Grande bouffée d’émotion pour les vieux « soixante-huitards » ce vendredi, dans la Salle académique. Guy Quaden, Thierry Grisar, Pierre De Meyts dit « Chuck », étaient à l’honneur, mais on retrouvait aussi Philippe Gibbon, Xavier Seron et bien d’autres. Manquait incontestablement Ludo Wirix dont le souvenir planait sur l’événement tel une sorte Che Guevarra liégeois trop tôt disparu (si l’analogie peut paraître présomptueuse, elle n’est dans le fond, pas absurde). Se retrouver ainsi ensemble quarante ans après, sur les lieux mêmes où avait eu lieu la première occupation, le 24 octobre 1968 (il y en eut au moins une autre, au début de 1969, qui dura plusieurs jours et chacun se souvenait avec précision de l’endroit où il/elle avait dormi…) n’a laissé personne indifférent.

Bien évidemment, vue par d’autres que nous, cette « commémoration » avait de vrais relents de réunion d’anciens combattants. Et pourtant, ce n’était pas ce que nous voulions — aucun d’entre nous — je pense.

Car, en fait, ce ne fut pas un vrai combat, au sens « affrontement du danger pour sa vie ». De cela, il ne fut jamais question à l’époque, et c’était fort bien ainsi.

Mais cette soirée fut partagée avec des plus jeunes et, comme on s’en doute, on chercha les parallèles entre les revendications des étudiants d’alors et celles de ceux d’aujourd’hui. Aucun rapport. Non pas que nous ayons défendu des causes plus importantes, mais tout simplement, elle n’étaient pas les mêmes.

Notre malaise, en 1968, ne provenait pas de grandes inquiétudes sur les opportunités d’emploi, même si elles étaient incertaines, et notre insouciance semblait bien plus grande que celle des jeunes d’aujourd’hui. L’anxiété était plus globale, plus générale. On sortait d’une époque marquée par les angoisses de la bombe atomique, de la guerre froide, de la guerre de Corée, de la guerre d’Algérie et, plus récemment, de la guerre du Vietnam, qui battait son plein. C’était l’année du balayage systématique de toutes les causes auxquelles nous nous identifions alors, de tous les espoirs de changement dans le monde: l’année des assassinats de Martin Luther King et de Bob Kennedy, de l’écrasement soviétique du Printemps de Prague et de l’apogée de l’apartheid en Afrique du Sud. Sur les campus américains, comme dans les universités françaises, les incidents se multipliaient et la conviction d’une immense reprise en main de toutes les tentatives de libéralisation du monde commençait à nous gagner.

Notre revendication essentielle était la liberté d’expression et d’information dont les jeunes disposaient fort peu à l’époque. Au delà de ça, pas de grande cause à défendre, si ce n’est une vision très mondiale du pacifisme et une grande aspiration à une justice universelle. De grandes utopies en somme. Et tout cela dans une atmosphère palpable de libération des jeunes du carcan dans lequel toutes les générations précédentes avaient été enfermées. Nous avions le sentiment d’être les premiers adolescents à bénéficier d’une culture propre, symbolisée par la culture, musicale d’abord (le transistor faisait exploser les barrières de la radio), cinématographique ensuite. Tout bougeait très vite et très fort.

Ces avances-là sont acquises aujourd’hui. Il est moins facile de se trouver des causes. Et c’est probablement là que réside la différence essentielle.

Mais par dessus tout, on a retrouvé, pour un soir, les trois éléments les plus caractéristiques de la contestation étudiante liégeoise de ces années-là, comme du caractère liégeois de tout temps: l’autodérision, l’humour et la convivialité.