Pour la première fois, les étudiants de 1er « bac » en Médecine et en Dentisterie ont eu à franchir, en Communauté Française de Belgique, une « année-concours ». Celle-ci remplace la sélection du numerus clausus qui était effectuée en fin de troisième année.

Certes, cette méthode-là était la pire qu’on puisse imaginer. Elle coupait l’élan d’étudiants après trois années réussies et les obligeait à se réorienter sans que rien ne soit prévu pour eux. Aucune expérience n’est jamais inutile, mais celle-ci ressemblait fort, pour l’étudiant malheureux qu’on empêchait ainsi de continuer son parcours pourtant honorable, à trois années perdues, tout simplement. Qu’on soit débarrassé de ce système inepte est évidemment une bonne chose.

Malheureusement, le nouveau système n’est qu’à peine plus sympathique. Il amène à une sélection en fin de première année (on en gagne déjà deux!) mais laisse sur le carreau des étudiants de qualité, qui ont réussi leur année mais pas leur année-concours car ils sont classés au delà du quota autorisé par université. On suggère aimablement à ceux-ci de recommencer leur 1er bac sans pouvoir faire valoir le moindre crédit pourtant parfaitement régulièrement obtenu ou on leur présente une liste d’autres filières d’études dans lesquelles ils peuvent valoriser les soixante crédits qu’ils ont obtenus. Les crédits ont donc une valeur différente (en fait, tout ou rien) selon l’usage qu’on veut en faire… Qui donc peut adhérer à un tel concept ? La preuve est claire que le problème n’est pas la mesure des compétences, rôle de l’Université, mais le contrôle de l’accès à une profession. Je n’arrive pas à me résoudre à abdiquer ainsi de nos prérogatives légitimes pour nous en voir imposer d’autres, qui n’ont rien à voir avec nous, ni avec notre fonction. Par ailleurs, tous les régimes planificateurs ont toujours montré leurs limites.

On me rétorquera que je suis contre la sélection pour les médecins alors que je suis pour une limitation des vétérinaires…
En fait, les choses sont très différentes: la limitation du nombre d’étudiants en Médecine vise à contingenter la profession. Elle est et devrait rester extra-universitaire. Celle des étudiants en Médecine vétérinaire vise à freiner une réelle pléthore d’étudiants, non de professionnels, par rapport à la capacité de formation de qualité dans les universités, en particulier au niveau des cliniques. Il n’y a pas de pléthore d’étudiants dans les cliniques de Médecine humaine, bien au contraire.
Mon propos n’est pas de rejeter toute sélection, loin s’en faut, mais d’attirer l’attention sur le caractère étriqué de celle-ci, en l’occurence.

A L’ULg, nous avons mis en place un dispositif renforcé d’aide aux étudiants de 1er bac en Médecine et Dentisterie, comprenant :
- un encadrement significativement augmenté grâce à la création de postes de didacticiens spécifiques;
- un soutien logistique et pédagogique accru avec intégration de cours préparatoires à la gestion des examens;
- un effort tout particulier de la part de l’ensemble du personnel encadrant pour renforcer la motivation des étudiants;
- la création d’un module interdisciplinaire transversal éveillant l’intérêt des étudiants pour leur futur métier.

Grâce à cet ensemble de mesures, on a pu maintenir le niveau de qualité de cette formation et atteindre un niveau remarquable de réussite dès la première session (34,4 % en Médecine, 24,3 % en Dentisterie). Ce succès dépasse de loin les résultats des autres universités (Médecine, ULB: 12,8 %; UCL: 11,4 %; FUNDP: 15,9 %; UMH: 20,8 % – Dentisterie, ULB: 5,0 %; UCL: 6,9 %).
Nous en sommes fiers. C’est davantage le rôle des universités d’entraîner les étudiants plutôt que de les éliminer ou de les décourager.

Malheureusement, ce succès est dévasté par la limitation : alors que les autres institutions, en raison du faible taux de réussite, ne remplissent guère leur quota, à l’ULg, 26 étudiants en médecine et 3 en dentisterie se voient cette année privés de l’accès en 2ème bac (116 réussites sur 337 en médecine, le quota étant fixé à 90; 20 réussites sur 70 en dentisterie, le quota étant à 17). Ce sont les « reçus-collés », pour reprendre l’expression utilisée en France, où l’on connaît ce système et ses défauts. Et aux autres, la seconde session ne pourra apporter que des crédits transférables à valoriser dans une autre section…

Mais à quoi diable cette sélection peut-elle servir ?
A limiter l’offre médicale dans notre pays. Tout le monde comprend la nature corporatiste de cette mesure mais le monde politique y adhère en prétextant le déficit de la sécurité sociale, faisant implicitement le lien entre le nombre de médecins prescripteurs et la consommation médicale, ce qui mérite discussion.

Cependant, il n’existe pas que des médecins prescripteurs. Beaucoup d’activités médicales n’ont aucun impact sur l’INAMI, sans compter les débouchés innombrables dans le monde où la pénurie médicale est immense. L’absurde atteint son comble lorsque, comme le dénonçait dans sa carte blanche au Soir le 7 juillet dernier Jean-Jacques Rombouts, doyen de la Faculté de Médecine de l’UCL, on réalise l’attrait que représente notre Communauté pour les médecins du tiers-monde, vidant ainsi celui-ci de ses propres ressources médicales !

Combien de temps continuerons-nous à nous priver de nos propres ressources en cassant les vocations de nos jeunes, en créant une pénurie criante de médecins chez nous et en contribuant, en pays nanti, à la pénurie médicale dans le monde ?
Et tout cela en acceptant procéder à des sélections injustifiées et forcément injustes?