Samedi 30 janvier 2010


La catastrophe de Liège, l’explosion de la rue Léopold, dont le bilan final ne peut encore être établi, a fait de nombreuses victimes, dont 12 mortelles à ce jour. Elle a fauché en pleine jeunesse plusieurs jeunes diplômés de notre institution. Pierre Guilliams était un de nos chercheurs en Géographie depuis deux ans et accomplissait actuellement un Master en Gestion en horaire décalé. Il allait avoir 26 ans dans un mois. Les témoignages sur lui, qui affluent en grand nombre, sont tous formidablement élogieux. Notre institution a ainsi perdu un élément sympathique, dynamique et prometteur.
Sa ville natale, Hannut, a été durement frappée dans cette catastrophe, puisqu’elle y a perdu quatre jeunes du même âge, comme la compagne de Pierre, Charlotte François, une romaniste dont tout le monde se souvient dans le département de Philologie romane et devenue professeur dans l’enseignement secondaire. La cérémonie organisée devant l’hôtel de ville de Hannut, à laquelle j’ai assisté aujourd’hui en présence de nombreuses autorités et d’une foule énorme, était empreinte d’émotion, bien sûr, mais aussi d’une grande dignité. Les funérailles de Pierre et de Charlotte auront lieu lundi (13h30 à l’Administration communale; 14 heures en l’église Saint-Christophe de Hannut).

La saga du FNRS continue.

Cette semaine, dans l’hebdomadaire Le Vif, un titre accrocheur: « Le malaise des chercheurs » (p.44). Etrange décalage entre ce titre et la réalité. Il est vrai que d’autres journaux se sont laissés manipuler par quelques représentants du personnel scientifique des universités et des mandataires du FNRS, peu soucieux de rendre un réel reflet de l’opinion de l’immense majorité des chercheurs ainsi que par des nostalgiques de l’ancien système et ils ont monté en épingle les dangers d’une réforme de la procédure de sélection des mandats et des projets de recherche à subventionner.

Calmons donc le jeu: cette réforme a été mise en place en raison de la multitude de demandes de modernisation et d’une attente maintes fois réaffirmée par les chercheurs de toute la Communauté française.

L’article, dans son ensemble, rend justice à la réforme. Il en définit clairement le rôle et la raison d’être. L’alignement sur les procédures internationalement reconnues est parfaitement exposé. On aurait pu y ajouter qu’outre cet ajustement essentiel, la réforme met le FNRS en conformité avec la charte du chercheur, signée par toutes les universités.

Quelques précisions cependant.

1. Je ne vois pas pourquoi le seul fait que les commissions soient dorénavant majoritairement composées d’étrangers (9 sur 15) érigerait soudain le FNRS en « agence autonome », ni pourquoi il ne serait plus autant au service des universités qu’auparavant…

Pour rappel, les « anciennes » commissions étaient déjà largement « mixtes »: 5 « étrangers » (dont 3 flamands) sur 10! Le rapport est donc seulement légèrement modifié (on passe de 50% à 60!!!) et la présidence est confiée à un de ces « étrangers »… Pas de quoi remuer ciel et terre !

Il est vrai que notre première proposition — qui a soulevé un tollé dans une partie de l’opinion des chercheurs et des universitaires en général — prévoyait que les commissions seraient exclusivement composées d’étrangers pour éviter tout effet pervers du type « juge et partie », constamment dénoncé dans le passé. L’émotion fut si grande que nous avons dû faire marche arrière. Mais pour autant, nous n’en sommes pas, contrairement à ce que disent certains détracteurs, à abandonner la stratégie de recherche de notre pays à des intérêts étrangers. Ceux-là lisent trop de romans d’espionnage…

Si la réforme consistait à créer une sorte de CNRS à la française, avec ses propres installations pour ses propres chercheurs, j’admettrais qu’elle trahit l’esprit-même du FNRS et de ses fondateurs, mais il n’en est rien: on parle toujours bien de chercheurs à installer dans les universités et de crédits à accorder à des équipes universitaires. En cela, rien n’a changé. Nous ne touchons qu’au nombre, à la répartition, à la composition et au fonctionnement des commissions scientifiques, dans le droit fil de la demande générale des chercheurs depuis des années.

