il existe également un site web du même tonneau, mais dont le caractère racoleur saute plus directement aux yeux.
Malgré la qualité technique et artistique de cet ouvrage, son contenu anti-scientifique est pervers et sa place n’est donc pas dans nos bibliothèques, mais au pilon. Sauf à en garder quelques exemplaires pour attester historiquement de l’existence d’une pensée aussi rétrograde en 2007.
Mon message a déclenché une certaine effervescence dans nos bibliothèques, qui s’inquiètent de ma recommandation d’envoyer au pilon cet ouvrage, malgré le bémol que j’y mets: en garder des exemplaires pour l’édification de chacun.
C’est bien cette recommandation-là qu’il faut retenir.
Les scientifiques responsables de nos bibliothèques ont l’entière liberté de décider si l’ouvrage présente une quelconque utilité, soit comme source de savoirs, soit comme échantillon d’une forme de pensée. Il n’appartient pas aux bibliothèques de condamner, ni même de juger, mais bien de guider et d’avertir. L’important n’est pas que personne ne lise ce livre, c’est que celui qui le lit situe bien le cadre dans lequel il est écrit et les valeurs sous-jacentes qu’il défend, de manière claire ou insidieuse.
Si le livre reste librement consultable mais qu’il est assorti d’un averstissement critique explicite non détachable donnant l’avis de l’institution, alors je pense que nous jouons correctement notre rôle éducatif. Le lecteur est dûment informé et nous ne censurons rien.
Commentaire de Bernard Rentier, le 27 mar 2007 à 10:19Monsieur le Recteur,
Merci d’avoir dénoncé l’ »Atlas de la Création ». Ce livre est arrivé au CHST où il est classé dans la rubrique « pseudo-sciences » (avec l’astrologie et l’alchimie).
Nous comptons bien organiser un petit colloque à ce sujet. Il y a encore des géocentristes, j’en ai rencontré.
Avec mes remerciements, je vous prie d’agréer, Monsieur le Recteur, l’expression de mes sentiments respectueux.
Robert Halleux, par courriel.
Commentaire de Bernard Rentier, le 27 mar 2007 à 10:21Monsieur le Recteur,
Connaissant votre formation de biologiste, votre position était on ne peu plus cohérente. Si des bibliothécaires l’ont contestée, je suppose qu’ils l’ont fait au nom du droit à l’information. S’il en est ainsi, ils se trompent. Dans ces temps de confusion des genres, la frontière entre information et propagande est parfois fort ténue et les plus insidieux des détournements sont ainsi souvent le fait de la publicité. Il faut être très attentif.
Bibliothécaire est un métier de responsabilité mais la technification — excusez cet anglicisme — de la profession fait parfois oublier cet aspect.
Si un tel ouvrage peut effectivement servir d’objet d’études pour certains spécialistes, en autoriser l’accès sans précaution à des personnes non averties dont je n’exclus pas les étudiants, est dangereux. Les ouvrages de Goebbels garnissent-ils les rayons de nos bibliothèques, même si leur étude est certainement très importante pour comprendre le succès de l’idéologie nazie ?
Il s’agit ici d’un cas extrême mais il en est d’autres en apparence plus anodin et la plupart de nos bibliothécaires sont à cet égard peu formés. Je ne suis pas la seule à me poser des questions à ce sujet. Dans le dernier numéro de ‘Lectures’, l’organe du CLPCF, Luc Pire, lors d’une communication à un colloque sur ‘les industries culturelles du XXIème siècle’ (tout un programme…) dit ceci : ‘Essayons de nous représenter dans cinq ou dix ans la génération actuelle d’étudiants, encouragés à se documenter sur Internet, et l’on aura toutes les chances de voir des analphabètes du savoir. Les bibliothécaires devront offrir un service personnalisé et proche des contenus’.
