décembre 2005


J’écris ce message d’Equateur où je suis venu signer un accord-cadre de coopération avec l’Universidad Central del Ecuador (UCE; http://www.ucentral.edu.ec/). Nous avons déjà avec l’UCE des programmes communs dans les domaines du transport fluvial et intermodal (Sciences appliquées) et de la médecine vétérinaire, mais nous pourrons étendre notre collaboration à diverses autres disciplines, telles que la biotechnologie, la biodiversité et la protection de l’environnement, la pharmacologie des plantes médicinales, l’archéologie, la littérature hispano-américaine, pour en citer quelques-unes qui viennent immédiatement à l’esprit parmi d’autres encore. Cet éventail de collaborations dépendra directement de l’intérêt que nos collègues y porteront. Pour ma part, je vois plusieurs avantages à interagir avec cette institution: elle est dynamique et enthousiaste, bien équipée et performante dans plusieurs domaines, a fait ses preuves dans la collaboration avec l’ULg depuis 18 ans et bénéficie d’une situation géographique idéale. En effet, l’Équateur, en dehors de sa latitude particulière que chacun peut aisément deviner, présente la caractéristique d’héberger une vaste gamme de configurations topologiques et climatiques: océan Pacifique, plaine océane, cordillière des Andes culminant à plus de 5.000 mètres, nombreux volcans et plaine amazonienne typique s’étalant à l’Est jusqu´à la Colombie et le Pérou. En termes de géographie, de biologie et d’environnement, entre autres, l’Equateur constitue donc un réservoir immense de recherches et nos liens avec l’UCE nous donnent accès à ces ressources scientifiques. En outre, la tradition des études universitaires à l’ULg est bien éprouvée à l’UCE.
Notre collaboration, qui nous donne déjà accès à la station biologique d’Arajuno à la limite entre les Andes et la plaine amazonienne, pourra même mener à l’établissement d’une station scientifique sur le fleuve Napo, près du Pérou, station qui sera co-gérée par l’UCE et l’ULg.
Par ailleurs, l’UCE peut être pour nous une véritable plaque tournante vers de nombreuses universités d’Amérique latine avec lesquelles elle entretient des liens actifs.

Ce séjour fructueux, au cours duquel j’ai pu sillonner très largement le pays, me confirme dans une conviction déjà solidement ancrée chez moi après de nombreux voyages au quatre coins de la planète : l’Université du 21è siècle sera celle de la coopération internationale où les partenaires joueront à armes non pas forcément égales, mais équivalentes, se complétant harmonieusement et trouvant dans ces interactions les fondements d’une recherche qui, en quelque domaine que ce soit, sera profondément humaine et utile à l’ensemble de l’humanité. Cette largeur de vues, c’est dans la coopération internationale que nous la trouverons, par la connaissance intime des peuples et l’amitié qui en dérive. Elle implique un profond respect des autres et de leurs particularités, sans s’arrêter à leurs faiblesses mais en tâchant de toujours repérer et comprendre leurs forces, leurs atouts, leur savoir et leur savoir-faire.

J’aurai bientôt l’occasion de revenir plus en profondeur sur ce sujet général dans ce blog et lors de diverses interventions que je ferai dans les semaines et mois qui viennent.

En attendant, je souhaite à tous les lecteurs de ce blog une excellente année 2006. Qu’elle apporte à chacun de vous tout ce que vous pouvez souhaiter et qu’elle apporte en particulier à notre Université toute l’aura qu’elle mérite.

San Francisco de Orellana, Amazonie équatorienne, le 31 décembre 2005

Enfants dans le village indien d’Arajuno, Equateur

Que d’émois dans les media !
Toute la presse écrite régionale s’est emparée du « scoop » lancé dimanche 11 décembre par la RTBf : « L’Université de Liège se désintéresse de ses bibliothèques ». Retentissement majeur, jusqu’au journal télévisé.
Que d’honneur !
Une bonne nouvelle, que sais-je, une découverte scientifique, une évolution majeure de notre Institution, recueillerait-elle autant d’attention ? Jusqu’à Bruxelles ?
La même nouvelle, recoupée, comme on dit en langage journalistique, c’est-à-dire ayant fait l’objet d’une simple question auprès des autorités universitaires ou du Recteur en particulier, donc ramenée à ses justes proportions, aurait-elle eu autant de retentissement ?

Je dois à la vérité de préciser que seul l’auteur du billet du dimanche qui a mis le feu au poudres s’est abstenu de cette vérification. Mais ensuite, le mouvement était lancé et il était difficile de ne pas y donner écho.

