Dans un généreux combat « pour un enseignement plus juste et accessible à tous », les organisations étudiantes en (ce qu’il semble qu’on doive aujourd’hui appeler) Fédération Wallonie-Bruxelles s’opposent au concept de l’année d’ajustement à l’entrée des études de Médecine pour ceux qui ne sont pas prêts. C’est un combat de longue date, défendu par les représentants étudiants successifs depuis des décennies. Et on le comprend: pourquoi prévoir une année de préparation et ne pas tout simplement intégrer une préparation adéquate dans l’enseignement secondaire?

Dans un premier temps, les universités ne peuvent compter sur un aménagement des programmes ou des exigences de l’enseignement secondaire, et moins encore de l’organisation des parcours des élèves ou de leur choix d’options. Certes, le dialogue secondaire/supérieur est attendu, souhaité, mais il ne pourra apporter ses effets éventuels que dans bien des années.

Or la situation actuelle est grave. Avec les moyens dont elles disposent aujourd’hui, les universités ne peuvent faire face aux exigences d’un enseignement de la médecine de qualité, une énergie immense étant déployée, en partie inutilement hélas, pour accompagner un nombre déraisonnable d’étudiants à l’entrée des études de médecine en Belgique francophone. En effet, notre Communauté devient un des rares endroits au monde où l’accès aux études de médecine ne fait pas l’objet d’une forme de sélection. On peut s’en réjouir, mais il faut pouvoir faire face à cette particularité.

A ceux qui me rétorqueront que ce n’est qu’un problème logistique qui peut être résolu par un simple appui financier, je répondrai que c’est quand même un peu plus compliqué que cela.

1) Personnellement, je ne partage pas l’idée qu’on puisse impunément laisser croire à celui qui n’a pas bénéficié d’une préparation adéquate qu’il peut, sans aucune difficulté, entamer des études universitaires et, particulièrement, des études de médecine. C’est un fait. On peut le déplorer, mettre en place des améliorations pour l’avenir, mais actuellement, c’est inéluctable. Et cela se traduit par un taux d’échec catastrophique (environ 70% pour les deux sessions!).

2) S’il existe, comme on le constate, un engouement pour les études médicales ou dentaires, et que celui-ci est tel qu’e l’affluence dépasse les capacités d’accueil permettant d’offrir une formation de qualité, il n’y a que deux solutions, et tout le reste n’est pas sérieux:
• un examen d’entrée, qui ne serve pas seulement de filtre, mais permette une orientation vers d’autres formations en fonction du niveau de préparation de l’étudiant (on peut l’appeler « test », mais si ce test n’est pas contraignant, il est très largement inutile, sauf pour une minorité qui aura la maturité suffisante pour envisager une solution de mise à niveau);
ou
• un financement strictement proportionnel à l’affluence, qui permette aux universités de faire face aux réalités (encore qu’il ne s’agisse pas seulement d’un problème de financement, mais de disponibilité de patients et d’équipement médical ou dentaire).

On connait les objections à la première solution. Elle est considérée par certains comme « anti-sociale », l’idée étant que les jeunes des classes aisées seraient mieux préparés que ceux des milieux défavorisés. C’est sans doute partiellement vrai. Mais voulons-nous pour autant réduire le niveau d’exigence de ces études déjà trop courtes et qu’on va encore raccourcir à 6 ans? L’action sociale consiste-t’elle à diminuer le niveau de compétence pour prétendre à l’équité? N’est-il pas plus souhaitable d’offrir à ces jeunes mal préparés une opportunité de remédier à cette lacune en leur offrant une année préparatoire, plutôt que de jouer les autruches et les envoyer tout droit à l’échec?

Le problème est analogue à un acte médical : quand on constate qu’un patient est malade, il est certes intéressant de promouvoir la prévention (qui protégera les suivants) mais il est aussi indispensable de poser un acte thérapeutique. Agir sur l’enseignement secondaire et le rendre plus équitable est certes une prévention utile, mais cela ne dispense pas de prendre des mesures pour les étudiants qui vont arriver prochainement.

On dira que ceci ajoute encore au coût des études, évidemment, mais la piste que je revendique est que cette année préparatoire soit subventionnée non seulement au bénéfice des universités qui devraient la prendre en charge, mais également au bénéfice des étudiants par l’octroi d’une bourse à caractère social qui accorderait une gratuité plus ou moins complète en fonction des revenus, sur la base des critères déjà utilisés actuellement pour l’octroi de l’aide sociale. Ceci implique un investissement de la part du pouvoir subsidiant, mais compensé par l’économie de la réduction de 7 à 6 ans. Le moment est donc parfaitement propice.

