LE VERDICT
Par un arrêt rendu ce mercredi 23 novembre 2005 ((167/2005), la Cour d’Arbitrage vient de rejeter le recours introduit par 57 membres des corps académique et scientifique de l’ULg ainsi que de mandataires du FNRS à l’encontre du décret de la Communauté française du 31 mars 2004 définissant l’enseignement supérieur, favorisant son intégration à l’espace européen de l’enseignement supérieur et refinançant les universités mieux connu sous le nom de « Décret Bologne« .
Nos collègues critiquaient trois aspects du décret:
1. la limitation géographique de l’ULg à 6 cantons (Liège, Aywaille, Herstal, Seraing, Fléron et, pour les sciences et gestion de l’environnement et l’océanographie, Arlon),
2. la création de 3 académies universitaires qui, dans les faits, se sont avérées peu équilibrées et cela au détriment de l’ULg,
3. la mise en place de mesures disciplinaires qui pouvaient constituer une atteinte à la liberté académique.
Concernant les deux premiers points, la Cour a jugé que les requérants n’avaient pas d’intérêt direct à contester ces dispositions et que seule l’Université aurait pu se prévaloir d’un préjudice direct. Le recours n’était donc pas, pour ces points, recevable à ses yeux. Elle n’a pas jugé sur le fond.
Concernant le troisième point, la Cour a considéré que le recours était recevable, mais non fondé. En effet, selon elle, le décret ne menace pas la liberté académique mais au contraire, il en réaffirme le principe et il appartient aux universités de mettre en œuvre des mesures qui la garantissent effectivement pour leur corps enseignant.
QU’EN PENSER ?
Chacun peut se réjouir de cet arrêt. Les requérants puisqu’ils n’ont pas été déjugés sur le fond pour leurs deux premières critiques et qu’ils ont été rassurés sur la troisième, et tout le personnel académique puisqu’il est aujourd’hui patent que sa liberté n’est en aucun cas altérée par le décret, toutes les sécurités étant mises en place.
Pour ce qui est de l’Institution, sa position est claire comme elle l’a toujours été.
La restriction géographique
Concernant le point 1 (la limitation géographique de l’ULg à 6 cantons), il est vrai que cette mesure prive l’ULg d’une liberté historique que l’on peut même qualifier de privilège, puisque les universités « privées » étaient, elles, confinées spécifiquement à certains cantons. Il faut toutefois reconnaître que l’ULg n’a rigoureusement jamais fait usage de ce privilège dans les 188 ans de son existence. En effet, ce qu’il ne nous est plus possible d’organiser n’importe où en Belgique, c’est un enseignement conduisant à un grade académique — ceci ne concernant pas les formations continuées — or il n’est nullement dans nos intentions de le faire, pas plus aujourd’hui qu’auparavant.
Et ce n’est pas ce non-changement qui fera de notre université ce que certains prétendent qu’elle va devenir : une université de village.
Pour bien comprendre pourquoi, hormis un agacement bien naturel sur le principe en soi, je n’ai pas de difficulté particulière à admettre cette mesure, il faut préciser qu’elle n’affecte en rien l’aire de recrutement de nos étudiants. La restriction qui nous est imposée n’est pas de celles qui, à la française, limitent le choix des étudiants à des institutions particulières dans la zone géographique à laquelle ils appartiennent.
Pour moi, ce n’est pas en créant des bacs dans diverses provinces belges que l’ULg augmentera la zone de recrutement de ses étudiants, elle n’en aurait d’ailleurs pas les moyens humains. Par contre, c’est par des ententes et accords avec d’autres institutions, belges ou étrangères, en vue de compléter son offre de formations, qu’elle atteindra ce but.
Notre attractivité est inchangée. Elle reste due à la qualité de notre institution, de son enseignement et de sa recherche, bref, à sa réputation. A nous de l’entretenir et de l’améliorer.
Les académies
Quoi que certains puissent en dire, l’Académie Universitaire Wallonie-Europe, constituée par l’ULg et la Faculté Universitaire des Sciences Agronomiques de Gembloux (FUSAGx) se porte fort bien. A elles deux, nos institutions couvrent l’ensemble des domaines d’enseignement de la communauté, hormis la théologie, sans redondance. Par la rationalisation de l’offre de formations qui ne manquera pas d’être imposée aux académies tôt ou tard, la nôtre ne sera aucunement affectée. Par ailleurs, la complémentarité entre agronomie et médecine vétérinaire constitue un atout majeur.
Si, à première vue, nous souffrons de nous retrouver au sein de la plus petite des trois académies, un examen plus approfondi nous montre que les avantages de notre situation surpassent largement cet inconvénient et risquent fort, à terme, de jouer clairement en notre faveur.