Que s’est-il passé ?
La situation du réseau des bibliothèques n’est guère bonne depuis plusieurs années. Le financement consacré au fonctionnement et aux acquisition documentaire a été plafonné à 2 millions d’Euro. Le personnel a été réduit de plus du tiers. Le coût des revues a augmenté de manière déraisonnable et a nécessité un abandon progressif de nombreux abonnements importants.

Ayant moi-même présidé le CSBi (Conseil Scientifique des Bibliothèques) depuis 1997, puis le Réseau des Bibliothèques, j’ai pu me sensibiliser au sort de notre documentation et me rendre compte de la nécessité de faire perdre au réseau son statut de « centre de coût financier » pour lui donner le rang de « centre de profit intellectuel, scientifique et culturel ». Bien sûr, ceci implique des coûts ainsi qu’une restructuration sérieuse, un regroupement des unités permettant une rationalisation et des économies d’échelle, une meilleure répartition du personnel et des compétences, et certains choix parfois difficiles.

Cette petite révolution se prépare depuis un certain temps, s’organise depuis mon élection et se concrétise depuis deux mois, aboutissant à une série de prises de décision que je réservais au Conseil d’Administration du 14 décembre.

Il est bien évident que l’absence de mesures, combinée à une situation difficile à la Faculté de Philosophie et Lettres due à la perte de deux agents dès janvier, nous aurait mis dans des conditions où nous ne pouvions assurer le plein service de la Bibliothèque générale et des bibliothèques de la Faculté. Un affichage — un peu hâtif il est vrai — annonçant ces mesures restrictives qui devraient être prises dès le 4 janvier, a créé une vive inquiétude chez les étudiants et chez certains de leurs professeurs, a amené les premiers à constituer un comité de sauvegarde, à lancer une pétition et à prévenir la presse, malheureusement sans me consulter pour connaître mes intentions, ce que je déplore.

Les documents du Conseil d’administration étaient déjà communiqués aux membres de celui-ci, y compris aux représentants étudiants, depuis trois jours. Ils contenaient des propositions que j’y faisais pour un ensemble de mesures qui allaient résoudre cette difficulté avant même qu’elle n’existe vraiment et entamer la relance des grands projets du Réseau.

A savoir :

1) réserver une part du subside fédéral à la Recherche pour la documentation, pour un montant de 250.000 € ;
2) investir dans l’achat de compactus et assurer le regroupement de la biliothèque des Sciences et Techniques, pour un montant de 350.000 € ;
3) augmenter le budget ordinaire du Réseau, pour un montant de 250.000 € ;
4) créer 3 nouveaux postes de personnel scientifique, pour un montant de 140.000 € ;
5) créer 3,5 nouveaux postes de personnel ATO, pour un montant de 193.000 € ;
6) ajouter à l’existant 2.000 heures de jobistes, pour un montant de 21.000 € ;

soit un supplément de budget de 1.204.000 € pour 2006, la plus forte augmentation annuelle jamais accordée en une seule fois aux bibliothèques de l’ULg.

Toutes ces mesures viennent s’ajouter à d’autres, prises déjà en 2005 :
- augmentation du budget ordinaire du réseau de 250.000 €
- engagement de 2,5 scientifiques, 2 PATO et 245 heures de jobistes pour un total de 139.000 €
- engagement d’un budget additionnel d’investissement de 1.500.000 € à étaler sur 3 ans.

Vous comprendrez pourquoi il me fut pénible de voir l’ULg accusée de désintérêt à l’égard des bibliothèques par toute la presse, pour un simple problème lié à la pause-carrière de deux agents entraînant une hypothétique nécessité de réduire les heures d’ouverture.

Mais seul compte le progrès accompli. Le Conseil d’Administration s’est rallié unanimement à mes propositions et je lui en sais gré. Nous continuerons le mouvement et ferons de la création d’une seule grande bibliothèque de Philosophie et Lettres une réalité. Et nous montrerons que ce que certains considèrent aujourd’hui comme une solution dictée par de médiocres considérations d’argent constituera un véritable progrès pour le confort des utilisateurs et la qualité du service qui leur sera offert.

Je tiens à réaffirmer ma conviction qu’il n’existe pas d’université de qualité sans un accès de qualité à la documentation, quel qu’en soit le mode.

Pour la troisième fois en huit ans, notre institution va être évaluée en février prochain par des experts externes mandatés par l’European University Association (EUA).
Le caractère éminemment instructif des deux premières évaluations ne pouvait que nous amener à poursuivre l’expérience et à nous livrer régulièrement à cet effort.

