avril 2012


Au moment précis où chacun appelle l’innovation et la créativité au secours de l’économie et de la vie sociale, le FNRS voit son financement réduit par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). La saignée se monte à 12 millions d’€, soit près de 10% des moyens du fonds. Il s’agit là d’une catastrophe sans précédent en 84 ans d’activité du Fonds, témoignant d’une profonde incompréhension du principe qui veut que la recherche soit le dernier domaine auquel il faut appliquer de l’austérité en période de crise. Certes, il est normal qu’une politique gouvernementale veille à appliquer l’austérité à tous, de manière équitable. Mais là n’est pas la question. Plus encore que le souci des chercheurs pour leur emploi, pour leur avenir, le cri que pousse aujourd’hui le FNRS n’a rien a voir avec un réflexe corporatiste que ferait des chercheurs des citoyens à part. Il rappelle en réalité ce que chacun devrait savoir: la recherche scientifique, et en particulier la recherche fondamentale, dans quelque domaine que ce soit, est le socle sur lequel la relance repose entièrement.

Face à cette amputation, plus importante que la récolte de fonds du Télévie, le Conseil d’Administration du FRS-FNRS a choisi de ne pas privilégier la voie pourtant prudente qui consisterait, pour la première fois de son histoire, à n’accorder aucun mandat de chercheur cette année (ce qui compenserait 11 des 12 millions de reduction) mais plutôt de répartir le choc sur l’ensemble des mesures dont il a la charge. Moins douloureuse mais plus risquée, cette solution va certainement estomper le caractère dévastateur de la mesure. Néanmoins, elle fera mal un peu partout, au niveau des mandats, qu’il faudra bien réduire d’une trentaine d’unités, des crédits de fonctionnement, des bourses de recherche, du soutien au retour de nos chercheurs actuellement à l’étranger, des fonds d’équipement…

L’avenir et la qualité de la recherche fondamentale belge francophone sont plus sérieusement menacés qu’ils ne l’ont jamais été. Il est devenu indispensable que les citoyens de la FWB en prennent conscience et réalisent que l’émotion ne concerne pas que les chercheurs, mais qu’elle doit être partagée par tous ceux qui comprennent que c’est l’avenir de notre société en ce qu’elle a de meilleur qui risque d’être compromis.

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Le communiqué du C.A. du FRS-FNRS:

Un Conseil d’Administration de crise au F.R.S.-FNRS ce vendredi 27 avril 2012

Chaque année, le Conseil d’Administration du F.R.S.-FNRS détermine, dans le courant du mois d’avril, les montants qu’il pourra consacrer au financement de chacun des instruments (mandats, fonctionnement, projets, équipements, etc.) qui financent une large part de la recherche fondamentale en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Ce financement tient compte des engagements pris antérieurement (notamment en raison d’engagements pluriannuels qui caractérisent la plupart des mandats et projets octroyés), mais aussi des prévisions que l’on peut raisonnablement faire quant à un financement stable de la recherche en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Or, cette année, la situation s’est vue compliquée par deux décisions récentes du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’une d’ordre structurel, l’autre d’ordre budgétaire.

D’une part, la création d’un « Fonds » distinct et destiné à la recherche en Sciences humaines et sociales — demande répétée du FNRS depuis plusieurs années — s’est opérée, non pas par accroissement du budget de la recherche, mais par transfert interne au sein même du budget du FNRS. Cette décision a eu pour effet de réduire le volume du financement disponible pour les instruments « traditionnels » du FNRS. Cette diminution n’a pu être entièrement compensée par un apport nouveau du Fonds de la recherche de la Région wallonne et plus de 5,2 millions d’euros restent à trouver, à la fois pour les dépenses engagées sur le budget 2012 et pour les nouveaux projets.

D’autre part, en prévision d’une croissance inférieure à 0.10%, le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a souhaité constituer une « réserve » en réduisant de 3.8% les crédits facultatifs qui, dans le cas du FNRS et de ses fonds associés, s’élèvent à quelque 60 M€ par an. Cette réduction est d’autant plus difficile à rencontrer qu’elle impacte le financement de nombreux mandats pluriannuels, voire à durée indéterminée, et vient s’ajouter à une autre difficulté, que le FNRS connaît depuis plusieurs années déjà. Ces mandats connaissent en effet une indexation salariale qui n’est pas entièrement compensée par l’accroissement de la subvention des pouvoirs publics.

Alors que la Communauté française avait entamé un refinancement substantiel du FNRS et de ses fonds associés à partir de 2003, cet écart entre l’indexation des salaires et celle de la subvention est tel que l’on enregistre une baisse de presque 10% de la subvention à euro constant sur les dernières années.

