mar 17 avr 2007
Par le gros bout de la lorgnette
Posté par Bernard Rentier dans Politique interuniversitaire8 Commentaires
« Au bout de leur chemin, Isabelle Thomas et Jacques Thisse plaident dans un premier temps pour « un grand pôle scientifique au niveau wallon », qui regrouperait l’ULB, l’UCL, les Facultés agronomiques de Gembloux et les Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur. «
— Le Soir, le 16 avril 2007 —
Loin de moi le désir de monter au créneau chaque fois que des universitaires font part à la presse du résultat de leurs études. En particulier, je ne me permettrais pas de remettre en question les données brutes d’une étude réalisée dans un domaine dont je ne suis pas un spécialiste. Mais je ne peux m’empêcher de réagir lorsque, forts de leurs résultats, les chercheurs franchissent un pas de trop et se permettent de tirer des conclusions qui n’ont, en fait, rien à voir avec la stricte interprétation scientifique de leurs données.
Je suis toujours sidéré par l’arrogance de certains chercheurs de talent (Jacques Thisse est lauréat d’un des prix quinquennaux 2006 du FNRS) qui, forts de leur science, dérapent et outrepassent, avec une naïveté désarmante, leur champ de compétence.
Je suis toujours navré de voir la presse se précipiter sur des affirmations simplistes et donner un retentissement indu à des conclusions manifestement abusives.
Bruxelles et Luxembourg sont des villes d’importance européenne: aucune surprise.
Bruxelles et Luxembourg sont des villes où les loyers sont chers, où les propriétés sont chères, où les salaires sont élevés, où le taux de chômage est moindre, etc.: aucune surprise.
Tracer une ligne droite entre ces deux cités et déclarer l’utilité exclusive d’un axe qui les rejoint et où se dessinerait la prospérité future est d’un simplisme désarmant.
Exclure tout ce qui n’est pas dans cet axe n’a aucun sens.
Ne voir d’avenir que dans ces deux métropoles, telles des étoiles sœurs (qu’elles ne sont pas d’ailleurs, elles sont trop dissemblables), sur le seul critère de la prospérité du moment témoigne d’une incroyable étroitesse de vue.
Etendre le raisonnement aux universités est extraordinairement abusif. Il faut vraiment vivre dans sa petite tour d’ivoire au milieu d’un environnement nanti et confortable pour imaginer que les seuls pôles scientifiques qui méritent de subsister sont ceux qui se trouvent dans des zones économiquement prospères.
Déclarer que « le seul pôle scientifique d’avenir au niveau wallon regrouperait l’ULB, l’UCL, les Facultés agronomiques de Gembloux et les Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur » est tout simplement consternant. C’est méconnaître gravement toutes les universités de la Communauté française de Belgique, assimiler leur valeur à leur position géographique et au contexte économique local dans lequel elles se développent et c’est donc tout confondre.
Quelle énormité absurde et péremptoire ! Quel dommage pour la crédibilité de ces chercheurs en particulier et de la recherche en général !
On dira sûrement que je suis indisposé par cette analyse parce que je suis liégeois et que je défends mon université. Certes. Mais franchement, de quel aveuglement faut-il être frappé pour faire tout bonnement disparaître du paysage wallon sa seule université publique complète, une université qui n’a rien à envier à personne en matière de recherche, d’enseignement et de contribution au développement régional ?
Par le gros bout de la lorgnette, on n’y voit guère plus loin que le bout de son nez.
Voilà qui est bien dit.
Est-ce également envoyé au Soir pour qu’il publie au moins une mise au point ?
Réponse: Oui, bien sûr. Ils en feront ce qu’ils voudront.
