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Dans son blog toujours très intéressant, Enro « scientifique et citoyen » évoque le croisement des disciplines et cite le philosophe Paul Boghossian.
Il aborde le problème sémantique de l’utilisation des termes trans-, inter- ou pluri-disciplinarité que nous utilisons, il faut le reconnaître, à tort et à travers.

« Pour Boghossian, cela ne fait aucun doute : nous sommes à l’ère de la pluri-disciplinarité, c’est-à-dire de l’échange entre disciplines qui ont des choses à se dire, plutôt que dans celle de la trans-disciplinarité qui cherche à abattre les murs des disciplines ou celle de l’inter-disciplinarité qui suppose quelques électrons libres naviguant à leur gré entre plusieurs champs auxquels ils n’appartiennent pas vraiment ».

Incontestablement les trois approches sont souhaitables à l’université. Mais il importe de savoir ce qu’on fait et ce qu’on encourage. On peut imaginer que l’on doive tendre vers la trans-disciplinarité, celle qui favorise au mieux la fertilisation croisée des disciplines, celle qui doit en principe générer le plus d’innovation (j’entends ici innovation dans tous les domaines, pas seulement dans celui de l’applicabilité industrielle des recherches) donc de créativité. On n’accède à la trans-disciplinarité que par la pluri-disciplinarité préalable. La seconde peut se suffire à elle-même mais elle est le passage obligé vers la première. L’inter-disciplinarité, souhaitable également, reste anecdotique, même si elle est probablement très fertile.

Mais il ne faut pas ériger les croisements de disciplines en principe absolu tel qu’il envahisse les enseignements de base. Car pour faire de la bonne pluri- ou trans-disciplinarité, il est essentiel d’être devenu expert dans une discipline, puis de s’ouvrir aux autres. Il m’arrive souvent de vanter les mérites incomparables de la trans-disciplinarité, mais il ne faudrait pas comprendre que je tienne à rompre toutes les cloisons disciplinaires dès le premier cycle universitaire. La vraie fertilisation croisée vient d’individus bien formés à leur discipline qui sortent progressivement de leur champ pour l’enrichir et non de touche-à-tout superficiels.

En résumé, et de manière caricaturale, on pourrait dire idéalement: 1er cycle disciplinaire (bacheliers), 2è cycle pluri-disciplinaire (masters), 3è cycle transdisciplinaire (doctorats et recherche).

Le magazine Science & Avenir, en juin dernier, se penchait sur le problème de l’évaluation de la recherche et des chercheurs au moyen du facteur d’impact. En effet, le CNRS a maintenant demandé à ses chercheurs de fournir une évaluation de la qualité leur recherche au moyen du facteur d’impact (F.I.) des journaux scientifiques, à savoir:

nombre de fois qu’un des articles parus pendant les 2 dernières années dans le journal est cité durant l’année en cours / nombre d’articles publiés par le journal durant les 2 dernières années

mais sous une variante qui s’applique directement au chercheur:

nombre d’articles ayant cité un article du chercheur / nombre d’articles que ce chercheur a publiés.

Par extension, cette mesure peut également s’appliquer à une équipe de recherche, à un laboratoire, à un institut et, pourquoi pas, à une université, une région, un pays, etc., remplacez simplement le terme « le chercheur » par ces autres entités.

Le simplisme de cette exigence soudaine mais, il faut bien le dire, attendue tôt ou tard, suscite chez les chercheurs français une vive polémique, en raison de l’inadéquation ou, à tout le moins, du caractère très indirect de l’utilisation du F.I. pour une mesure de la qualité d’une recherche. Il y a 30 ou 40 ans, faute de mieux, certains s’en contentaient. Mais aujourd’hui, les conséquences des évaluations deviennent tellement majeures pour le chercheur et son équipe, leur financement et la pérennité de leur recherche, qu’on ne peut plus se contenter de raisonnements aussi approximatifs.