Aussi, si la situation s’avère délicate en temps normal, elle devient catastrophique dès lors que cette subvention, en plus de ne pas suivre l’évolution des salaires, est de surcroît réduite du fait d’une décision gouvernementale.

Si l’on cumule ainsi la réduction des sommes disponibles pour le financement des instruments traditionnels (suite à la diminution de certaines lignes budgétaires du FNRS pour la création d’un nouveau Fonds) et une diminution d’une part significative de la subvention du FNRS, c’est alors une coupe de 12 millions d’euros que le Conseil d’Administration a dû se résigner à faire subir au volume du financement de ses appels à crédits, projets et mandats en 2012, par rapport à ceux lancés en 2011.

Le Conseil d’Administration n’a pas souhaité suivre l’option la plus prudente, qui aurait consisté à ne pas octroyer de nouveaux mandats de chercheurs en 2012. Une telle décision aurait atteint au cœur le dynamisme de la recherche en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce sont les crédits et projets qui subiront le plus grand choc (38% de la réduction) en voyant la libération des sommes octroyées en 2012 reportée de 6 mois pour les projets, de manière à maintenir approximativement le même niveau de fonctionnement cette année. Mais tous les autres instruments subiront également une diminution de leur volume de financement, y compris les mandats de chercheurs (8,5% de la réduction, ce qui correspond au même pourcentage de réduction de la masse financière disponible). Concrètement, c’est une petite trentaine de mandats en moins pour l’appel 2012.

Le financement de la recherche en physique des particules, l’un des fleurons de la Fédération Wallonie-Bruxelles, se voit réduit, quant à lui, de 50% par rapport à 2011 (ceci correspondant à environ 8,5% de l’effort de réduction du financement global).

Cette situation doit attirer l’attention de la communauté des chercheurs, tout comme de l’ensemble de la population, sur le danger qu’encourt notre recherche fondamentale si l’on ne veille pas à restaurer au plus vite deux conditions essentielles au maintien de sa qualité : un niveau de financement réel au moins stable et la plus grande souplesse de décision pour le Conseil d’Administration. La recherche fondamentale constitue, en temps de crise, un élément de relance indispensable sur le long terme. Réduire son financement, c’est compromettre son avenir. Un avenir dont la gestion doit être la plus souple et la plus autonome possible, car qui mieux que le monde scientifique lui-même peut tenter de répondre aux besoins essentiels de la recherche fondamentale, surtout quand on lui impose des réductions budgétaires qui en compromettent le bon fonctionnement ?

La démission évoquée dans le billet précédent et la discussion qui s’en est suivie ont eu des rebondissements. On se souviendra que j’avais formé le vœu qu’il en soit ainsi. Je renonçais à modérer le débat, faute de temps, mais je souhaitais qu’il se prolonge, car le questionnement qui était formulé me semblait important.

Aujourd’hui, on voit surgir plusieurs manifestations de résistance à l’accélération d’un processus que certains identifient comme une « marchandisation » de l’Université en général, à tout le moins une dérive irrépressible vers un utilitarisme excessif.
D’autres ne partagent pas cet avis et pensent qu’il faut faire preuve de réalisme et permettre à l’Université de trouver dans le monde des affaires et dans les entreprises une opportunité de financement qui compense le flagrant sous-financement public.
On peut encore relever, dans une troisième catégorie, ceux qui pensent que, même si les collaborations avec le monde extérieur n’avaient pas de vocation lucrative, elles présenteraient un intérêt certain, en amenant les étudiants à prendre connaissance du milieu où ils évolueront un jour, voire à côtoyer des employeurs potentiels. Il va sans dire que cette revendication suscite une opposition farouche des premiers. Utilitarisme et « employabilité » sont des notions qu’ils réprouvent énergiquement.
Il va de soi qu’un juste milieu est souhaitable. Mais surtout, il me semble évident que l’Université n’est pas homogène, qu’on y trouve des formations très fondamentales, relativement peu orientées vers la préparation à une profession déterminée, mais aussi de formations conduisant tout droit, sauf exception, à une profession bien précise, même si elle comporte des variantes.

• Faut-il faire table rase de la formation qualifiante? Je ne pense pas. Dans beaucoup de domaines, sinon dans tous, il est nécessaire d’acquérir des connaissances de base, parfois relativement poussées, outre la nécessité d’apprendre à apprendre et de se doter d’une grande autonomie dans l’acquisition du savoir.

