janvier 2010


La catastrophe de Liège, l’explosion de la rue Léopold, dont le bilan final ne peut encore être établi, a fait de nombreuses victimes, dont 12 mortelles à ce jour. Elle a fauché en pleine jeunesse plusieurs jeunes diplômés de notre institution. Pierre Guilliams était un de nos chercheurs en Géographie depuis deux ans et accomplissait actuellement un Master en Gestion en horaire décalé. Il allait avoir 26 ans dans un mois. Les témoignages sur lui, qui affluent en grand nombre, sont tous formidablement élogieux. Notre institution a ainsi perdu un élément sympathique, dynamique et prometteur.
Sa ville natale, Hannut, a été durement frappée dans cette catastrophe, puisqu’elle y a perdu quatre jeunes du même âge, comme la compagne de Pierre, Charlotte François, une romaniste dont tout le monde se souvient dans le département de Philologie romane et devenue professeur dans l’enseignement secondaire. La cérémonie organisée devant l’hôtel de ville de Hannut, à laquelle j’ai assisté aujourd’hui en présence de nombreuses autorités et d’une foule énorme, était empreinte d’émotion, bien sûr, mais aussi d’une grande dignité. Les funérailles de Pierre et de Charlotte auront lieu lundi (13h30 à l’Administration communale; 14 heures en l’église Saint-Christophe de Hannut).

La saga du FNRS continue.

Cette semaine, dans l’hebdomadaire Le Vif, un titre accrocheur: « Le malaise des chercheurs » (p.44). Etrange décalage entre ce titre et la réalité. Il est vrai que d’autres journaux se sont laissés manipuler par quelques représentants du personnel scientifique des universités et des mandataires du FNRS, peu soucieux de rendre un réel reflet de l’opinion de l’immense majorité des chercheurs ainsi que par des nostalgiques de l’ancien système et ils ont monté en épingle les dangers d’une réforme de la procédure de sélection des mandats et des projets de recherche à subventionner.

Calmons donc le jeu: cette réforme a été mise en place en raison de la multitude de demandes de modernisation et d’une attente maintes fois réaffirmée par les chercheurs de toute la Communauté française.

L’article, dans son ensemble, rend justice à la réforme. Il en définit clairement le rôle et la raison d’être. L’alignement sur les procédures internationalement reconnues est parfaitement exposé. On aurait pu y ajouter qu’outre cet ajustement essentiel, la réforme met le FNRS en conformité avec la charte du chercheur, signée par toutes les universités.

Quelques précisions cependant.

1. Je ne vois pas pourquoi le seul fait que les commissions soient dorénavant majoritairement composées d’étrangers (9 sur 15) érigerait soudain le FNRS en « agence autonome », ni pourquoi il ne serait plus autant au service des universités qu’auparavant…

Pour rappel, les « anciennes » commissions étaient déjà largement « mixtes »: 5 « étrangers » (dont 3 flamands) sur 10! Le rapport est donc seulement légèrement modifié (on passe de 50% à 60!!!) et la présidence est confiée à un de ces « étrangers »… Pas de quoi remuer ciel et terre !

Il est vrai que notre première proposition — qui a soulevé un tollé dans une partie de l’opinion des chercheurs et des universitaires en général — prévoyait que les commissions seraient exclusivement composées d’étrangers pour éviter tout effet pervers du type « juge et partie », constamment dénoncé dans le passé. L’émotion fut si grande que nous avons dû faire marche arrière. Mais pour autant, nous n’en sommes pas, contrairement à ce que disent certains détracteurs, à abandonner la stratégie de recherche de notre pays à des intérêts étrangers. Ceux-là lisent trop de romans d’espionnage…

Si la réforme consistait à créer une sorte de CNRS à la française, avec ses propres installations pour ses propres chercheurs, j’admettrais qu’elle trahit l’esprit-même du FNRS et de ses fondateurs, mais il n’en est rien: on parle toujours bien de chercheurs à installer dans les universités et de crédits à accorder à des équipes universitaires. En cela, rien n’a changé. Nous ne touchons qu’au nombre, à la répartition, à la composition et au fonctionnement des commissions scientifiques, dans le droit fil de la demande générale des chercheurs depuis des années.

