Monsieur le Recteur,

Une profonde réorganisation de l’Université est plus que jamais à l’ordre du jour dans divers milieux, appartenant ou non à la communauté universitaire.

Chacun sait, par exemple, que le mot de « département » revient souvent. Chacun peut remarquer aussi que ce nom consacré ne donne au mouvement de réforme qu’une apparence assez trompeuse de cohérence, comme chaque fois qu’un mot unique véhicule des idées, des options, des projets différents.

Parmi les nombreuses combinaisons agitées, laquelle deviendra notre réalité quotidienne ? Quels impératifs seront privilégiés, et lesquels sacrifiés ? Il paraît sain que nos dirigeants, avant de nous imposer leur solution, ne soient pas seulement guidés dans leur choix par les travaux des groupes relativement restreints qui ont eu jusqu’ici le mérite de formuler leurs préférences. Il convient que les autorités soient éclairées davantage sur le sentiment général, à la faveur d’un large débat. Autrement dit, tous feraient bien d’exprimer leurs avis sur l’organisation la plus efficace de leur travail et de les exprimer assez tôt, s’ils ne veulent pas en être réduits à échanger des regrets après l’événement, comme il est d’usage entre universitaires.

Les personnes occupées à l’Université sont assurément trop nombreuses pour élaborer directement un règlement détaillé. Aussi avons-nous des délégués pour de telles tâches. Mais les options que leurs décisions consacreront ne doivent pas méconnaître les nôtres. Ceux à qui nous avons donné notre confiance n’ayant pas été élus sur un programme, il importe que nous les mettions à même de bien connaître dans leur diversité les besoins réels de l’enseignement et de la recherche.

C’est pourquoi nous jugeons indispensable qu’au cas où l’un ou l’autre des principes fondamentaux qui suivent se verrait menacé, fût-ce indirectement, par les mesures projetées, ce ou ces principes fassent l’objet d’un referendum préalable dans chacun des corps qui composent la communauté universitaire. Il s’agit ici, non d’un nouveau projet de réforme, mais seulement de formuler quelques exigences premières.

I. L’Université devant avoir pour fin le service de la société, tandis que le but de la société doit être de servir ses propres membres, la démocratisation de la communauté universitaire ne doit pas nécessairement être à l’image de la démocratisation de l’État.

II. La recherche et l’enseignement ne sont pas les seules fins de l’Université, mais elles sont les premières.

III. Dans l’organisation d’un travail universitaire, si les fins scientifiques entrent en conflit avec d’autres fins idéologiques, les premières priment les secondes.

IV. Une recherche sérieuse comportant nécessairement des imprévus, son organisation la meilleure est la plus souple, celle qui permet au chercheur le plus de collaborations et qui lui en impose le moins.

V. La nomination d’enseignants et de chercheurs en fonction de leurs appartenances politiques, idéologiques ou philosophiques est un mal parce qu’elle diminue nécessairement la part faite à la considération de leur originalité, de leur compétence et de leur probité intellectuelle. L’institution d’un dosage systématise ce mal au lieu de le corriger.

VI. Au moment de désigner les personnes chargées d’apprécier les preuves d’un savoir, il ne faut pas oublier que celles qui n’ont pas fait elles-mêmes ces preuves risquent encore plus de se tromper que les autres.

VII. Il ne faudrait pas multiplier les organes de délibération jusqu’à une « polysynodie » paralysante, par quoi tout ce qui vit à l’Université finirait par s’occuper d’elle-même plutôt que du service pour lequel elle est instituée.

VIII. En choisissant la manière dont l’Université rendra service à sa région, il faut veiller à ne pas réduire celle-ci au rang d’une région sans véritable université.

Quels que doivent être l’ouverture de l’Université sur la société qui l’entoure, ses rapports avec les intérêts et les pouvoirs locaux et les services qu’elle leur rend, elle ne doit jamais rien accepter qui compromette sa liberté d’innovation, de révélation et de critique.

Comme certaines personnes que ces principes pourraient irriter seraient peut-être tentées de déguiser leur mécontentement sous le grief passe-partout de conservatisme, les signataires de cette lettre tiennent à vous assurer, Monsieur le Recteur, que ce qu’ils désirent n’est pas défendre l’ancien système avec ses défauts mais le voir remplacer par un système réellement meilleur.

Nous vous prions de bien vouloir agréer, Monsieur le Recteur, l’expression de nos sentiments déférents.

Paul BARTHOLOME, Arthur BODSON, Marie DELCOURT, Marcelle DERWA, Jean-Clair DUCHESNE, Marcel FLORKIN, Richard FORGEUR, Lucien FRANCOIS, Pierre GOTHOT, Paulette GUILLITTE, Léon-Ernest HALKIN, Charles JEUNIAUX, René JOLIET, André JORIS, Alphonse KOHL, Jules LABARBE, Paul LAMBERT, Jean LECLERCQ, Jean-Pierre MASSAUT, Paul MICHOT, Paul MINON, Philippe MUNOT, Guy QUADEN, Joseph STASSART, Roger VIGNERON.

Lettre ouverte au Recteur de l’Université de Liège, le 22 septembre 1972.