Comme à chaque fois, nous sommes conscients de l’importance primordiale de l’auto-évaluation qui nous est demandée en préalable à la visite des experts. En effet, cet exercice est extrêmement informatif. Il demande, de la part des membres de l’Institution et surtout de la part des membres de la Commission d’Evaluation: EvalUlg, un travail considérable qui, s’il est effectué en profondeur et sans pudeur inutile — et c’est le cas — permet de révéler toutes les forces et les faiblesses de l’Université, de dégager des lignes stratégiques institutionnelles, de corriger des aberrations et de combler des lacunes. Ce rapport préliminaire constitue le socle dont va dépendre l’ensemble de l’évaluation. Il doit être réaliste, analytique et objectif et faire l’objet d’une réflexion collective, bien dans l’esprit de collégialité que je souhaite insuffler à l’ULg.

A cet égard, je désire féliciter et remercier chaleureusement tous les membres de la Commission présidée aussi magistralement que courtoisement par le Professeur Freddy Coignoul, qui travaillent d’arrache-pied à la rédaction du rapport d’auto-évaluation. Celui-ci deviendra pour nous une référence d’une qualité exceptionnelle. Ils n’ont pas ménagé leurs efforts, se rencontrant chaque semaine depuis le mois de septembre (après quelques rencontres en juin) et prenant tous en charge des chapitres de cette rédaction, recevant des invités pour les familiariser avec des aspects moins connus. La rigueur et la persévérance dont cette commission a fait preuve jusqu’ici — et ce n’est pas terminé! — sont tout simplement exemplaires.

Pour qu’une évaluation institutionnelle de cette ampleur soit de qualité et réellement utile, plusieurs conditions doivent être remplies, dont deux sont primordiales:
(1) le soutien ferme et inconditionnel des Autorités de l’Université et en particulier celui du Recteur;
(2) une transparence totale de la procédure et des conclusions vis-à-vis de la communauté universitaire.

C’est pourquoi j’ai décidé:
- de faire moi-même partie de la Commission et de participer à la totalité de ses travaux, dans la mesure de mes disponibilités, en plus du Vice-recteur, de l’Administrateur et du Directeur général;
- de mettre à la disposition de la Commission tous les moyens financiers, logistiques et de personnel dont elle pourrait avoir besoin;
- d’offrir à la commission un accès illimité à tous les documents, archives et dossiers divers qu’elle souhaiterait consulter;
- d’accorder à la Commission la primeur des intentions que je puis avoir pour l’Institution, en accord avec le Vice-recteur et le Collège rectoral;
- de publier largement et in extenso tous les documents: le rapport d’auto-évaluation, les rapports intermédiaires ainsi que le rapport final de l’audit lorsqu’il sera disponible. C’est là d’ailleurs l’utilité principale et le rôle du site web qui sera bientôt ouvert par EvalUlg.

Enfin, je désire rassurer la Communauté universitaire sur le caractère constructif de toute cette opération et lever toute crainte que chacun pourrait avoir sur ses conséquences à titre individuel. Il n’est point question de sanctionner ni réprimer, mais d’examiner sereinement une situation actuelle, par ailleurs en perpétuelle évolution, et d’en tirer des conclusions pour une amélioration de notre fonctionnement, de nos objectifs et des moyens que nous y consacrons. Bien sûr, il faudra mettre en œuvre des changements qui nous permettront de corriger nos manquements et nos défaillances, mais nous pourrons aussi accorder un soutien accru aux initiatives qui auront reçu une appréciation favorable. Je vois cet événement comme une étape très positive dans notre développement collectif et également comme un véritable incitant pour le travail de chacun.

Au delà de cet événement ponctuel, je souhaite ardemment que notre institution s’inscrive dans un processus d’évaluation permanente et acquière une véritable culture de la qualité. Bien sûr, le terme de qualité ne doit pas être compris ici comme celui d’excellence académique — cette culture-là, nous l’avons depuis toujours — mais de qualité au sens où ce mot est entendu dans le monde actuel où la rigueur et la fiabilité, où une garantie de constance et de reproductibilité sont attendues de tous les professionnels quel que soit leur domaine d’activité. Il n’y a aucune raison que l’Université échappe à cette demande universelle. Sans verser dans les normes ISO, il demeure que nos partenaires universitaires, institutionnels ou industriels, nos bailleurs de fonds les plus divers, les parents de nos étudiants et nos étudiants eux-mêmes, sont en droit d’attendre de nous que nous offrions un service dont la constance de qualité est garantie et répond à des normes strictes que nous annonçons et respectons tous. Ce principe du « on fait exactement ce qu’on dit et on dit exactement ce qu’on fait » doit prévaloir chez nous, pénétrer nos mentalités et devenir une règle incontournable dans toutes nos actions.

Ce n’est qu’avec cette tournure d’esprit, le courage de l’autocritique et l’acceptation de la critique, le respect strict de nos propres règles et engagements et une réelle volonté d’amélioration que nous ferons de notre Université une institution respectable et respectée, par la qualité de nos actes bien plus que par l’auto-proclamation de notre grandeur.