2. J’ai sans doute utilisé, dans la conversation téléphonique à bâtons rompus, l’expression « faire notre popote en interne ». C’était là une image-choc pour me faire comprendre, mais qui reflète très mal ce que je pense réellement du travail accompli par les membres des commissions. Je tiens à être clair: je respecte cet énorme travail ainsi que les sacrifices consentis par les membres des commissions scientifiques. Je m’y suis moi-même consacré sans compter pendant dix ans, j’en sais donc quelque chose. Et je n’ai pas l’impression d’avoir, dans cet exercice, trahi la confiance de qui que ce soit, ni de l’avoir détourné de ses nobles objectifs. Sincèrement. Mais j’ai toujours été conscient du caractère critiquable d’un système où on se contente de sortir de la salle lorsque ses propres dossiers sont examinés par des collègues avec lesquels on sympathise par ailleurs et dont on va juger les dossiers ensuite. La traduction de cette façon de faire en « une méthode qui ouvrait la porte aux copinages » est incontestablement excessive et dépasse ma pensée, mais je suis néanmoins en faveur d’une évolution de cette procédure vers une pratique plus incontestable.

3. Résumer l’effort de soutien à la recherche en une quête du prix Nobel est extraordinairement réducteur et pratiquement sans rapport avec la réalité. Mais ce n’est pas la faute du journaliste: c’est un slogan qui a été utilisé sur le plan politique pour créer l’enthousiasme lors de la création, fort utile évidemment, d’un fonds de financement de la recherche fondamentale en biologie moléculaire et cellulaire. Il ne faudrait pas que le prix Nobel, —dont on connaît la rareté — devienne une sorte de mesure-étalon de la qualité de la recherche scientifique dans notre Communauté…

4. Résumer, comme le fait un interviewé, le financement de la recherche au financement des chercheurs, ou le renforcement de notre potentiel de recherche à l’augmentation nette du nombre des chercheurs est également terriblement réducteur. Au contraire, les chercheurs, les vrais, font remarquer, à juste titre, qu’il arrive un moment où l’augmentation de leur nombre devient contre-productive si elle ne s’accompagne pas d’une augmentation des moyens en équipement et en fonctionnement. Il vaut mieux un peu moins de chercheurs qui ont des moyens suffisants qu’une pléthore de chercheurs désargentés. Notre communauté scientifique est déjà la championne toutes catégories du système D, avec un rapport de production scientifique par Euro dépensé qui se situe très au dessus de la moyenne des pays performants, ne tirons pas plus sur l’élastique…

5. Un autre intervenant dénonce le manque de concertation dans l’établissement de la réforme. Il y a beaucoup à dire là-dessus, mais c’est évidemment oublier qu’un organisme comme le FNRS ne peut fonctionner par référendum permanent et que les personnes qui s’en occupent ont été élues ou désignées pour cela. Lorsque l’Europe ou la Région font évoluer leurs procédures et règlements en matière de sélection de projets de recherche, elles n’organisent pas de consultation populaire et personne d’entre nous n’est consulté. Pas plus que nous ne le sommes pour établir les règles de sélection des prix Nobel !

6. Enfin, dire que les experts internationaux sont « suroccupés » est un truisme étonnant. Nous le sommes tous et j’espère que cela ne compromet pas la qualité des tâches que nous acceptons de remplir. Je ne comprends pas pourquoi un expert étranger bâclerait plus le travail qu’un indigène… Une telle affirmation est d’autant plus surprenante qu’elle ne reflète pas l’avis collectif du C.A. du FNRS qui a voté la réforme à l’unanimité de ses membres.