Le F.I. d’un journal n’intéresse en principe que l’éditeur du journal. Il indique l’impact du journal sur le « monde du savoir ».
Encore faut-il que le numérateur de la formule (« nombre de citations ») soit significatif par l’exhaustivité du « monde du savoir » examiné à ce propos. Or il est évident que, pour ce qui concerne le F.I. (le plus connu est répertorié par Thomson Scientific), le « monde du savoir » est loin d’être couvert par la liste des journaux où les citations sont détectées. En particulier, le biais en faveur des publications anglophones, et surtout de celles qui émanent des Etats-Unis d’Amérique, est considérable. Première approximation grossière, donc.

Par ailleurs, juger un chercheur sur la base de la moyenne des indices d’impact des journaux où il publie (et additionner les valeurs pour chacun de ses articles) ne donne en réalité qu’une idée très fausse de la valeur du chercheur. Deuxième approximation grossière.

Juger de la valeur d’un chercheur par l’impact de ses travaux personnels sur le « monde du savoir » nous rapproche déjà d’une certaine vérité. Et comment juger de cet impact si ce n’est par la fréquence de ses citations dans la littérature scientifique? L’on sait cependant que les citations ont une composante aléatoire, qu’elles dépendent de la qualité de l’analyse faite par d’autres, que les idées et concepts se transmettent et qu’ainsi la paternité peut se transformer rapidement en grand-paternité, voire au delà et disparaître dans l’oubli. On sait aussi que de nombreux éléments peuvent contribuer à la notoriété d’un chercheur et qu’il peut sembler avantageux de citer un « opinion leader » à l’appui de sa propre thèse plutôt qu’un inconnu. Enfin, on comprendra aisément que, si la citation devient le must, il est possible de se livrer à une « ingéniérie » de la citation, même en évitant l’auto-citation. Troisième approximation grossière.

Enfin, on ne peut éluder la question du domaine du savoir dans lequel le chercheur travaille. Il peut y avoir une variation de 1 à 100 entre les pratiques de citation selon les domaines ou entre le nombre de journaux relevant d’un domaine. Certains domaines requièrent la publication de livres et beaucoup moins d’articles dans des périodiques. D’autres domaines encore font appel à des véhicules différents pour la transmission du savoir (cartes, plans, etc). Enfin, quelle que soit l’utilité d’une recherche, elle n’aboutit pas toujours, et parfois rarement, à des publications d’intérêt universel méritant une diffusion internationale. Quatrième approximation grossière.

Trop d’approximations grossières privent tout calcul de sa validité.

Il est impératif d’élaborer des systèmes d’évaluation plus précis, plus représentatifs de la vraie utilité d’un chercheur pour le bien général. On pourra (et il faut y contribuer d’urgence) améliorer les systèmes de mesure qui sont disponibles ou qui sont en train de le devenir. L’intensification et la généralisation de plus en plus grande des processus d’évaluation nous conduit à trouver des algorithmes performants et rapides. Tant mieux. Mais il faut se faire une raison: on n’échappera jamais au surcroît de travail qu’entraîne l’examen approfondi des travaux d’un chercheur ni au temps nécessaire pour l’étude minutieuse de l’influence qu’il peut avoir sur la collectivité, à différents niveaux d’échelle.

J’ai souvent fustigé la pratique qui consiste à résumer quelque chose d’aussi complexe qu’une université par un seul chiffre, comme on le fait dans les « rankings ». Est-il plus raisonnable, même si l’on se situe un ordre de grandeur au-dessous, de réduire les mérites d’un chercheur, avec ses qualités et ses spécificités, à un seul chiffre…?

La prochaine Rentrée Académique de l’ULg, le 18 septembre prochain, se déroulera sous le signe de la recherche en Environnement, avec la remise des insignes de Docteur honoris causa à Rajendra Kumar Pachauri, président du GIEC et co-lauréat du prix Nobel de la Paix 2007. Elle verra également une conférence de notre hôte ainsi que des débats et des activités diverses sur le thème central du jour et de l’année à venir.

Pour donner à ces activités diverses le temps qu’elles méritent, je romprai avec les habitudes. La cérémonie de Rentrée sera retardée de 15 à 17 heures. Le cortège traditionnel sera réduit et le protocole simplifié, de manière à respecter néanmoins l’heure habituelle de fin de séance.

