J’ai signé aujourd’hui, au nom de l’ULg, la pétition en faveur d’un accès public garanti (dès après leur publication) pour les résultats des recherches réalisées avec l’aide de fonds publics.

Cette pétition soutient l’accès libre et gratuit à la recherche européenne et suit les recommandations proposées dans l’étude « Study on the Economic and Technical Evolution of the Scientific Publication Markets of Europe ».
C’est un moyen efficace de disséminer la connaissance et de la rendre largement accessible à la société.
La pétition est conforme à la déclaration d’octobre 2003 dite de Berlin sur le libre accès à la documentation scientifique.

Je vous encourage à la signer également, sur base individuelle, si vous partagez cette conviction largement répandue aujourd’hui quant au droit à l’accès libre, tout spécialement dans le cas des recherches subventionnées par les pouvoirs publics en général et européens en particulier.

C’est très facile, on y accède d’un simple clic.

Etant donné l’état d’ignorance dans lequel nous sommes quant à l’évolution future du paysage universitaire francophone belge d’une part, du paysage universitaire européen, voire mondial, d’autre part, il est essentiel, pour une institution universitaire comme la nôtre, de déterminer ses forces réelles ou potentielles et de leur donner tout son soutien, afin de lui permettre de se démarquer. Nous devons rechercher nos éléments d’attractivité, et ceux-ci résident inévitablement dans les domaines où nous faisons preuve d’originalité.

En termes de recherche, il nous est facile de repérer nos points forts et d’ensuite les encourager et les soutenir efficacement. Nous mettons d’ailleurs actuellement au point les incitants aux regroupements en centres de recherche à masse critique significative, tout en veillant à ne pas négliger les domaines émergents et prometteurs.

Mais si les axes de recherche les plus puissants contribuent fortement à notre spécificité et à notre attractivité, cette dernière se restreint à des domaines particuliers et ne s’étend pas à l’ensemble de l’Institution. Elle concerne plus particulièrement les chercheurs et professeurs, moins les étudiants, en particulier ceux du premier cycle.

Pour ces derniers, où se situe notre attractivité ?
1. dans le type de formation qu’ils vont recevoir,
2. dans les atouts complémentaires que nous allons leur offrir.

D’autres institutions universitaires, mieux que la nôtre, peuvent mettre en avant la qualité des logements, le cadre de vie intégré, l’encadrement de type familial, la vie dans une grande ville cosmopolite ou alors dans une ville presqu’exclusivement estudiantine, etc. Ce sont des atouts importants mais que nous ne maîtrisons que très partiellement ou de manière hybride pour la plupart, essentiellement pour des raisons historiques sur lesquelles je ne reviens pas ici.
Mais j’en tire les leçons pour déterminer quels sont les axes d’attractivité que nous pouvons réellement et réalistement développer.

Quelle formation nos étudiants vont-ils recevoir ?
Je préfère l’appellation « formation » à « enseignement » car c’est bien de la formation des jeunes que nous sommes chargés. Celle-ci m’a toujours paru plus importante que le remplissage des crânes.

Dès 2010, l’ULg sera une université dont on ne sort pas seulement instruit, mais formé, prêt à affronter la vraie vie, les vrais problèmes.

Apprendre à apprendre, disait-on déjà lorsque j’étais étudiant, mais rares (et précieux !) étaient ceux qui, parmi nos professeurs, adoptaient cette ligne de conduite dans leur mission académique. Depuis lors, les choses ont trop peu changé. Certes on me trouvera des exemples du contraire, on me citera celui de la faculté de Médecine et de son apprentissage par problèmes, celui de la faculté de Psychologie et des sciences de l’Education et son apprentissage par projets, les expériences de l’école de Gestion, ou des tentatives éparses qui dénotent bien la prise de conscience de cette nécessité de moderniser l’enseignement. Il est aujourd’hui indispensable que les jeunes accèdent le plus possible à la connaissance par leurs propres moyens, qu’ils soient mis en situation concrète, face à des problèmes à résoudre, activement.
Je sais que ces techniques pédagogiques ne sont pas la panacée. Mais je souhaite qu’on y fasse appel chaque fois que cela s’indique. Aucun enseignant ne peut faire l’économie d’une réflexion sur ce type d’approche (il en existe de nombreuses variantes).
J’encourage tous mes collègues à s’interroger à ce sujet et à recourir aux services de l’IFRES qui est à leur disposition à cet égard. Une formation appropriée sera désormais organisée systématiquement pour nos nouveaux chargés de cours.
Enfin, l’évaluation des enseignements et l’évaluation des enseignants seront désormais généralisées dans toutes les filières, dans le seul but de produire une information utile aux responsables de filières pour la première et à l’enseignant lui-même pour la seconde.

Quels atouts complémentaires allons-nous offrir à nos étudiants ?
Les enquêtes interne et externe que nous avons menées en 2006 nous indiquent clairement qu’un des points faibles de l’ULg, et des liégeois en général, est la connaissance des langues.
Il me semble aujourd’hui inadmissible qu’on puisse sortir diplômé d’une université sans connaître au moins une langue de plus que sa langue maternelle. Et il me semble impensable qu’une université tolère une telle carence.

Dès 2010, l’ULg sera donc une université dont on sort non seulement avec un diplôme, mais avec la maîtrise usuelle d’une langue étrangère.

Il s’agira sans doute pour la majorité de l’anglais, langue internationale véhiculaire par excellence, ouvrant par définition les portes de la communication partout dans le monde. Qu’on le veuille ou non, qu’on aime ou qu’on regrette, qui peut encore se passer de l’anglais aujourd’hui ? On trouvera aussi de la demande pour le néerlandais bien sûr, mais également l’allemand, l’espagnol et pourquoi pas le chinois…
Certes, mon engagement est audacieux. Il sera coûteux, surtout par sa mise en application généralisée à toutes les filières de l’Institution. Mais il est nécessaire. Il donnera à nos étudiants un « plus » incontestable.
Il nécessitera la mise en place, dès 2007 et dans toutes les filières, de 5 ECTS obligatoires d’une autre langue que le français (il pourra s’agir du français pour les étudiants étrangers dont ce n’est pas la langue maternelle). Cette matière aura la même importance que les autres lors des délibérations de jurys.

Plus audacieux encore : Dès 2010, l’ULg sera une université dont on sort, non seulement avec un diplôme et la maîtrise d’une langue étrangère, mais après avoir effectué un séjour d’au moins un quadrimestre dans une université flamande ou étrangère.

Comme pour la formation en langues, la généralisation de ce séjour extérieur à tous nos étudiants régulièrement inscrits à partir du 3e bac requiert un travail d’accompagnement énorme, j’en suis conscient, mais c’est aussi indispensable. Il est nécessaire, pour relever ce défi, d’accroître également la mobilité des encadrants car il n’est pas souhaitable d’envoyer nos étudiants dans des universités où nous n’avons pas un contact personnel et dont nous ne connaissons qu’indirectement la valeur des formations.