Cet objectif n’est pas très éloigné du combat que vous menez en faveur du libre accès. L’Université doit au plus tôt réaffirmer son rôle légitime vis-à-vis du savoir, rôle que lui disputent de plus en plus les forces politiques et surtout économiques.
Certes le sujet est polémique et il a trop à en dire pour le faire dans un court billet mais pourquoi pas un colloque sur un tel sujet ? Je ne réclame de vous qu’une attention indulgente car mon opinion n’a d’autre but que d’attirer l’attention sur ces problèmes.
Avec l’expression de mes sentiments respectueux,
Simone Jérôme
Commentaire de Simone Jérôme, le 3 avr 2007 à 10:15Le fait même qu’un livre comme celui-là nécessite une mise en garde trahit une faiblesse de la science. Elle est aussi un ensemble de croyances.
Ca n’a sans doute choqué personne qu’un commentaire précédent mentionne le géocentrisme comme un summum de l’obscurantisme. Pourtant, pendant des milliers d’années, des observateurs méticuleux du ciel y ont honnêtement cru. Combien de lecteurs de ce blog ont une preuve de l’héliocentrisme ? Quant à moi, si je pense que la terre tourne autour du soleil et non pas l’inverse, je suis forcé d’admettre que c’est en fin de compte parce qu’on me l’a dit et que j’y ai cru. Il en est de même de la nature des étoiles, de la double hélice d’ADN, de la structure de l’atome, et aussi de l’évolution des espèces.
Bien sûr, la raison pour laquelle je crois profondément en l’héliocentrisme c’est que je sais que des gens ont envoyé des sondes explorer le système solaire, et qu’ils n’y seraient pas parvenus si leurs conceptions avaient été fausses. De la même manière, je crois aux lois de l’électromagnétisme parce que nous sommes entourés d’appareils électriques qui fonctionnent, et je crois en l’évolution des espèces parce qu’on m’a dit qu’il existe des fossiles pour en attester. Tout cela n’en reste pas moins des croyances.
Dans la pratique de la science, et en particulier de la recherche scientifique, il faut bien se résoudre à croire parce qu’il est impossible de tout vérifier. On croit parfois les conclusions d’un article sans l’avoir compris en détail, au mieux parce qu’on ne maîtrise pas les techniques utilisées, au pire parce qu’on fait confiance à l’auteur. La croyance n’est donc pas l’apanage des personnes peu instruites. Les scientifiques en usent souvent, et parfois ils se font berner comme tout le monde. Les fraudes scientifiques célèbres sont la preuve de l’autorité un peu irrationnelle dont peuvent jouir certains chercheurs et certains éditeurs. La science et l’obscurantisme sont tous deux faits de croyances. Ce qui est louable dans la science c’est l’honnêteté et la rigueur qui accompagne le développement d’une croyance.
Tout scientifique que je sois, je sais peu de choses par rapport à toutes celles auxquelles je crois. Il n’y a rien d’étonnant à ce que certains ne considèrent l’évolution des espèces que comme la croyance des forts en maths. Donnons donc l’exemple plutôt que la leçon, et allons vérifier si la somme des angles d’un triangle vaut bien 180 degrés, comme nous sommes sans doute nombreux à le croire.
Commentaire de Gommes Cédric, le 20 avr 2007, sur le blog interne
Commentaire de Bernard Rentier, le 20 avr 2007 à 23:00Je réponds à ceci dans un nouvel article (le 22 avril 2007).
Commentaire de Bernard Rentier, le 22 avr 2007 à 21:36Ca en vaut bien la peine.
Monsieur le Recteur,
La première alerte est peut-être passée mais la pensée critique n’est pas sauve pour la cause. Lisez plutôt ceci : http://www.futura-sciences.com/fr/sinformer/actualites/news/t/paleontologie/d/creationnisme-le-conseil-de-leurope-veut-il-enterrer-darwin_12297/
Bien à vous,
Simone Jérôme
Commentaire de Simone Jérôme, le 6 juil 2007 à 17:02