Il y a quelques semaines, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme (CECLR) me faisait savoir qu’il était saisi d’une plainte d’un étudiant en Médecine vétérinaire dénonçant une discrimination systématique des étudiants non-baptisés. Le « baptême » estudiantin est en effet une tradition séculaire chez les vétérinaires, comme d’ailleurs dans d’autres facultés telles que les Sciences appliquées, la Médecine, la Philosophie-et-Lettres ou l’Agronomie.

L’intensité et les exigences quelque peu démesurées de ce « baptême » me posent problème, personnellement. Les attitudes d’humiliation des « bleus » par les baptisés me sont terriblement antipathiques car je déteste le manque de respect et l’avilissement délibéré, même lorsque la victime est consentante. Toutefois, si j’appelle au calme et à la mesure, je ne souhaite pas aller jusqu’à l’interdiction des baptêmes. Comment, d’ailleurs, le pourrais-je? Des adultes majeurs peuvent se livrer à tout ce qui leur passe par la tête dans un contexte privé sans que je dispose du moindre moyen de les en empêcher, et c’est très bien ainsi. Après tout, personne n’est obligé de se soumettre à ce à quoi il ou elle répugne, dire non reste son droit le plus fondamental.

Seulement voilà: il faut évidemment que cette dernière phrase soit vraie. Là où on sort carrément des clous, c’est lorsque le refus de se soumettre aux épreuves du baptême estudiantin conduit à des représailles de la part d’étudiants baptisés, de la part de membres du personnel scientifique baptisés ou de la part de professeurs baptisés — et ce n’est pas moins grave lorsqu’il s’agit de maîtres de stages extérieurs à l’Institution —, qui pratiquent l’abus de pouvoir, donc le harcèlement. A ce moment-là, que les représailles tiennent de l’intimidation, du rejet, ou de n’importe quelle forme d’entrave à la poursuite sereine des études, cela devient de la discrimination et c’est bien évidemment interdit par la loi — que nul n’est sensé ignorer —, tout autant que par l’éthique la plus élémentaire. De tels comportements seront sanctionnés par l’ULg qui dispose, pour cela, des organes nécessaires.

Une rencontre a donc été organisée le 6 octobre entre le Conseil de la Faculté, deux représentantes du CECLR, mes collaborateurs des affaires académiques, étudiantes et juridiques et moi-même. De cette rencontre est née la décision claire et déterminée du Doyen et des membres du Conseil de Faculté de veiller à mettre bon ordre à cet état de choses en suivant mes recommandations: créer une commission chargée d’enquêter sur ces anomalies et rédiger une charte de déontologie précisant les limites des activités estudiantines et de la discrimination qu’elles induisent. Cette charte sera d’application dans toute l’Université.

Ayant « eu vent » de cette rencontre, le 12 octobre, la RTBF a diffusé un billet dans son journal télévisé de 19h30. Assez logiquement, d’autres media ont suivi et ont donné de l’ampleur à un problème que j’aurais souhaité régler sereinement. Mais c’est la loi du genre. Plusieurs autres plaintes me sont parvenues depuis lors ainsi qu’au CECLR, et elles sont sorties enfin de l’anonymat. Le lendemain, j’ai convoqué à nouveau le Conseil de Faculté afin de le presser de finaliser la constitution de la commission et la rédaction de la charte. J’ai en outre fixé la date du 15 novembre pour l’accomplissement de cette mission, ainsi qu’un autre objectif: celui de proposer un ensemble de valeurs moralement acceptables sur lesquelles pourraient se fonder l’esprit d’équipe, l’esprit de corps, le sens de l’entraide et la solidarité qui font aujourd’hui la fierté de la Faculté et qui remplacera la valeur désormais inacceptable que véhiculent les épreuves du baptême. J’entends bien que cette vision utile et innovante s’installe dans tous les esprits au sein de la Faculté, ainsi que chez ses anciens diplômés, afin d’en finir avec une sélection basée sur le rejet de groupes qui rappelle étrangement les rejets fondés sur des discriminations ethniques ou religieuses, un ostracisme maintenant puni dans tous les pays qui partagent notre culture (à l’exception notable et heurtante de certaines expulsions ethniques qui suscitent l’indignation dans toute l’Europe).

Pour ma part, je recevrai dès à présent les témoignages de toutes les personnes qui le souhaitent, pour autant que ces témoignages relatent des faits réellement vécus et non des informations indirectes, des rumeurs ou des fantasmes collectifs. En effet, nous nous attaquons ici à un sujet qui prête à toutes sortes de commentaires et je ne désire pas que mon écoute — que je promets pleine et entière — soit polluée par des racontars sans fondement. La tâche sera donc très difficile. Je me ferai aider par nos spécialistes en matière juridique, éthique et de qualité de la vie étudiante, ainsi que par des psychologues experts. J’entendrai également les organisations d’étudiants.

Je sais que changer les mentalités exige un travail de fond long et difficile ainsi qu’une adhésion très large de l’ensemble des acteurs à tous les niveaux et que, par conséquent, il serait illusoire d’espérer tout transformer en un claquement de doigt. Mais si j’entends bien ce que la Faculté me dit, ces délits ne sont plus aujourd’hui que le fait de quelques personnes, peut-être inconscientes du caractère délictueux de la discrimination qu’elles exercent, même si c’est difficile à croire. Il faut alors que ces personnes soient, en toute justice, identifiées et qu’elles soient informées des risques qu’elles prennent au regard de la loi et de la justice, en plus des sanctions internes qu’elle encourent. Il est évident que, plutôt que d’êtres mues par la peur du gendarme, je préférerais qu’elles prennent réellement conscience de la nature abjecte et inacceptable, voire répréhensible et condamnable de leur comportement.

Cela ne m’empêche pas d’être pressé, car je tiens à ce que cette année académique soit la dernière où la Faculté de Médecine vétérinaire se trouve entachée par cette réputation nauséabonde. Mon objectif est que, dès l’année 2011, qui marquera les célébrations du 175è anniversaire de la Faculté de Médecine vétérinaire et le 20è du déménagement de Cureghem à Liège, celle-ci soit définitivement désinfectée.

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