La formation en langues et la mobilité sont complémentaires. Toutes deux contribueront considérablement à l’objectif de formation et d’ouverture que nous nous sommes fixé pour nos étudiants. Elles constitueront désormais un « plus », un « bonus » pour tous ceux qui s’inscriront à l’ULg.

Voilà donc les défis que je nous lance, en pleine connaissance de leurs implications quant aux difficultés qu’il y aura à les relever. La charge de travail sera énorme et pèsera lourdement sur chacun d’entre nous. La charge financière sera également énorme et pèsera lourdement sur notre budget et sur le reste de nos initiatives, en particulier si nous voulons assurer le caractère démocratique de cette mobilité. En effet, ces défis ne doivent pas accroître les différences de moyens familiaux mais, outre leur rôle formateur pour tous, ils doivent constituer en eux-mêmes, pour nos étudiants les plus défavorisés, un véritable ascenseur social.

C’est ainsi que je conçois notre mission d’université publique.

Avec l’année nouvelle vient le temps des bilans.
Celui de 2006 pour l’ULg ayant été tiré à suffisance en décembre, chacun voyant aujourd’hui les progrès accomplis, les deux conseils d’administration de décembre dernier, fort chargés, ayant permis de dégager des pistes pour 2007 et le « Projet de l’ULg » ainsi que les perspectives à long terme qu’il laissera entrevoir nous demandant encore quelques semaines de patience, je resterai, en ce début janvier, sur un ton léger.

Et c’est donc du blog lui-même que je vais tirer le bilan pour 2006.
Il s’agit d’un mode d’expression inhabituel, pour un recteur. Que je sache, je n’ai fait école qu’auprès de celui de l’Université du Cap Vert, qui a eu l’amabilité de me prévenir et de m’attribuer la paternité de l’idée. On retrouve une telle initiative à Edimbourg et à l’Université Högskolan Boras en Suède.

Ecrire un blog est aussi un travail important et surtout relativement contraignant, bien que je m’octroie des congés de temps en temps ! Mais je lis régulièrement dans la presse ou sur l’internet divers commentaires et notes sur ma manière de communiquer.

Exercice délicat aussi car, bien que j’eusse annoncé d’emblée qu’il s’agirait d’une expression libre et que je ne me sentirais pas lié par le contenu comme par un PV de Conseil, il s’avère que ce que j’y écris est quand même compris comme parole définitive, ce qui m’incite à la prudence. Si je peux me permettre d’y insérer subtilement des ballons-sondes, je ne puis abuser du procédé.

Est-ce utile ? Il me semble que oui, au vu des réactions provoquées. Bien peu cependant, me direz-vous car en effet, le nombre de commentaires reçus directement sur le blog est fort réduit, beaucoup plus faible que je ne l’imaginais au départ. Je m’étais même préparé à constituer une petite équipe pour répondre aux sollicitations que j’attendais nombreuses. Ce fut inutile. Je peux fort bien gérer seul cet instrument et c’est sans doute ce qui lui donne son caractère personnel. Toutefois, je reçois beaucoup de commentaires verbalement ou par courriel. C’est donc avant tout la mesure objective du lectorat — facile à réaliser en l’occurrence — qui me convainc de continuer.

Cette mesure est en effet fort intéressante. Au fil de l’année, le nombre de visites du blog interne s’est maintenu constant : entre 2.000 et 3.000 par mois (soit 60 à 100 par jour). Par contre, le lectorat du blog externe s’est, lui, développé considérablement et est passé de 2.000 visites environ en février à environ 9.000 en décembre (soit plus de 300 par jour !), la croissance étant régulière, à l’exception d’un infléchissement naturel en été. Et ceci se reflète également par le nombre de personnes extérieures à l’ULg qui me parlent du blog, m’en citent des extraits, m’en commentent les idées et, souvent, me félicitent de l’initiative qu’ils trouvent heureuse, utile et originale.

Le blog externe devait a priori être moins complet que l’interne, il n’en a rien été, là non plus. Je n’ai pas rencontré de circonstance justifiant que je ne puisse communiquer vers l’extérieur ce que je déclare en interne.

Quelles sont ces deux populations de lecteurs ? Les « internes » sont ceux qui se connectent à partir d’un serveur ulg.ac.be. Parmi les autres, il en est certainement qui font également partie de l’ULg, mais qui appellent, régulièrement ou occasionnellement, d’un serveur extérieur, Skynet, Yahoo, etc. Je ne puis donc distinguer clairement une population d’internes et une population d’externes. Tout ce que me donnent les statistiques est que, sur le blog externe, les visites sont pour un bon tiers (36 %) originaires de Belgique (.be), 20 % d’un serveur .com, 11 % de France, 3 % de Tchéquie et, pour le reste, dans l’ordre, du Canada, du Maroc, de Suisse, d’Allemagne, du Japon, des Etats-Unis, des Pays-Bas, d’Israël, des Emirats, d’Italie, du Luxembourg, du Royaume Uni, de serveurs .org, d’Australie, de Slovaquie, de Thaïlande, du Portugal, de Norvège, du Brésil, de Pologne, de Grèce, de Lituanie et enfin du Vietnam. Compte tenu que le blog est rédigé en français, le profil de diffusion n’est pas sans intérêt.

Quoi qu’il en soit, cette progression régulière du nombre de lecteurs m’incite à penser que ce blog présente une utilité, qu’il peut continuer à refléter mes idées vers l’extérieur de l’ULg et que cela intéresse un certain nombre de personnes. Même si l’intérêt est moins clairement démontré en interne, je continue à penser que le blog est considéré par certains comme une source d’information transparente et, je l’espère, utile. Je dois à la vérité de dire que si le lectorat du blog interne oscille en général autour d’une moyenne de 100 visites par jour, il présente des pics de l’ordre du millier de visites lorsque l’intranet de l’ULg annonce spécifiquement une intervention de ma part sur un sujet particulier. Et le jour du lancement, le 3 octobre 2005, on a atteint le chiffre record de 3.229 visites !

Mon seul regret, à ce stade, est le manque d’une vraie interactivité, pourtant permise par la technique. Qui sait, peut-être un jour le dialogue s’installera-t-il réellement…
En tout cas, après la publication du « Projet », j’espère !

Meilleurs vœux pour 2007 à tous mes lecteurs !

Voici un nouveau commentaire concernant mon article du 20 mai dernier (Accès libre):

“Bravo pour cette mise au point et au clair, argumentée, mesurée et efficace. Je souhaite que les autorités (présidents et recteurs) des universités francophones suivent pleinement leur collègue le Recteur de l’Université de Liège.
Pour ce qui la concerne, et reprenant les injonctions de Steve Harnad pour la mise à disposition rapide et libre des résultats de la recherche publique, l’Université Lyon 2, à travers son service éditorial, les Presses universitaires de Lyon, met en ligne la totalité de ses thèses soutenues et exige maintenant un dépôt électronique de la thèse, et a entamé une mise en ligne d’une importante partie de son catalogue de monographies nouvelles ou épuisées. Elle offre enfin un dépôt d’archives institutionnel plus classique et d’un site de publication destiné aux colloques (le tout bien sûr OAI-PMH).

