Dimanche 18 novembre 2007


A la demande de l’Université Polytechnique de Valence (Valencia), je me suis rendu cette semaine au colloque du CALSI (Contenidos y Aspectos Legales en la Sociedad de la Información) sur la communication informatique. Il m’était demandé d’y faire une présentation générale sur les principes de l’Open Access et des dépôts institutionnels, ainsi que sur l’initiative EurOpenScholar.

Les nombreuses questions et le débat animé qu’a suscité cette présentation m’ont clairement indiqué combien les esprits des chercheurs eux-mêmes ne sont pas encore prêts à adopter les nouvelles normes ni, en particulier, à se laisser imposer le dépôt institutionnel obligatoire. Ce qui est surtout intéressant, c’est de voir à quel point cette résistance est liée à une méconnaissance du sujet et surtout à un ensemble de confusions, de malentendus et d’idées reçues.

Mais sans doute devons-nous balayer d’abord devant notre porte. Si tant de confusions persistent, c’est sans doute parce que nous expliquons mal. Un petit survol, de nouveau, n’est pas inutile car il n’y a guère de raison qu’on ait mieux compris ici que là-bas. Et le tempérament latin, qu’on dit rétif, est aussi largement le nôtre! Mais il est des circonstances où on doit savoir se plier à des règles, il suffit de comprendre qu’elles jouent en notre faveur, à terme.

La première confusion consiste à penser que l’OA vise à remplacer le système actuel de publication avec revue par les pairs par une sorte de communication directe de chercheur à chercheur, sans garantie de qualité. Il faut bien comprendre que l’OA vise à mettre en accès libre et en ligne les articles tout aussi bien revus par des pairs. Le reviewing process n’est nullement en cause dans l’OA.

La seconde concerne les dépôts institutionnels (Institutional Repositories) et le fait qu’on veuille les rendre obligatoires.
Et là, il faut bien expliquer. Ils ont un intérêt de deux ordres.

1. En déposant le texte complet, dans la dernière version d’auteur, le chercheur assure la disponibilité de ce qu’il a de plus important à dire, à faire savoir. Les dépôts institutionnels sont le réel moyen de faire avancer le monde de la communication du savoir, en particulier du savoir dont la transmission ne souffre pas de délai et qui intéresse un nombre immense de spécialistes. Pour qu’ils remplissent bien leur rôle, il faut que les articles qui y sont déposés disposent de la qualité qu’assure le peer reviewing. Petit à petit, on voit se développer des revues qui publient en accès complètement libre (qu’il y ait aussi une version papier ou non). Mais les éditions traditionnelles existent toujours et les chercheurs souhaitent encore y publier leurs travaux. Fort bien. Rien de plus simple donc, lorsque l’article est accepté pour publication, que de le mettre sur le dépôt et, dès que l’éditeur choisi l’autorise (de plus en plus le font après une période d’attente de 6 mois), de le rendre accessible par accès internet direct. Et pendant la période d’embargo, le texte peut être obtenu sur simple demande, exactement comme l’est et l’a toujours été également un « tiré-à-part ». Comment savoir que cet article existe? Tout simplement en utilisant un des nombeux moteurs de recherche que tout le monde connaît, ou leur version plus spécifiquement scientifique lorsqu’elle existe (je parle de Google Scholar, évidemment), ou encore ceux qui se consacrent tout particulièrement à l’accès libre, à partir de mots-clés significatifs.
Cette manière de procéder, sans atteindre l’OA complet, permet néanmoins à chacun d’accéder rapidement à l’information et de l’utiliser pour faire avancer ses propres recherches. Et plus le nombre de lecteurs est grand, plus les chances d’être cité sont grandes et c’est bien là que réside la mesure de l’impact réel du chercheur sur la communauté de la recherche et sur le monde.

2. Les dépôts institutionnels constituent une vitrine pour les universités et les centres de recherche, en cela qu’ils permettent de montrer ce que les chercheurs font de plus important dans leur vie de chercheur. Ils correspondent, en plus moderne, en plus efficace et en infiniment mieux diffusé, aux rapports annuels et autres liber memorialis qui ont depuis longtemps abandonné l’exaustivité des publications des chercheurs.
Beaucoup de gens me demandent si j’ai pensé à un moyen de faire monter notre université dans les rankings qui aujourd’hui, comme chacun sait, sont largement basés sur la notoriété. En voilà un. Le meilleur probablement. Il serait dommage que ce soit justement les mêmes qui posent cette question et qui refusent de se plier à la discipline du dépôt, donc de la mise en évidence du produit essentiel de leur travail!
Nous nous employons à rendre la manœuvre de dépôt aussi aisée et conviviale possible, et surtout, de faire en sorte qu’elle ne doive être opérée qu’une fois, la communication à d’autres organismes (organismes finançants, dont le FNRS) soit quasi automatique et ne nécessite pas de réencodage.
Les dépôts institutionnels permettront également l’évolution rapide des évaluations de la recherche, par le développement de nouveaux outils plus significatifs de l’impact réel du chercheur. C’est ce que nous voulons faire progresser avec l’initiative EurOpenScholar dont j’ai déjà parlé. Toutes les bonnes volontés compétentes en matière de « Scientométrie » sont évidemment les bienvenues pour nous y aider.