Commentaire de Christine Pagnoulle, le 17 avr 2007 à 23:36BR
Bien que Bruxellois de résidence comme de naissance, et de surcoît diplômé de l’ULB pour laquelle j’ai travaillé pendant quinze ans et garde mon affection, je ne peux que partager l’indignation du recteur de l’ULg devant une profession de foi aussi stupidement myope. Passe encore si une opinion fondée sur de tels critères avait été émise en des temps où les routes étaient nécessaires pour se rejoindre, se voir et se parler. Mais à l’ère numérique…
Commentaire de Charles Bricman, le 18 avr 2007 à 0:39Monsieur le Recteur,
J’ai lu avec intérêt, mais surprise, votre intervention parue sur votre blog. Comme vous n’y allez pas de main morte, je pense devoir réagir à un certain nombre d’inexactitudes publiées.
1. Nous n’avons jamais dit que «le seul pôle scientifique d’avenir au niveau wallon regrouperait l’ULB, l’UCL, les Facultés agronomiques de Gembloux et les Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur » mais qu’ « il existait pourtant une alternative susceptible de donner naissance à un grand pôle scientifique wallon au niveau européen » ce qui est très différent. La citation est donc totalement erronée.
2. Etant donné que l’axe Bruxelles-Namur est celui qui connait la croissance la plus forte en Wallonie depuis plusieurs années et que cette croissance est en accord avec des tendances lourdes observables dans d’autres pays – la métropolisation croissante des économies développées – je ne vois pas où il y a dérapage de notre part en disant qu’il est souhaitable d’accompagner – et si possible de nourrir – autant que faire se peut cette croissance par un renforcement des centres universitaires qui se trouvent le long de cet axe. Une telle suggestion est en accord avec tout ce que l’on sait de manière scientifique en matière de développement régional moderne.
3. Même à l‘époque du numérique, la proximité reste un atout important. A titre d’exemple, la Silicon Valley montre combien la proximité géographique reste un facteur important en matière d’innovation, du moins dans un certain nombre de disciplines. En plaidant pour une académie qui aurait regroupé les institutions universitaires que vous et nous citons, nous cherchions à favoriser au maximum les synergies entre ces institutions proches et situées le long de l’axe Bruxelles-Namur. Si vous souhaitez une plus grande coopération entre toutes les institutions universitaires de la Communauté Wallonie-Bruxelles, je ne puis que vous suivre. Mais là n’était pas l’objectif de notre article, dont les limites avaient été tracées par les « editors » du livre dans lequel elle va paraître.
4. Nous ne tirons pas une ligne entre Bruxelles et Luxembourg. Nous faisons simplement remarquer que des choses très intéressantes se passent aux deux extrémités de cette ligne et que l’on doit en tenir compte dans la politique de développement de l’espace wallon. Notre article est avant tout un constat d’une situation dont beaucoup de Wallons n’ont pas conscience.
Pour le reste, je ne souhaite pas polémiquer. Je regrette que vous n’ayez pas profité de ce travail, modeste je l’admets et qui est sur le site du CORE depuis des mois, pour formuler des contre-propositions qui puissent aider les Wallons et les Bruxellois à définir un projet commun pour leur avenir. Sommes-nous devenus incapables de dialoguer sereinement de différentes propositions afin de promouvoir ce nouvel état esprit dont nous avons tellement besoin ?
Soyez assuré, Monsieur le Recteur, de mes sentiments les meilleurs.
Jacques Thisse
Commentaire de Jacques THISSE, le 20 avr 2007 à 11:08Si je comprends bien, le paysage universitaire francophone qu’il faudrait favoriser ressemble à un papillon auquel on couperait les ailes (Liège, Mons-Charleroi)…
Surprenant!
Commentaire de Hornick Jean-Luc, le 20 avr 2007, sur le blog interne.
Commentaire de Bernard Rentier, le 20 avr 2007 à 22:55Cher Monsieur Thisse, mon cher Collègue,
J’admets volontiers que ce n’est pas à votre étude que j’ai réagi, mais bien à l’article du Soir, comme la très vaste majorité des lecteurs de ce journal qui n’ont pas analysé votre publication scientifique. Je reconnais mon tort à cet égard.
Mon coup de griffe impulsif était autant adressé au journaliste qu’à vous-même: je regrette qu’il n’ait pas pris la peine de refléter votre réflexion plus mûrement.
