Mardi dernier s’est tenue à Gembloux une journée d’étude organisée conjointement par commission « Bibliothèques » du CIUF et le groupe « EduDOC ». Journée très intéressante à bien des égards et en particulier parce qu’y étaient présentés les résultats d’une vaste enquête sur les capacités informationnelles des étudiants qui accèdent à l’enseignement supérieur en Communauté française de Belgique.
Ce sujet a toute son importance en matière de soutien à la réussite puisqu’il est prouvé depuis longtemps que ces compétences — encore jamais évaluées chez nous! — sont en lien direct avec le niveau de succès lors des études supérieures.

L’enquête mesure le niveau de performance (NP) en matière d’accès à la documentation et de l’utilisation qui en est faite. Elle est inspirée de celle qui a été réalisée au Québec il y a 5 ans, adaptée au contexte belge francophone. Elle compile 1.865 questionnaires remplis par des étudiants tirés au sort dans les listes d’inscription de 35 établissements d’enseignement supérieur (Enseignement artistique, Hautes écoles et Universités). Elle sera bientôt disponible dans tous ses détails sur le site Internet du CIUF. En attendant, en voici les points saillants.

• Le NP moyen est faible (7,67/20) et légèrement inférieur à celui du Québec il y a 5 ans (8,97/20), plus faible chez ceux qui s’orientent vers le supérieur non-universitaire (7,26) que vers l’université (8,12) et surtout plus faible chez ceux qui se destinent à devenir enseignants dans le primaire ou le secondaire inférieur (6,90). Cette faiblesse se manifeste en particulier dans la capacité d’utilisation. Curieusement, elle n’a rien à voir avec le niveau socio-culturel familial, ni avec l’accès à l’Internet à domicile.
• Le NP est d’autant meilleur qu’on arrive jeune à l’enseignement supérieur, mais également si on a choisi des options fortes dans le secondaire (une et mieux encore, deux).
• Le NP est d’autant meilleur qu’on a acquis une bonne pratique des bibliothèques dans les études antérieures (mieux s’il y a une bibliothèque dans l’établissement et mieux encore si on l’a utilisée souvent).

On voit clairement que seul le dernier point permet une action précise de la société et non de l’élève: veiller à ce que les établissements d’enseignement primaire et secondaire disposent d’une bibliothèque, ou d’un accès pratique à de l’information référencée.

Or il se trouve que, dans notre Communauté, ce n’est pas la tradition. Certains y sont même très opposés. Certes, il existe des prêts de livres, parfois une petite (voire une grande) bibliothèque de prêt d’ouvrages littéraires, mais très rarement une bibliothèque de référence dans de nombreux domaines, au sein de laquelle il est donné à l’élève une certaine autonomie de recherche de documentation, d’organisation personnelle, d’apprentissage de respect des délais, etc.

Aujourd’hui, la pensée unique en matière d’aide à la réussite dans l’enseignement supérieur préconise une action au sein même de cet enseignement, quand il est déjà très tard, avec la mise en œuvre coûteuse de mesures d’encadrement rapproché, voire de coaching personnalisé. C’est indiscutablement une voie à suivre mais elle nécessite des moyens considérables, il faut le savoir, moyens qui sont difficilement à la portée des universités et hautes écoles , vu le niveau de financement que la sagesse publique leur accorde. De plus, elle instaure une véritable période transitoire au début du supérieur alors que la transition pourrait, comme dans la plupart des pays, s’effectuer en fin de secondaire. Tous les encadrants universitaires savent et répètent que ce qui manque le plus, c’est un apprentissage préalable d’une certaine autonomie de gestion du temps et de l’apprentissage à apprendre.

Qu’attend-on pour revoir dans nos enseignements primaire et secondaire cette politique archaïque qui continue à négliger, et même souvent, semble-t-il, à réprouver l’accès autonome à la documentation? Et celui-ci ne doit pas nécessairement impliquer l’investissement de la mise sur pied d’une bibliothèque importante, il existe des bases de données électroniques, et même l’Internet, pourquoi pas, à condition d’en faire l’usage dans un contexte contrôlé où on apprend non seulement à rechercher l’information, mais aussi à l’utiliser de manière critique et sélective.

Je lance un appel pour que cette excellente enquête, réalisée dans des conditions parfaitement rigoureuses et professionnelles et qui peut être élargie (il sera possible aux établissements eux-mêmes de s’en inspirer pour tester leurs propres élèves), constitue l’électrochoc salutaire qui fasse évoluer rapidement une composante actuellement embryonnaire ou liée au hasard, et pourtant essentielle, de la formation des jeunes en Communauté française de Belgique.