J’ai pu constater combien nos chercheurs impliqués de près ou de loin dans des recherches environnementales étaient nombreux. Je souhaite donc profiter de cette journée pour faire mieux connaître et apprécier les recherches menées à l’Université de Liège sur cette thématique. La Rentrée 2008 sera donc principalement celle des chercheurs, elle constituera une occasion pour eux de présenter l’excellence de leurs travaux.

Afin que chacun puisse y trouver sa place et collaborer concrètement, j’ai fait lancer deux actions sous la bannière «Planet’ULg» : un site Internet et une exposition.

PLANET’ULg, LE SITE

Suite à mon appel en Intranet il y a quelques jours, nombreux déjà sont ceux qui ont complété le formulaire ou pris contact avec Julie Louis au 9928 ou par courriel (reflexions@ulg.ac.be). Il est encore possible de le faire, mais nous souhaiterions pouvoir évaluer assez rapidement le nombre des participants et identifier leur champ d’activités. C’est pourquoi je recommande à ceux qui ont l’intention de se manifester de le faire rapidement.

PLANET’ULg, L’EXPO

Parallèlement au site, qui restera actif pendant toute l’année académique, l’exposition de nos recherches en lien avec l’environnement, toutes Facultés confondues, sera visible lors de la journée de Rentrée Académique. Pour cette exposition, je fais également appel à la contribution des chercheurs sous la forme de posters ou de présentations PowerPoint et nos équipes seront à leur disposition pour la réalisation de leurs idées. Les informations pratiques se trouvent sur le portail MyULg (voir l’actualité « Planet’ULg : le site et l’expo »).

D’avance, je remercie tous ceux qui feront de cette journée et des activités qui l’entoureront un succès sans précédent.

Ca y est! Le dépôt institutionnel de l’ULg est lancé!
Le 25 février 2007, je vous annonçais dans ce blog la création d’une digithèque qui devrait contenir l’ensemble de la production bibliographique de l’ULg. Une révolution pour notre université, attendue d’une manière ou d’une autre depuis des décennies: l’accès libre à l’ensemble des publications de l’ULg! Le rêve!
On y trouvera toutes les publications ULg depuis 2002 et, dans un premier temps, le dépôt sera confiné à un groupe de volontaires acceptant « d’essuyer les plâtres » car il y aura certainement quelques petits couacs opérationnels.
Nous aurons ainsi tracé la voie. Nos collègues de l’UCL et de l’ULB annoncent l’ouverture proche de leur site également. Il ne restera qu’à convaincre le FNRS d’adopter une parfaite compatibilité et la vie des chercheurs sera bien plus facile en CFB.
Par ailleurs, et c’est bien là le but premier, le lectorat de nos auteurs sera immensément plus vaste et la notoriété de l’Institution ne pourra qu’en bénéficier.

L’ouverture d’ORBi devance ainsi de peu celle d’EOS, EurOpenScholar, le site piloté par l’ULg qui aura pour but premier la promotion de la création de dépôts institutionnels dans toutes les universités d’Europe.

La plupart des dépôts institutionnels ressemblent à des dépôts: ils sont sinistres. Ici, Paul Thirion et son équipe ont réussi la performance de rendre ce site élégant, remarquablement fonctionnel et de lui donner des explications très claires.
J’espère qu’ORBi aura le succès qu’il mérite et que nos chercheurs, souvent sévères à l’égard d’une université qui ne pouvait leur fournir une vitrine assez vaste pour leurs travaux, ne manqueront pas de se précipiter sur cette nouvelle opportunité, pour rendre accessible, orbi, au monde entier, toute la science générée par l’ULg.