La réforme est aujourd’hui sur ses rails.
Elle ne change pas le principe, unanimement salué, du financement de la recherche dans les universités. C’est un principe auquel nous tenons et nous devons tous tenir envers et contre tout. Certes, elle bouleverse un certain nombre d’habitudes et déplaît à ceux qui ne sont pas suffisamment sûrs de l’excellence de leurs travaux pour laisser disparaître un système qui, pensent-ils, leur est favorable. Elle inquiète ceux à qui, selon leurs dires, on aurait promis quelque chose. C’est la difficulté classique de toute forme de remise en question.
Par contre, elle change les méthodes de sélection et les améliore, les modernise. Un autre progrès majeur est institué: chaque candidat à un mandat ou à un subside recevra un rapport d’évaluation écrit lui expliquant les motivations de sa sélection ou de son rejet, en accord avec la Charte Européenne du Chercheur dont le FNRS et la plupart de nos universités sont signataires.

Je plaide pour qu’on fasse l’essai de cette nouvelle approche et qu’on en tire les conclusions, pour y apporter, si nécessaire, des modifications. C’est lors de cette phase que chacun pourra utilement contribuer.

C’est une ironie tragique qui nous accueille sur le site web de l’Université d’Etat de Haïti. Tout s’y passe comme si cette institution, avec laquelle nous avons de solides relations, avait échappé au désastre du 12 janvier. Il est exactement comme il était avant la première secousse, ses photos de bâtiments debout, ses accomplissements mis à l’honneur, ses projets fièrement annoncés…
Personne n’y a touché, à ce site. C’est très émouvant. Surtout lorsque l’on sait qu’il ne reste pas grand chose aujourd’hui, que tout est détruit, effondré, écrasé, anéanti.

C’était une université de taille comparable à celle de la nôtre: 20.000 étudiants, 1.500 enseignants et 800 autres membres du personnel.
Aujourd’hui, beaucoup de nos collègues ainsi que de très nombreux étudiants sont décédés. « Il ne se doutait pas que ce lieu qui avait abrité ses recherches durant près de trois décennies, ce havre de réflexion et de production intellectuelle, serait son tombeau. Comme celui de centaines d’enseignants et d’étudiants », lit-on sur le site de Montray Kréyol dans un superbe hommage au professeur Pierre Vernet, éminent linguiste créole, mort en plein cours, avec ses étudiants.
Autour de lui, le tremblement de terre a tué beaucoup d’autres intellectuels. Une grande partie du potentiel universitaire si essentiel pour l’avenir de ce pays — où 80% des gens sont analphabètes — a disparu en quelques secondes.
C’est un immense espoir de sortie de la misère, vécue comme une fatalité, qui est ainsi fauché, mais aussi une jeunesse porteuse de la conscience démocratique du pays.

Il importera désormais que les haïtiens prennent eux-mêmes en main leur reconstruction et que, dans ce cadre, ils le fassent avec un souci de qualité. Les organisations internationales déjà sur les lieux devront se préoccuper d’analyser les besoins immédiats, mais aussi les conditions de l’accès à des moyens d’existence pérennes et stables, en ce comprises les conditions d’une gouvernance politique équitable et moderne, et ceci en étroite collaboration avec les haïtiens eux-mêmes.

C’est exactement dans cet esprit que se développait jusqu’ici le projet de coopération institutionnelle de la C.U.D. francophone belge avec l’Université d’Etat de Haïti: « soutenir et développer sur place les capacités d’enseignement, de recherche et de gestion des institutions universitaires ». Nous avons donc, heureusement, une longueur d’avance sur les conséquences de la catastrophe et il faut absolument que Haïti en tire profit. Rapidement.

