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Au moment précis où chacun appelle l’innovation et la créativité au secours de l’économie et de la vie sociale, le FNRS voit son financement réduit par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). La saignée se monte à 12 millions d’€, soit près de 10% des moyens du fonds. Il s’agit là d’une catastrophe sans précédent en 84 ans d’activité du Fonds, témoignant d’une profonde incompréhension du principe qui veut que la recherche soit le dernier domaine auquel il faut appliquer de l’austérité en période de crise. Certes, il est normal qu’une politique gouvernementale veille à appliquer l’austérité à tous, de manière équitable. Mais là n’est pas la question. Plus encore que le souci des chercheurs pour leur emploi, pour leur avenir, le cri que pousse aujourd’hui le FNRS n’a rien a voir avec un réflexe corporatiste que ferait des chercheurs des citoyens à part. Il rappelle en réalité ce que chacun devrait savoir: la recherche scientifique, et en particulier la recherche fondamentale, dans quelque domaine que ce soit, est le socle sur lequel la relance repose entièrement.

Face à cette amputation, plus importante que la récolte de fonds du Télévie, le Conseil d’Administration du FRS-FNRS a choisi de ne pas privilégier la voie pourtant prudente qui consisterait, pour la première fois de son histoire, à n’accorder aucun mandat de chercheur cette année (ce qui compenserait 11 des 12 millions de reduction) mais plutôt de répartir le choc sur l’ensemble des mesures dont il a la charge. Moins douloureuse mais plus risquée, cette solution va certainement estomper le caractère dévastateur de la mesure. Néanmoins, elle fera mal un peu partout, au niveau des mandats, qu’il faudra bien réduire d’une trentaine d’unités, des crédits de fonctionnement, des bourses de recherche, du soutien au retour de nos chercheurs actuellement à l’étranger, des fonds d’équipement…

L’avenir et la qualité de la recherche fondamentale belge francophone sont plus sérieusement menacés qu’ils ne l’ont jamais été. Il est devenu indispensable que les citoyens de la FWB en prennent conscience et réalisent que l’émotion ne concerne pas que les chercheurs, mais qu’elle doit être partagée par tous ceux qui comprennent que c’est l’avenir de notre société en ce qu’elle a de meilleur qui risque d’être compromis.

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Le communiqué du C.A. du FRS-FNRS:

Un Conseil d’Administration de crise au F.R.S.-FNRS ce vendredi 27 avril 2012

Chaque année, le Conseil d’Administration du F.R.S.-FNRS détermine, dans le courant du mois d’avril, les montants qu’il pourra consacrer au financement de chacun des instruments (mandats, fonctionnement, projets, équipements, etc.) qui financent une large part de la recherche fondamentale en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Ce financement tient compte des engagements pris antérieurement (notamment en raison d’engagements pluriannuels qui caractérisent la plupart des mandats et projets octroyés), mais aussi des prévisions que l’on peut raisonnablement faire quant à un financement stable de la recherche en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Or, cette année, la situation s’est vue compliquée par deux décisions récentes du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’une d’ordre structurel, l’autre d’ordre budgétaire.

D’une part, la création d’un « Fonds » distinct et destiné à la recherche en Sciences humaines et sociales — demande répétée du FNRS depuis plusieurs années — s’est opérée, non pas par accroissement du budget de la recherche, mais par transfert interne au sein même du budget du FNRS. Cette décision a eu pour effet de réduire le volume du financement disponible pour les instruments « traditionnels » du FNRS. Cette diminution n’a pu être entièrement compensée par un apport nouveau du Fonds de la recherche de la Région wallonne et plus de 5,2 millions d’euros restent à trouver, à la fois pour les dépenses engagées sur le budget 2012 et pour les nouveaux projets.

D’autre part, en prévision d’une croissance inférieure à 0.10%, le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a souhaité constituer une « réserve » en réduisant de 3.8% les crédits facultatifs qui, dans le cas du FNRS et de ses fonds associés, s’élèvent à quelque 60 M€ par an. Cette réduction est d’autant plus difficile à rencontrer qu’elle impacte le financement de nombreux mandats pluriannuels, voire à durée indéterminée, et vient s’ajouter à une autre difficulté, que le FNRS connaît depuis plusieurs années déjà. Ces mandats connaissent en effet une indexation salariale qui n’est pas entièrement compensée par l’accroissement de la subvention des pouvoirs publics.

Alors que la Communauté française avait entamé un refinancement substantiel du FNRS et de ses fonds associés à partir de 2003, cet écart entre l’indexation des salaires et celle de la subvention est tel que l’on enregistre une baisse de presque 10% de la subvention à euro constant sur les dernières années.

Aussi, si la situation s’avère délicate en temps normal, elle devient catastrophique dès lors que cette subvention, en plus de ne pas suivre l’évolution des salaires, est de surcroît réduite du fait d’une décision gouvernementale.

Si l’on cumule ainsi la réduction des sommes disponibles pour le financement des instruments traditionnels (suite à la diminution de certaines lignes budgétaires du FNRS pour la création d’un nouveau Fonds) et une diminution d’une part significative de la subvention du FNRS, c’est alors une coupe de 12 millions d’euros que le Conseil d’Administration a dû se résigner à faire subir au volume du financement de ses appels à crédits, projets et mandats en 2012, par rapport à ceux lancés en 2011.

Le Conseil d’Administration n’a pas souhaité suivre l’option la plus prudente, qui aurait consisté à ne pas octroyer de nouveaux mandats de chercheurs en 2012. Une telle décision aurait atteint au cœur le dynamisme de la recherche en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce sont les crédits et projets qui subiront le plus grand choc (38% de la réduction) en voyant la libération des sommes octroyées en 2012 reportée de 6 mois pour les projets, de manière à maintenir approximativement le même niveau de fonctionnement cette année. Mais tous les autres instruments subiront également une diminution de leur volume de financement, y compris les mandats de chercheurs (8,5% de la réduction, ce qui correspond au même pourcentage de réduction de la masse financière disponible). Concrètement, c’est une petite trentaine de mandats en moins pour l’appel 2012.