• Est-il indécent de s’orienter plus aujourd’hui vers une mesure de l’acquisition de compétences? Je ne pense pas. Certes, une telle mesure peut laisser penser que l’objectif est de se positionner au mieux en termes d’ »employabilité », pour utiliser un vilain néologisme. Mais à bien y réfléchir, l’acquisition de compétences est exactement au cœur de l’apprentissage moderne, en rupture avec l’ingurgitation de connaissances du siècle précédent. Tout est dans la définition des compétences et dans l’usage que l’on souhaite en faire.

Après l’appel à la « désexcellence » de chercheurs de l’ULB et l’apologie de la « Slow Science » est apparu la semaine dernière un manifeste lancé par le « Collectif Université en Débat », lancé au niveau européen francophone, et qui réclame des universités un retour aux valeurs fondamentales de l’enseignement supérieur afin de se hisser à la hauteur de leurs missions. L’appel s’adresse aussi aux gouvernements car il est évident que ce retour, ainsi que le coup de frein drastique que cela implique par rapport à la course à l’étudiant, aux publications et aux subventions — qui toutes distraient l’enseignant-chercheur de ses vraies missions — nécessitent une révision complète du financement des universités. Personnellement, je l’ai souvent affirmé, je suis favorable à cette vision et, comme chaque fois, je réplique à nos dirigeants politiques que l’excuse du « il n’y a plus de sous » est une mauvaise excuse, le tout étant une question de priorités. Non pas la priorité de celui qui se fait le plus entendre, mais la priorité, dans nos pays, de la formation la plus complète possible. La valeur la plus sûre chez nous est, on le répète depuis des décennies, celle de la matière grise, tout le monde le sait et le répète, sans grand succès cependant.

La question est donc bien posée: doit-on continuer à courir en avant, tête baissée, sans prendre le temps de vérifier quoi que ce soit d’autre que la vitesse relative des « concurrents »? Ou peut-on s’arrêter un peu, réfléchir et se demander si nous sommes dans le bon…?
C’est précisément ce que j’ai prôné (avec des réactions en tous sens!) lors de la journée du 7 décembre dernier. A l’occasion d’une journée de grève syndicale de solidarité avec les travailleurs d’Arcelor-Mittal à Liège, sans appeler à la grève, je proposais une journée d’arrêt de travail à l’ULg en vue d’entamer une réflexion et des débats sur la place de l’Université dans la vie publique. L’idée était bien, comme dans le manifeste, « d’alimenter la réflexion des sociétés sur elles-mêmes, en particulier sur leur modèle de développement ». Par ailleurs, le 3 juin 2007, je publiais sur ce blog un billet intitulé « Oublions les Rankings », tant leur méthodologie était (et est restée) contestable. Néanmoins, aujourd’hui, nous n’avons pas pu nous en débarrasser et toute tentative pour en créer d’autres, plus sérieuses, a échoué. Après tout, c’est sans doute tant mieux, cela n’aurait constitué qu’un pis-aller.
Enfin, quant aux facteurs d’impact et autres fallacieuses mesures de la qualité scientifique, je ne suis pas suspect de ne pas les avoir dénoncés, en particulier dans un article de ce blog en 2008.

Je suis donc bien en phase avec les trois missions décrites dans le manifeste. Ce n’est pas le choix de l’ULg de devenir une instance d’un maximum de production en un minimum de temps, c’est évidemment la contrainte externe. Mais je sais, ce n’est pas une excuse aux yeux des signataires. « L’Université n’a qu’à refuser de poursuivre cette voie ». D’accord, mais en mesure-t-on bien les conséquences? Décider de ne pas jouer la concurrence dans un monde concurrentiel est évidemment suicidaire. A moins de déclarer qu’on n’a pas besoin de moyens, ce qui serait stupide dans une institution dont 80% de l’allocation publique est consacrée aux salaires. On peut, bien sûr, envisager de fonctionner avec moins de personnel, moins d’étudiants, tout en maintenant l’ensemble des orientations d’études possibles… Rapidement, la spirale de la diminution du nombre d’étudiants s’enclencherait, au point de compromettre l’existence même de l’Institution, cela va de soi.

Tout ceci pour dire que, si je suis d’accord sur les prémisses, je pense néanmoins ce n’est pas l’Université qu’il faut réformer en premier lieu, mais les mentalités et le mode de fonctionnement du monde qui nous entoure. C’est donc bien sur un plan politique, et à l’échelle de la planète, que cette réforme s’impose.

Pour autant, j’admets volontiers que l’Université ne peut jouer un rôle séminal dans cette évolution qu’en s’instituant comme le lieu de départ d’une réflexion globale — et c’est tout l’intérêt que je vois dans ce manifeste — plutôt que de se saborder en montrant seule l’exemple du ralentissement. Historiquement, beaucoup de grands bouleversements de société sont nés dans les universités, pour autant que la prise de conscience y ait été suffisamment forte.