La phrase: «Le seul pôle scientifique d’avenir au niveau wallon regrouperait l’ULB, l’UCL, les Facultés agronomiques de Gembloux et les Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur », si vous, vous ne l’avez jamais prononcée, était écrite en toutes lettres dans l’article dont elle est copiée textuellement. Si la citation est erronée, c’est dans le Soir qu’elle l’est ou alors, c’est une extrapolation du journaliste qui a dépassé votre pensée.
Comme le débat sur l’organisation des pôles de développement scientifique est actuellement aussi chaud que celui de la refonte du paysage des universités en Wallonie, je ne pouvais rester sans réaction à cet article ni aux innombrables sollicitations qui m’étaient faites à cet égard.
Dans l’échange de courriels que nous avons eu depuis cet incident, vous me dites: « Comme vous, je pense, le développement de notre région m’est cher. Franchement, que cela passe d’abord à Liège, Mons ou en tout autre endroit ne me semble pas être le point principal, du moins dans un premier temps. La priorité est que les choses bougent et tant mieux si elles bougent en plusieurs endroits. Mais force m’est de constater qu’elles bougent principalement dans la grande région bruxelloise et que nous, Wallons, devons en tenir compte. Il va de soi que je suis tout à fait d’accord pour ce que cette opinion soit débattue même si les faits – et les théories – me semblent difficilement discutables. Mais tout cela fait partie du débat scientifique et démocratique auquel nous sommes tous les deux attachés. « .
Je suis tout à fait preneur pour un débat, une discussion documentée à laquelle participeraient des spécialistes des universités de la CFB et qui nourrirait la réflexion politique en la matière. Je veillerai à stimuler le lancement de cette initiative.
« Enfin, était-il raisonnable de m’attaquer du point de vue scientifique sans que nous n’ayons pu en discuter et sans avoir lu notre article. Le climat général n’est-il déjà pas assez mauvais en Wallonie et entre Francophones pour y ajouter une couche supplémentaire. J’ai fait toutes mes études à l’Université de Liège. Je m’en suis toujours réclamé et suis fier d’en être un ancien. Je ne puis donc m’empêcher de penser – et d’autres avec moi – que vous m’avez traité de manière incorrecte et injuste. Mais je m’arrête là car la discussion deviendrait très vite stérile ».
Désolé que vous ayez ressenti incorrection et injustice de ma part. Ce n’était pas le but. Ceci est un blog, et c’est fait pour être spontané. Désolé également si je vous fais dire des choses que vous n’avez pas dites, mais admettez que la confusion était facile. Je peux vous dire que cet article, sous la forme qu’il revêt et sans juger du fond de votre travail, a été ressenti par de très nombreuses personnes comme plutôt inadéquat dans le débat actuel.
La Wallonie est un mouchoir de poche. Si, pour reprendre votre argument, on prenait la Silicon Valley pour la transplanter chez nous, elle tiendrait à peine dans un espace s’étendant de Tournai à Virton. J’ai toujours plaidé, on le sait, pour une confédération des universités francophones qui n’omettrait personne et qui s’étendrait de Mons à Arlon en passant par Gosselies, Louvain-la Neuve, Gembloux, Namur et Liège, et qui permettrait aux spécificités de chacune des institutions de s’exprimer au sein d’un ensemble cohérent et harmonieux, pour le bien général de notre région.
Pour moi, l’effort de soutien à la recherche doit porter sur les points forts où qu’ils se trouvent. Eviter le saupoudrage, c’est savoir reconnaître objectivement les compétences. S’il s’avérait qu’aucune ne se trouve à Liège, je serais le premier à admettre que les incitants doivent aller ailleurs, mais ce n’est pas le cas. Je plaide donc pour l’objectivité quant à l’existence de l’excellence, où qu’elle soit ainsi que pour le support collectif qui doit lui être accordé.
Il est un point sur lequel je suis entièrement d’accord avec vous: ne polémiquons pas stérilement. Organisons plutôt une rencontre entre spécialistes et travaillons constructivement.