Le financement de la recherche en physique des particules, l’un des fleurons de la Fédération Wallonie-Bruxelles, se voit réduit, quant à lui, de 50% par rapport à 2011 (ceci correspondant à environ 8,5% de l’effort de réduction du financement global).

Cette situation doit attirer l’attention de la communauté des chercheurs, tout comme de l’ensemble de la population, sur le danger qu’encourt notre recherche fondamentale si l’on ne veille pas à restaurer au plus vite deux conditions essentielles au maintien de sa qualité : un niveau de financement réel au moins stable et la plus grande souplesse de décision pour le Conseil d’Administration. La recherche fondamentale constitue, en temps de crise, un élément de relance indispensable sur le long terme. Réduire son financement, c’est compromettre son avenir. Un avenir dont la gestion doit être la plus souple et la plus autonome possible, car qui mieux que le monde scientifique lui-même peut tenter de répondre aux besoins essentiels de la recherche fondamentale, surtout quand on lui impose des réductions budgétaires qui en compromettent le bon fonctionnement ?

À Washington se tient Berlin 9, la neuvième édition du rassemblement annuel des signataires de la Déclaration de Berlin sur l’Open Access (OA), étendu aujourd’hui à un public très large, y compris des sociétés d’édition.
Hier à eu lieu la journée de pré-conférence à laquelle j’étais invité à décrire ORBi, notre dépôt institutionnel,  l’historique de la mise en place de ce bel outil et la stratégie développée en interne pour y arriver ainsi que les éléments qui me font penser que c’est un succès.

À l’étranger, ORBi est connu et considéré comme un modèle du genre. Les spécialistes en ont fait le type 1 de la typologie développée pour décrire les différents systèmes existant aujourd’hui.
ROAR (Registry of Open Access Repositories) qui effectue des « rankings » (tres objectifs, ceux-là) classe ORBi en première position mondiale en termes d’activité moyenne (médium). On ne trouve une autre université qu’en huitième position, et non la moindre: l’Université de Southampton, pionnière mondiale des dépôts institutionnels en OA. Pendant la période de croissance qui a suivi la lancement d’ORBi, nous avons même occupé la première place de la catégorie « activité haute » mais nous y sommes redescendus à la 27e place depuis que nous sommes en vitesse de croisière pour les dépôts: 63 par jour en moyenne (nous avions atteint la moyenne de 75).

Le succès est en grande partie lié au caractère « obligatoire » du dépôt. En fait, il n’a rien d’obligatoire (la nuance est d’importance dans la guerre permanente qui nous oppose à certains éditeurs-requins) puisque la stratégie à l’ULg n’est autre que l’ignorance, dans tout processus d’évaluation, des articles non déposés dans ORBi. À chacun de décider ce qu’il ou elle veut faire. Il n’y a donc pas d’obligation formelle. Je sais que ceci fera sourire, mais la précision à tout son poids.

Aujourd’hui, au sein de l’institution, le caractère plutôt coercitif de la mesure est globalement bien compris et surtout, les avantages d’ORBi pour les chercheurs eux-mêmes n’est plus à démontrer. Nous le faisons néanmoins à l’aide d’évaluations statistiques probantes.

Le modèle ORBi, de type 1, est donc devenu le modèle de référence. Il ne lui manque plus qu’un élément pour devenir la référence absolue: la cession par chaque auteur de ses droits, non plus à l’éditeur comme aujourd’hui encore, mais à l’Université. Celle-ci pourra alors détenir un vaste portefeuille de droits qui constituent un atout majeur dans les négociations difficiles avec certains éditeurs opiniâtrément attachés à leurs gigantesques profits et qui n’hésitent pas à intimider les chercheurs en interagissant avec eux individuellement. La cession des droits n’a rien d’inconvenant: les universités détiennent déjà actuellement les droits de propriété intellectuelle des chercheurs, ce qui les met en première ligne pour la valorisation des recherches. Cette appropriation des droits d’auteur (je le répète: actuellement concédés aux éditeurs et qui sera librement consentie) dans des conditions bien spécifiées trop longues à exposer ici (telles que la possibilité de rétrocession à l’auteur, etc.) constitue maintenant la prochaine étape à laquelle je souhaite faire participer la communauté universitaire de la recherche à l’ULg.

C’est, avec URBi (University Repository of Biographies, le futur dépôt institutionnel des CV), le prochain objectif institutionnel en matière de production scientifique. Ces initiatives mettent notre université en lumière au niveau international et je m’en réjouis.

Ma présentation à Washington est disponible sur… ORBi bien sûr!

English version below.

La « 2011 CIHE Engineering & Manufacturing Task Force », établie l’an dernier par le « Council for Industry and Higher Education » au Royaume Uni, dans son rapport inaugural, presse les universités de partager leurs idées gratuitement. Leur slogan: « Powering Up; Business and Universities Collaborating for Manufacturing Competitiveness in the New Industrial Revolution ».

L’idée est de demander aux universités du Royaume Uni de mettre généreusement leur savoir à disposition et de distribuer gratuitement leurs idées. Le CIHE affirme qu’en dépit de nombreux succès, les universités dépensent plus de 50 millions de livres sterling par an pour breveter leurs idées, dont beaucoup sont sans valeur commerciale, dit-il.

Pour moi, il s’agit ici d’un véritable braquage. Et de surcroît, on surfe sur la popularité croissante de l’Open Access (OA), dont il se trouve que je suis un supporter enthousiaste. Mais il s’agit ici d’une vision distordue de l’OA qui nous ramène loin dans le temps, aux temps heureux pour l’industrie, lorsque les données produites par les universités pouvaient être allègrement transférées au privé pour des cacahuètes.