Enfin, ceux qui résistent à toute idée d’obligation qu’ils disent ressentir comme une violence se sont-ils demandé si le plus contraignant, c’était de devoir se plier au principe du dépôt institutionnel ou bien de subir les effets d’une règle à laquelle ils se soumettent sans discuter ni réfléchir, provoquant bien des abus: « publish or perish », l’obligation de publier beaucoup et à haute fréquence qui conditionne l’avancement de leur carrière ?

Dans la revue The Scientist (que je mentionnais il y a peu pour avoir classé la Belgique au premier rang des pays de cocagne pour la recherche) paraissait, il y a quelques jours, un article de Joseph J. Esposito, consultant spécialiste en éditions scientifiques, article rempli de contre-vérités qui indiquent clairement le conflit d’intérêt que représente son intervention dans un tel journal. Le débat qui suit son article (merci à The Scientist de publier tout ce courrier fort édifiant) reflète la réaction de nombreuses personnes qui relèvent dans l’article tous les poncifs présentés par le lobby des grands éditeurs dont j’ai déjà souvent parlé et dont les méthodes rappellent curieusement et tristement celles des lobbies du tabac. Heureusement, ici au moins, on ne joue pas avec la santé des gens, seulement avec l’argent de la recherche.

En résumé, il pense (dans une interview radio podcastée où il s’exprime suite à son article) que l’OA est le spam de la recherche…
Il pense que ce qui manque aux chercheurs, ce ne sont pas les moyens nécessaires pour acheter les revues (dont, soit dit en passant, le prix moyen a triplé pendant que l’index des prix à la consommation augmentait de 30 %), mais c’est le temps de les lire et que, par conséquent, augmenter par internet le nombre d’articles à lire serait un cauchemar, impliquant ainsi que la sélection par l’argent est la bonne sélection. Il oublie que les moteurs de recherche nous indiquent les articles, mais qu’on peut juste en apercevoir le titre et parfois le résumé: pour lire l’article, il faut souscrire.
Il pense qu’on n’a qu’à être dans une « bonne » institution qui a des moyens, pas dans une petite institution qui fait ce qu’elle peut face aux prix pratiqués, pas dans un pays en développement, et il appelle ça des « exceptions », ce qui est risible. Aucune université au monde ne peut s’offrir les 25.000 revues à révision par les pairs qui existent aujourd’hui.
Il pense que l’OA consiste à éviter la révision par les pairs et n’est donc réservé qu’à une science de mauvaise qualité, ce qui est absurde. Le peer reviewing est au départ une affaire de chercheurs, pas d’éditeurs. Ce sont d’ailleurs forcément des chercheurs qui révisent!
Il pense que les défenseurs de l’OA font du lobbying, oubliant que le lobbying, c’est lui et ses consorts payés par les multinationales de l’édition scientifique qui le pratiquent. Nous, nous essayons bénévolement de défendre une diffusion large du savoir.
Bref, un véritable florilège !
Il pense décidément trop, ce monsieur, et mal. Si ce n’est qu’il est payé pour dire ce qu’il dit.

Les adversaires de l’Open Access, dont l’opposition est souvent due à des intérêts personnels et commerciaux*, entretiennent savamment quelques mythes. Dans son blog, « Journalology », Matt Hodgkinson nous les rappelle:

1. Le coût qu’implique la mise à disposition de chacun en accès libre des publications de recherche va réduire la disponibilité des fonds pour la recherche elle-même. FAUX.
2. L’accès ne pose pas de problème. Pratiquement tous les chercheurs ont accès à toute la littérature scientifique. FAUX.
3. Le public peut accéder à tous les articles publiés en s’adressant à une bibliothèque ou via un prêt interbibliothèque. FAUX.
4. Les patients n’arriveraient pas à s’y retrouver si on laissait toute la littérature médicale à leur disposition librement sur le web. FAUX.
5. L’OA est une menace à l’intégrité scientifique en raison de conflits d’intérêts liés au paiement pour publier. FAUX.
6. Les pays pauvres ont aujourd’hui accès à la littérature biomédicale. FAUX.
7. Les articles imprimés sont plus clairement accessibles que ceux qui sont en OA. FAUX.
8. Un journal de qualité majeure comme Nature devrait demander à ses auteurs un paiement équivalent à 15 à 45.000 € si elle devait se convertir au modèle de l’OA. FAUX.
9. Il faut bien que les éditeurs fassent un profit énorme si on veut soutenir l’innovation. FAUX.
10. Les éditeurs doivent détenir les droits d’auteur afin de protéger et garantir l’intégrité des articles scientifiques. FAUX.

*Exemple particulièrement choquant: l’article publié par Rudy M. Baum, éditeur en chef de la revue Chemical & Engineering News de la célèbre American Chemical Society (ACS) dans lequel, un comble pour une soi-disant « société savante » qui ne devrait prendre en considération que l’intérêt général, il qualifie la communication scientifique en accès libre de « socialized Science », l’accusant de faire reposer sur l’Etat la totalité du processus de recherche. Il est clair qu’à ses yeux, une science « socialisée » a tous les défauts que permet d’éviter une science privatisée. A voir. Voilà bien des propos déontologiquement inacceptables lorsqu’on connaît les bénéfices engrangés par l’ACS et sa revue, déjà épinglée dans ces lignes dans le passé pour son « cheval de Troie », Author’s Choice, un faux OA où l’éditeur se fait payer deux fois.