Par ailleurs, je vous fais mes excuses si mes propos vous ont offensé.
Commentaire de Bernard Rentier, le 21 avr 2007 à 8:30Merci au recteur Rentier d’avoir réagi vite et fort.
Ce sont les 4 paragraphes de réponses de Jacques Thisse que je voudrais commenter ci-après.
Pour le paragraphe 1, il est bien que le débat n’ait pas porté uniquement sur les phrases des auteurs telles quelles mais qu’elles aient été reformulées pour que l’on comprenne bien ce qu’elles veulent dire, c’est-à-dire ce qu’elles IMPLIQUENT. Par exemple, le mot « alternative » présente le problème de façon dichotomique : l’UN de DEUX. Si l’un des deux plans est adopté, l’autre est exclu.
Dans son paragraphe 2, J. Thisse parle de tendances lourdes du développement régional. Une tendance lourde n’est pas forcément bénéfique (cf le réchauffement climatique). La connaissance scientifique de ce QUI EST ne doit pas forcément supplanter la conception de ce qui POURRAIT ETRE (ou DEVRAIT ETRE). Est-ce la course aux mégalopoles et, en conséquence à l’appauvrissement des « hors-centres » que l’on VEUT ? Je ne sais pas le sort que cette vision réserve par exemple à la région de Mons-Charleroi.
Les paragraphes 3 et 4 me semblent se contredire. Si c’est la proximité géographique qui compte (§3), alors que vient faire Luxembourg dans l’affaire, ainsi que la densification de la nationale 4 (dans l’article sur le site du CORE) ?
Dans le paragraphe final, Jacques Thisse ne souhaite pas polémiquer. C’est vrai que ce mot porte en lui la notion de guerre. Comment notre recteur (et tout lecteur de l’ULg) pouvait-il interpréter autrement le texte (du Soir) qui a mis le feu aux poudres ? Ne pas réagir, et fort, eut été un pris pour un feu vert, un « qui ne dit mot consent ». Et lundi prochain, le titre, dans Le Soir (ou LLB), aurait été « Quand ? ». Puis, un an après la suppression de l’ULg, on lirait : «Devant l’excès de centralisation, l’installation d’antennes à Liège commencera par l’occupation des locaux existants… ». Retour au point de départ, mais sans que les acteurs locaux aient le même pouvoir sur leur propre destin, enjeu crucial à l’ère des délocalisations effrénées.
L’idée est sur le site du CORE, il est vrai et je recommande à chaque Wallon de le lire. Un « dialogue serein » aurait consisté à en débattre scientifiquement (un symposium) avant d’en donner le retentissement que l’on sait par les journaux. Et ce d’autant plus que l’on assiste à des regroupements d’institutions universitaires. Le fait qu’elles soient toutes très largement financées par les deniers publics et qu’elles aient toutes des missions essentielles de services publics devrait les amener à des réflexes de solidarité plutôt que de rivalité, malgré des mécanismes extérieurs (de financement) favorisant cette rivalité. Dans le monde politique belge, la force des universités de la CFWB a été, jusqu’à présent, leur cohésion, notamment au FNRS, au CREF et au CIUF.
Je suis heureux du point sur lequel notre recteur est d’accord avec Jacques Thisse : il faut dialoguer (c’est d’ailleurs la définition même de la science: un échange, une confrontation, un débat d’idées argumentées). Pourquoi pas d’ailleurs d’abord sur le texte écrit par Jacques Thisse et Isabelle Thomas (7 octobre 2006). Et ce pour examiner le bien fondé de ses analyses, de ses conclusions, et surtout pour examiner DIFFERENTES propositions, comme il le dit lui-même. Il y en a au moins une (autre) qui mérite d’emblée d’être considérée : celle qui a amené à la création de l’université de Maastricht (et d’autres universités dans le monde) il y a 35 ans, sur les recommandations de l’OCDE visant à dynamiser le développement économique régional. L’ULg est devenu le plus gros employeur de la région liégeoise ; quoi d’étonnant dans cette partie du continent où domine le secteur tertiaire de l’économie ? Voudrait-on en priver la région ? Comme les autres grandes universités, L’ULg produit des spin-off. Voudrait-on les délocaliser elles aussi ?
