lun 2 avr 2007
Dans le dernier numéro de la revue Futuribles, Jean-Jacques Salomon (professeur honoraire au Conservatoire National des Arts et Métiers, auteur de « Survivre à la Science; une certaine idée du futur » chez Albin Michel), publie un article intitulé: « L’assassinat des universités françaises ». Sous ce titre provocateur, on trouve des éléments de réflexion bien intéressants pour nos universités de la Communauté française de Belgique, même si comparaison n’est pas raison…
J-J. Salomon s’inquiète du mauvais classement des universités françaises selon l’université Jiao Tong de Shanghai ou le Times Higher Education Supplement (THES). Il attribue ce mauvais résultat au fait qu’en France, les structures d’excellence en recherche sont distinctes de l’université et que les grandes écoles côtoient les universités mais en sont indépendantes.
On ne peut certes extrapoler ces caractéristiques à nos institutions.
Toutefois, pour lui, si la dégradation des universités françaises est incontestable, elle n’est pas due exclusivement à une insuffisance de financement. Selon lui, elle est imputable à quelques éléments qui bloquent l’évolution des universités:
1. leur manque d’autonomie,
2. le mode d’affectation des crédits,
3. le statut de fonctionnaire des chercheurs,
4. le centralisme d’État,
5. la multiplication des universités,
6. l’augmentation considérable du nombre d’étudiants, sans que les moyens d’encadrement n’y soient ajustés, « résultant d’une pseudo-démocratisation de l’enseignement secondaire et de la priorité accordée en France aux filières d’enseignement long plutôt qu’aux enseignements professionnels et techniques excessivement méprisés. L’objectif d’amener 80 % d’une génération au niveau du baccalauréat est profondément démagogique et trompeur, d’abord, en raison du nombre de jeunes sortant du système éducatif sans diplôme ni formation, ensuite parce que cela n’empêche pas les meilleurs de s’orienter vers les établissements d’enseignement supérieur de haut niveau, enfin parce que tous les autres se trouvent orientés dans des universités qui n’ont en réalité pas les moyens de les accueillir convenablement, a fortiori d’amener tout le monde au niveau d’excellence auquel seule une dizaine d’universités pourraient prétendre ».
Là, par contre, nous pouvons établir des comparaisons en reconnaissant que le centralisme est moins marqué chez nous, mais en admettant que pour ce qui est des autres points, nous avons intérêt à nous interroger sérieusement.
Quel remède prescrit-il ?
« Conférer aux universités une autonomie suffisante pour qu’elles puissent choisir leurs étudiants, leurs professeurs, leurs administrateurs, leurs droits d’inscription, leurs orientations, leurs programmes… »
Qu’en est-il chez nous ?
Nous ne choisissons pas nos étudiants, il est vrai. Nous sommes loin du système maintenant appliqué chez nos voisins de l’Université de Maastricht, qui sélectionnent leurs étudiants par un système de « matching ». Un interrogatoire amène à déterminer l’adéquation de l’étudiant à l’Université, en d’autres termes, « l’étudiant convient-il bien à l’Institution ? ». J’imagine mal une telle approche chez nous.
Nous choisissons nos professeurs et même si ils doivent être confirmés par le Ministre de tutelle, il est rarissime que ce choix soit contesté. Il en est de même pour nos administrateurs (au sens large), élus par leurs corps, seul les extérieurs étant désignés par des instances hors de notre contrôle.
Nous n’avons pratiquement aucun contrôle sur l’établissement des droits d’inscription (si ce n’est à la baisse!) et toutes les institutions universitaires pratiquent les mêmes tarifs, par ailleurs très réduits en comparaison avec les autres pays.
Quant aux orientations et aux programmes, nous sommes plus que jamais, depuis 2004, dépourvus de toute autonomie à cet égard.
Pour le reste, l’inquiétude concernant la multiplication des universités et la massification des effectifs étudiants devrait nous alarmer également.