L’OA, ce n’est pas cela. En aucun cas il n’interfère avec la propriété intellectuelle ni ne force à y renoncer. Si un brevet doit être pris, que l’on publie en OA ou non ne fait pas la moindre différence. Et il est choquant de constater qu’une institution respectable comme le CIHE tente de tirer profit d’un mouvement majeur au sein du monde scientifique pour semer la confusion chez les chercheurs et les gestionnaires des universités sur un sujet essentiel. S’il est vrai que la recherche réalisée avec les deniers publics doit être rendue publique, cela n’empêche en rien la prise de précautions en matière de brevets et de licences d’exploitation. C’est trop de pointer son nez maintenant, à la faveur d’un nouveau concept d’accès libre très en vogue, de demander que toutes les barrières tombent et de se servir dans l’étalage gratuit des informations de recherche.

Je l’ai dit, je suis un enthousiaste de l’Open Access, mais dans un contexte bien défini, où la propriété intellectuelle est pleinement respectée. Les universités ont trop longtemps abandonné à d’autres le profit de leur travail et leurs découvertes. Depuis quelque temps, elles ont appris à les garder pour elles et à ne les laisser partir vers l’exploitation qu’avec précaution et sur base de contrats clairs. Elles ont, par ailleurs, réagi fortement contre une exploitation éhontée du marché des publications par des requins féroces, ce n’est pas le moment d’abandonner tous ces progrès et d’être abusés sur la signification de l’accès libre, en faisant à quiconque le cadeau du fruit de leur travail.

La supériorité de l’Open Access (OA) en matière de citation d’articles a été démontrée par plusieurs études que l’on peut retrouver facilement grâce à l’Open Citation Project, Reference Linking and Citation Analysis for Open Archives.

Vous me direz: « Quoi de plus prévisible? » et vous aurez raison. Cela fait un bout de temps que, dans chacune de mes présentations sur le sujet, je mentionne la conviction intuitive que j’en ai. Mais il fallait que des chercheurs se décident à en faire la mesure, ce qui n’est pas chose facile car, méthodologiquement, la comparaison avec les articles en accès payant n’est guère simple à réaliser et sujette à de nombreuses critiques. La méthode la plus convaincante consiste à mesurer le succès, en termes de citations, des articles publiés dans un journal de renom et mis à disposition, dans la version finale de l’auteur après peer review dans la digithèque de son institution et le comparer à ceux qui ont été publiés dans le même journal, la même année. Le résultat est concluant.

La principale critique est qu’il ne s’agirait, en fait que d’un biais dû à le tendance des auteurs de ne rendre librement accessibles que leurs meilleurs papiers… On ne peut s’empêcher de penser à une certaine mauvaise foi, mais cela demande quand même à être scientifiquement examiné.

Pour ce faire, Y. Gargouri, C. Hajjem, V. Larivière, Y. Gingras, L. Carr, T. Brody et S. Harnad viennent de procéder à un examen scrupuleux, publié dans « PLoS One ». Ils ont comparé des auto-archivages auto-sélectifs à des auto-archivages imposés comme nous le faisons ici à Liège, sur un échantillon de 27.197 articles publiés entre 2002 et 2006 dans 1.984 journaux. Pour les défenseurs, comme je le suis, de l’approche de l’OA par le dépôt des articles en accès libre (dans la mesure du possible légal) dans un dépôt institutionnel (chez nous, ORBi), il est extrêmement intéressant que cette étude ait été réalisée précisément dans ces conditions.

L’article mérite d’être lu mais on peut le résumer en disant que la supériorité de l’OA sur le plan des citations concerne les articles les plus « citables », non pas en raison d’un biais qualitatif de la part des auteurs mais en raison d’un avantage qualitatif induit par les lecteurs qui choisissent ce qu’ils souhaitent lire et citer, en toute inépendance vis-à-vis des contraintes d’achat et de disponibilité liée au moyens alloués. Ceci renforce d’autant la logique de l’auto-archivage en accès libre et l’obligation qui en est faite par les autorités universitaires, celles des centres de recherche et celles des pouvoirs subsidiants.

Peter Suber diffuse aujourd’hui sur son site une réflexion très intéressante sur le « Principe de Garvey ». En 1979, à une époque où seule la publication scientifique sur papier prévalait, William D. Garvey affirmait, dans un ouvrage consacré à la publication scientifique, que, dans certaines disciplines, il s’avère plus aisé de procéder directement à une expérience que de déterminer si elle a déjà été réalisée (W.D. Garvey, Communication: The essence of science, Pergamon Press, Oxford 1979, p. 8.). Cette proposition découlait évidemment de la difficulté qu’éprouvait le chercheur Lambda à accéder à la totalité de la littérature scientifique publiée. En fait, il s’agissait d’un équilibre entre le coût de cet accès et le coût de l’expérience, équilibre très variable selon le domaine et les moyens du chercheur en termes de documentation et en termes d’équipement scientifique.

Selon Suber, on pourrait penser qu’aujourd’hui, à l’âge de la publication électronique, le principe de Garvey ne serait plus valide, mais peut-être ne le serait-il seulement que moins fréquemment qu’il y a trente ans, la « digitalisation » de la littérature scientifique la rendant beaucoup plus accessible. Cependant cet accès est loin de l’être complet aujourd’hui, en raison des embargos et limitations diverses imposés par les éditeurs commerciaux (ce qui suscite plus fréquemment de nos jours une dérobade du lecteur, déjà habitué à la lecture gratuite sur l’Internet) et dans le cas toujours possible où l’expérience est simple et rapide à effectuer. Enfin, il reste la possibilité de l’intérêt à refaire l’expérience malgré tout, pour d’excellentes raisons scientifiques (à ceci près que, s’il s’agit d’une répétition consciente, il n’y aura pas de duplication de publication). A l’avenir, la combinaison de moteurs de recherche de plus en plus performants et de la généralisation de l’accès libre (OA) permettra de périmer le principe de Garvey.