Pour ceux qui penseraient que le dépôt institutionnel n’est pas leur problème, je rappelle que j’ai annoncé qu’ORBi serait désormais l’outil incontournable pour l’évaluation des publications* lors des nominations (sauf pour les extérieurs, bien sûr) ou des promotions dans l’Institution. C’est la manière la plus juste et la plus équitable de traiter ces dossiers aujourd’hui, en permettant un accès simple aux articles complets, rendant dès à présent obsolète le jugement très indirect basé sur les facteurs d’impact des journaux ou moyens similaires.
Croisons nos doigts pour que cette expérience réussisse et qu’elle atteigne son objectif. Ce sera le meilleur remerciement pour ceux qui s’y sont attelés depuis plus d’un an.

Rendez-vous sur ORBi!

*: les livres échappent à cette obligation, il est possible que certaines formes de publications puissent également faire exception, mais ceci devra faire l’objet d’un accord préalable.

Le rapport de synthèse de l’enquête CIUF/EduDOC sur les compétences informationnelles et documentaires des étudiants qui accèdent à l’enseignement supérieur en Communauté française de Belgique, enquête dont je vous parlais le 25 mai est maintenant accessible (en pdf) sur le site edudoc.be et sur le site du CIUF.

Décidément, les progrès vont vite dans le domaine de la communication scientifique par Internet.

Il existe au moins deux formes de communication: l’une amoncelle des données qui sont ainsi dispersées dans des milliers de publications et l’autre expose les progrès conceptuels réalisés par les chercheurs. C’est de la première que je parlerai ici. Elle trouve une solution à son problème de dispersion par l’utilisation de banques de données consultables. Depuis quelques années, ce procédé informatique a grandement soulagé les efforts de compilation de grands nombres d’informations.

Mais plus récemment, deux concepts techniques modernes ont convergé: la banque de données et les wikis, dont le plus célèbre est Wikipedia.
Cette convergence n’a rien d’étonnant, un wiki étant une banque de données à laquelle chacun peut apporter librement sa contribution. Selon Wikipedia, «Un wiki est un système de gestion de contenu de site Web qui rend les pages web librement et également modifiables par tous les visiteurs qui sont autorisés. On utilise les wikis pour faciliter l’écriture collaborative de documents avec un minimum de contraintes. Le wiki a été inventé en 1995 par Ward Cunningham […]. Le mot « wiki » vient du redoublement hawaiien wiki wiki, qui signifie rapide».

Un pas suffisait pour en arriver à des banques de données pouvant être à tout moment modifiées et enrichies par les travaux de chacun, et c’est ainsi qu’est né Wikiproteins, une banque de données de protéines où chaque chercheur peut apporter sa contribution, accélérant ainsi le processus d’accumulation de connaissances dans un domaine où la multitude des informations est démesurée.

Sans doute n’est-ce qu’un premier pas. On imagine sans peine l’apport d’un tel système dans des domaines aussi variés que l’étude des génomes, celle des corps et phénomènes célestes, celle des hiéroglyphes et des langues anciennes, celle du droit et de la jurisprudence, celle de la biodiversité, celle des changement climatiques, celle des mécanismes économiques, celles de la médecine basée sur l’évidence, bref, dans toutes les recherches qui font appel à des quantités incommensurables d’informations ponctuelles pour lesquelles une concentration des données en un même système de gestion modifiable individuellement (où elles sont vérifiables, confirmables ou infirmables par les pairs et ainsi corrigeables) constitue une planche de salut.

Au même moment se développe également le concept de knowlet permettant de mettre en réseau les concepts identifiés dans des textes et ainsi constituer des ramifications virtuelles qui étendent considérablement le champ de l’investigation et l’efficacité de celle-ci.

On entre ici dans le concept d’ « annotation communautaire » , une forme nouvelle de « réseau social informatique » conduisant à une accélération extraordinaire du processus de partage collectif du savoir.

Pour moi, pendant de longues années, n’étant pas un habitué du Bazar de l’Hôtel de Ville, BHV a signifié Bovine Herpesvirus, une famille de virus affectant les bovidés, cousine de nos virus de l’herpès, de la varicelle et du zona ou de la mononucléose infectieuse. Un objet de frayeur, à combattre et détruire.
Aujourd’hui, les nouvelles quotidiennes belges lui ont donné une tout autre signification. Celle d’une autre forme d’objet. Un objet à détruire, aux yeux de certains, ou tout au moins à scinder, ce qui revient au même. Mais ceux-là donnent à leur obsession une importance disproportionnée qui paralyse l’essentiel de la vie politique du pays.