Jean Kempf
Professeur des Universités
Directeur
Presses universitaires de Lyon
86, rue Pasteur
F-69365 Lyon Cedex 07
France

http://presses.univ-lyon2.fr/

L’Université Lumière Lyon 2 est signataire de la Déclaration de Berlin sur l’accès ouvert

Monsieur le Recteur,

Une profonde réorganisation de l’Université est plus que jamais à l’ordre du jour dans divers milieux, appartenant ou non à la communauté universitaire.

Chacun sait, par exemple, que le mot de « département » revient souvent. Chacun peut remarquer aussi que ce nom consacré ne donne au mouvement de réforme qu’une apparence assez trompeuse de cohérence, comme chaque fois qu’un mot unique véhicule des idées, des options, des projets différents.

Parmi les nombreuses combinaisons agitées, laquelle deviendra notre réalité quotidienne ? Quels impératifs seront privilégiés, et lesquels sacrifiés ? Il paraît sain que nos dirigeants, avant de nous imposer leur solution, ne soient pas seulement guidés dans leur choix par les travaux des groupes relativement restreints qui ont eu jusqu’ici le mérite de formuler leurs préférences. Il convient que les autorités soient éclairées davantage sur le sentiment général, à la faveur d’un large débat. Autrement dit, tous feraient bien d’exprimer leurs avis sur l’organisation la plus efficace de leur travail et de les exprimer assez tôt, s’ils ne veulent pas en être réduits à échanger des regrets après l’événement, comme il est d’usage entre universitaires.

Les personnes occupées à l’Université sont assurément trop nombreuses pour élaborer directement un règlement détaillé. Aussi avons-nous des délégués pour de telles tâches. Mais les options que leurs décisions consacreront ne doivent pas méconnaître les nôtres. Ceux à qui nous avons donné notre confiance n’ayant pas été élus sur un programme, il importe que nous les mettions à même de bien connaître dans leur diversité les besoins réels de l’enseignement et de la recherche.

C’est pourquoi nous jugeons indispensable qu’au cas où l’un ou l’autre des principes fondamentaux qui suivent se verrait menacé, fût-ce indirectement, par les mesures projetées, ce ou ces principes fassent l’objet d’un referendum préalable dans chacun des corps qui composent la communauté universitaire. Il s’agit ici, non d’un nouveau projet de réforme, mais seulement de formuler quelques exigences premières.

I. L’Université devant avoir pour fin le service de la société, tandis que le but de la société doit être de servir ses propres membres, la démocratisation de la communauté universitaire ne doit pas nécessairement être à l’image de la démocratisation de l’État.

II. La recherche et l’enseignement ne sont pas les seules fins de l’Université, mais elles sont les premières.

III. Dans l’organisation d’un travail universitaire, si les fins scientifiques entrent en conflit avec d’autres fins idéologiques, les premières priment les secondes.

IV. Une recherche sérieuse comportant nécessairement des imprévus, son organisation la meilleure est la plus souple, celle qui permet au chercheur le plus de collaborations et qui lui en impose le moins.

V. La nomination d’enseignants et de chercheurs en fonction de leurs appartenances politiques, idéologiques ou philosophiques est un mal parce qu’elle diminue nécessairement la part faite à la considération de leur originalité, de leur compétence et de leur probité intellectuelle. L’institution d’un dosage systématise ce mal au lieu de le corriger.

VI. Au moment de désigner les personnes chargées d’apprécier les preuves d’un savoir, il ne faut pas oublier que celles qui n’ont pas fait elles-mêmes ces preuves risquent encore plus de se tromper que les autres.

VII. Il ne faudrait pas multiplier les organes de délibération jusqu’à une « polysynodie » paralysante, par quoi tout ce qui vit à l’Université finirait par s’occuper d’elle-même plutôt que du service pour lequel elle est instituée.

VIII. En choisissant la manière dont l’Université rendra service à sa région, il faut veiller à ne pas réduire celle-ci au rang d’une région sans véritable université.

Quels que doivent être l’ouverture de l’Université sur la société qui l’entoure, ses rapports avec les intérêts et les pouvoirs locaux et les services qu’elle leur rend, elle ne doit jamais rien accepter qui compromette sa liberté d’innovation, de révélation et de critique.

Comme certaines personnes que ces principes pourraient irriter seraient peut-être tentées de déguiser leur mécontentement sous le grief passe-partout de conservatisme, les signataires de cette lettre tiennent à vous assurer, Monsieur le Recteur, que ce qu’ils désirent n’est pas défendre l’ancien système avec ses défauts mais le voir remplacer par un système réellement meilleur.

Nous vous prions de bien vouloir agréer, Monsieur le Recteur, l’expression de nos sentiments déférents.

Paul BARTHOLOME, Arthur BODSON, Marie DELCOURT, Marcelle DERWA, Jean-Clair DUCHESNE, Marcel FLORKIN, Richard FORGEUR, Lucien FRANCOIS, Pierre GOTHOT, Paulette GUILLITTE, Léon-Ernest HALKIN, Charles JEUNIAUX, René JOLIET, André JORIS, Alphonse KOHL, Jules LABARBE, Paul LAMBERT, Jean LECLERCQ, Jean-Pierre MASSAUT, Paul MICHOT, Paul MINON, Philippe MUNOT, Guy QUADEN, Joseph STASSART, Roger VIGNERON.

Lettre ouverte au Recteur de l’Université de Liège, le 22 septembre 1972.

A l’occasion de la préparation des budgets 2007 de l’ULg, il est utile de définir en quoi les objectifs stratégiques que nous sommes en train de dégager auront un impact budgétaire dès cette année.

Il est clair que notre stratégie à long terme ne peut être dictée par des prévisions budgétaires, nous avons eu trop longtemps à souffrir de telles contraintes. C’est en effet l’inverse qui doit prévaloir : notre profil budgétaire doit servir nos axes stratégiques.

Enfin, il faut distinguer stratégie à long terme et stratégie à court terme, la seconde devant s’inscrire dans la première, sous peine de lourdes pertes de temps. Toutefois, la stratégie à long terme n’est pas encore clairement définie. La tradition universitaire elle-même n’a jamais été, contrairement à ce qu’ont appris les entreprises, de se projeter à 10 ou 20 ans et de se définir dans de tels délais. C’est là le côté immuable des universités, sûres de leur passé, donc de leur avenir.
Aujourd’hui, on se rend de mieux en mieux compte que l’avenir des universités est lié à la définition qu’elles peuvent donner d’elles-mêmes maintenant et surtout dans les décennies à venir.