Suber prolonge sa réflexion pour prendre en compte les situations où refaire l’expérience est de loin trop coûteux, voire tout simplement impossible ou contraire à l’éthique actuelle. Son analyse du premier cas (trop coûteux) aborde le sujet des domaines de recherche dont les implications financières sont colossales, un thème qu’il abordait déjà en 2008, tout comme le faisait le journaliste Richard Poynder. Lorsque le coût de l’expérience rend quasi-impossible sa reproduction mais qu’on en a besoin, pour tester une nouvelle théorie par exemple, il est indispensable de rendre accessible, sans aucune limitation, les données originales générées par l’expérience. C’est l’ »Open Data« , OD. Et l’accès doit être totalement libre et gratuit, puisque la coûteuse expérience a déjà été financée, généralement par des deniers publics. Mais l’OD ne suffit pas, il doit être accompagné d’OA, c’est-à-dire d’un accès libre et gratuit aux publications rédigées par les scientifiques qui ont eu le privilège de pouvoir réaliser l’expérience. Et ces principes jouent en faveur du progrès de la science qui est un processus cumulatif, comme le précise Rolf-Dieter Heuer du CERN, interviewé par Poynder. « Plus grand est le nombre de gens qui ont accès aux articles, qui les critiquent, qui les soumettent à l’épreuve de l’examen des données brutes et qui construisent leur propre contribution par dessus, plus vite émergeront de nouvelles solutions ou de nouvelles théories ». Les programmes de « Big Science » impliquent de vastes collaborations, une très grande ouverture internationale et également une maximalisation de l’usage qui peut en être fait. Il est stupide, dit Suber, de financer une expérimentation chère et de rendre coûteux l’accès aux résultats pour ceux qui veulent non seulement les connaître mais en tirer plus encore. Et cette logique s’étend d’une expérimentation individuellement coûteuse à un ensemble d’expérimentations collectivement coûteux.

C’est ici que l’on perçoit bien comment on ne peut que passer d’un raisonnement qui prône la mise à disposition large et gratuite des résultats obtenus (OD) pour des recherches très onéreuses et de l’interprétation qu’en font les chercheurs (OA) à un principe général qui veut que les recherches réalisées au moyen de fonds publics soient rendues accessibles aisément et gratuitement, quel que soit leur coût, aussi bien en tant que résultats bruts qu’en tant que documents interprétés et conclus. C’est là une exigence que devraient avoir tous les organismes finançant la recherche.

Ceux qui connaissent Peter Suber ne s’étonneront pas qu’il aille encore plus loin, défendant l’idée que non seulement ce libre accès porte tant sur les données brutes que sur les articles interprétatifs — donc aux progrès du savoir — mais qu’il s’applique également, avec une large diffusion:
- aux intentions de recherche, c’est-à-dire aux propositions que font les chercheurs en vue d’obtenir des fonds, à un moment où elles ne constituent encore que des hypothèses soumises à évaluation;
- aux propositions dont il a ensuite été démontré qu’elles étaient inopérantes;
- aux hypothèses dont il a ensuite été démontré qu’elles étaient fausses;
- aux observations vraies à l’époque de leur conception mais qu’un environnement évolutif a rendues obsolètes, voire erronées.

Il s’agit évidemment ici d’une ouverture intéressante vers un monde de la recherche très différent du nôtre aujourd’hui, un monde d’une extrême transparence, où ne prévaudraient plus les règles de la compétition, mais qui exacerberait la coopération ouverte et franche. Une sorte de vision, sans doute utopique, de la fraternité absolue de tous les chercheurs dans un but ultime, sympathique mais quelque peu naïf de recherche du bien commun, par dessus les intérêts particuliers… Une telle perspective appelle inévitablement un changement radical dans le mode d’évaluation de la recherche d’une part, des chercheurs d’autre part, évaluation qui valoriserait plus les contributions collectives que l’éclat individuel. Un très beau modèle. Mais notre société humaine est-elle suffisamment mûre pour remettre ses usages en question à ce point…?

Lancé officiellement le 26 novembre 2008, ORBi entrepose aujourd’hui, 18 mois plus tard, plus de trente-cinq mille références dont vingt-trois mille avec texte intégral. J’ai déjà célébré cette performance qui fait de notre dépôt institutionnel un champion mondial de la croissance.
Tout le monde — y compris les observateurs étrangers — en convient, ce succès n’a été possible que pour deux raisons: 1) la qualité et l’efficacité de l’équipe en charge du projet; 2) la caractère obligatoire du dépôt.
Certes, au départ, il régnait un grand scepticisme quant à la capacité institutionnelle d’imposer le dépôt. En effet, comment obtenir une telle obéissance dans un monde académique, connaissant les contraintes de temps et les efforts à consentir? Ces contraintes pèsent en premier lieu sur le chercheur qui est souvent le seul, et en tout cas le plus à même d’effectuer un dépôt irréprochable. Le recul que nous avons aujourd’hui nous permet de conclure que lorsqu’un chercheur se décharge sur quelqu’un qui n’est guère familier avec la recherche et la publication, ses données sont entachées d’erreurs, parfois grossières. L’exemple le plus fréquent est la classification de publications à portée internationale dans la catégorie nationale. On observe également des classements défavorables quant à la revue par les pairs.