Au départ de ce projet, nos collègues haïtiens ont procédé à une analyse de leurs priorités de développement et des missions à assurer. Le programme est donc conçu sur base des choix stratégiques de l’institution partenaire elle-même. La gestion en est commune, en groupes de pilotage interuniversitaires et interdisciplinaires, dans une relation de confiance mutuelle. Les partenaires belges se mettent au service des projets en y apportant leur capacité de négocier, discuter, planifier et évaluer ensemble. Ils apportent une contribution plus spécifique quand elle est demandée (par exemple en accueillant des stagiaires, ou en donnant des cours là où une compétence est manquante). Ainsi, le projet s’articulait, à la demande des haïtiens, autour de l’amélioration de l’enseignement, de la recherche, mais aussi de la capacité de gouvernance de l’université.

Ce projet a, aujourd’hui, plus de sens que jamais. Il doit continuer. Il coûtera plus cher, bien évidemment. Même si nous n’avons pas la prétention de contribuer massivement à une reconstruction des infrastructures ni à un rééquipement, nos experts pourront apporter une aide à la formation des jeunes, à la conception des programmes de renouveau, à la relance des activités spécifiquement universitaires et au développement des compétences autonomes dont le pays va avoir immensément besoin.

C’est pourquoi, même si cela peut sembler dérisoire en comparaison avec le formidable élan de solidarité et l’aide internationale qui s’organise, nous avons voulu contribuer à notre façon, modestement, mais spécifiquement, à la relance universitaire, de partenaire à partenaire, d’université à université.

C’est ainsi que vous pouvez, dès à présent, que vous soyez membre de l’Université de Liège ou non, si vous croyez en l’utilité d’une entraide directe au niveau universitaire, effectuer un don au compte Haïti:

    340-1558036-60

ouvert pour l’occasion par l’Université de Liège.
C’est à ce programme, dans sa nouvelle forme, qu’il sera entièrement consacré.

Pour plus d’informations, consultez le site de l’ULg.

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Et voici un texte bouleversant, que nous avons reçu de la part du recteur Jacky Lumarque de l’Université Quisqueya de Haïti:

« Chers collègues et amis,
C’est mon premier contact avec l’internet depuis le séisme de mardi. Je m’excuse auprès des amis que mon silence a pu inquiéter; mais j’étais très concentré sur les opérations de récupération des survivants et l’aide aux familles sinistrées. Ma conviction était de ne jamais cesser les opérations de sauvetage avant d’avoir la confirmation que les personnes recherchées étaient bien mortes.
Voici la situation. J’ai arrêté définitivement depuis hier la recherche de survivants et je suis finalement en mesure de sortir des décombres les cadavres identifiés : 5 étudiants de la fac des sciences de l’éducation dont 2 abbés de la congrégation des Salésiens, un père et une sœur de la congrégation de Ste Croix, un professeur, un ingénieur et deux jardiniers. Nous saurons ce matin s’il y a d’autres victimes que les personnes identifiées.
Les cadavres sont en décomposition avancée et nous avons dû transformer rapidement une citerne en caveau, dans l’espace du jardin botanique. Ce lieu sera le mausolée dédié aux victimes du séisme. Mgr Dumas, les provinciaux des congrégations de Don Bosco et de Ste Croix diront une messe à midi pour les défunts. Ceux qui ne peuvent être physiquement présents nous accompagneront de leur pensée affectueuse.
Je remercie spécialement les étudiants et les jeunes volontaires (dont la plupart n’ont même pas fait leur certificat d’études primaires) pour le courage extraordinaire dont ils ont fait preuve en travaillant 48 heures d’affilée afin de sortir des décombres près d’une vingtaine de survivants, sans moyens techniques et au péril de leur vie. Ceux que nous avons vu mourir sous nos yeux sont morts faute de moyens et d’équipements pour écarter les poutres et les dalles entre lesquelles les corps se trouvaient coincés.
Tous nos bâtiments ont été détruits y compris le Musée qui accueillait une exposition consacrée au célèbre peintre américain d’origine haïtienne Jean Michel Basquiat et les trois appartements que nous avions dédié aux professeurs invités en mission d’enseignement pour Quisqueya et les autres universités haïtiennes reconnues par l’Etat. Nous devrons recommencer à zéro et je n’ai aucun doute sur notre capacité collective à trouver les moyens, l’énergie et la détermination pour le faire. Pour l’instant, Quisqueya se mobilise pour venir en aide aux familles sinistrées. Le campus du boulevard Harry Truman a été transformé en un centre d’accueil où 10,000 personnes sinistrées de Cité L’éternel sont déjà installées. Les Centres Gheskio et des médecins américains assistent les malades et les blessés. TOUS les étudiants finissants de la fac de Médecine de Quisqueya sont invités à venir nous assister dans l’organisation de la vie communautaire et la dispensation des soins de base. Nous attendons que l’enceinte soit sécurisée (les murs de clôture sont à remettre en place) avant d’entrer dans la distribution de nourriture, afin d’éviter les actes de pillage.
L’esplanade et le parking du campus de Turgeau seront également transformés en un centre de soins pour les sinistrés. Comme nous sommes installés tout près du réservoir principal de la Centrale métropolitaine d’eau potable, nous cherchons à mettre en place une petite usine de traitement d’eau afin de produire 3.000 gallons d’eau potable par jour, qui pourront desservir les résidents et les « colonies » des quartiers périphériques (Turgeau et Debussy). Nous attendons une aide de « Aide et Action » pour faire venir de la République Dominicaine les équipements pour l’installation du centre de traitement d’eau. Les étudiants de Quisqueya sont invités à se constituer en un réseau de solidarité universitaire. C’est en aidant les plus fragiles qu’ils trouveront en eux-mêmes l’énergie et l’inspiration pour organiser la reconstruction de leur vie personnelle et de l’espace collectif.
L’aide internationale est abondante mais mal coordonnée et les frustrations sont grandes. La population s’est spontanément organisée en « colonies » de quartiers ; il faut soutenir ces structures en les aidant à s’organiser de manière rationnelle, tout en canalisant les secours vers les plus nécessiteux.
Merci à tous nos amis pour l’expression de leur solidarité et de leur affection. Le plus dur est devant nous quand il faudra reconstruire et que les élans de solidarité spontanée et immédiate seront épuisés. Ce sera aux Haïtiens de s’organiser eux-mêmes avec l’aide de réseaux d’amis solidaires qui ne sont pas motivés exclusivement par la recherche de la visibilité médiatique ».

(Merci à Isabelle Halleux pour sa contribution. Merci également à tous les membres de l’ULg qui travaillent avec l’UEH. Bon courage!)

Le CA du FNRS a adopté ce vendredi 15, à l’unanimité (moins une abstention en relation avec la répartition des compétences des commissions scientifiques), la nouvelle réglementation pour l’évaluation. La version officielle finale sera donc disponible sur le site du FNRS dès demain.

Je ne commenterai pas plus avant les quelques remous que cette réforme importante a causés, car aujourd’hui, puisque beaucoup de remarques formulées par les chercheurs ont été prises en compte et puisque les appels à candidature sont lancés (ils le sont depuis lundi 11/01, il est donc utile de retourner au site pour vérifier les derniers détails), il faut s’en tenir aux décisions et attendre l’examen du système pour éventuellement proposer des amendements pour l’année prochaine.

Je me contenterai de tirer quelques leçons des discussions des dernières semaines, et en particulier sur un sujet dont l’importance ne m’a pas échappé.

Exactement comme dans la réforme de l’évaluation de la recherche menée à l’ULg, une constatation s’impose: la difficulté d’admettre les propositions d’évolution de l’évaluation se manifeste surtout dans les divers domaines des sciences humaines.
Là, plus qu’ailleurs, la crainte de voir s’établir un système d’évaluation se targuant de rechercher l’objectivité inquiète. Dans les autres domaines, cette inquiétude existe, bien sûr, mais elle est bien moindre et ne porte pas tant sur le principe que sur les modalités.