Le virus BHV rend les bovins malades, le hérisson BHV affecte le fonctionnement, l’économie, la crédibilité internationale de la Belgique.

Ces querelles n’ont jamais affecté les relations entre universitaires des deux communautés, particulièrement pas au niveau des relations individuelles qu’on peut avoir. Mais aujourd’hui, on ressent de plus en plus souvent un malaise, on entend des réflexions, des commentaires qui trahissent le plus souvent une méconnaissance de l’autre, des a priori erronés, indiscutablement dérivés d’une propagande démagogique qui finit par faire mouche. Malaise très perceptible au moment où tournait la pétition Savebelgiumresearch en faveur de la recherche collective belge, quand, hormis l’Université de Gand qui signait massivement, exhortée par son recteur Paul Van Cauwenberghe, on sentit très clairement une frilosité dans les autres institutions. Je reçus plusieurs messages de chercheurs soutenant le principe mais n’osant pas signer et un bon nombre d’autres chercheurs qui disaient en substance: on préfèrerait avoir plus d’argent et travailler de nôtre côté plutôt qu’un peu moins et travailler ensemble. Décidément, la solidarité, certains n’en ont rien à faire, même si elle peut apporter un « plus » évident en matière de qualité de recherche. Absurde et simpliste.

Je me suis promis de ne pas entamer de débats politiques dans ce blog, mais il est des moments où on est écœuré de n’entendre, dans quelque pays qu’on visite, que des questions sur les incertitudes de la vie politique belge et sur les outrances de certains partis, incompréhensibles pour la plupart des gens dans le monde.
Quel gâchis.

Peut-on rester indifférent lorsqu’on réalise la stupeur que les revendications extrémistes flamandes, qui déteignent de plus en plus sur une partie de la population, déclenchent dans le monde universitaire mais aussi partout dans le monde ?
Peut-on, en particulier, ignorer un article récent du New York Times sur lequel le journaliste indépendant Charles Bricman attire notre attention dans son blog et qui dévoile un constat d’une implacable clairvoyance: « That combination of national pride, rightist politics, language purity and racially tinged opposition to immigration is a classic formula these days in modern Europe, what critics call a kind of nonviolent fascism ».

Glaçant, non ? Nos collègues flamands qui pensent autrement — et il y en a, beaucoup même, je pense — vont-ils longtemps supporter cet amalgame ?

Voici un nouveau concept qui a l’avantage de mettre en mots et phrases des idées qui circulent de plus en plus quant à l’évolution drastique que s’apprête à subir la publication scientifique dans un avenir plus ou moins proche.
Il repose sur le principe audacieux de « liquid publication ».
En deux mots: les publications liquides sont « des objets évolutifs, collaboratifs et multiformes pouvant être composés et consommés à différents niveaux de détail, remplaçant les journaux et conférences classiques par des collections ».
Pour plus d’informations, il faut se rendre sur le site de LiquidPub qui développe ce concept et constate qu’en raison des nouvelles possibilités, la publication traditionnelle sera bientôt obsolète, tant dans sa forme électronique que dans sa forme traditionnelle, d’ailleurs. En effet, le principe même de la publication liquide est qu’elle n’est jamais solidifiée. Elle est modifiable à tout moment et peut ainsi évoluer. Par là, elle se rapproche du langage, notre système le plus naturel – mais aussi le plus volatil – de communication et s’éloigne de l’écrit qui, par nature, est solide, c’est-à-dire invariable après publication, donc non évolutif.