Cette année, un appel est lancé aux candidats potentiels à une promotion dans le corps académique, de même que, pour les scientifiques, à une confirmation au rang A. Comme décidé par le C.A. du 23 mai 2007, à partir du 1er octobre 2009, la seule bibliographie individuelle considérée comme valide pour l’analyse des dossiers est celle d’ORBi. C’est donc fort simple. Il m’est néanmoins revenu que certains candidats estimaient que la règle ne serait jamais vraiment appliquée dans la réalité et que, face à un dépôt vide ou fort incomplet, nul ne pourrait nier l’existence de publications par ailleurs… Ils se trompent fort. Chacun a eu largement, en trois ans, l’occasion de se rendre compte de notre détermination à cet égard, pour le bien de chaque chercheur et pour celui de l’Université.

Chacun peut donc aujourd’hui vérifier où il en est en extrayant très simplement son rapport ORBi personnel en quelques clics à partir de « MyORBi ». L’expérience est intéressante car elle met bien en évidence les anomalies qui ne sont pas toujours perceptibles dans le listing informatique d’ORBi. En outre, elle fournit des statistiques intéressantes à propose de chaque document déposé.

Rappelons aux candidats à une promotion que la date limite de dépôt de leur candidature est le 28 mai. Il n’est pas indispensable de fournir son propre rapport ORBi car les évaluateurs y auront accès directement eux-mêmes et ils le feront au moment de leur choix, évidemment après le 28 mai. La version qu’ils consulteront sera donc à jour. Les candidats pourront inclure dans leur dossier une note expliquant l’éventuelle différence entre le rapport ORBi et leur propre version de leur production scientifique mais, évidemment, la négligence ne pourra pas être prise en compte. Chacun pourra demander de l’aide grâce à la hot line d’ORBi, dans la mesure du possible, et une séance d’aide sera organisée le mercredi 19 mai à 15h30 (salle de formation des bibliothèques, Grands Amphithéâtres, B7a). Prière de s’inscrire à « orbi@misc.ulg.ac.be ».

C’est donc la première fois que cette nouvelle procédure sera d’application pour le travail des Conseils sectoriels de recherche qui auront la charge de l’évaluation du volet recherche des CV, un progrès attendu du Projet pour l’ULg.

En 2009, l’équipe de Reflexions a mis en ligne 85 articles « A la une », 15 « Science en s’amusant » (dont 5 Doc’cafés) et 10 « Décryptages ». Le site va mettre en ligne son 200e article « A la une » en un peu plus de 2 ans de fonctionnement, dressant le portrait de près de 230 chercheurs et enrichissant son glossaire de 575 termes. Depuis un an, il a reçu plus de 160.000 visites de 158 pays, soit 13.000 par mois, 18.000 environ ces deux derniers mois.
C’est un remarquable succès, qui fait de Reflexion un outil exceptionnel de documentation scientifique dans tous les domaines, utile pour les étudiants et enseignants du secondaire, les étudiants universitaires et tous ceux qui le souhaitent. C’est également une très belle vitrine de la recherche à l’ULg.

La saga du FNRS continue.

Cette semaine, dans l’hebdomadaire Le Vif, un titre accrocheur: « Le malaise des chercheurs » (p.44). Etrange décalage entre ce titre et la réalité. Il est vrai que d’autres journaux se sont laissés manipuler par quelques représentants du personnel scientifique des universités et des mandataires du FNRS, peu soucieux de rendre un réel reflet de l’opinion de l’immense majorité des chercheurs ainsi que par des nostalgiques de l’ancien système et ils ont monté en épingle les dangers d’une réforme de la procédure de sélection des mandats et des projets de recherche à subventionner.

Calmons donc le jeu: cette réforme a été mise en place en raison de la multitude de demandes de modernisation et d’une attente maintes fois réaffirmée par les chercheurs de toute la Communauté française.

L’article, dans son ensemble, rend justice à la réforme. Il en définit clairement le rôle et la raison d’être. L’alignement sur les procédures internationalement reconnues est parfaitement exposé. On aurait pu y ajouter qu’outre cet ajustement essentiel, la réforme met le FNRS en conformité avec la charte du chercheur, signée par toutes les universités.

Quelques précisions cependant.

1. Je ne vois pas pourquoi le seul fait que les commissions soient dorénavant majoritairement composées d’étrangers (9 sur 15) érigerait soudain le FNRS en « agence autonome », ni pourquoi il ne serait plus autant au service des universités qu’auparavant…

Pour rappel, les « anciennes » commissions étaient déjà largement « mixtes »: 5 « étrangers » (dont 3 flamands) sur 10! Le rapport est donc seulement légèrement modifié (on passe de 50% à 60!!!) et la présidence est confiée à un de ces « étrangers »… Pas de quoi remuer ciel et terre !

Il est vrai que notre première proposition — qui a soulevé un tollé dans une partie de l’opinion des chercheurs et des universitaires en général — prévoyait que les commissions seraient exclusivement composées d’étrangers pour éviter tout effet pervers du type « juge et partie », constamment dénoncé dans le passé. L’émotion fut si grande que nous avons dû faire marche arrière. Mais pour autant, nous n’en sommes pas, contrairement à ce que disent certains détracteurs, à abandonner la stratégie de recherche de notre pays à des intérêts étrangers. Ceux-là lisent trop de romans d’espionnage…

Si la réforme consistait à créer une sorte de CNRS à la française, avec ses propres installations pour ses propres chercheurs, j’admettrais qu’elle trahit l’esprit-même du FNRS et de ses fondateurs, mais il n’en est rien: on parle toujours bien de chercheurs à installer dans les universités et de crédits à accorder à des équipes universitaires. En cela, rien n’a changé. Nous ne touchons qu’au nombre, à la répartition, à la composition et au fonctionnement des commissions scientifiques, dans le droit fil de la demande générale des chercheurs depuis des années.