Si cette crainte s’exprime plus chez les chercheurs en sciences humaines à l’ULg et en Communauté française, c’est aussi le cas ailleurs dans le monde. En Flandre, où le financement des universités est conditionné à la performance en recherche et où l’évaluation des sciences humaines pose un tel problème qu’un programme de recherche sur la question a été lancé avec une solide subvention du Gouvernement de la Communauté flamande. Un article est consacré au sort des sciences humaines dans le magazine Times Higher Education du 7 janvier.

Il ne s’agit donc pas d’un caprice, mais du reflet d’un vrai problème. Toutefois, plusieurs questions se posent:
- comment donc se pratiquait, jusqu’ici, l’évaluation dans ces matières? En quoi était-elle réalisée de manière plus juste, plus incontestable?
- quels types de critères peut-on définir qui agréent à tous?
- quels objectifs se fixe-t-on?
- comment appréhende-t-on les diverses facettes de la production de recherche en ces domaines?

Les avis divergent considérablement et sans doute est-ce là une particularité.
En effet dans le cas des sciences et techniques ainsi que des sciences de la santé, la question fait moins débat, ce qui ne veut pas dire que les critères et objectifs, même si ils sont généralement admis, soient parfaitement judicieux. C’est d’ailleurs ici que revient à la surface la fameuse notion d’impact. Beaucoup de scientifiques se satisfont d’un comptage du nombre de publications acceptées dans des journaux prestigieux dont le facteur d’impact est élevé (j’ai déjà expliqué cette méthode à plusieurs reprises). Il reste cependant beaucoup de travail à accomplir car il faut bien admettre qu’il ne s’agit là que d’une mesure très indirecte de la qualité scientifique d’un chercheur ou d’une équipe de recherche. La notion de citation, plus aisément accessible aujourd’hui grâce à l’informatique, offre un complément intéressant, mais parfois trompeur, le nombre de citations d’un travail séminal pouvant ne pas rendre justice à son importance pour l’avancement du savoir.

Croire que la question est réglée, même pour ces domaines, serait illusoire. La seule vraie solution acceptable est bien plus complexe qu’une simple addition agrémentée de coefficients divers. Elle dépasse de loin le résumé en un seul chiffre. C’est là une analogie parfaite avec la réduction de la valeur d’une université à un simple nombre également.

Toutefois, le problème est encore plus complexe pour les sciences humaines. La diversité des formes de « production » de recherche est beaucoup plus vaste (ce qui conduit souvent les chercheurs de ces disciplines à penser, à tort, que les disciplines des sciences « dures » ou de la santé sont moins variées, que les chercheurs, dans ces secteurs sont mieux capables de se comprendre entre eux, remarque que l’on entend souvent). Il ne faut donc pas confondre diversité des matières ou des spécialités et diversité des formes selon laquelle s’extériorise la production scientifique.

Il n’en reste pas moins vrai que les chercheurs des sciences humaines ont la sensation qu’on n’arrivera jamais à fixer clairement leurs objectifs ni à évaluer la qualité de leur travail. A cette crainte s’ajoute le sentiment d’un estompement de l’intérêt des pouvoirs subsidiants pour leurs disciplines. C’est un effet qu’on connaît bien lorsque l’on constate la séduction des programmes de recherche qui visent à des améliorations ou même à des innovations technologiques de procédés ou à la mise au point de produits commercialisables susceptibles de générer un profit, ou encore à des progrès de la santé. Aujourd’hui, on ressent un frémissement en faveur des sciences humaines dans les grands programmes à vocation de relance économique et c’est une excellente chose car nul n’y arrivera sans elles. Mais c’est encore bien léger.

