avril 2008


Dès le 5è jour de mon rectorat, je me suis rendu sur notre campus d’Arlon au Département de Sciences et Gestion de l’Environnement et j’y ai fait la promesse que l’ULg ne se contenterait pas de faire survivre le site mais qu’elle soutiendrait ses activités exactement comme celles de tous ses autres départements à Liège.
Ce fut effectivement le cas depuis lors et nous y avons injecté des ressources supplémentaires, tant humaines que financières. Cette semaine, une étape nouvelle, très symbolique de notre volonté de voir se développer nos activités sur place, a été révélée au grand public: le lancement de la première spin-off de l’ULg à partir des recherches menées à Arlon, la 87è de l’Institution.
Odometric est une entreprise prometteuse qui doit à la fois répondre à une forte demande et créer un marché, celui de la mesure des nuisances odorantes.
Cet événement est spectaculaire et, si je puis oser cette expression en l’occurrence, fleure bon le développement régional induit par l’université, mais il n’est qu’une étape dans le processus qui fera du campus de l’ULg à Arlon un haut lieu de la recherche en matière d’environnement et de conservation de l’énergie. En effet, nous avons des plans de développement pour le site qui le rendront bientôt incontournable dans un domaine extrêmement important et d’actualité.
Comme promis!
C’est exactement cette politique que nous entendons mener avec tous les établissements de formation et de recherche qui viendront renforcer l’ULg à l’avenir et il devrait y en avoir plusieurs prochainement…

Etonnante, cette présence wallonne dans l’Uppland, une province suédoise dont la capitale est Uppsala, objectif de la mission des ministres wallons Demotte et Simonet. Emouvante, cette vénération des grandes familles liégeoises, des vallées de l’Ourthe et du Geer, pour leurs ancêtres pionniers. Pour comprendre, il faut s’y rendre et visiter les implantations wallonnes datant du XVIIè siècle qui ont donné à la Suède les atouts de sa prospérité économique. C’est la combinaison du savoir-faire sidérurgique wallon et de l’extrême pureté du minerai de fer local qui a produit les meilleurs aciers du monde.
La visite aux universités d’Uppsala fut également remarquablement intéressante, de nombreux domaines de complémentarité et de synergie en recherche et en enseignement étant clairement mis en évidence, promettant un avenir fructueux à nos collaborations.

Österbybruk, Uppland

Deux moments importants ces dernières semaines: le Spring Meeting de l’EUA à Barcelone et le colloque Open Repositories 08 à Southampton.
Quoi de commun entre les deux ? Un pas de géant accompli dans le domaine de l’Open Access.

En effet, à Barcelone, l’Assemblée générale de l’EUA a adopté unanimement les recommandations sur l’OA proposées par son Comité Exécutif et dont je vous avais fait part en janvier dernier.
L’EUA recommande que chaque université européenne établisse un dépôt institutionnel (ou participe à un dépôt interuniversitaire collectif) et le gère selon les pratiques actuellement recommandées par les spécialistes (ce sont précisément ces bonnes pratiques seront exposées en détail sur le site web d’EurOpenScholar, voir ci-après). Chaque université devra aussi s’assurer que ses chercheurs déposent leurs publications dans la digithèque dès leur acceptation pour publication, que l’accès en soit ouvert ou fermé. Les universités doivent aussi mieux prendre en compte les droits d’auteurs habituellement inexplicablement abandonnés aux éditeurs sans discussion par simple tradition, et donc la gestion des droits de propriété intellectuelle. Ces recommendations sont basées sur les principes suivants:
- les universités sont les gardiennes du savoir généré par la recherche en tant que bien public,
- les résultats des recherches financées par les deniers publics doivent être publiquement accessibles dès que possible.
L’assurance de qualité basée en premier lieu sur le principe de la révision par les pairs est un prérequis incontournable pour la publication scientifique.

A Southampton, une journée de meeting satellite était organisée par EurOpenScholar (EOS), le consortium universitaire que je préside et qui a pris naissance à Colonster le 18 octobre dernier. Le site web d’EOS est maintenant prêt. Il va pouvoir apporter à toutes les universités qui le désirent les informations générales, techniques et juridiques utiles pour la création de leur propre dépôt institutionnel, ainsi que les indications nécessaires pour rendre efficace le dépôt. Il ne reste plus qu’à nourrir le site… Pas mal de travail en perspective !

Depuis de nombreuses années, depuis une époque où j’avais encore le plaisir de faire de la vraie recherche, je me suis convaincu du fait que la pire des frustrations pour un chercheur, c’est bien moins l’expérience qui échoue ou la théorie brillante qui s’avère fausse, que la réalisation de l’immensité de la littérature publiée sur le sujet de son travail ou sur des sujets connexes. Car c’est aussi la réalisation de l’impossibilité matérielle de prendre connaissance de tout cela, de l’interpréter et d’en tirer profit même si on y passe tout son temps. Ce serait déjà tragique si cette masse d’informations était là une fois pour toutes, mais c’est bien pire: elle évolue et s’agrandit chaque jour.