2. J’ai sans doute utilisé, dans la conversation téléphonique à bâtons rompus, l’expression « faire notre popote en interne ». C’était là une image-choc pour me faire comprendre, mais qui reflète très mal ce que je pense réellement du travail accompli par les membres des commissions. Je tiens à être clair: je respecte cet énorme travail ainsi que les sacrifices consentis par les membres des commissions scientifiques. Je m’y suis moi-même consacré sans compter pendant dix ans, j’en sais donc quelque chose. Et je n’ai pas l’impression d’avoir, dans cet exercice, trahi la confiance de qui que ce soit, ni de l’avoir détourné de ses nobles objectifs. Sincèrement. Mais j’ai toujours été conscient du caractère critiquable d’un système où on se contente de sortir de la salle lorsque ses propres dossiers sont examinés par des collègues avec lesquels on sympathise par ailleurs et dont on va juger les dossiers ensuite. La traduction de cette façon de faire en « une méthode qui ouvrait la porte aux copinages » est incontestablement excessive et dépasse ma pensée, mais je suis néanmoins en faveur d’une évolution de cette procédure vers une pratique plus incontestable.

3. Résumer l’effort de soutien à la recherche en une quête du prix Nobel est extraordinairement réducteur et pratiquement sans rapport avec la réalité. Mais ce n’est pas la faute du journaliste: c’est un slogan qui a été utilisé sur le plan politique pour créer l’enthousiasme lors de la création, fort utile évidemment, d’un fonds de financement de la recherche fondamentale en biologie moléculaire et cellulaire. Il ne faudrait pas que le prix Nobel, —dont on connaît la rareté — devienne une sorte de mesure-étalon de la qualité de la recherche scientifique dans notre Communauté…

4. Résumer, comme le fait un interviewé, le financement de la recherche au financement des chercheurs, ou le renforcement de notre potentiel de recherche à l’augmentation nette du nombre des chercheurs est également terriblement réducteur. Au contraire, les chercheurs, les vrais, font remarquer, à juste titre, qu’il arrive un moment où l’augmentation de leur nombre devient contre-productive si elle ne s’accompagne pas d’une augmentation des moyens en équipement et en fonctionnement. Il vaut mieux un peu moins de chercheurs qui ont des moyens suffisants qu’une pléthore de chercheurs désargentés. Notre communauté scientifique est déjà la championne toutes catégories du système D, avec un rapport de production scientifique par Euro dépensé qui se situe très au dessus de la moyenne des pays performants, ne tirons pas plus sur l’élastique…

5. Un autre intervenant dénonce le manque de concertation dans l’établissement de la réforme. Il y a beaucoup à dire là-dessus, mais c’est évidemment oublier qu’un organisme comme le FNRS ne peut fonctionner par référendum permanent et que les personnes qui s’en occupent ont été élues ou désignées pour cela. Lorsque l’Europe ou la Région font évoluer leurs procédures et règlements en matière de sélection de projets de recherche, elles n’organisent pas de consultation populaire et personne d’entre nous n’est consulté. Pas plus que nous ne le sommes pour établir les règles de sélection des prix Nobel !

6. Enfin, dire que les experts internationaux sont « suroccupés » est un truisme étonnant. Nous le sommes tous et j’espère que cela ne compromet pas la qualité des tâches que nous acceptons de remplir. Je ne comprends pas pourquoi un expert étranger bâclerait plus le travail qu’un indigène… Une telle affirmation est d’autant plus surprenante qu’elle ne reflète pas l’avis collectif du C.A. du FNRS qui a voté la réforme à l’unanimité de ses membres.

La réforme est aujourd’hui sur ses rails.
Elle ne change pas le principe, unanimement salué, du financement de la recherche dans les universités. C’est un principe auquel nous tenons et nous devons tous tenir envers et contre tout. Certes, elle bouleverse un certain nombre d’habitudes et déplaît à ceux qui ne sont pas suffisamment sûrs de l’excellence de leurs travaux pour laisser disparaître un système qui, pensent-ils, leur est favorable. Elle inquiète ceux à qui, selon leurs dires, on aurait promis quelque chose. C’est la difficulté classique de toute forme de remise en question.
Par contre, elle change les méthodes de sélection et les améliore, les modernise. Un autre progrès majeur est institué: chaque candidat à un mandat ou à un subside recevra un rapport d’évaluation écrit lui expliquant les motivations de sa sélection ou de son rejet, en accord avec la Charte Européenne du Chercheur dont le FNRS et la plupart de nos universités sont signataires.

Je plaide pour qu’on fasse l’essai de cette nouvelle approche et qu’on en tire les conclusions, pour y apporter, si nécessaire, des modifications. C’est lors de cette phase que chacun pourra utilement contribuer.

Le CA du FNRS a adopté ce vendredi 15, à l’unanimité (moins une abstention en relation avec la répartition des compétences des commissions scientifiques), la nouvelle réglementation pour l’évaluation. La version officielle finale sera donc disponible sur le site du FNRS dès demain.

Je ne commenterai pas plus avant les quelques remous que cette réforme importante a causés, car aujourd’hui, puisque beaucoup de remarques formulées par les chercheurs ont été prises en compte et puisque les appels à candidature sont lancés (ils le sont depuis lundi 11/01, il est donc utile de retourner au site pour vérifier les derniers détails), il faut s’en tenir aux décisions et attendre l’examen du système pour éventuellement proposer des amendements pour l’année prochaine.

Je me contenterai de tirer quelques leçons des discussions des dernières semaines, et en particulier sur un sujet dont l’importance ne m’a pas échappé.

Exactement comme dans la réforme de l’évaluation de la recherche menée à l’ULg, une constatation s’impose: la difficulté d’admettre les propositions d’évolution de l’évaluation se manifeste surtout dans les divers domaines des sciences humaines.
Là, plus qu’ailleurs, la crainte de voir s’établir un système d’évaluation se targuant de rechercher l’objectivité inquiète. Dans les autres domaines, cette inquiétude existe, bien sûr, mais elle est bien moindre et ne porte pas tant sur le principe que sur les modalités.