Enfin, si l’on s’écarte un peu du raisonnement entièrement économique pour prendre des critères scientifiques, bigger est-il toujours synonyme de better ? Pour ne prendre que trois exemples, que je connais un peu mieux, les universités de Maastricht (11.500 étudiants) de Carnegie Mellon à Pittsburgh (10.000 étudiants), du Colorado à Boulder (28.000 étudiants), universités petites ou moyennes, n’en produisent pas moins des programmes de formation, des laboratoires de recherche, des chercheurs et des prix Nobel que bien d’autres universités, plus grosses, leur envient.
Le recteur Rentier a dit haut et fort : l’université de Liège existe, veut exister et être entendue ! Avec toutes les institutions universitaires du pays, il faudrait que les propositions du type de celles de Jacques Thisse et d’autres propositions (dont celles qui existent !) soient débattues. « Tout le monde est appelé au parloir » comme disait Raoul Duguet, ce copain québecquois de Julos Beaucarne.
Dieudonné Leclerq
Commentaire de D. Leclercq le 21 avril 2007, sur le blog interne.
Commentaire de Bernard Rentier, le 21 avr 2007 à 13:34Je dois préciser, après avoir conversé avec Jacques Thisse, que ce qu’Isabelle Thomas et lui ont dit textuellement dans le Soir, est qu’ils préconisent la création d’ «un grand pôle scientifique au niveau wallon» et non pas «le seul pôle scientifique d’avenir au niveau wallon». Ceci ne veut donc pas dire qu’il n’y en aurait qu’un, mais qu’il y en aurait un…
Nuance qui ne saute pas aux yeux, on en conviendra (beaucoup de lecteurs l’avaient compris comme exclusif), mais qui fait toute la différence.
Reste donc à considérer ce que pourrait être un pôle recouvrant ainsi trois académies (ULB, UCL/Namur, Gembloux), si ce n’est quelque chose qui ressemble fort à ce que je préconise. A ceci près que j’y inclus, moi, Mons, Charleroi-Gosselies et Liège. On n’est pas de trop en Wallonie pour faire un pôle.
Base intéressante pour un débat, non ?
Commentaire de Bernard Rentier, le 21 avr 2007 à 18:12Extraits de l’article (en PDF) de Thisse & Thomas:
JT & IT: « Il est impératif de favoriser les pôles urbains offrant le potentiel de développement le plus élevé. Dès lors, une bonne gouvernance aurait voulu que les pouvoirs publics wallons participent au renforcement des points forts de l’armature urbaine de leur région. Or, la Région wallonne a suivi pour elle-même la politique opposée en choisissant de déconcentrer ses différentes instances entre plusieurs villes. Outre une réelle perte d’efficacité due à l’absence de synergies entre instances ainsi dispersées, on s’est privé de la formation d’un grand centre administratif qui aurait pu engendrer des effets d’entraînement, surtout s’il avait pu être couplé avec un centre industriel et universitaire. Le mal est fait nous dira-t-on et il ne sert à rien d’y revenir. Ce n’est pas notre avis. Il est important pour une société de comprendre la nature de ses erreurs passées car c’est sans doute la seule manière qu’elle ait de les eviter dans le futur ».