Nous avons entrepris ce travail de définition. Il est basé sur un certain nombre de supports tels que ce blog et d’autres écrits, les divers discours et déclarations que j’ai eu l’occasion de faire, les discussions nourries du Collège Rectoral et du Conseil des Doyens, le considérable rapport d’auto-évaluation que la commission EvalULg a produit au printemps dernier , le rapport d’évaluation externe des experts de l’EUA, qui sera bientôt disponible sur notre site web, et enfin le « Projet de l’ULg » actuellement en cours de finalisation et qui sera basé sur tout ce qui précède, à quoi s’ajouteront les résultats et conclusions des 8 tables rondes organisées d’avril à juin dernier et ceux de l’enquête par Internet auprès de l’ensemble de la Communauté universitaire.

Bien que ces derniers éléments n’aient pas encore été publiés, et que la définition à proposer pour l’ULg dans un futur plus lointain ne soit pas encore prête — je l’ai promise durant l’année académique en cours — on peut déjà dégager certaines lignes à mettre en œuvre immédiatement (certaines le sont déjà) et qui auront un impact prévisible sur le budget de 2007.

En premier lieu, nous devons assurer la pérennité de l’ULg. Si ce n’est évidemment pas un but en soi, c’est néanmoins une préoccupation que j’ai évoquée et illustrée précédemment . Cette pérennité est indispensable pour la ville et la région de Liège.
Mais si l’ULg doit être pérenne, elle doit l’être dans des conditions et avec une qualité irréprochables.

Le premier souci est de maintenir et de renforcer sa notoriété et, partant, son attractivité tant nationale qu’internationale, afin de garantir la fréquentation étudiante et l’adhésion de chercheurs de valeur. Il est essentiel de renforcer et garantir la qualité de l’enseignement. Mais il est crucial également de renforcer et garantir la qualité de la recherche. Parler de qualité implique automatiquement la mesure de celle-ci grâce à des méthodes d’évaluation éprouvées.

Le deuxième souci est de préserver les spécificités et les valeurs de l’université en tant que telle, celles qu’elle s’arroge et auxquelles elle tient : le fait qu’elle soit publique, complète et pluraliste. Ces trois caractéristiques apparaissent clairement comme des atouts auxquels la communauté, lorsqu’elle est consultée, tient particulièrement. Pour leur part, les experts de l’EUA, s’ils comprennent notre fierté d’être une université pluraliste et s’ils nous y encouragent, comprennent également notre désir de rester une institution complète et pluridisciplinaire, mais confirment qu’il est possible de l’être sans vouloir s’épuiser à tout faire et en prenant des accords avec d’autres institutions, en Belgique et dans les pays voisins, en fonction des expertises. Ils ont par contre beaucoup de mal à comprendre l’intérêt d’être une université publique, synonyme de qualité secondaire aux USA par exemple, et ne voient pas en quoi cette qualité constitue un atout. Etre un service public n’a de sens que pour nous, apparemment, mais il en a un, à condition que notre pouvoir organisateur, qui est aussi notre pouvoir subsidiant (ceci est spécifique à Liège, Gembloux et Mons-Hainaut) en tienne compte, ce qui n’est plus guère le cas.

Le troisième et dernier souci, mais non le moindre, est de donner à notre université un impetus nouveau, une dynamique nouvelle. Nous y arriverons en renforçant les structures d’enseignement et en mettant en œuvre des méthodes pédagogiques nouvelles, modernes et adaptées au cas par cas, en accordant à la recherche tous les moyens disponibles actuellement pour soutenir sa logistique et son administration, y compris sa valorisation et enfin en accordant au personnel des avantages que nous pouvons légalement lui octroyer, dans le cadre d’une évaluation rigoureuse et impartiale des mérites de chacun.

Qu’allons-nous pouvoir mettre en œuvre pour rencontre ces trois préoccupations ?

1. Renforcer l’attractivité pour les étudiants par le soutien des spécificités : identifier Liège à certaines formations en particulier.

2. Renforcer l’attractivité pour les chercheurs et enseignants en augmentant la notoriété internationale.

3. Renforcer l’image institutionnelle.

4. Stimuler la motivation du personnel à tous les niveaux.

Comme la première mesure, les trois autres ne doivent être d’application que quand c’est nécessaire et justifié.

Détaillons un peu :

1. Renforcer l’attractivité pour les étudiants et les diplômés.
- Adapter les programmes de cours aux nécessités actuelles.
- Profiter des restructurations académiques (successions) pour s’interroger sur le bien fondé de la perpétuation des spécialités et créer des filières nouvelles, introduire de la transdisciplinarité ainsi que de nouvelles méthodes pédagogiques si — et seulement si — cela s’indique.
- Accroître le pragmatisme des formations en réservant des moyens accrus pour les travaux pratiques et de « terrain ».
- Soutenir et consolider les spécificités, les formations que l’on n’enseigne qu’à l’ULg.
- Pallier les déficiences au niveau des sites : domaine du Sart Tilman (nouveau restaurant, rafraîchissement des homes, création d’auditoriums supplémentaires, remise en état du Foyer Culturel, ouverture d’une librairie, de salles d’étude et de salles d’informatique, rénovation des installations sportives, amélioration de la mobilité vers et sur le domaine. En ville, au Bâtiment central (modernisation de la cafeteria, regroupement des bibliothèques) et sur le Campus St Gilles (rénovation de l’ancien Institut Montefiore, achat de l’hôtel de l’AIM rue St Gilles)
- Maintenir une offre complète d’enseignement, en procédant néanmoins à un choix de filières, ce qui permettra une meilleure allocation des charges de cours, une meilleure allocation des postes d’assistance pédagogique et une meilleure allocation des moyens pédagogiques.
- Etablir des partenariats avec d’autres institutions belges et étrangères et organiser un partage des filières, conférer des co-diplômes et des diplômes conjoints.
- Amplifier le programme des actions-santé entreprises durant cette année.
- Amplifier et compléter les programmes de formation continuée comportant des filières diplômantes ou certifiantes et les partenariats avec le FOREM. Créer l’IFC (Institut de Formation Continuée)
- Instaurer une politique de contrôle de la qualité, notamment par la mise en œuvre d’OSE (Observatoire Stratégique de l’Enseignement), un outil d’aide à la perspective et à la gestion de la qualité dans le domaine de l’enseignement par le suivi des formations, des enquêtes d’adéquation, le suivi des diplômés, l’aide à la recherche d’emploi.
- Tirer avantage de notre positionnement géographique, en particulier sur le site d’Arlon où nous envisageons le développement d’une filière « énergie » spécifique, où nous comptons investir de moyens nouveaux pour contrebalancer le « cadre d’extinction » du personnel prévu par le décret de fusion avec l’ULg. Par ailleurs, nous avons entrepris des coopérations avec les Hautes Ecoles de la Province de Luxembourg et avec les universités de la Grande Région. Faire d’Arlon une antenne Sud de formation continuée.
Utiliser le site de Cureghem comme antenne de formation continuée, en particulier pour l’Institut Confucius et en vue d’assurer une présence notamment culturelle de l’ULg à Bruxelles (réceptions, colloques, réunions internationales, expositions).