Si cette crainte s’exprime plus chez les chercheurs en sciences humaines à l’ULg et en Communauté française, c’est aussi le cas ailleurs dans le monde. En Flandre, où le financement des universités est conditionné à la performance en recherche et où l’évaluation des sciences humaines pose un tel problème qu’un programme de recherche sur la question a été lancé avec une solide subvention du Gouvernement de la Communauté flamande. Un article est consacré au sort des sciences humaines dans le magazine Times Higher Education du 7 janvier.

Il ne s’agit donc pas d’un caprice, mais du reflet d’un vrai problème. Toutefois, plusieurs questions se posent:
- comment donc se pratiquait, jusqu’ici, l’évaluation dans ces matières? En quoi était-elle réalisée de manière plus juste, plus incontestable?
- quels types de critères peut-on définir qui agréent à tous?
- quels objectifs se fixe-t-on?
- comment appréhende-t-on les diverses facettes de la production de recherche en ces domaines?

Les avis divergent considérablement et sans doute est-ce là une particularité.
En effet dans le cas des sciences et techniques ainsi que des sciences de la santé, la question fait moins débat, ce qui ne veut pas dire que les critères et objectifs, même si ils sont généralement admis, soient parfaitement judicieux. C’est d’ailleurs ici que revient à la surface la fameuse notion d’impact. Beaucoup de scientifiques se satisfont d’un comptage du nombre de publications acceptées dans des journaux prestigieux dont le facteur d’impact est élevé (j’ai déjà expliqué cette méthode à plusieurs reprises). Il reste cependant beaucoup de travail à accomplir car il faut bien admettre qu’il ne s’agit là que d’une mesure très indirecte de la qualité scientifique d’un chercheur ou d’une équipe de recherche. La notion de citation, plus aisément accessible aujourd’hui grâce à l’informatique, offre un complément intéressant, mais parfois trompeur, le nombre de citations d’un travail séminal pouvant ne pas rendre justice à son importance pour l’avancement du savoir.

Croire que la question est réglée, même pour ces domaines, serait illusoire. La seule vraie solution acceptable est bien plus complexe qu’une simple addition agrémentée de coefficients divers. Elle dépasse de loin le résumé en un seul chiffre. C’est là une analogie parfaite avec la réduction de la valeur d’une université à un simple nombre également.

Toutefois, le problème est encore plus complexe pour les sciences humaines. La diversité des formes de « production » de recherche est beaucoup plus vaste (ce qui conduit souvent les chercheurs de ces disciplines à penser, à tort, que les disciplines des sciences « dures » ou de la santé sont moins variées, que les chercheurs, dans ces secteurs sont mieux capables de se comprendre entre eux, remarque que l’on entend souvent). Il ne faut donc pas confondre diversité des matières ou des spécialités et diversité des formes selon laquelle s’extériorise la production scientifique.

Il n’en reste pas moins vrai que les chercheurs des sciences humaines ont la sensation qu’on n’arrivera jamais à fixer clairement leurs objectifs ni à évaluer la qualité de leur travail. A cette crainte s’ajoute le sentiment d’un estompement de l’intérêt des pouvoirs subsidiants pour leurs disciplines. C’est un effet qu’on connaît bien lorsque l’on constate la séduction des programmes de recherche qui visent à des améliorations ou même à des innovations technologiques de procédés ou à la mise au point de produits commercialisables susceptibles de générer un profit, ou encore à des progrès de la santé. Aujourd’hui, on ressent un frémissement en faveur des sciences humaines dans les grands programmes à vocation de relance économique et c’est une excellente chose car nul n’y arrivera sans elles. Mais c’est encore bien léger.

L’article du Times HS est instructif à cet égard. Son auteure (comme on dit maintenant) suggère même que les formations ne soient pas seulement parallèles mais qu’un même étudiant soit amené à suivre des formations mixtes, ce qui me semble une excellente suggestion qui mérite réflexion. Elle souligne également le souci que chacun devrait avoir quant au poids des sciences humaines dans la formation universitaire en général. Elle insiste sur le fait que ce n’est pas en cultivant l’idée qu’elles constituent une valeur en soi, hors de portée de la remise en question et même de l’évaluation, qu’elles assureront leur pérennité, mais en démontrant par l’expérience leur nécessité pour l’ensemble d’une société équilibrée.

Attelons-nous donc à élaborer un système qui permette de concevoir des outils d’évaluation performants dans ces matières et de créer un consensus à ce sujet. Nous n’y arriverons cependant qu’en restant en phase par rapport aux évolutions internationales à ce propos.

Comme je le mentionnais dans le billet précédent, le FNRS, que j’ai l’honneur de présider, revoit complètement ses méthodes d’évaluation. Signe des temps, dira-t-on. Peut-être, mais en tout cas, signe d’une volonté de s’inscrire dans la modernité et de se plier aux règles internationalement admises aujourd’hui en matière de transparence et d’éthique.

Sans critiquer le passé (souvenons-nous que longtemps, le FNRS est resté un modèle d’efficacité et de sélection de l’excellence en recherche scientifique, il a été — et reste encore — une référence pour tous les chercheurs de la Communauté française de Belgique) il est normal de s’interroger sur l’adéquation des méthodes aux contraintes actuelles.

Ceci n’empêche pas qu’une telle institution, pour excellente qu’elle soit, n’est pas pour autant parfaite, surtout si l’on considère que, dans le monde entier, le principe de l’évaluation et ses règles ont considérablement évolué. Lorsque nous devons nous intégrer dans des programmes de recherche internationaux de grande envergure, il importe que nous puissions montrer que nos méthodes de sélection sont compatibles avec celles des autres.

