Le CA du FNRS a adopté ce vendredi 15, à l’unanimité (moins une abstention en relation avec la répartition des compétences des commissions scientifiques), la nouvelle réglementation pour l’évaluation. La version officielle finale sera donc disponible sur le site du FNRS dès demain.

Je ne commenterai pas plus avant les quelques remous que cette réforme importante a causés, car aujourd’hui, puisque beaucoup de remarques formulées par les chercheurs ont été prises en compte et puisque les appels à candidature sont lancés (ils le sont depuis lundi 11/01, il est donc utile de retourner au site pour vérifier les derniers détails), il faut s’en tenir aux décisions et attendre l’examen du système pour éventuellement proposer des amendements pour l’année prochaine.

Je me contenterai de tirer quelques leçons des discussions des dernières semaines, et en particulier sur un sujet dont l’importance ne m’a pas échappé.

Exactement comme dans la réforme de l’évaluation de la recherche menée à l’ULg, une constatation s’impose: la difficulté d’admettre les propositions d’évolution de l’évaluation se manifeste surtout dans les divers domaines des sciences humaines.
Là, plus qu’ailleurs, la crainte de voir s’établir un système d’évaluation se targuant de rechercher l’objectivité inquiète. Dans les autres domaines, cette inquiétude existe, bien sûr, mais elle est bien moindre et ne porte pas tant sur le principe que sur les modalités.

Si cette crainte s’exprime plus chez les chercheurs en sciences humaines à l’ULg et en Communauté française, c’est aussi le cas ailleurs dans le monde. En Flandre, où le financement des universités est conditionné à la performance en recherche et où l’évaluation des sciences humaines pose un tel problème qu’un programme de recherche sur la question a été lancé avec une solide subvention du Gouvernement de la Communauté flamande. Un article est consacré au sort des sciences humaines dans le magazine Times Higher Education du 7 janvier.

Il ne s’agit donc pas d’un caprice, mais du reflet d’un vrai problème. Toutefois, plusieurs questions se posent:
- comment donc se pratiquait, jusqu’ici, l’évaluation dans ces matières? En quoi était-elle réalisée de manière plus juste, plus incontestable?
- quels types de critères peut-on définir qui agréent à tous?
- quels objectifs se fixe-t-on?
- comment appréhende-t-on les diverses facettes de la production de recherche en ces domaines?

Les avis divergent considérablement et sans doute est-ce là une particularité.
En effet dans le cas des sciences et techniques ainsi que des sciences de la santé, la question fait moins débat, ce qui ne veut pas dire que les critères et objectifs, même si ils sont généralement admis, soient parfaitement judicieux. C’est d’ailleurs ici que revient à la surface la fameuse notion d’impact. Beaucoup de scientifiques se satisfont d’un comptage du nombre de publications acceptées dans des journaux prestigieux dont le facteur d’impact est élevé (j’ai déjà expliqué cette méthode à plusieurs reprises). Il reste cependant beaucoup de travail à accomplir car il faut bien admettre qu’il ne s’agit là que d’une mesure très indirecte de la qualité scientifique d’un chercheur ou d’une équipe de recherche. La notion de citation, plus aisément accessible aujourd’hui grâce à l’informatique, offre un complément intéressant, mais parfois trompeur, le nombre de citations d’un travail séminal pouvant ne pas rendre justice à son importance pour l’avancement du savoir.

Croire que la question est réglée, même pour ces domaines, serait illusoire. La seule vraie solution acceptable est bien plus complexe qu’une simple addition agrémentée de coefficients divers. Elle dépasse de loin le résumé en un seul chiffre. C’est là une analogie parfaite avec la réduction de la valeur d’une université à un simple nombre également.

Toutefois, le problème est encore plus complexe pour les sciences humaines. La diversité des formes de « production » de recherche est beaucoup plus vaste (ce qui conduit souvent les chercheurs de ces disciplines à penser, à tort, que les disciplines des sciences « dures » ou de la santé sont moins variées, que les chercheurs, dans ces secteurs sont mieux capables de se comprendre entre eux, remarque que l’on entend souvent). Il ne faut donc pas confondre diversité des matières ou des spécialités et diversité des formes selon laquelle s’extériorise la production scientifique.

Il n’en reste pas moins vrai que les chercheurs des sciences humaines ont la sensation qu’on n’arrivera jamais à fixer clairement leurs objectifs ni à évaluer la qualité de leur travail. A cette crainte s’ajoute le sentiment d’un estompement de l’intérêt des pouvoirs subsidiants pour leurs disciplines. C’est un effet qu’on connaît bien lorsque l’on constate la séduction des programmes de recherche qui visent à des améliorations ou même à des innovations technologiques de procédés ou à la mise au point de produits commercialisables susceptibles de générer un profit, ou encore à des progrès de la santé. Aujourd’hui, on ressent un frémissement en faveur des sciences humaines dans les grands programmes à vocation de relance économique et c’est une excellente chose car nul n’y arrivera sans elles. Mais c’est encore bien léger.

L’article du Times HS est instructif à cet égard. Son auteure (comme on dit maintenant) suggère même que les formations ne soient pas seulement parallèles mais qu’un même étudiant soit amené à suivre des formations mixtes, ce qui me semble une excellente suggestion qui mérite réflexion. Elle souligne également le souci que chacun devrait avoir quant au poids des sciences humaines dans la formation universitaire en général. Elle insiste sur le fait que ce n’est pas en cultivant l’idée qu’elles constituent une valeur en soi, hors de portée de la remise en question et même de l’évaluation, qu’elles assureront leur pérennité, mais en démontrant par l’expérience leur nécessité pour l’ensemble d’une société équilibrée.

Attelons-nous donc à élaborer un système qui permette de concevoir des outils d’évaluation performants dans ces matières et de créer un consensus à ce sujet. Nous n’y arriverons cependant qu’en restant en phase par rapport aux évolutions internationales à ce propos.