2. Renforcer l’attractivité pour les chercheurs et enseignants en augmentant la notoriété internationale.
- Allouer au CRI (Conseil des Relations Internationales) des moyens correspondant à sa politique qui comporte des actions ciblées avec les universités étrangères, un programme de prospection des coopérations les plus appropriées et de renforcement des liens.
- Mettre en œuvre le Plan Langues adopté par le CRI et qui comporte différents niveaux (support global à l’enseignement des langues, cours du soir de courte durée ou approfondis, cours préparatoires) et s’adressent à différents publics

3. Renforcer l’image institutionnelle.
- Prolonger nos premiers efforts de restructuration et d’amélioration de la communication institutionnelle.
- Rénover les publications et le site institutionnels.
- Revoir complètement le répertoire électronique et lui donner les fonctionnalités de l’information électronique.
- Réexaminer notre politique énergétique (audit, contrôle, investissement) pour tenir notre rang en matière d’économies d’énergie et de développement durable.
- Développer notre politique d’intégration au sein de l’Académie Wallonie-Europe.
- Développer notre politique vis-à-vis des Hautes Ecoles.
- Continuer à appliquer notre nouvelle politique culturelle et l’amplifier considérablement.
- Accroître notre notoriété par la recherche en renforçant les structures d’appui à la recherche, en profitant au mieux du subside fédéral pour la recherche. Soutenir en particulier l’ARD (Gestion stratégique, Conseil de la recherche, statistiques, inventaires, service chercheurs, Interreg et FSE), lancer le site « Réflexions » de promotion de la recherche à l’ULg, veiller à maintenir notre présence dans les Pôles de Compétitivité. Intégrer progressivement l’Interface à l’ULg par la création de postes au cadre

4. Stimuler la motivation du personnel à tous les niveaux.
- Procéder à la « statutarisation » du personnel « Patrimoine » lorsque c’est possible (c’est autorisé par la loi de 1971 et le CA a approuvé le principe en juin 1995) et si les diverses conditions exigées sont remplies.
- Donner largement accès à la formation professionnelle (y compris dans le cadre du plan langues).
- Renforcer la sécurité à l’ULg (optimaliser le Poste central de commande 24 h sur 24).
- Améliorer la qualité de vie (actions-santé).
- Instaurer une politique d’avantages pour le personnel rémunéré par le budget ordinaire (chèques-repas, etc) sur base de critères objectifs. Relancer la procédure d’octroi de primes dans le cadre des prestations extérieures, également en récompense des mérites objectifs.
- Réajuster le cadre académique et le cadre scientifique : augmenter le cadre académique progressivement avec la réduction du cadre scientifique définitif mais continuer les nominations, de manière modérée, de scientifiques définitifs tant que le cadre unique n’est pas fixé par décret. Créer des postes d’académiques temporaires permettant de soutenir spécifiquement des domaines d’excellence ou en émergence.
- Renforcer, par des agents de niveau élevé, les structures administratives dans le cadre du PATO.

Tous ces objectifs cadrent parfaitement dans une stratégie à long terme telle que nous la proposerons dans quelques mois. Par ailleurs, ils permettent de dégager des axes forts dont nous tenons compte pour l’élaboration du budget 2007.

Je suis parfois sidéré de lire ou d’entendre dans la presse des affirmations, des accusations et quelquefois des calomnies sur notre Institution. Souvent, nous n’exerçons pas, dans ces cas regrettables, notre droit élémentaire de réponse, pour éviter d’envenimer les choses inutilement et aussi parce que je doute terriblement de l’efficacité de telles réponses quand le mal est fait. Car, comme le dit si bien la sagesse populaire: « Dites un mensonge, il en restera toujours quelque chose ».
Et la semaine dernière fut fertile en exemples.

Tout a commencé par une mise en cause directe de l’Université et plus particulièrement d’un de ses services d’architecture, le LEMA, par Maître Misson, l’avocat bien connu des riverains des nouvelles constructions du Palais de Justice de Liège. Celui-ci n’a pas hésité à laisser entendre sur RTC et dans « La Meuse », que la décision d’annulation du permis d’urbanisme par le Conseil d’état (Arrêt 164.589 du 9 novembre 2006) était fondée sur une erreur de mesures de la largeur de la rue dans une étude effectuée par le LEMA en 1992. En réalité, l’intervention de ce dernier (qui n’est même pas partie à la cause) n’avait consisté qu’en une étude d’ensoleillement du projet que le Conseil d’état ne critique absolument pas en tant que telle.
Qu’un avocat juge bon, lors d’une procédure judiciaire, de tenter d’accuser un expert de s’être trompé, c’est son droit, mais qu’il diffuse publiquement des informations inexactes en nuisant à la réputation scientifique d’une institution et à la crédibilité de la presse, c’est évidemment beaucoup plus interpellant.

Jeudi, c’était la Libre Belgique-Gazette de Liège qui, sous la plume de Paul Vaute, exhumait un incident très insignifiant survenu il y a de nombreux mois : la « mise au pilon », selon l’expression consacrée, d’exemplaires surnuméraires de publications internes à l’ULg, notamment de thèses et mémoires. Il s’agit là d’un exercice parfaitement normal auquel se livrent périodiquement toutes nos bibliothèques dans un souci légitime de gestion des collections et de l’espace, non sans avoir dûment prévenu les intéressés comme il se doit. Cet article infère que les « autorités académiques », peu soucieuses du bien des bibliothèques universitaires (on a déjà entendu le même discours non fondé, sous la même plume, en décembre 2005) se comporteraient en barbares incultes et feraient procéder à de véritables autodafés au mépris du savoir et de la culture universitaires.
Personne ne s’étonnera de mon agacement face à une telle méconnaissance des fondements de cette décision, et plus généralement de mon étonnement face à des publications basées sur une source unique.
En l’espèce, cette source préfère rester dans l’anonymat car, selon elle, « on risque gros dans cette maison en rompant l’omerta ». Outre l’inélégance du procédé et l’erreur patente d’appréciation de la situation, cette affirmation est tout à fait fausse. J’apprécie et ne manque jamais de susciter les débats contradictoires et je m’interdis d’exercer des représailles envers qui que ce soit pour l’expression de ses opinions, sauf si celles-ci sont diffamatoires.

Sans vouloir polémiquer d’avantage, je ne peux cependant résister à la tentation de saisir la belle opportunité que me fournit mon contradicteur anonyme de démontrer, par l’absurde, ce que j’entends par « esprit institutionnel » et par « sentiment d’appartenance ». En effet, la méthode employée aux fins exclusives de faire état de rancœur personnelle ruine à elle seule les efforts incessants des membres de l’Institution qui se dévouent sans compter pour la promotion de notre université et dont ce regrettable incident me donne l’occasion de saluer le travail et la loyauté.

L’heure des choix arrive.
Bien sûr, l’heure sera longue, une université ne fait pas ses choix en un instant, ni dans la précipitation, mais l’annonce faite lors de ma deuxième rentrée académique : « se définir » doit s’accomplir durant cette année, partout où nous pouvons le faire.