L’analyse de J-J. Salomon à propos de l’assassinat des universités françaises s’applique donc, sinon complètement, en tout cas assez largement aux nôtres et son cri d’alarme devrait nous interpeller sérieusement.
Il y a un point sur lequel je suis d’accord avec l’analyse proposée : l’absurdité de vouloir amener toujours davantage de jeunes à faire des études universitaires (donc aussi l’absurdité des pressions sur les enseignants pour qu’ils n’arrêtent pas trop de monde en première année là où de telles pressions existent ?). Pour le reste, il prône plutôt une politique de concurrence – privatisation, non ?
Commentaire de Pagnoulle Christine, le 4 avr 2007 sur le blog interne
Commentaire de Bernard Rentier, le 4 avr 2007 à 23:11Oui, bien sûr! Quand on dit “choisir les étudiants, les professeurs, les droits d’inscription”, on ne parle pas de la même autonomie que quand on parle de “choisir les orientations et les programmes”!
C’est pourquoi je me démarque clairement de ces idées si elles doivent mener, comme à Maastricht, à un risque manifeste de marchandisation.
Je ne suis évidemment pas pour la privatisation, mais simplement parce que nous sommes une université publique. Ailleurs et dans un autre contexte, cela pourrait se discuter, pour autant que les opportunités de chaque étudiant méritant restent égales quoi qu’il arrive.
Quant à la concurrence, je suis pour, si elle veut dire émulation. Il est des concurrences loyales comme il en est des déloyales. Ce sont ces dernières qui sont inacceptables, comme celles qui poussent à des dépenses inconsidérées en matière de publicité, de marketing et de chasse à l’étudiant.
Je suis donc en faveur d’un système qui valorise les études non universitaires et qui permette à chaque étudiant d’aller, sans gène ni remors ni complexe, exactement là où il souhaite aller. Mais ceci dans un cadre structuré, harmonieux, collaboratif et sans pénalité pour les universités. Une séparation des flux de ressources entre enseignement et recherche au sein de l’allocation subsidiante devrait faciliter cette évolution.
Mais cette approche est quelque peu complexe et méritera (bientôt sans doute) un article entier.
Commentaire de Bernard Rentier, le 4 avr 2007 à 22:08 e
Commentaire de Bernard Rentier, le 4 avr 2007 à 23:12Monsieur le Recteur,
Je suis très sensible à votre rapide réaction à mon article de « Futuribles » et crains, en effet, qu’à bien des égards — héritage français aidant ? — votre diagnostic sur les universités belges ne revienne aux mêmes raisons d’inquiétude, quelles que soient les différences.
Sans doute ai-je une expérience contaminée par les meilleures universités américaines et/ou britanniques… Ce qui me frappe, dans le cas français, c’est l’impéritie ou l’inadéquation — délibérées ? — des mesures adoptées depuis un demi-siècle pour « réformer » ces institutions…
Les dieux eux-mêmes, dirait Schiller, n’y pourraient rien.
Avec l’assurance de ma considération distinguée,
J.-J. Salomon, par courriel
Commentaire de Bernard Rentier, le 12 avr 2007 à 22:43Monsieur le Recteur
je lis cette information que je soumets à la réflexion…
cordialement
http://www.campagne.uottawa.ca/index-f.php
« L’Université d’Ottawa entame la plus importante campagne de financement depuis les débuts de son histoire, en 1848. L’objectif visé est d’amasser 200 millions de dollars, qui profiteront à des étudiantes et des étudiants de talent, qui permettront de recruter un corps professoral exceptionnel, et qui permettront de moderniser laboratoires et installations. Un don à la Campagne de l’Université canadienne constitue un investissement qui rend possibles les découvertes et les réalisations de notre pays, aujourd’hui et demain. »
Pierre Drion sur le blog interne
Commentaire de Bernard Rentier, le 13 avr 2007 à 13:43