L’article du Times HS est instructif à cet égard. Son auteure (comme on dit maintenant) suggère même que les formations ne soient pas seulement parallèles mais qu’un même étudiant soit amené à suivre des formations mixtes, ce qui me semble une excellente suggestion qui mérite réflexion. Elle souligne également le souci que chacun devrait avoir quant au poids des sciences humaines dans la formation universitaire en général. Elle insiste sur le fait que ce n’est pas en cultivant l’idée qu’elles constituent une valeur en soi, hors de portée de la remise en question et même de l’évaluation, qu’elles assureront leur pérennité, mais en démontrant par l’expérience leur nécessité pour l’ensemble d’une société équilibrée.

Attelons-nous donc à élaborer un système qui permette de concevoir des outils d’évaluation performants dans ces matières et de créer un consensus à ce sujet. Nous n’y arriverons cependant qu’en restant en phase par rapport aux évolutions internationales à ce propos.

Comme je le mentionnais dans le billet précédent, le FNRS, que j’ai l’honneur de présider, revoit complètement ses méthodes d’évaluation. Signe des temps, dira-t-on. Peut-être, mais en tout cas, signe d’une volonté de s’inscrire dans la modernité et de se plier aux règles internationalement admises aujourd’hui en matière de transparence et d’éthique.

Sans critiquer le passé (souvenons-nous que longtemps, le FNRS est resté un modèle d’efficacité et de sélection de l’excellence en recherche scientifique, il a été — et reste encore — une référence pour tous les chercheurs de la Communauté française de Belgique) il est normal de s’interroger sur l’adéquation des méthodes aux contraintes actuelles.

Ceci n’empêche pas qu’une telle institution, pour excellente qu’elle soit, n’est pas pour autant parfaite, surtout si l’on considère que, dans le monde entier, le principe de l’évaluation et ses règles ont considérablement évolué. Lorsque nous devons nous intégrer dans des programmes de recherche internationaux de grande envergure, il importe que nous puissions montrer que nos méthodes de sélection sont compatibles avec celles des autres.

Enfin, personne n’a été choqué, pendant des décennies, par le statut mixte de « juge et partie » des membres des commissions scientifiques, ni par l’absence de communication aux intéressés des motivations de leur succès ou de leur échec, cette discrétion conduisant inévitablement à des indiscrétions dont la conformité aux motivations vraies de la commission correspondante n’était pas vérifiable, ni garantie. De nos jours, motiver une décision est considéré comme une garantie de transparence et d’objectivité. Remettre en question des pratiques anciennes et acceptées relève de l’adaptation à l’évolution des mœurs, non pas du rejet du passé. Trop de gens font cet amalgame et nous accusent aujourd’hui de profaner l’Histoire.

Au début de mon premier mandat de recteur, en 2005, je fus interpellé par les mandataires du FNRS à l’ULg et je les ai rencontrés dès 2006. Ils s’étaient livrés à une analyse minutieuse du fonctionnement du FNRS en matière d’octroi de mandats et de crédits. Ce débat fut très intéressant et je pris note de leurs requêtes. Toutes celles-ci, dont on a pu retrouver une bonne partie dans les demandes des corps scientifiques des universités en 2008, trouvent une réponse dans la nouvelle réforme.

Il est étonnant que ceci n’ait pas été remarqué par tout le monde et, malheureusement, les informations données à la presse ont été, ces derniers temps, variées et contradictoires. On peut le comprendre quand on sait que, si le C.A. du FNRS a pris position sur le principe de la réforme en matière de composition des commissions, de méthodologie et de motivation des décisions dès le 20 octobre 2009, perturbé par d’autres soucis, il n’a pu se prononcer sur les détails de procédure que le 21 décembre dernier, ce qui peut paraître tardif par rapport à la date limite pour le dépôts des candidatures.