Quel pourrait être l’avantage d’un tel système ? Un gain de temps énorme par rapport à la rédaction des articles scientifiques comme on les conçoit aujourd’hui, dans lesquels tout est toujours à recommencer et qui contiennent un bagage terriblement redondant, bagage que chacun s’efforce de rendre original, alors qu’il n’est, hormis les résultats propres, qu’une éternelle resucée des mêmes introductions et accompagnements.
Certes, ceci implique qu’on admette le caractère évolutif de l’écrit, son instabilité dans le temps en fonction de l’évolution du savoir, son caractère collaboratif, chacun pouvant apporter sa contribution personnelle, et son caractère multiforme, incluant tous les modes d’expression modernes actuels et à venir. Ceci demande également une révision profonde et une adaptation des méthodes de jugement, préalables à la publication (le peer review) qui devient plus difficile à maintenir en place, et a posteriori, lors de l’évaluation des programmes, des équipes et des individus.

Cette évolution n’est donc pas simple, mais elle va probablement s’imposer un jour. Autant s’y préparer.

Depuis de nombreuses années, depuis une époque où j’avais encore le plaisir de faire de la vraie recherche, je me suis convaincu du fait que la pire des frustrations pour un chercheur, c’est bien moins l’expérience qui échoue ou la théorie brillante qui s’avère fausse, que la réalisation de l’immensité de la littérature publiée sur le sujet de son travail ou sur des sujets connexes. Car c’est aussi la réalisation de l’impossibilité matérielle de prendre connaissance de tout cela, de l’interpréter et d’en tirer profit même si on y passe tout son temps. Ce serait déjà tragique si cette masse d’informations était là une fois pour toutes, mais c’est bien pire: elle évolue et s’agrandit chaque jour.

Certes, on trouve des « trucs », les ordinateurs permettant aujourd’hui des classements thématiques d’articles et nous offrant une logistique incomparable par rapport à ce dont nous disposions il y a seulement quelques années.
Ceci nous a permis d’accéder non plus à 1 % de la littérature qui nous concerne directement, mais à 1,3 % ! (chiffres non vérifiés, bien évidemment, personne ne connaît ces valeurs… Néanmoins, on comprendra le message) ;-)

L’avènement de l’accès libre (Open Access, OA), qu’il soit immédiat, ou qu’il soit retardé de 6 mois ou d’un an, doit avoir augmenté de quelques pourcents notre efficacité à atteindre ce qui nous intéresse. Mais soyons honnêtes, nous sommes toujours loin du compte et nous ne voyons pas comment faire.

Il y a toujours la méthode Coué: persuadons-nous que nous accédons en fait aux meilleurs articles, et ceci devrait nous suffire. Mais ce n’est que la méthode Coué, et chacun sait ce qu’il faut en penser. Elle remonte bien le moral, mais c’est tout. Nous sommes un peu en train de pratiquer la politique de l’autruche face à une avalanche…

En fait, notre salut, au moins partiel, face au submergement, n’est pas de le nier, c’est d’utiliser les technologies disponibles pour multiplier la capacité d’analyse de nos cerveaux. Les informaticiens ont développé le data mining, où mining est utilisé au sens de prospection minière. Il existe aujourd’hui des « robots » capables de faire beaucoup plus que de rechercher des mots ou des phrases dans l’Internet, mais d’en faire une analyse, voire une synthèse, qui ne manque pas d’intérêt pour le problème dont je parle.

A cet égard, une réflexion intéressante a été lancée récemment par le canadien Glen Newton à la conférence « Next Generation Library Interfaces » de la Colorado Association of Research Libraries, qui appelle les éditeurs qui rendent, à quelque moment que ce soit, leur textes disponibles en OA, à utiliser l’OTMI (Open Text Mining Interface, développé par le Nature Publishing Group).
En effet, il y a Open Access et Open Access. C’est fort bien (et c’est un dur combat!) de rendre accessible librement des textes en PDF, mais cela ne les ouvre qu’à la lecture classique et cela n’apporte pas d’aide aussi complète au chercheur qu’une solution permettant le libre accès du texte intégral aux moteurs opérant de la « prospection minière » de textes.

Je suis bien conscient du fait que cette réflexion porte tout particulièrement sur les domaines de la recherche qui comportent une quantité de plus en plus grande d’informations découlant de l’observation ou de l’expérimentation par de nombreux chercheurs. Ce n’est donc pas une règle générale. La lecture intégrale des textes reste, pour diverses disciplines, un passage obligé. Une aide technologique n’est même pas à leur ordre du jour.
Mais pour les autres, ceux qui sont déjà dans l’avalanche, le problème devient crucial.