Durant l’année académique 2005-2006, certaines options avaient été prises d’emblée, certains principes avaient été acquis, tels que celui de rendre à l’ULg son rôle moteur dans le domaine culturel, celui de prendre des mesures significatives au plan social, de renforcer les structures de recherche et d’aide à la recherche, de mieux doter les supports pédagogiques et de simplifier les mesures administratives.
On pouvait, en effet, prendre de telles mesures d’emblée, sans recourir à une vaste consultation ni à une évaluation, interne ou externe.
J’ai eu l’occasion, dans mon discours de rentrée, de faire le point sur tous les accomplissements déjà réalisés ou en cours de réalisation (http://recteur.blogs.ulg.ac.be/?page_id=82).

Aujourd’hui, nous devons nous définir et annoncer clairement qui nous voulons être, quelle sorte d’université, avec quels atouts, quels points forts. Je résumerai en une question : qu’est-ce qui, à l’ULg, est spécifique et original, au plan international ou au plan de la Communauté française de Belgique ?

Je sais que je devance, en prenant cette position, les conclusions à tirer des différentes phases du regard porté par l’Institution sur elle-même (autoévaluation, évaluation, tables rondes, enquête) mais, pour ce que nous en savons déjà, il n’y aura pas de surprise à cet égard.

Quels peuvent être les éléments qui confèrent à une université sa réputation et son attractivité, tant pour les étudiants que pour les chercheurs et les enseignants ?

- sa structuration : la localisation géographique; l’organisation du ou des campus; la mobilité et les transports entre les sites et entre l’université et la ville; la beauté et le confort du ou des sites; l’accessibilité des bâtiments; la disponibilité des locaux, des auditoriums, de salles d’étude pour étudiants; la convivialité des lieux de détente; l’accès à des magasins, des lieux de spectacle, des restaurants bon marché de qualité, des cafétarias, etc.; les possibilités de logement, même temporaire.
- sa recherche : une qualité de niveau international reconnue dans des domaines pointus, une originalité qui fait que l’on associe cette recherche à l’Institution, des capacités d’accueil de chercheurs internationaux dans des structures dotées de moyens significatifs et compétitifs compte tenu du domaine de recherche considéré, une dynamique et une masse critique de chercheurs qui identifient l’université comme un centre de compétence dans le domaine, de dimension suffisante pour pouvoir établir des relations efficaces avec le monde extérieur, le monde industriel, le monde des entreprises en général, qu’elles soient privées ou publiques, permettant ainsi un apport financier significatif aux recherches fondamentales sans déteriorer ou étouffer celles-ci.
- son enseignement : une qualité réputée, mesurée par des indicateurs structurés et modernes (sans tomber dans le travers du remplacement systématique des méthodes d’enseignement par des nouveautés à la mode), mesurée par une évaluation complète ne se limitant pas à l’avis des étudiants mais tenant compte, parmi d’autres éléments, de celui-ci; un éventail large de techniques pédagogiques venant en aide aux étudiants et chaque fois idéalement adaptées aux circonstances et aux objectifs; un lien direct avec la recherche, par conséquent un choix des orientations spécialisées basé sur l’excellence en recherche, ce qui implique une sélection des domaines enseignés basée sur les spécificités locales.

On le voit, se définir, c’est aussi décider ce que l’on garde et ce que l’on sacrifie.

D’aucuns me disent que mon affirmation : « on ne peut faire tout partout » est abusive et que, dans notre grand jardin, il faut savoir tout cultiver.
Ma réponse serait oui, si nous disposions de suffisamment de jardiniers. Mais hélas, ce n’est pas le cas et il faut se rendre à l’évidence, comme on aurait déjà dû le faire depuis longtemps (réalisme ne veut pas dire défaitisme), nous n’avons pas les moyens de tout enseigner dans notre université. Nous n’avons en tout cas pas les moyens de le faire bien, c’est-à-dire en faisant reposer notre enseignement sur une véritable expérience dans les domaines enseignés. Notre universalisme, valeur que je salue et que j’aimerais pouvoir entretenir, repose souvent pour partie sur des connaissances livresques ou de seconde main. Quoi de plus stupide que de maintenir une recherche de faible qualité pour assurer l’enseignement dans un domaine particulier, pour lequel les capacités, l’expérience, la compétence, l’excellence sont ailleurs ? Quoi de plus absurde que de vouloir maintenir des cursus d’études (je parle des seconds ou troisièmes cycles) dont la majorité des cours sont donnés par des enseignants qui n’y sont pas dans leur spécialité ?

Nous devons soutenir activement, chaque fois que nous en avons la possibilité, les domaines de recherche où nous excellons, où nous tenons notre rang au niveau international si nous n’en avons pas la stricte originalité, et ceci au détriment des recherches où nous tenons un rang moyen ou inférieur et pour lesquelles la justification de continuer ne tient que par le désir de laisser tout pousser, même ce qui est banal.
Nous devons soutenir activement les domaines de recherche où nous sommes les premiers, voire les seuls à détenir les compétences ainsi que le savoir-faire, et promouvoir ces domaines de toutes nos forces.
Nous devons proposer des filières d’enseignement, orientations, options, portant prioritairement sur ces domaines, afin d’en assurer la continuité et la primauté dans l’avenir.

Je sais que cette attitude fait bondir. Elle fait bondir ceux qui répugnent — et on les comprend — à admettre eux-mêmes que leur domaine de recherche est secondaire, voire de qualité moyenne. Aucun universitaire n’est spontanément prêt à admettre cet état de fait. Toute sa vie, il (ou elle) a été confronté(e) à des processus sévères qui ont sélectionné son tempérament de battant(e) et il (elle) n’est pas prêt(e) à reconnaître ce qu’il (elle) considérerait comme un échec. Et pourtant, c’est la réalité et il faut, dans l’intérêt collectif pour une fois, savoir l’admettre. Je suis de ceux qui admirent la conviction avec laquelle chaque universitaire défend son domaine individuel, son pré carré, mais j’ai clairement la vision que cet individualisme nous conduira à notre perte.

Plus difficile encore : certains parmi nous sont au sommet de leur carrière de recherche et apparaissent nettement comme des spécialistes internationaux de premier plan dans le domaine qu’ils ont développé. Nulle médiocrité chez eux, nulle banalité. Les spécialistes du monde entier les considèrent comme des maîtres. Mais ils n’ont pas développé ou pu développer, pour quelque raison que ce soit, une équipe forte, avec des successeurs du même acabit qu’eux-mêmes, susceptible de prendre la relève et d’assurer la pérennité du champ de recherche qu’ils ont développé. Là également, il faut savoir regarder les choses en face et s’interroger lucidement sur les chances de voir ce domaine continuer à fleurir richement ou sur le risque qu’il court de se flétrir au fil des ans après le départ du pilote.

