C’est une ironie tragique qui nous accueille sur le site web de l’Université d’Etat de Haïti. Tout s’y passe comme si cette institution, avec laquelle nous avons de solides relations, avait échappé au désastre du 12 janvier. Il est exactement comme il était avant la première secousse, ses photos de bâtiments debout, ses accomplissements mis à l’honneur, ses projets fièrement annoncés…
Personne n’y a touché, à ce site. C’est très émouvant. Surtout lorsque l’on sait qu’il ne reste pas grand chose aujourd’hui, que tout est détruit, effondré, écrasé, anéanti.

C’était une université de taille comparable à celle de la nôtre: 20.000 étudiants, 1.500 enseignants et 800 autres membres du personnel.
Aujourd’hui, beaucoup de nos collègues ainsi que de très nombreux étudiants sont décédés. « Il ne se doutait pas que ce lieu qui avait abrité ses recherches durant près de trois décennies, ce havre de réflexion et de production intellectuelle, serait son tombeau. Comme celui de centaines d’enseignants et d’étudiants », lit-on sur le site de Montray Kréyol dans un superbe hommage au professeur Pierre Vernet, éminent linguiste créole, mort en plein cours, avec ses étudiants.
Autour de lui, le tremblement de terre a tué beaucoup d’autres intellectuels. Une grande partie du potentiel universitaire si essentiel pour l’avenir de ce pays — où 80% des gens sont analphabètes — a disparu en quelques secondes.
C’est un immense espoir de sortie de la misère, vécue comme une fatalité, qui est ainsi fauché, mais aussi une jeunesse porteuse de la conscience démocratique du pays.

Il importera désormais que les haïtiens prennent eux-mêmes en main leur reconstruction et que, dans ce cadre, ils le fassent avec un souci de qualité. Les organisations internationales déjà sur les lieux devront se préoccuper d’analyser les besoins immédiats, mais aussi les conditions de l’accès à des moyens d’existence pérennes et stables, en ce comprises les conditions d’une gouvernance politique équitable et moderne, et ceci en étroite collaboration avec les haïtiens eux-mêmes.

C’est exactement dans cet esprit que se développait jusqu’ici le projet de coopération institutionnelle de la C.U.D. francophone belge avec l’Université d’Etat de Haïti: « soutenir et développer sur place les capacités d’enseignement, de recherche et de gestion des institutions universitaires ». Nous avons donc, heureusement, une longueur d’avance sur les conséquences de la catastrophe et il faut absolument que Haïti en tire profit. Rapidement.

Au départ de ce projet, nos collègues haïtiens ont procédé à une analyse de leurs priorités de développement et des missions à assurer. Le programme est donc conçu sur base des choix stratégiques de l’institution partenaire elle-même. La gestion en est commune, en groupes de pilotage interuniversitaires et interdisciplinaires, dans une relation de confiance mutuelle. Les partenaires belges se mettent au service des projets en y apportant leur capacité de négocier, discuter, planifier et évaluer ensemble. Ils apportent une contribution plus spécifique quand elle est demandée (par exemple en accueillant des stagiaires, ou en donnant des cours là où une compétence est manquante). Ainsi, le projet s’articulait, à la demande des haïtiens, autour de l’amélioration de l’enseignement, de la recherche, mais aussi de la capacité de gouvernance de l’université.

Ce projet a, aujourd’hui, plus de sens que jamais. Il doit continuer. Il coûtera plus cher, bien évidemment. Même si nous n’avons pas la prétention de contribuer massivement à une reconstruction des infrastructures ni à un rééquipement, nos experts pourront apporter une aide à la formation des jeunes, à la conception des programmes de renouveau, à la relance des activités spécifiquement universitaires et au développement des compétences autonomes dont le pays va avoir immensément besoin.

C’est pourquoi, même si cela peut sembler dérisoire en comparaison avec le formidable élan de solidarité et l’aide internationale qui s’organise, nous avons voulu contribuer à notre façon, modestement, mais spécifiquement, à la relance universitaire, de partenaire à partenaire, d’université à université.

C’est ainsi que vous pouvez, dès à présent, que vous soyez membre de l’Université de Liège ou non, si vous croyez en l’utilité d’une entraide directe au niveau universitaire, effectuer un don au compte Haïti:

    340-1558036-60

ouvert pour l’occasion par l’Université de Liège.
C’est à ce programme, dans sa nouvelle forme, qu’il sera entièrement consacré.

Pour plus d’informations, consultez le site de l’ULg.