La solution proposée est-elle réaliste ?
Oui, et elle est déjà démontrée par certains exemples que relève Glen Newton, comme celui d’une équipe chinoise qui a, sans approche expérimentale mais par text mining, découvert dans les données publiées par d’autres chercheurs les chemins biochimiques liés à la dépendance aux drogues (étude publiée en OA dans PLOS Computational Biology). Un article de The Economist marque le coup et conclut: « The old cry “more research is necessary” is not always true. Sometimes all you need to do is look at what you already have in a different way ».

Dans la communauté universitaire internationale, la manière traditionnelle d’honorer des hommes et des femmes qui ont rendu d’éminents services à la Société ainsi qu’au développement de la Science consiste à leur conférer le titre de Docteur honoris causa.
C’est ainsi qu’aujourd’hui, nous recevons dix personnalités remarquables et que nous sommes heureux et fiers de leur présence parmi nous.
Tous sont des savants reconnus dans leur domaine et l’un d’entre eux, en particulier, a su mettre son intelligence au service de la mise en place d’un processus de démocratisation dans son pays. De tout temps, les intellectuels, et les universités en particulier, ont contribué à l’évolution positive des systèmes politiques vers un plus grand respect des droits fondamentaux de chacun. Notre institution est fière d’avoir pu contribuer, par l’implication de certains de ses membres et leur collaboration avec l’homme que nous honorons aujourd’hui, à la réflexion et à l’action dans ce processus.

Dans le monde universitaire, en recherche comme en enseignement, chacun d’entre nous se doit de se mesurer à ses pairs, non seulement au sein de sa propre institution, mais également et surtout dans le monde entier.
La caractéristique des universitaires, quel que soit leur rang et le corps auquel ils appartiennent, c’est de contribuer, chacun selon ses moyens, à la recherche, donc à l’avancement du savoir et au progrès de l’humanité. La caractéristique d’une bonne recherche, c’est qu’elle ne peut se restreindre à un seul individu. Elle doit être partagée, parfois lors de son accomplissement même, toujours en vue de sa diffusion et de sa mise à la disposition de tous. C’est pour cette raison que l’Université de Liège s’est jointe au mouvement du libre accès aux résultats de la recherche menée au moyen de financements publics, et qu’elle a pris un rôle de leader mondial dans la constitution par les universités de bibliothèques virtuelles où sont systématiquement déposées les publications des chercheurs qui sont alors mises à disposition de la communauté scientifique.

Une bonne recherche doit aussi se confronter aux idées et aux découvertes des autres, où qu’ils soient sur la planète. Les rencontres entre chercheurs sont importantes, l’échange des points de vue est essentiel, la rencontre d’autres modes de pensée est indispensable. C’est pour cela que, quelle que soit leur qualité, les chercheurs doivent être mobiles et, par dessus tout, outre cette mobilité tout au long de leur carrière, ils doivent avoir travaillé dans des endroits différents et affûté leurs talents ailleurs. C’est une pratique très ancienne dans tous les métiers d’artisanat, c’est une tradition de toujours dans le monde des universités, aussi loin qu’on remonte dans le temps.

Dans notre université, nous tenons depuis longtemps à ce que nos chercheurs fassent l’expérience de cet exil volontaire et formateur et qu’ils en reviennent enrichis dans leur capacité à envisager les questions, dans leur manière d’affronter les difficultés, et particulièrement dans leur aptitude à relativiser l’importance des problèmes qui se posent à eux.
Récemment, notre Conseil d’Administration a décidé de suivre ma proposition et d’imposer un séjour de longue durée comme préalable à toute nomination à un poste permanent en tant que scientifique ou qu’académique à l’Université de Liège. C’est une exigence parfois difficile à remplir, et elle devient objectivement de plus en plus difficile plus on prend de l’âge et plus, pour de nombreuses raisons, on s’enracine.

