Il est ironique de constater que c’est le jour-même où l’Université de Liège se taille une place de leader en Europe en étant le point de rendez-vous de vingt recteurs d’universités et présidents de prestigieux centres de recherche réunis pour insuffler sur notre continent une nouvelle dynamique en matière de publications scientifiques, qu’elle est critiquée dans la presse pour la soi-disant mauvaise gestion de ses réserves bibliographiques! La disproportion est un peu navrante.

Hier, deux articles ont mis un accent catastrophique sur un accident survenu cet été dans notre réseau de bibliothèques. Le premier, dans la Libre, énonce les faits (après consultation de nos services) de manière objective si ce n’est qu’il interprète à tort le délai écoulé depuis l’accident comme une volonté de notre part de cacher les choses. L’autre, dans la Dernière Heure, ne brille ni par l’envergure de son enquête, ni par l’exactitude de ses informations (c’est pourtant si simple de vérifier) et se veut délibérément dénigrant. La presse parlée et télévisée, obligée de suivre, fait cela avec beaucoup de soin et de rigueur, en évitant tout sensationnalisme, et reste factuelle.

Que s’est-il passé ?
Les fortes pluies de l’été ont, il y a quelques mois, provoqué des entrées d’eau dans un bâtiment affecté à une réserve de livres au Sart Tilman. Cela fait deux ans que je dis, comme mes prédécesseurs, que l’allocation que nous accorde la Communauté Française est largement insuffisante pour entretenir notre patrimoine immobilier de manière sécurisée (il faudrait 10 millions d’€ et nous en recevons 2) et qu’il finira bien par se produire un incident plus dommageable que les autres. Cette entrée d’eau, due à des conditions climatiques exceptionnelles, n’a pas directement inondé les livres mais a créé dans les locaux, qui contiennent des kilomètres de rayonnages denses, une élévation du taux d’humidité. Tout naturellement, de telles circonstances, dans des locaux chauffés, favorisent le développement de microchampignons qui se sont mis à proliférer sur les couvertures et les pages des ouvrages dont certains sont précieux.

Que fait-on dans ce cas? On réduit le chauffage et on isole la zone menacée. On met les livres en question « en quarantaine » et on les « soigne ». Une équipe internationale complète nos spécialistes pour entreprendre la décontamination. Les livres seront ensuite remis en accès pour les chercheurs. Mais il est clair que pendant la durée de la quarantaine, les livres ne sont plus accessibles, et ceci pour une durée qu’il nous est difficile de préciser. Le directeur du Réseau des bibliothèques avertit alors les chercheurs concernés par un message interne et les prévient qu’ils ne pourront avoir accès aux ouvrages pendant une période qui reste à définir.
Voilà tout.

Que ceci provoque l’agacement de certains chercheurs, quoi de plus normal? Mais soyons clairs: nous n’avons pas reçu une seule plainte, tout le monde semble avoir bien compris.
Que certains, au lieu de nous en parler, s’offrent le plaisir de dénoncer cette « incurie » à la presse, c’est moins glorieux. Encore que, pourquoi pas? Après tout, il s’agit d’un fait divers qui donne raison au recteur qui n’arrête pas de se plaindre de l’insuffisance des moyens dont l’Université dispose pour entretenir ses bâtiments.

On dira encore que je ne suis pas tendre avec la presse mais c’est faux, je sais reconnaître ses compétences chaque fois qu’elle le mérite. Comme le faisait récemment remarquer un intervenant sur mon blog, « la presse », ça n’existe pas et il ne faut pas généraliser. Mais franchement, que penser du journaliste qui se précipite, sans rien vérifier avec personne, pour se fendre d’un article incendiaire dans lequel il accuse l’Université de mauvaise gestion et de mépris pour ses collections bibliographiques. Tiens donc, c’est du déjà-lu, ça! L’Université (comprenez: le recteur) n’aime pas ses bibliothèques… Comme je l’ai dit lors d’une précédente accusation fausse, je revendique d’avoir fourni plus de moyens aux bibliothèques de l’ULg que quiconque auparavant. Sans parler de la modernisation entreprise sous mon prédécesseur et qui continue à avancer aujourd’hui.

Et, lui aussi, s’imagine que nous aurions voulu « étouffer l’affaire »! Alors que les intéressés ont tous été prévenus très ouvertement aussitôt que la quarantaine a dû être mise en place. Il est vrai que nous n’avons jamais pensé à émettre un communiqué de presse!

Détail amusant qui révèle bien le lamentable manque de professionnalisme: l’adresse de la réserve à livres est « Chemin du Silence ». On voit facilement le jeu de mot qu’on peut en faire si on croît à la fameuse « loi du silence » qui règnerait à l’ULg (!). Mais notre homme a été tellement emporté par sa découverte du complot du siècle, qu’il a, sans doute involontairement mais significativement, transformé l’adresse en « Chemin du Secret »!

Que peut-on faire de mieux qu’en rire?

Mais je rappelle encore une fois à nos étudiants en journalisme: recoupez toujours vos sources. Bien sûr, vous y perdrez des « scoops » foireux, mais vous y gagnerez le temps de vous passionner pour ce qui se passe d’intéressant autour de vous, et à l’Université en particulier, qui est une source inépuisable de progrès.