Il est bien évident que toutes ces circonstances, pour tristes qu’elles soient, doivent nous inciter à mettre au point des procédures d’estimation et d’évaluation neutres et impartiales.
En aucun cas, les choix ne doivent émaner du recteur lui-même. Sa mission est de sauver le navire, de le faire croître et embellir et de lui amplifier son éclat et sa renommée. Le rôle du capitaine est d’encourager l’équipage à faire ses choix, en fonction de ses compétences, et souvent même d’exiger de l’équipage qu’il fasse ces choix, précisément.
Mais les choix eux-mêmes doivent émaner de la base, de là où le jugement peut le mieux être porté, pour autant que les inévitables querelles de voisinage ou d’influence soient neutralisées par l’intérêt général. Et la meilleure base aujourd’hui, c’est le département.
La décision d’entreprendre des choix peut s’orienter « top-down » mais le choix lui-même doit se faire « bottom-up ».

Au moment de l’élaboration du budget 2007, mais aussi au moment où le virage important que nous avons pris depuis un an se termine, il est essentiel d’entamer aujourd’hui ce processus de sélection, de choix des options qui se présentent à nous. C’est dans l’imagination et la créativité que nous devons faire ces choix. Nous devons comprendre que, pour créer des filières à la fois utiles et attractives, nous devons revoir le bien fondé des cursus désormais classiques, nous devons tout remettre en question. Cela ne nous empêchera pas de décider qu’éventuellement on conserve des filières inchangées, voire même une majorité de filières inchangées, mais alors nous le ferons en connaissance de cause. Il ne faut rien maintenir « parce qu’on a toujours fait comme cela », mais parce qu’il existe d’excellentes raisons de continuer à le faire.

Pour moi, sacrifier certains axes ne se justifie que dans le but d’en renforcer ou d’en créer d’autres. Aucun sacrifice ne doit être consenti s’il ne permet d’apporter assurément un renfort aux axes où nous excellons et où la relève et la pérennité sont assurées, ou aux axes nouveaux qu’il est temps de mettre en place. C’est là que le jugement des départements est en première ligne face à la responsabilité de la décision.
Toute décision d’abandonner des orientations devra faire l’objet d’une évaluation sérieuse et s’accompagner du renforcement de l’existant ou de la création de nouveautés justifiées. En outre, tout abandon de filière devra faire l’objet d’une vérification de l’existence de cette filière ailleurs ou être examiné à la lumière des possibilité d’organiser les enseignements en inter-universitaire, au mieux des compétences respectives.

C’est ainsi que notre université pourra au mieux se définir par rapport à l’extérieur et tout particulièrement vis-à-vis des étudiants. Plus il existera de filières spécifiques à propos desquelles le futur étudiant se dira « pour faire cela, c’est à Liège qu’il faut aller » et plus cet étudiant viendra de loin, mieux l’université se sera définie et aura atteint ses objectifs de notoriété et d’attractivité.

Le paradoxe chinois

Une visite en Chine reste toujours une expérience déconcertante.
D’autant qu’une mission ministérielle régionale/communautaire n’a ni les avantages, ni les inconvénients d’une visite royale comme celle à laquelle j’ai eu l’occasion de participer en juin 2005. Elle ne bénéficie pas de la rapidité des déplacements assistés par des escortes à gyrophares sur des autoroutes étonnamment dégagées et à travers des villes surpeuplées. Elle échappe aux revues de la garde présidentielle et autres défilés militaires ainsi qu’aux parcours aseptisés d’hôtels retirés en Palais du Peuple. Elle est plus exposée aux réalités et aux contrastes locaux. Mais la couche protocolaire est moins épaisse, moins guindée, et laisse mieux transparaître la chaleur de l’accueil.

Certes, la Chine avance à deux vitesses, mais dans sa composante la plus rapide, elle avance vite, très vite, beaucoup plus vite que nous. Même s’il ne s’agit que d’un petit pourcentage, cette évolution compte. En effet, un vingtième de la population chinoise vit très au dessus du niveau de vie européen. Et dans un pays d’un milliard trois cent millions d’habitants, cela correspond à 65 millions de personnes… La visite de villes comme Shanghai ou Nanjing (Nankin) est édifiante à cet égard. Les deux vitesses du développement s’y côtoient en permanence et partout, mais le développement le plus rapide est absolument spectaculaire.

La Chine a encore une longue marche à accomplir pour combler, ne fut-ce que partiellement, ces différences et atteindre l’objectif affiché de « développement harmonieux » pour l’ensemble du pays. C’est, en particulier, dans les campagnes et dans les provinces de l’Ouest que le retard s’avère gigantesque. Mais on ne peut ignorer que la Chine dispose d’ores et déjà d’une énorme population à haut niveau de vie, d’entreprises florissantes en pleine expansion et que, même globalement, son taux de croissance laisse sur place toutes les économies dans le monde, même les plus performantes. En termes de marché à pouvoir d’achat élevé, la Chine représente un potentiel que ne doivent en aucun cas négliger nos entreprises car une niche, même étroite, prend des proportions gigantesques dans un tel pays.

Pas naïfs

Bien sûr, il ne faut pas tomber dans le travers d’une fascination excessive et en oublier tout le reste. A cet égard, le communiqué de presse par lequel la FEF (Fédération des Etudiants Francophones) manifeste son inquiétude, est éclairant :

« Suite au battage médiatique organisé ces derniers temps autour de la mission de la Région Wallonne en Chine, des collaborations structurelles entre les universités chinoises et belges et du fameux modèle universitaire chinois qui laisse certaines personnes admiratives en communauté française, la Fédération des Etudiant(e)s francophones tient à apporter sa pierre au débat.
Tout d’abord, la FEF se demande si la mission (et plus particulièrement Mme Simonet, Ministre de l’Enseignement supérieur à la Communauté française), entre deux visites d’usines, a pris le temps d’examiner les conditions dans lesquelles travaillent tous les étudiants des universités (et pas seulement ceux qui font partie de laboratoires de pointe ou d’universités plus prestigieuses), et ce afin de voir si le système chinois, à l’instar du système en communauté française, promeut l’accès le plus généralisé possible aux études supérieures.
N’oublions pas que, même étant un marché juteux comportant des secteurs d’excellence, la Chine reste à tout le moins un système autoritaire qui base sa prospérité sur une vision des relations de travail fondamentalement différentes de ce qu’on peut trouver en Belgique.
Si c’est pour cela que le système chinois fascine, la FEF pense que cette fascination est inquiétante, si pas dangereuse.
D’autre part, la FEF tient à rappeler que la recherche et plus encore l’enseignement ne doivent pas être assujettis à la loi du marché et aux besoins des entreprises, mais doivent assumer aussi leurs responsabilités en tant qu’acteurs du développement social et individuel. Les étudiant(e)s ne peuvent donc s’empêcher d’être inquiet(e)s lorsque la Ministre dans une interview à la RTBF parle de possibilités accrues de synergies avec les entreprises. »

Il n’y a aucune naïveté dans une mission comme celle que nous venons d’accomplir. Ni naïveté, ni anesthésie, ni fascination béate. Chacun est conscient de l’autoritarisme du système, parfaitement visible sur place, des profondes injustices sociales et de l’insolente mauvaise foi de ce qu’on se plaît à appeler « le pragmatisme chinois ». Mais il est important de faire face aux réalités, quel que soit le jugement de fond qu’on peut en avoir. Et d’ailleurs, il est bien difficile de juger, de l’extérieur, sans avoir parfaitement intégré la compréhension du poids historique et culturel qui pèse lourdement sur la rapidité de l’évolution morale de ce pays.