C’est pourquoi nous encourageons tous les jeunes qui envisagent une carrière de chercheur à partir dans de bonnes universités, dans de bons centres de recherche, ailleurs dans le monde, et pas nécessairement très loin. Le Conseil d’administration a dû prendre et notifier cette décision car, même si une certaine pression était exercée en vertu d’un principe non écrit, les exceptions restaient plus nombreuses que la conformation à la règle. Il est important aujourd’hui de le faire clairement savoir aux jeunes, sans ambiguïté. Il est important que les règles soient claires dès le départ et que nul n’aborde la carrière de recherche en ignorant ou feignant d’ignorer cette exigence.
Il est aussi important que, si nos chercheurs assument ce départ du nid, ils puissent aussi y revenir. Leur formation, de leur enfance à l’âge adulte, s’est faite ici, grâce aux deniers publics. S’il est normal — et favorable à notre rayonnement — que tous ne reviennent pas, beaucoup doivent cependant pouvoir le faire et il faut pour cela que nous soyons suffisamment attractifs pour rester compétitifs sur le marché de l’emploi en recherche. Il faut pour cela que rentrer au bercail ne signifie pas un renoncement mais une opportunité réelle.

Heureusement, aujourd’hui, si le financement de la recherche n’en est pas encore au niveau où il devrait être (on est encore loin des 3 % du PIB exigés par les accords de Lisbonne), les choses s’améliorent néanmoins très sensiblement et il nous est maintenant enfin possible de réserver sur nos budgets des fonds de retour et des fonds d’installation pour les chercheurs venus de l’étranger ou revenus de l’étranger. Ces incitants sont un instrument précieux dans la lutte contre le brain drain et en faveur du brain gain.
Nos invités d’aujourd’hui sont tous ici en raison de ce principe de mobilité et d’internationalisation. Tous ont eu des contacts, des relations, des collaborations actives avec notre université à un moment ou un autre. La cérémonie à laquelle vous allez assister symbolise cette internationale de la recherche, cette universalité des chercheurs.

Honorer ses pairs, ce n’est pas se glorifier soi-même ni s’enorgueillir de ses relations, c’est en réalité se donner des défis à soi-même par l’exemple de ceux qu’on honore, c’est regarder attentivement ce que font les autres et se donner des impératifs de qualité à atteindre dans son propre métier.
C’est aussi savoir reconnaître la valeur des plus grands et la faire connaître à chacun autour de soi, à ceux qu’il est convenu d’appeler « le grand public ». Dans une université complète, chaque chercheur est, pour les autres chercheurs et comme tout un chacun, le grand public. La révélation de ce qu’ont accompli des personnalités d’envergure dans d’autres domaines que le sien est pour chaque universitaire, comme pour le grand public, une découverte nouvelle et passionnante.

Cette découverte, pour brève qu’elle soit, est le plaisir que je vous souhaite à tous, ici dans cette salle, où je vous remercie d’être venus pour partager avec nous ce moment privilégié.

*****

L’Université de Liège a décerné, le jeudi 20 mars 2008, sa plus haute distinction honorifique, les insignes de docteur honoris causa, à:

Sur proposition de la faculté de Droit
M. l’Abbé Apollinaire Muholongu MALU MALU, ancien président de la Commission électorale indépendante de la RD du Congo, président de la Conférence de Goma

Sur proposition de la faculté des Sciences
M. Jean-Pierre HANSEN, University of Cambridge
Mme Suying LIU, Changchun Institute of Applied Chemistry

Sur proposition de la faculté de Médecine
M. John Douglas PICKARD, University of Cambridge
M. Magdi YACOUB, Imperial College London

Sur proposition de la faculté des Sciences appliqués
M. Dan FRANGOPOL, Lehigh University
M. Noboru KIKUCHI, University of Michigan

Sur proposition de la faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education
M. Martin CONWAY
Conjointement avec l’Ecole de Criminologie Jean Constant,
M. Marc LE BLANC, Université de Montréal

Sur proposition de HEC-Ecole de Gestion
M. Egon BALAS, Carnegie Mellon University
M. Geert HOFSTEDE, Maastricht University

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