En outre, cette première solution offre l’avantage d’éviter à une grande proportion des candidats à ces études le traumatisme de l’échec. L’année préparatoire ouvrirait par ailleurs les portes vers d’autres études paramédicales dans lesquelles elle pourrait être valorisée comme un premier bac polyvalent.

En fait, cette année entrerait tout droit dans la logique de Bologne, en jouant à fond la carte de l’étalement par accumulation de crédits et sans la nécessité de réussir un ensemble de crédits constituant une « année »

La deuxième est plus utopique. Et elle n’est pas de notre ressort. Une aide substantielle a déjà été accordée aux universités par le Ministre de l’Enseignement supérieur. Elle est la bienvenue, en attendant qu’on adopte une solution durable. Mais nous devons penser au plus long terme.

Ne choisir ni l’une ni l’autre de ces deux options ne donne que l’illusion d’une démocratisation. La sélection s’opérera de toute façon et on enverra cyniquement, mais avec bonne conscience, les moins préparés au « casse-pipe ». Notre mission est de former les étudiants, pas de leur faire croire qu’ils peuvent réussir alors que nous savons très bien que c’est faux. Pas non plus d’attendre toute une année avant qu’ils ne s’en rendent compte après deux sessions d’examens échoués. Pas de gérer un embouteillage monstre en faisant comme si on pouvait donner à tout ce monde une formation de la même qualité que s’ils étaient trois fois moins nombreux. Les efforts énormes que font nos professeurs pour conduire les étudiants à la réussite vont amener des cohortes de plus en plus nombreuses tout au long des études médicales. Est-ce un progrès social qu’au bout de ces études, ils ne puissent accéder à la profession qu’ils ont souhaité pratiquer?

Les étudiants en médecine et en sciences dentaires sont près de 900 en 1er bac à Liège cette année. Et l’expansion a pris les mêmes proportions dans les 5 institutions qui forment les médecins en Belgique francophone: près de 30% d’augmentation. Il en sera de même l’an prochain. C’est dans quelques mois. A Liège, les enseignants ont accepté de donner deux fois leurs cours et ont ainsi assuré un généreux dépannage. Je ne souhaite pas avoir à le leur demander une deuxième fois. Le temps presse. Nous allons devoir recourir à divers expédients pour accueillir tout ce monde.

En conclusion, je suis d’accord d’affronter cette réalité qui est que, aujourd’hui, l’attraction des métiers de la santé est considérable, mais respectable. Ces formations ont leurs propres éléments d’exigence. Tout le monde n’est pas en mesure d’affronter ces exigences. Pas du tout, ou pas d’emblée.

Il me semble qu’il est dans les missions confiées aux universités de déceler qui est prêt et qui ne l’est pas. Je suis donc pour qu’une sélection soit mise en place dès l’arrivée en première année: je ne vois pas ce que cela a de plus choquant qu’une sélection qui a, de toute façon, lieu à la fin de la première année. Et je défends cette solution, pour imparfaite qu’elle puisse être, à condition qu’elle propose des alternatives: l’accès à une formation spécifique qui prépare adéquatement à l’accès aux études concernées et qui permette s’accumuler des crédits valorisables dans ces filières ou dans d’autres domaines relatifs à la santé, par exemple. Plusieurs pistes sont envisageables dans cette perspective. J’ai été moi-même en faveur de l’idée, plutôt utopique, je le reconnais, d’un test non contraignant, qui laisserait à l’étudiant tout le loisir de décider de son propre sort après s’être entendu recommander une « remédiation » ou une réorientation, mais je comprends les responsables des premiers bacs médicaux qui se refusent à concevoir et mettre en œuvre un test qui exigera une immense prise de responsabilité, un énorme travail de conception et d’exécution, tout en étant très vraisemblablement inefficace s’il repose sur la seule décision de l’étudiant de se plier aux recommandations qui en découleront.

En un mot, je pense qu’il faut se diriger, pour la rentrée de 2012, profitant du fait que les études de médecine seront ramenées au standard européen de 6 ans, vers ce que certains appellent aujourd’hui un « test contraignant », subtil mais illusoire déguisement du terme plus réel d’examen d’entrée. Mais j’admets aussi que l’originalité de la formule réside dans la nécessaire organisation d’une année de mise à niveau dont les différents crédits pourront être valorisées en cas d’accès au 1er Bac en médecine ou en dentisterie ou également dans d’autres filières proches. Cette proposition est en phase avec un élément très positif de la réforme de Bologne : l’étalement des études adapté à chaque étudiant grâce au principe de l’accumulation de crédits à la vitesse qui convient à chacun. Je sais que cette solution rencontrera des oppositions de principe de la part de certaines organisations d’étudiants, elle est cependant frappée au coin du bon sens.