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Et voici un texte bouleversant, que nous avons reçu de la part du recteur Jacky Lumarque de l’Université Quisqueya de Haïti:

« Chers collègues et amis,
C’est mon premier contact avec l’internet depuis le séisme de mardi. Je m’excuse auprès des amis que mon silence a pu inquiéter; mais j’étais très concentré sur les opérations de récupération des survivants et l’aide aux familles sinistrées. Ma conviction était de ne jamais cesser les opérations de sauvetage avant d’avoir la confirmation que les personnes recherchées étaient bien mortes.
Voici la situation. J’ai arrêté définitivement depuis hier la recherche de survivants et je suis finalement en mesure de sortir des décombres les cadavres identifiés : 5 étudiants de la fac des sciences de l’éducation dont 2 abbés de la congrégation des Salésiens, un père et une sœur de la congrégation de Ste Croix, un professeur, un ingénieur et deux jardiniers. Nous saurons ce matin s’il y a d’autres victimes que les personnes identifiées.
Les cadavres sont en décomposition avancée et nous avons dû transformer rapidement une citerne en caveau, dans l’espace du jardin botanique. Ce lieu sera le mausolée dédié aux victimes du séisme. Mgr Dumas, les provinciaux des congrégations de Don Bosco et de Ste Croix diront une messe à midi pour les défunts. Ceux qui ne peuvent être physiquement présents nous accompagneront de leur pensée affectueuse.
Je remercie spécialement les étudiants et les jeunes volontaires (dont la plupart n’ont même pas fait leur certificat d’études primaires) pour le courage extraordinaire dont ils ont fait preuve en travaillant 48 heures d’affilée afin de sortir des décombres près d’une vingtaine de survivants, sans moyens techniques et au péril de leur vie. Ceux que nous avons vu mourir sous nos yeux sont morts faute de moyens et d’équipements pour écarter les poutres et les dalles entre lesquelles les corps se trouvaient coincés.
Tous nos bâtiments ont été détruits y compris le Musée qui accueillait une exposition consacrée au célèbre peintre américain d’origine haïtienne Jean Michel Basquiat et les trois appartements que nous avions dédié aux professeurs invités en mission d’enseignement pour Quisqueya et les autres universités haïtiennes reconnues par l’Etat. Nous devrons recommencer à zéro et je n’ai aucun doute sur notre capacité collective à trouver les moyens, l’énergie et la détermination pour le faire. Pour l’instant, Quisqueya se mobilise pour venir en aide aux familles sinistrées. Le campus du boulevard Harry Truman a été transformé en un centre d’accueil où 10,000 personnes sinistrées de Cité L’éternel sont déjà installées. Les Centres Gheskio et des médecins américains assistent les malades et les blessés. TOUS les étudiants finissants de la fac de Médecine de Quisqueya sont invités à venir nous assister dans l’organisation de la vie communautaire et la dispensation des soins de base. Nous attendons que l’enceinte soit sécurisée (les murs de clôture sont à remettre en place) avant d’entrer dans la distribution de nourriture, afin d’éviter les actes de pillage.
L’esplanade et le parking du campus de Turgeau seront également transformés en un centre de soins pour les sinistrés. Comme nous sommes installés tout près du réservoir principal de la Centrale métropolitaine d’eau potable, nous cherchons à mettre en place une petite usine de traitement d’eau afin de produire 3.000 gallons d’eau potable par jour, qui pourront desservir les résidents et les « colonies » des quartiers périphériques (Turgeau et Debussy). Nous attendons une aide de « Aide et Action » pour faire venir de la République Dominicaine les équipements pour l’installation du centre de traitement d’eau. Les étudiants de Quisqueya sont invités à se constituer en un réseau de solidarité universitaire. C’est en aidant les plus fragiles qu’ils trouveront en eux-mêmes l’énergie et l’inspiration pour organiser la reconstruction de leur vie personnelle et de l’espace collectif.
L’aide internationale est abondante mais mal coordonnée et les frustrations sont grandes. La population s’est spontanément organisée en « colonies » de quartiers ; il faut soutenir ces structures en les aidant à s’organiser de manière rationnelle, tout en canalisant les secours vers les plus nécessiteux.
Merci à tous nos amis pour l’expression de leur solidarité et de leur affection. Le plus dur est devant nous quand il faudra reconstruire et que les élans de solidarité spontanée et immédiate seront épuisés. Ce sera aux Haïtiens de s’organiser eux-mêmes avec l’aide de réseaux d’amis solidaires qui ne sont pas motivés exclusivement par la recherche de la visibilité médiatique ».

(Merci à Isabelle Halleux pour sa contribution. Merci également à tous les membres de l’ULg qui travaillent avec l’UEH. Bon courage!)