On en parle beaucoup ces jours-ci, l’émotion est grande. Pourtant, ce n’est pas une nouveauté. Il y a deux ans déjà, quasi jour pour jour, j’abordais le sujet dans ce blog. A l’époque, il me semblait valoir la peine qu’on s’y penche et qu’on en saisisse toute l’horreur.

Petit rappel

1) En 2005, afin de se mettre en adéquation avec un numerus clausus de l’accès à la profession de médecin prescripteur imposé par l’INAMI au niveau fédéral, le gouvernement de la Communauté française de Belgique prenait une mesure de limitation de l’accès au second bac en médecine et en dentisterie par l’application d’un concours en fin de premier bac. Au terme de ce concours, un quota limité d’étudiants ayant réussi leur année d’études se verraient néanmoins dénier l’accès en deuxième. Un des effets immédiats de cette mesure, après la constatation d’une rivalité exacerbée entre étudiants créant une ambiance délétère entre eux (exactement l’inverse de la formation à l’entraide et à la coopération qui est la base même de ce que nous essayons de leur apprendre), c’est une frustration immense et un profond sentiment de malaise envers ces “reçus” et néanmoins “collés”.

2) Il faut rappeler que la limitation fédérale date de 1997 et que la première réaction communautaire fut d’établir une sélection en fin de 3è candidature. Il fallait donc attendre 3 ans avant de savoir si on retournait à la case départ. Intolérable.

3) Vint ensuite une période où, suite à la réprobation générale, on abolit toute sélection. Cette mesure, pour humanitaire qu’elle fût, créa rapidement une pléthore et donc une vague d’étudiants “surnuméraires”, vague qui est actuellement en cours d’études et qui, si rien ne se passe, arrivera en fin de 7è année pour y constater que seule une fraction d’entre eux auront accès à la profession médicale pleine et entière. Plus intolérable encore.
Il est des moments où le réflexe généreux, humanitaire, voire libertaire agrave les choses. Les universités se sont mobilisées face à cette épée de Damoclès, ce qui a conduit à une reconsidération du quota fédéral et à l’annonce d’une augmentation qui réglerait le problème des “surnuméraires”. On a eu chaud.

4) Notons tout de suite que, du côté flamand, le problème des surnuméraires est bien plus important puisque la sélection se fait par un examen (non un concours) avant l’entrée à l’université. On peut se demander quelle opération opportune ouvrira les portes de l’INAMI aux nombreux surnuméraires flamands en temps utile…

5) Il y a 3 ans, en CFB, on instaurait un concours en fin de première. Mais la perception de cette mesure fut d’emblée défaillante. Ce que chacun vit, ce fut la dureté du système des “reçus-collés” et non pas la caractéristique intelligente — qu’on ne trouve pas chez nos voisins français, par exemple — qui est que ceux qui ont réussi, s’ils peuvent recommencer, peuvent également se réorienter vers d’autres filières d’études non contingentées et entrer directement en 2è bac dans ces filières. Une carrière envolée, mais pas d’année perdue. Cet aspect positif fut malheureusement escamoté et passa inaperçu. On aurait dû dire “retenus-casés”.

6) Récemment, les doyens des facultés de Médecine, à la demande des recteurs, ont procédé à une étude très complète et très documentée sur la question de savoir si, en admettant qu’on ne puisse rien changer au niveau Fédéral, on pourrait améliorer la nature et/ou le moment de la filtration initiale communautaire. La conclusion de leur rapport suggérait l’organisation, avant l’entrée en premier bac en médecine ou dentisterie, d’un examen d’entrée (comme pour les ingénieurs) comme le pratiquent les flamands. Cette proposition modifiait deux choses fondamentales au filtre: il était établi avant l’entrée et il devenait un examen, plus un concours. Pour diverses raisons bien compréhensibles (un simple examen risque de ne pas contingenter comme un concours, un examen d’entrée amplifie les inégalités sociales et exacerbe les variations de qualité des établissements d’enseignement secondaire, un examen d’entrée crée le bachotage, etc), la ministre de l’enseignement supérieur n’a pas souhaité changer de méthode, même s’il était difficile de tenir bon, et elle en a parfaitement convaincu les recteurs.

Le sabordage

Voilà maintenant que les présidents des partis au pouvoir à la Communauté (PS et CDh) s’aperçoivent du problème et “volent au secours des étudiants reçus-collés” (Le Soir du 11.07.08). Après trois ans, ils s’aperçoivent, eux? Trois ans pendant lesquels les professeurs, les doyens des facultés de Médecine, les recteurs des universités concernées se sont indignés de ce qu’on les oblige à faire à leur corps défendant? Trois ans qu’ils n’arrêtent de marteler leur indignation? Mais que s’est-il donc passé? Pourquoi soudain l’attitude intraitable “dura lex sed lex” fond-elle comme neige au soleil? Serait-ce la réalisation soudaine de la réalité, peut-être le choc de l’anecdote personnelle, le désarroi du petit voisin auquel cela arrive aussi et pas qu’aux autres?

Mais au delà de ce formidable irrespect pour l’Université qui doit se plier à des sautes d’humeur dans l’incompréhension manifeste de ce qu’implique sa mission, ce qui sidère, c’est l’inadéquation de la mesure! Les présidents de partis ont-ils bien réalisé la portée de leur décision? Ont-ils compris que la destruction de l’impopulaire barrage, si elle emporte l’enthousiasme général, ne résout rien puisque ce barrage n’avait été édifié que comme retenue préalable pour éviter d’aller s’échouer contre le barrage final, après 7 ans d’études, ce qui est bien pire!