Certes, on trouve des « trucs », les ordinateurs permettant aujourd’hui des classements thématiques d’articles et nous offrant une logistique incomparable par rapport à ce dont nous disposions il y a seulement quelques années.
Ceci nous a permis d’accéder non plus à 1 % de la littérature qui nous concerne directement, mais à 1,3 % ! (chiffres non vérifiés, bien évidemment, personne ne connaît ces valeurs… Néanmoins, on comprendra le message) ;-)

L’avènement de l’accès libre (Open Access, OA), qu’il soit immédiat, ou qu’il soit retardé de 6 mois ou d’un an, doit avoir augmenté de quelques pourcents notre efficacité à atteindre ce qui nous intéresse. Mais soyons honnêtes, nous sommes toujours loin du compte et nous ne voyons pas comment faire.

Il y a toujours la méthode Coué: persuadons-nous que nous accédons en fait aux meilleurs articles, et ceci devrait nous suffire. Mais ce n’est que la méthode Coué, et chacun sait ce qu’il faut en penser. Elle remonte bien le moral, mais c’est tout. Nous sommes un peu en train de pratiquer la politique de l’autruche face à une avalanche…

En fait, notre salut, au moins partiel, face au submergement, n’est pas de le nier, c’est d’utiliser les technologies disponibles pour multiplier la capacité d’analyse de nos cerveaux. Les informaticiens ont développé le data mining, où mining est utilisé au sens de prospection minière. Il existe aujourd’hui des « robots » capables de faire beaucoup plus que de rechercher des mots ou des phrases dans l’Internet, mais d’en faire une analyse, voire une synthèse, qui ne manque pas d’intérêt pour le problème dont je parle.

A cet égard, une réflexion intéressante a été lancée récemment par le canadien Glen Newton à la conférence « Next Generation Library Interfaces » de la Colorado Association of Research Libraries, qui appelle les éditeurs qui rendent, à quelque moment que ce soit, leur textes disponibles en OA, à utiliser l’OTMI (Open Text Mining Interface, développé par le Nature Publishing Group).
En effet, il y a Open Access et Open Access. C’est fort bien (et c’est un dur combat!) de rendre accessible librement des textes en PDF, mais cela ne les ouvre qu’à la lecture classique et cela n’apporte pas d’aide aussi complète au chercheur qu’une solution permettant le libre accès du texte intégral aux moteurs opérant de la « prospection minière » de textes.

Je suis bien conscient du fait que cette réflexion porte tout particulièrement sur les domaines de la recherche qui comportent une quantité de plus en plus grande d’informations découlant de l’observation ou de l’expérimentation par de nombreux chercheurs. Ce n’est donc pas une règle générale. La lecture intégrale des textes reste, pour diverses disciplines, un passage obligé. Une aide technologique n’est même pas à leur ordre du jour.
Mais pour les autres, ceux qui sont déjà dans l’avalanche, le problème devient crucial.

La solution proposée est-elle réaliste ?
Oui, et elle est déjà démontrée par certains exemples que relève Glen Newton, comme celui d’une équipe chinoise qui a, sans approche expérimentale mais par text mining, découvert dans les données publiées par d’autres chercheurs les chemins biochimiques liés à la dépendance aux drogues (étude publiée en OA dans PLOS Computational Biology). Un article de The Economist marque le coup et conclut: « The old cry “more research is necessary” is not always true. Sometimes all you need to do is look at what you already have in a different way ».

Je ne voudrais pas donner l’impression de réduire la réflexion étudiante face à « Bologne » à celle que je décrivais la semaine dernière. La plupart des étudiants européens ont d’autres idéaux et font preuve d’une vision bien plus intéressante que celle des quelques étudiants catalans qui voulaient nous faire écrire une motion demandant la démission de leur recteur parce qu’il avait, lors d’une manifestation la semaine précédente, fait intervenir la police…
En effet, à ce même congrès de l’EUA à Barcelone, une expression plus représentative a été donnée par Christine Scholtz, une étudiante en histoire de l’art, science politique et philosophie à l’Université Libre de Berlin. Très active dans la mise en œuvre de « Bologne » en Allemagne depuis plusieurs années, elle a montré une très grande maturité dans son approche des atouts et des défauts de la réforme. En substance:
1. la mobilité étudiante reste, dans toute l’Europe, un mythe car peu d’entre eux profitent réellement des crédits transférables, faute de soutien financier;
2. la pratique des langues étrangères reste encore, dans certaines universités, très limitée, voire inexistante;
3. l’enseignement du type « gavage de poulets en batterie » subsiste encore dans quelques pays (dont le nôtre!) où l’ex-cathedra demeure un principe de base;
4. certains pays (dont le nôtre!) passent largement à côté de l’esprit de « Bologne » en maintenant une organisation de l’enseignement supérieur basée sur l’année académique, ce qui rend très peu utile la notion de crédits accumulables.

En conclusion, au lieu d’entretenir une logique d’affrontement entre autorités académiques-enseignants et étudiants, elle appelle à une alliance objective en vue d’obtenir que le processus de Bologne, voulu par les gouvernements et considéré à tort par bon nombre d’entre eux comme accompli, se réalise réellement, non pas au travers de mesures cosmétiques et peu intéressantes, globalement, mais dans l’accomplissement de ses intentions originales.