dim 25 mai 2008
Mardi dernier s’est tenue à Gembloux une journée d’étude organisée conjointement par commission « Bibliothèques » du CIUF et le groupe « EduDOC ». Journée très intéressante à bien des égards et en particulier parce qu’y étaient présentés les résultats d’une vaste enquête sur les capacités informationnelles des étudiants qui accèdent à l’enseignement supérieur en Communauté française de Belgique.
Ce sujet a toute son importance en matière de soutien à la réussite puisqu’il est prouvé depuis longtemps que ces compétences — encore jamais évaluées chez nous! — sont en lien direct avec le niveau de succès lors des études supérieures.
L’enquête mesure le niveau de performance (NP) en matière d’accès à la documentation et de l’utilisation qui en est faite. Elle est inspirée de celle qui a été réalisée au Québec il y a 5 ans, adaptée au contexte belge francophone. Elle compile 1.865 questionnaires remplis par des étudiants tirés au sort dans les listes d’inscription de 35 établissements d’enseignement supérieur (Enseignement artistique, Hautes écoles et Universités). Elle sera bientôt disponible dans tous ses détails sur le site Internet du CIUF. En attendant, en voici les points saillants.
• Le NP moyen est faible (7,67/20) et légèrement inférieur à celui du Québec il y a 5 ans (8,97/20), plus faible chez ceux qui s’orientent vers le supérieur non-universitaire (7,26) que vers l’université (8,12) et surtout plus faible chez ceux qui se destinent à devenir enseignants dans le primaire ou le secondaire inférieur (6,90). Cette faiblesse se manifeste en particulier dans la capacité d’utilisation. Curieusement, elle n’a rien à voir avec le niveau socio-culturel familial, ni avec l’accès à l’Internet à domicile.
• Le NP est d’autant meilleur qu’on arrive jeune à l’enseignement supérieur, mais également si on a choisi des options fortes dans le secondaire (une et mieux encore, deux).
• Le NP est d’autant meilleur qu’on a acquis une bonne pratique des bibliothèques dans les études antérieures (mieux s’il y a une bibliothèque dans l’établissement et mieux encore si on l’a utilisée souvent).
On voit clairement que seul le dernier point permet une action précise de la société et non de l’élève: veiller à ce que les établissements d’enseignement primaire et secondaire disposent d’une bibliothèque, ou d’un accès pratique à de l’information référencée.
Or il se trouve que, dans notre Communauté, ce n’est pas la tradition. Certains y sont même très opposés. Certes, il existe des prêts de livres, parfois une petite (voire une grande) bibliothèque de prêt d’ouvrages littéraires, mais très rarement une bibliothèque de référence dans de nombreux domaines, au sein de laquelle il est donné à l’élève une certaine autonomie de recherche de documentation, d’organisation personnelle, d’apprentissage de respect des délais, etc.
Aujourd’hui, la pensée unique en matière d’aide à la réussite dans l’enseignement supérieur préconise une action au sein même de cet enseignement, quand il est déjà très tard, avec la mise en œuvre coûteuse de mesures d’encadrement rapproché, voire de coaching personnalisé. C’est indiscutablement une voie à suivre mais elle nécessite des moyens considérables, il faut le savoir, moyens qui sont difficilement à la portée des universités et hautes écoles , vu le niveau de financement que la sagesse publique leur accorde. De plus, elle instaure une véritable période transitoire au début du supérieur alors que la transition pourrait, comme dans la plupart des pays, s’effectuer en fin de secondaire. Tous les encadrants universitaires savent et répètent que ce qui manque le plus, c’est un apprentissage préalable d’une certaine autonomie de gestion du temps et de l’apprentissage à apprendre.
Qu’attend-on pour revoir dans nos enseignements primaire et secondaire cette politique archaïque qui continue à négliger, et même souvent, semble-t-il, à réprouver l’accès autonome à la documentation? Et celui-ci ne doit pas nécessairement impliquer l’investissement de la mise sur pied d’une bibliothèque importante, il existe des bases de données électroniques, et même l’Internet, pourquoi pas, à condition d’en faire l’usage dans un contexte contrôlé où on apprend non seulement à rechercher l’information, mais aussi à l’utiliser de manière critique et sélective.