BR: On ne peut être que d’accord. La Région a, en effet, complètement raté à l’époque de sa mise en place administrative, l’occasion logique de faire de Liège — grand centre urbain couplé avec un centre industriel et universitaire — sa capitale. Certes, elle a donné à Liège le statut de « capitale économique », mais sans faire de ce slogan une réalité. Un même raisonnement peut donc conduire à deux conclusions différentes…
JT & IT: « Et de fait, cet exemple malheureux s’est répété de nombreuses fois. Un cas emblématique récent d’un saupoudrage malheureux nous est fourni par l’essaimage universitaire. On a vu que les grandes villes sont la source d’externalités en matière de développement des connaissances. Ce développement a évidemment toutes les chances d’être renforcé par la présence d’universités renommées et dynamiques. Dans un tel contexte, on peut donc se demander s’il est raisonnable pour la Communauté Wallonie-Bruxelles de maintenir neuf institutions universitaires! Même si le passé ne permet pas l’effort de rationalisation que l’on pourrait souhaiter, une spécialisation et une coopération plus poussées des universités sont souhaitables. Le récent décret portant sur la réorganisation des universités francophones va exactement dans la direction opposée en gelant les trois principales universités au sein d’académies peu incitées à travailler ensemble. Dans le cas présent, il existait pourtant une alternative susceptible de donner naissance à un grand pôle scientifique wallon au niveau européen. Celui-ci aurait associé quatre institutions universitaires séparées par des distances très faibles (ULB, UCL, Faculté universitaire des sciences agronomiques de Gembloux et les Facultés Universitaires Notre Dame de la Paix à Namur), par ailleurs toutes situées sur l’axe Bruxelles-Namur. Pour ceux qui connaissent la réalité du monde de la recherche, il est clair que la mise en œuvre de mécanismes incitant ces institutions à coopérer intimement aurait donné naissance à de nombreuses complémentarités et synergies, les rendant ainsi plus efficaces. Qui plus est, la création d’un tel pôle universitaire a d’autant plus de sens que le développement économique wallon se fait principalement le long de ce même axe, ce qui aurait renforcé d’autant son attractivité du point de vue des entreprises.
Ces deux exemples, choisis parmi d’autres, sont le résultat de décisions prises par des gouvernements différents. Ils confirment, si cela était vraiment nécessaire, que le saupoudrage est bien la manière dont les Wallons cherchent à résoudre leurs problèmes. Pourtant, rien ne condamne la région et la communauté à une telle répétition d’erreurs. Les gaspillages réalisés ont été et restent considérables. Malheureusement, ils ne sont pas évalués – ni évaluables puisque les bonnes politiques ne sont tout simplement pas mises en œuvre. On peut donc continuer à prétendre à bon droit qu’ils n’existent pas. De surcroît, la dispersion des institutions et des emplois y afférant est en accord avec un principe d’équité spatiale qui flatte le sous-régionalisme wallon. S’il est des domaines – pensons aux services d’urgence – où l’application de ce principe est souhaitable, on doit s’interroger sur son bien-fondé en ce qui concerne la revendication de la proximité de l’emploi et le redéploiement industriel ».
BR: Tout à fait d’accord avec l’idée de mettre en place des synergies. J’ai juste un doute quant à la faisabilité politico-académique du pôle proposé et un sourire ironique à propos de la notion de distance. En Wallonie, rien n’est loin de rien. Regardons les cartes présentées dans l’article, elles montrent clairement que les zones densément peuplées en Wallonie (hors Bruxelles évidemment) sont sur un axe d’Ouest en Est le long de la vallée Sambre-Meuse (fig 2, page 12). Il en va de même pour l’ « armature urbaine » (fig 4, page 13). Seul le coût élevé des loyers met en évidence le Brabant, Namur et le sud-Luxembourg (fig 7, page 15). Or chacun sait que la proximité de Bruxelles et du Grand-Duché expliquent le premier et le troisième constat. Quant à Namur, si le coût de la vie y est artificiellement élevé, c’est parce qu’il y a été transféré avec les institutions et non généré sur place.
JT & IT: « La Wallonie est un très petit territoire (16.645 km2) et elle l’est encore davantage si l’on se réfère aux seules zones densément peuplées. En conséquence, nous ne pouvons plus attendre que l’emploi vienne à nous, c’est à nous d’aller vers lui, partout où il est disponible. Si le choix d’une résidence est évidemment libre, aucun droit économique ne lui est par principe attaché ».
BR: c.q.f.d.
Commentaire de Bernard Rentier, le 22 avr 2007 à 8:28