2. J’ai sans doute utilisé, dans la conversation téléphonique à bâtons rompus, l’expression « faire notre popote en interne ». C’était là une image-choc pour me faire comprendre, mais qui reflète très mal ce que je pense réellement du travail accompli par les membres des commissions. Je tiens à être clair: je respecte cet énorme travail ainsi que les sacrifices consentis par les membres des commissions scientifiques. Je m’y suis moi-même consacré sans compter pendant dix ans, j’en sais donc quelque chose. Et je n’ai pas l’impression d’avoir, dans cet exercice, trahi la confiance de qui que ce soit, ni de l’avoir détourné de ses nobles objectifs. Sincèrement. Mais j’ai toujours été conscient du caractère critiquable d’un système où on se contente de sortir de la salle lorsque ses propres dossiers sont examinés par des collègues avec lesquels on sympathise par ailleurs et dont on va juger les dossiers ensuite. La traduction de cette façon de faire en « une méthode qui ouvrait la porte aux copinages » est incontestablement excessive et dépasse ma pensée, mais je suis néanmoins en faveur d’une évolution de cette procédure vers une pratique plus incontestable.

3. Résumer l’effort de soutien à la recherche en une quête du prix Nobel est extraordinairement réducteur et pratiquement sans rapport avec la réalité. Mais ce n’est pas la faute du journaliste: c’est un slogan qui a été utilisé sur le plan politique pour créer l’enthousiasme lors de la création, fort utile évidemment, d’un fonds de financement de la recherche fondamentale en biologie moléculaire et cellulaire. Il ne faudrait pas que le prix Nobel, —dont on connaît la rareté — devienne une sorte de mesure-étalon de la qualité de la recherche scientifique dans notre Communauté…

4. Résumer, comme le fait un interviewé, le financement de la recherche au financement des chercheurs, ou le renforcement de notre potentiel de recherche à l’augmentation nette du nombre des chercheurs est également terriblement réducteur. Au contraire, les chercheurs, les vrais, font remarquer, à juste titre, qu’il arrive un moment où l’augmentation de leur nombre devient contre-productive si elle ne s’accompagne pas d’une augmentation des moyens en équipement et en fonctionnement. Il vaut mieux un peu moins de chercheurs qui ont des moyens suffisants qu’une pléthore de chercheurs désargentés. Notre communauté scientifique est déjà la championne toutes catégories du système D, avec un rapport de production scientifique par Euro dépensé qui se situe très au dessus de la moyenne des pays performants, ne tirons pas plus sur l’élastique…

5. Un autre intervenant dénonce le manque de concertation dans l’établissement de la réforme. Il y a beaucoup à dire là-dessus, mais c’est évidemment oublier qu’un organisme comme le FNRS ne peut fonctionner par référendum permanent et que les personnes qui s’en occupent ont été élues ou désignées pour cela. Lorsque l’Europe ou la Région font évoluer leurs procédures et règlements en matière de sélection de projets de recherche, elles n’organisent pas de consultation populaire et personne d’entre nous n’est consulté. Pas plus que nous ne le sommes pour établir les règles de sélection des prix Nobel !

6. Enfin, dire que les experts internationaux sont « suroccupés » est un truisme étonnant. Nous le sommes tous et j’espère que cela ne compromet pas la qualité des tâches que nous acceptons de remplir. Je ne comprends pas pourquoi un expert étranger bâclerait plus le travail qu’un indigène… Une telle affirmation est d’autant plus surprenante qu’elle ne reflète pas l’avis collectif du C.A. du FNRS qui a voté la réforme à l’unanimité de ses membres.

La réforme est aujourd’hui sur ses rails.
Elle ne change pas le principe, unanimement salué, du financement de la recherche dans les universités. C’est un principe auquel nous tenons et nous devons tous tenir envers et contre tout. Certes, elle bouleverse un certain nombre d’habitudes et déplaît à ceux qui ne sont pas suffisamment sûrs de l’excellence de leurs travaux pour laisser disparaître un système qui, pensent-ils, leur est favorable. Elle inquiète ceux à qui, selon leurs dires, on aurait promis quelque chose. C’est la difficulté classique de toute forme de remise en question.
Par contre, elle change les méthodes de sélection et les améliore, les modernise. Un autre progrès majeur est institué: chaque candidat à un mandat ou à un subside recevra un rapport d’évaluation écrit lui expliquant les motivations de sa sélection ou de son rejet, en accord avec la Charte Européenne du Chercheur dont le FNRS et la plupart de nos universités sont signataires.

Je plaide pour qu’on fasse l’essai de cette nouvelle approche et qu’on en tire les conclusions, pour y apporter, si nécessaire, des modifications. C’est lors de cette phase que chacun pourra utilement contribuer.