Par ailleurs, la mission économique était celle du Ministre Jean-Claude Marcourt, pas celle de la Ministre Marie-Dominique Simonet qui, elle, se consacrait aux aspects d’enseignement supérieur, de recherche et de relations internationales. Son accompagnement par des recteurs et représentants des académies universitaires et des hautes écoles en témoigne. Je crois pouvoir dire que les synergies dont a parlé la ministre étaient une allusion à un volet de la mission commun aux deux ministres : le lancement à Shanghai d’un bureau de l’Interface de l’ULg en collaboration avec l’AWEX, à disposition des entreprises « spin off » de notre université et des autres institutions de la Communauté française Wallonie-Bruxelles. Le marché chinois est, pour nos spin off, une ouverture considérable, donc un apport à leur viabilité et indirectement à l’emploi chez nous. Il s’agit là d’un volet supplémentaire de la contribution de l’Université à la création d’entreprises ainsi qu’à l’accompagnement et au développement de celles-ci.

Sur un plan général, et pas seulement chinois, je rappellerai aux étudiants inquiets que les relations des universités avec les entreprises n’augurent pas forcément d’une privatisation de l’enseignement ni de son assujettissement au Capital. Elles permettent un dialogue important à établir et à amplifier avec ceux qui constituent une tranche importante d’employeurs potentiels pour nos étudiants. Le réalisme d’un formateur lui impose de bien connaître le milieu où évolueront ses diplômés.

Une société du savoir

Pour en revenir à la Chine, on ne peut ignorer la stratégie que les dirigeants annoncent très clairement et très officiellement : faire de leur pays la Société du Savoir dans les meilleurs délais. Pour cela, on assiste aujourd’hui en Chine à un revirement dans la politique de l’enseignement et de la formation. Désormais, les chinois ne veulent plus se contenter de développer des technologies ultramodernes compétitives, ils veulent participer pleinement à la production du savoir. Ceci signifie, non seulement un effort énorme en matière d’enseignement supérieur, mais également un soutien massif à la recherche fondamentale comme on le constate déjà en astronomie et dans les sciences du vivant. Et, à cet égard, la qualité des publications réalisées par les équipes de recherche fondamentale dans les meilleures universités chinoises en dit long sur le virage qui est pris ainsi que sur le dynamisme et la détermination de l’initiative.

Le gouvernement chinois a bien compris l’enjeu, qui est de réduire sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis et de l’Europe pour la recherche de base, et l’intérêt qu’a une grande nation à assurer elle-même le continuum complet de la chaîne recherche-développement-production-commercialisation, de A à Z. Il est évidemment délicat pour nous de voir se créer ce nouvel échelon de la recherche amont en Chine. Mais en même temps, si les chinois jouent bien le jeu — et c’est dans ce sens que cela semble se diriger —, il s’agira là d’un apport important à l’effort collectif mondial en vue de l’accroissement de la connaissance. Par ailleurs, c’est ce développement de la recherche fondamentale qui va, c’est certain, faire évoluer en Chine le respect de la propriété intellectuelle. La nécessité de défendre celle des chercheurs chinois élargira cette compréhension aux recherches accomplies à l’étranger et ceci se sent déjà dans le discours officiel.

Le gouvernement chinois a lancé un effort énorme de soutien de ses meilleures universités et un programme extrêmement solide d’incitation au retour au pays pour ses chercheurs émigrés. Certes, cet effort ne porte encore que sur les meilleures universités, celles du « top 50″ chinois, mais le ton est donné et la propagation de cette qualité est attendue ailleurs, ce n’est plus qu’une question de temps. Si cette évolution spectaculaire ne touche encore que des domaines particuliers et n’est guère sensible dans des matières telles que le droit ou la sociologie, nul ne s’en étonnera, mais on doit s’attendre à une transformation générale dans les années qui viennent, surtout si nous faisons l’effort d’interagir avec eux dans les domaines les plus variés.

L’accès à ces universités de pointe est, comme le dénonce la FEF, réservé à certains. La Chine compte plus de 1.500 universités — le concept inclus ce que nous appelons les hautes écoles — et 20 millions d’étudiants… ce qui reste peu : 1,5 % de la population contre 4 % environ chez nous. Ce n’est donc pas le modèle chinois de démocratisation des études que notre mission allait examiner et ce n’est pas en Chine que nous trouverons l’inspiration à ce sujet, bien évidemment. Tout ce qu’on peut en tirer comme conclusion, c’est que nous sommes très en avance en matière d’accès à l’enseignement supérieur.

Converger par le dialogue

Mais ce que nous devons retenir, c’est que, quoi qu’on pense du régime chinois, de ses ambiguïtés, de ses paradoxes et de ses anachronismes, de son autoritarisme, de son « pragmatisme », de son respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ce pays est en pleine évolution et que, dans son effort d’accéder au savoir, il fait converger ses idéaux universitaires vers les nôtres, à terme. C’est bien notre modèle occidental de la recherche et de l’enseignement qui est le sien.

Cette perspective est réconfortante pour nous, mais elle ne se vérifiera dans le futur que dans la mesure où nous saurons accueillir chez nous des étudiants chinois (triés, bien sûr, en fonction de leurs capacités à suivre un enseignement supérieur chez nous : une des démarches que nous avons accomplies à Pékin, outre celle de veiller à ce qu’ils disposent de bourses décentes). Et dans la mesure où nous convaincrons quelques uns de nos étudiants à se rendre en Chine, en particulier en post-doctorat.

Ni l’ignorance ni le boycott ne rapprocheront la Chine de nos valeurs morales et humaines, seuls un dialogue, une meilleure connaissance des uns par les autres et un effort commun de compréhension pourront y parvenir. C’est pour cela que des missions comme celle que nous venons d’accomplir apportent leur toute petite pierre à l’édifice d’une tolérance et d’une compréhension mutuelles, sur une planète où la coexistence pacifique et la coopération constructive finiront par prévaloir.

Commentaire de l’article précédent:

Je salue la progression de l’ULg: grâce à elle, la Communauté française aura bientôt ses trois universités complètes dans le Top 200 mondial, ce qui est tout à fait remarquable.
Bravo à tous.

Bernard Coulie
Recteur de l’UCL

Merci Bernard, pour ces encouragements confraternels !

Notre Communauté n’a pas à rougir de ses universités et il est vrai que si un facteur, à mon avis déterminant, était pris en compte, à savoir le rapport entre la qualité des services rendus par nos universités et le montant de leur financement, nos trois institutions seraient tout en haut du classement !

Cette fierté est légitime, mais risque fort d’être de courte durée sans une rapide prise de conscience politique de l’importance de l’enjeu…

« Page précédentePage suivante »