1) De qui ces super-héros viennent-ils libérer les pauvres reçus-collés? Des méchants professeurs qui les avaient laissé réussir mais leur avaient interdit l’accès en deuxième? Certainement pas. Les universités ne font qu’exécuter une mesure décidée par le gouvernement, et tous les encadrants ont toujours été contre.

2) De quoi vont-il libérer les reçus-collés au secours desquels ils volent si généreusement? Du numerus clausus? Certainement pas. Le numerus clausus, dans ces conditions, aura lieu en fin de septième et c’est là que cette “générosité” actuelle va les envoyer, en masse. De Charybde en Scylla.

3) Ont-ils pensé à qui une mesure aussi prompte et irréfléchie va servir? Certainement pas aux surnuméraires dits “Dupuis”, ceux qui, pendant trois ans, ont été mis dans cette situation de non-contrôle total, ceux qui ont connu l’abolition du numerus clausus à la Communauté mais pas au Fédéral, qui sont actuellement “dans le tube” et vont déjà se retrouver “reçus-calés” l’année prochaine puisqu’ils ont commencé en 2002. Pour eux, on entrevoyait une solution: le relèvement des quotas fédéraux qui permettrait de les absorber durant les 3 prochaines années. Lâcher le barrage derrière eux va inverser la tendance car il faudra maintenant veiller à étaler la sélection en fin d’études sur les années suivantes.

4) Ont-ils pensé à ceux qui ont été ainsi éliminés en 2006 et 2007 par une mesure gouvernementale aujourd’hui considérée comme suffisamment mauvaise pour être abolie? Quelle sera la réaction de ceux-là, y compris en termes de discrimination? (On me dira qu’ils sont comme le dernier contingent de miliciens obligatoires avant l’abrogation du service militaire, et on aura raison. Mais c’est quand même très frustrant).

5) Ont-ils pensé que, dès l’application de la mesure “Simonet” en 2005, les universités se sont réorganisées pour optimiser l’enseignement en fonction d’un nombre réduit d’étudiants en deuxième bac? L’ouverture du barrage va déborder les capacités d’absorption en aval, particulièrement dans les universités comme la mienne, où sur le principe “à quelque chose malheur est bon”, le malthusianisme forcé a été mis à profit pour lancer une nouvelle méthode de formation, plus pratique et plus proche de la réalité que l’ex cathedra classique, mais qui nécessite un encadrement plus personnalisé, donc un rapport encadrant/étudiant plus élevé.

6) Ont-ils pensé aux états d’âme des étudiants concernés qui seront passé par des chaud-froid successifs: ils ont réussi, ils sont collés quand même, ils sont sauvés in extremis par les présidents de partis, ils seront recollés dans 6 ans? Ou, si la mesure avorte, il se seront inutilement réjouis de ce sauvetage annoncé dans la presse avant d’être réellement organisé.

7) Enfin, mais là, c’est plus leur métier que le mien, ont-ils pensé qu’ils lançaient là un brûlot incroyablement provocateur dans le champ des querelles communautaires en matière de soins de santé?

Le malentendu

Les présidents de partis, dans cet élan, certes généreux, se trompent de cible. Ce qui est mauvais, ce n’est pas le numerus clausus en fin de premier bac, comme établi par la Communauté. Désavouer leur propre gouvernement n’avance à rien. Certes, celui-ci tenait bon même si c’était impopulaire, mais il savait ce qu’il faisait. Le lâcher maintenant le décrédibilise complètement.

Non, la vraie cible, on l’a assez dit, c’est le numerus clausus de l’accès à la profession de médecin prescripteur, il faut bien que quelqu’un le proclame tout haut. Tant qu’il demeure et qu’on se dit incapable d’y toucher, on se doit d’organiser les choses en amont pour éviter des catastrophes plus graves, en aval.
Je sais que, vis-à-vis du filtre de l’INAMI, la Communauté et ses ministres ne peuvent rien. Mais précisément, ce n’est pas le cas des présidents de partis!

Et ce qu’on demande, ce n’est pas la suppression de toute régulation, c’est simplement qu’on tienne compte, pour l’établissement de quotas, des réalités du monde médical, de la pénurie de médecins hospitaliers, de la désaffection pour la médecine générale, de l’ouverture de l’Europe à la libre circulation des métiers, des nécessités des pays en développement, etc. Ne pas supprimer toute régulation mais la rendre plus réaliste, compte tenu des vocations et de la qualité des étudiants qui pourraient servir les besoins de santé ici et partout.

Si rien ne se passe au niveau fédéral, lâcher les vannes à la Communauté est tout simplement irresponsable. C’est du Ponce-Pilate à l’état pur, et sur le dos des étudiants, qui plus est. Je m’étonne donc de la joie manifestée par la très bouillante Fédération des Etudiants francophones (FEF) qui semble, elle aussi, n’avoir vu que le bout de son nez et ne pas avoir perçu le coup de Jarnac, même involontaire, que la mesure va porter aux étudiants concernés dans 6 ans.

Il est urgent que nos dirigeants se ressaisissent et qu’ils évitent de donner dans la caricature habituelle du monde politique: une réflexion à court-terme en général et à hyper-court terme en année électorale. Faire plaisir à certains aujourd’hui serait sympathique et sûrement très populaire, mais où est l’héroïsme qui consisterait à “voler au secours” de gens en difficulté si c’est pour les mettre, au delà des élections de 2009 (en 2014, c’est loin!), dans une situation bien pire, sans parler du sacrifice des deux années précédentes ni de la mise en danger des générations suivantes?

Gouverner, c’est prévoir. Tout. Pas seulement ce qui va faire plaisir tout de suite.
Et ce n’est certes pas passer les gens à la douche écossaise car cela ne traduit que du mépris pour tout le monde, ministres, enseignants, étudiants, parents, ce qui n’était certainement pas l’intention, j’en suis sûr.