La liberté académique
La lecture que fait la Cour du titre VI du décret est tout à fait rassurante.
La Cour rappelle que la liberté académique assure aux enseignants et aux chercheurs une « très grande liberté » pour mener des recherches et exprimer leurs opinions dans l’exercice de leurs fonctions, dans l’intérêt du développement du savoir et du pluralisme des opinions. Elle ajoute que la liberté académique fait partie de la liberté d’expression garantie par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme et qu’elle est spécifiquement réaffirmée dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle précise que cette liberté n’est pas illimitée en ce qu’elle ne peut porter atteinte à l’intérêt général ni à la qualité de l’enseignement dispensé au moyen des deniers publics.
Selon la Cour d’arbitrage, le décret « Bologne » n’entrave en rien la liberté académique mais la réaffirme explicitement dans son article 67.
Par ailleurs, on pouvait craindre qu’en organisant les enseignements selon le principe de la détitularisation — que personnellement, je préfère appeler « non-titularisation » et qui prévoit l’attribution temporaire de la charge d’enseignement et une révision périodique de cette charge — le décret ne menace la liberté académique en subordonnant la carrière d’un enseignant à la « conformité » des opinions qu’il exprime dans l’exercice de ses fonctions.
En fait, la non-titularisation instaurée dans le décret l’a été à la demande de l’ULg qui souhaitait ainsi bénéficier des avantages de mobilité interne et de souplesse dont jouissent les universités libres. En accordant cette requête aux institutions publiques, le décret prévoit que la révision périodique et la modification éventuelle du contenu de la charge d’un enseignant doit s’opérer selon un règlement établi par le Conseil d’administration (C.A.) et adopté à la majorité des deux tiers des membres présents. A charge donc du C.A. d’en fixer les garanties.
L’université a-t-elle pris ses responsabilités ?
Le C.A. de l’ULg s’est réuni en séance extraordinaire en novembre 2003 et s’est penché sur ce qui n’était alors qu’un projet de décret. Il a proposé une reformulation qui est reprise dans le texte définitif en mars 2004 et qui introduit la phrase : selon un règlement établi par le Conseil d’administration et adopté à la majorité des deux tiers des membres présents. Notre C.A. était donc bien conscient de cette disposition : il l’avait lui-même proposée !
La reformulation suggérée portait également sur le fait que le renouvellement ou la modification du contenu de la charge doit se faire après « avis de l’intéressé » et non simple information ou consultation de l’intéressé.
Une commission a reçu du C.A. la mission de proposer un règlement d’ordre intérieur, conformément aux exigences du décret. Le rapport de cette commission a été examiné et adopté par le C.A. le 17 novembre 2004, qui a acté la conclusion que, ni le décret, ni le règlement n’apportent de modification au statut des enseignants et qu’ils ne concernent que le renouvellement ou la modification de leur charge. Il a constaté que le règlement veillait à la protection des intéressés et à l’objectivité des décisions qui doivent être dûment motivées.
Une commission de sages a en outre été établie, qui examinera les cas litigieux éventuels et rendra un avis au C.A. Si celui-ci venait à prendre une décision contraire à l’avis des sages, il ne pourra le faire qu’à la majorité des deux tiers.
Dès le 17 novembre 2004, l’ULg était ainsi dotée d’un règlement interne (Doc C.A. 13.444) définissant les procédures et garanties concernant le principe de non-titularisation, comme l’exigeait le décret.
CONCLUSION
La Cour d’arbitrage a donc rejeté les recours en annulation partielle du décret « Bologne », à la satisfaction des requérants autant qu’à celle de l’université.
Dans leur communiqué à la communauté universitaire, les requérants insistent sur le fait que «C’est donc à nos autorités académiques actuelles, relayées par le monde politique, de défendre les intérêts futurs de notre institution au sein du paysage universitaire de notre Communauté». Je ne puis que partager cet avis avec enthousiasme et nous saurons prendre nos responsabilités.
Toutefois, il serait injuste de prétendre que les autorités et le C.A. précédents ne les avaient pas prises. Toutes les dispositions sont en place depuis un an, pratiquement jour pour jour, et c’est pour cette raison que les autorités de l’ULg et son C.A. n’ont pas jugé opportun de mettre en péril l’énorme travail mis en œuvre pour se conformer à la réforme de l’enseignement supérieur européen en contestant juridiquement un décret pour trois de ses aspects qui leur ont paru sans gravité ou sans réel danger, en raison des dispositions et garanties qu’ils ont prises.