Je lance un appel pour que cette excellente enquête, réalisée dans des conditions parfaitement rigoureuses et professionnelles et qui peut être élargie (il sera possible aux établissements eux-mêmes de s’en inspirer pour tester leurs propres élèves), constitue l’électrochoc salutaire qui fasse évoluer rapidement une composante actuellement embryonnaire ou liée au hasard, et pourtant essentielle, de la formation des jeunes en Communauté française de Belgique.
Bonjour Monsieur le recteur,
J’avoue suivre régulièrement votre blog et notamment vos interventions sur l’Open Acces .
Un commentaire assez critique sur le fond et la méthodologie de l’enquête venant du directeur de la bibliothèque universitaire de l’université d’Angers (France)
wordpress.com/2008/06/01/nuls-archi-nuls/
Peut-être un début de débat?
Pourquoi n’y a-t-il pas de sociologue ou professionnel des sciences de l’éducation associé à cette étude? Vu de l’extérieur, ne risque-t-on pas d’y voir un plaidoyer corporatiste?
J’y ajoute une question personnelle :
a-t-on fait passer le test aux bibliothécaires présents aux points d’accueil et d’aide à la recherche? Quel résultat?
On peut aussi se demander si les formations professionnelles (et les outils) des bibliothécaires correspondent encore aux nouvelles « habitudes documentaires » des utilisateurs potentiels ?
Commentaire de Chaps, le 2 juin 2008 à 16:39L’enquête ne plaide pas pour les bibliothèques mais montre qu’il est souhaitable de renforcer la compétence des étudiants qui arrivent dans le supérieur à accéder à une information de qualité (issue des bibliothèques, du Net ou d’ailleurs) et à l’exploiter avec esprit critique (et là c’est vrai que les bibliothécaires font un plaidoyer !)
L’enquête a été dirigée par un pédagogue (B. Pochet) et un psychologue (P. Thirion). De plus, dans le groupe de travail, on trouvait le Jean-Marie De Ketele, professeur ordinaire émérite (en pédagogie) de réputation est internationale de l’UCL ainsi qu’une sociologue… Le traitement statistique a été réfléchi avec le professeur Pierre Dagnelie, statisticien bien connu.
L’enquête canadienne a également été dirigée par un professeur chercheur (Diane Mitermeyer) sous la tutelle de la Crepuq (conférence des recteurs québécois).
Une enquête strictement indépendante aurait sans doute été préférable, mais l’objectif au départ était essentiellement interne: connaître la situation afin d’améliorer les formations. Les auteurs ont été surpris (et pris de court) par l’ampleur médiatique de l’événement… et par la tendance journalistique à ne présenter qu’une vérité tronquée…
Enfin, Pochet et Thirion ont toujours été d’accord sur le fait que l’enquête souffre de limites méthodologiques, notamment dans la formulation des questions et leur nombre. Mais ils ont préféré rester aussi fidèles que possible à l’étude canadienne originale pour permettre les comparaisons internationales (également avec les autres pays européens qui se sont lancés dans l’enquête).
La durée de ce questionnaire (15 minutes) leur paraissait déjà un maximum pour une participation bénévole large.
Scientifiquement, aucune étude n’amène à la vérité et à la certitude . C’est la multiplication des indices qui permet de renforcer ou d’infirmer une hypothèse.
Réponse avec la participation de P. Thirion.
Commentaire de Bernard Rentier, le 17 juin 2008 à 23:00Le rapport de synthèse de l’enquête CIUF/EduDOC sur les compétences informationnelles et documentaires des étudiants qui accèdent à l’enseignement supérieur en Communauté française de Belgique est maintenant accessible sur le site edudoc.be et sur le site du CIUF.
Commentaire de Bernard Rentier, le 21 juin 2008 à 11:04