Enfin, personne n’a été choqué, pendant des décennies, par le statut mixte de « juge et partie » des membres des commissions scientifiques, ni par l’absence de communication aux intéressés des motivations de leur succès ou de leur échec, cette discrétion conduisant inévitablement à des indiscrétions dont la conformité aux motivations vraies de la commission correspondante n’était pas vérifiable, ni garantie. De nos jours, motiver une décision est considéré comme une garantie de transparence et d’objectivité. Remettre en question des pratiques anciennes et acceptées relève de l’adaptation à l’évolution des mœurs, non pas du rejet du passé. Trop de gens font cet amalgame et nous accusent aujourd’hui de profaner l’Histoire.

Au début de mon premier mandat de recteur, en 2005, je fus interpellé par les mandataires du FNRS à l’ULg et je les ai rencontrés dès 2006. Ils s’étaient livrés à une analyse minutieuse du fonctionnement du FNRS en matière d’octroi de mandats et de crédits. Ce débat fut très intéressant et je pris note de leurs requêtes. Toutes celles-ci, dont on a pu retrouver une bonne partie dans les demandes des corps scientifiques des universités en 2008, trouvent une réponse dans la nouvelle réforme.

Il est étonnant que ceci n’ait pas été remarqué par tout le monde et, malheureusement, les informations données à la presse ont été, ces derniers temps, variées et contradictoires. On peut le comprendre quand on sait que, si le C.A. du FNRS a pris position sur le principe de la réforme en matière de composition des commissions, de méthodologie et de motivation des décisions dès le 20 octobre 2009, perturbé par d’autres soucis, il n’a pu se prononcer sur les détails de procédure que le 21 décembre dernier, ce qui peut paraître tardif par rapport à la date limite pour le dépôts des candidatures.

1. Conscient de cette difficulté, le C.A. a reporté les échéances de janvier à mars et les a étalées selon les types de mandats et les demandes de crédits. Les nouvelles procédures sont disponibles en pdf sur le site web du FNRS à la page « financer les chercheurs ». Il n’est pas sans intérêt de préciser que si la réforme vise les procédures d’évaluation, le contenu des dossiers que les candidats doivent remplir n’est guère différent de ce qu’il était auparavant, et il a été communiqué fin novembre. Un nouvel outil informatique plus convivial et permettant notamment une meilleure traçabilité des dossiers a été développé pour cet appel. Dorénavant, les critères d’évaluation seront explicités, ce qui constitue un grand progrès. Enfin, les raisons du choix ou du rejet de chaque dossier seront motivées et ensuite adressées à chaque postulant.

2. Deuxième difficulté: les décisions du C.A. du 21 décembre suscitent une certaine contestation. En effet, il est difficilement imaginable, face à une réforme de cette ampleur, que tout le monde soit du même avis et on peut comprendre que certains soient frustrés de ne pas voir leur avis prévaloir. Il est clair aujourd’hui qu’un supplément de rigueur dans la procédure de décision eût été le bienvenu, mea culpa. En particulier, il apparaît nettement qu’un vote en bonne et due forme est nécessaire pour chaque point décisionnel dans ce conseil aujourd’hui, alors que, par le passé (j’en fais partie depuis 1997), il a toujours fonctionné par consensus, mais il est vrai qu’on ne lui a jamais soumis une réforme aussi fondamentale.

3. Pire, les décisions du C.A. du 21 décembre sont remises en question par le délégué du Ministre de la Recherche en CfB faisant fonction de commissaire du Gouvernement qui a déposé un recours auprès du Ministre. Le fait est suffisamment exceptionnel pour être relevé. Il était d’ailleurs étalé dans la presse dans les heures qui ont suivi, annulant ainsi toute la confidentialité qu’on pouvait attendre à propos d’une telle action, alors que le C.A. dispose de 30 jours pour déposer ses objections…

Il ne m’appartient pas ici de décortiquer le recours et encore moins d’y répondre, c’est le rôle du C.A. Mais dans un souci d’information, puisque c’est essentiellement à ce niveau que le bât blesse, je me permets quand même de préciser que le recours, longuement analysé dans le journal Le Soir, porte sur deux éléments très distincts.
• Le premier a trait à la procédure de notification des décisions du C.A. aux autorités de tutelle. Le C.A. s’expliquera là-dessus auprès du Ministre. L’essentiel a cependant été préservé puisque les dates-limite ont été reportées.
• Le second porte sur un élément nouveau qui n’a jamais été pris en compte au FNRS. Il s’agit du fait que les mandataires FNRS pourraient être considérés comme des employés du Fonds et devraient alors être représentés dans un Conseil d’entreprise. Le sujet est certes intéressant et mérite un examen attentif dans le courant de cette année.

Je tiens à rassurer les nombreux chercheurs favorables à la réforme (il s’agit en fait d’une très vaste majorité, même si certains regrettent vivement de ne pas avoir été suffisamment consultés: on a tenu compte de tous les desiderata qu’ils ont exprimés en décembre 2008, mais on n’a pas organisé de re-consultation depuis lors) qui nous ont contacté pour exprimer leur inquiétude: le recours est effectivement suspensif, mais uniquement en 2011, ce qui autorise parfaitement la mise en œuvre de la réforme dès 2010 et laisse le temps au FNRS pour répondre à ces critiques.

On le comprend: l’année qui vient verra d’une part le test du nouveau système d’évaluation plus largement externe à la CfB, et d’autre part l’examen d’une forme de participation des chercheurs du FNRS à la gouvernance de leur Institution. Il est envisagé de créer un comité, comportant des mandataires, et habilité à se pencher sur les aspects sociaux. En particulier, la représentativité des mandataires au sein du Fonds ET/OU au sein des universités qui les hébergent constituera un dilemme qu’il ne sera pas facile de régler. Tout ceci devra se faire dans les conditions prescrites par la loi et en veillant à sauvegarder le caractère d’excellence du Fonds, un objectif avec lequel chacun sera d’accord, je pense.

Je souhaite à tous une excellente année 2010, pleine de renouveau !

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