1. Conscient de cette difficulté, le C.A. a reporté les échéances de janvier à mars et les a étalées selon les types de mandats et les demandes de crédits. Les nouvelles procédures sont disponibles en pdf sur le site web du FNRS à la page « financer les chercheurs ». Il n’est pas sans intérêt de préciser que si la réforme vise les procédures d’évaluation, le contenu des dossiers que les candidats doivent remplir n’est guère différent de ce qu’il était auparavant, et il a été communiqué fin novembre. Un nouvel outil informatique plus convivial et permettant notamment une meilleure traçabilité des dossiers a été développé pour cet appel. Dorénavant, les critères d’évaluation seront explicités, ce qui constitue un grand progrès. Enfin, les raisons du choix ou du rejet de chaque dossier seront motivées et ensuite adressées à chaque postulant.

2. Deuxième difficulté: les décisions du C.A. du 21 décembre suscitent une certaine contestation. En effet, il est difficilement imaginable, face à une réforme de cette ampleur, que tout le monde soit du même avis et on peut comprendre que certains soient frustrés de ne pas voir leur avis prévaloir. Il est clair aujourd’hui qu’un supplément de rigueur dans la procédure de décision eût été le bienvenu, mea culpa. En particulier, il apparaît nettement qu’un vote en bonne et due forme est nécessaire pour chaque point décisionnel dans ce conseil aujourd’hui, alors que, par le passé (j’en fais partie depuis 1997), il a toujours fonctionné par consensus, mais il est vrai qu’on ne lui a jamais soumis une réforme aussi fondamentale.

3. Pire, les décisions du C.A. du 21 décembre sont remises en question par le délégué du Ministre de la Recherche en CfB faisant fonction de commissaire du Gouvernement qui a déposé un recours auprès du Ministre. Le fait est suffisamment exceptionnel pour être relevé. Il était d’ailleurs étalé dans la presse dans les heures qui ont suivi, annulant ainsi toute la confidentialité qu’on pouvait attendre à propos d’une telle action, alors que le C.A. dispose de 30 jours pour déposer ses objections…

Il ne m’appartient pas ici de décortiquer le recours et encore moins d’y répondre, c’est le rôle du C.A. Mais dans un souci d’information, puisque c’est essentiellement à ce niveau que le bât blesse, je me permets quand même de préciser que le recours, longuement analysé dans le journal Le Soir, porte sur deux éléments très distincts.
• Le premier a trait à la procédure de notification des décisions du C.A. aux autorités de tutelle. Le C.A. s’expliquera là-dessus auprès du Ministre. L’essentiel a cependant été préservé puisque les dates-limite ont été reportées.
• Le second porte sur un élément nouveau qui n’a jamais été pris en compte au FNRS. Il s’agit du fait que les mandataires FNRS pourraient être considérés comme des employés du Fonds et devraient alors être représentés dans un Conseil d’entreprise. Le sujet est certes intéressant et mérite un examen attentif dans le courant de cette année.

Je tiens à rassurer les nombreux chercheurs favorables à la réforme (il s’agit en fait d’une très vaste majorité, même si certains regrettent vivement de ne pas avoir été suffisamment consultés: on a tenu compte de tous les desiderata qu’ils ont exprimés en décembre 2008, mais on n’a pas organisé de re-consultation depuis lors) qui nous ont contacté pour exprimer leur inquiétude: le recours est effectivement suspensif, mais uniquement en 2011, ce qui autorise parfaitement la mise en œuvre de la réforme dès 2010 et laisse le temps au FNRS pour répondre à ces critiques.

On le comprend: l’année qui vient verra d’une part le test du nouveau système d’évaluation plus largement externe à la CfB, et d’autre part l’examen d’une forme de participation des chercheurs du FNRS à la gouvernance de leur Institution. Il est envisagé de créer un comité, comportant des mandataires, et habilité à se pencher sur les aspects sociaux. En particulier, la représentativité des mandataires au sein du Fonds ET/OU au sein des universités qui les hébergent constituera un dilemme qu’il ne sera pas facile de régler. Tout ceci devra se faire dans les conditions prescrites par la loi et en veillant à sauvegarder le caractère d’excellence du Fonds, un objectif avec lequel chacun sera d’accord, je pense.

Je souhaite à tous une excellente année 2010, pleine de renouveau !