Je vous annonçais hier la naissance d’EOS (Enabling Open Scholarship) et de son site web.
Il s’agit donc d’un groupement qui vise avant tout à fédérer les universités du monde entier (c’est pourquoi nous avons changé le nom de « EurOpenScholar » utilisé en 2007 en « Enabling Open Scholarship »), dans un effort de généralisation de l’obligation faite à leurs chercheurs de déposer la version complète (full text) de leurs publications dans un dépôt institutionnel (chez nous: ORBi).
EOS est basé sur le raisonnement suivant:
1. Le coût des publications (articles de journaux scientifiques) est devenu exorbitant. Il a entraîné une réaction qui s’est traduite par l’émergence du concept de l’Open Access (OA). Comme tout a un coût, aller au bout du concept veut dire « payer pour publier au lieu de payer pour lire ».
2. Aujourd’hui, on constate que les journaux qui ont adopté la politique de l’OA et qui ont attiré les chercheurs avec des prix de publication raisonnable, sont en train de pervertir l’idée et ont triplé et parfois même quadruplé leurs prix (c’est le cas de BMC et, avec un léger décalage dans le temps, de PLOS qui n’a encore « que » doublé!).
3. Comment s’expliquer ces dérives, si ce n’est par l’appât du gain ? Et, sans aucun doute par le rachat de BMC par un grand groupe d’édition…
Tout simplement par le le principe du tiers payant. Jusqu’aujourd’hui, ce sont les universités qui prennent en charge l’achat des revues, les abonnements, les « packages » divers. Elles se regroupent de plus en plus souvent en consortiums pour le faire. Et elles achètent ainsi la documentation dont leurs chercheurs ont besoin, sous forme papier ou électronique ou — le plus souvent maintenant — les deux. Ceci a pour conséquence de déconnecter le chercheur de la réalité du coût de ses lectures. Et cette déconnection est encore plus réelle pour l’électronique (qui a l’apparence de la gratuité, habitués que nous sommes à la quasi-gratuité de l’Internet) que pour le papier.
4. On a tout d’abord pensé, avec les pionniers de l’OA comme Peter Suber, que le fait que le chercheur paie pour publier — et qu’il le fasse à l’aide de ses budgets de recherche — allait, en supprimant le tiers payant, forcer un véritable contrôle des prix de l’OA.
5. Logiquement, on a étendu le raisonnement et on a imaginé que, puisque les universités allaient faire des économies en abandonnant les abonnements aux revues classiques, elle allaient pouvoir aider leurs chercheurs en prenant en charge les frais de publication dans les revues en OA. C’est ce que nous avons fait à l’ULg en couvrant les frais de publication dans les différentes revues de BMC qui étaient les revues en OA les plus demandées.
6. En faisant cela, on restaurait évidemment le principe du tiers payant, et on laissait se réinstaller une escalade inconsidérée des prix, qui apparaît ainsi comme un phénomène économique et sociétal inévitable (seule notre naïveté pouvait nous faire penser différemment!). En effet, on remettait ainsi en place une déconnexion entre le vendeur et l’utilisateur et on libérait les freins. Les choses ont vite basculé et nous avons dû abandonner l’initiative, à mon grand regret, car non seulement le nombre de publications de l’ULg dans BMC augmentait en flèche, ce qui pouvait peut-être rester gérable, mais l’ascension du coût par article rendait ingérable la prise en charge complète. Ceci invalide assez nettement le principe de COPE proposé et adopté par Harvard ainsi que les universités Cornell, Berkeley, Dartmouth et le M.I.T.
7. C’est pourquoi, aujourd’hui, force est de constater que le seul modèle qui puisse encore répondre à l’absolue nécessité du maintien de l’accès le plus large et le moins cher possible à la littérature de recherche est la constitution, par les institutions de recherche, de dépôts bibliographiques. Ces dépôts doivent être institutionnels pour être complets. D’autres initiatives comme les dépôts thématiques ont leur intérêt, mais elles doivent rester complémentaires. En effet, si les dépôts servent de répertoire aux institutions qui les organisent, ils ne se consultent pas de manière large par sujet. En effet, si l’accès à un article particulier impliquait que le lecteur doive penser à venir voir sur le site de l’Université de Liège, nous serons peu lus dans le monde. L’astuce, c’est que les moteurs de recherche « scannent » nos dépôts régulièrement et trouvent nos articles à la demande, sur base d’un ou de plusieurs mots-clés et peu importe si le lecteur arrive sans le savoir sur notre dépôt institutionnel. Ceci implique évidemment que les textes déposés le soient dans une version XML ou HTML.*
8. Cela donne donc au chercheur la visibilité maximale et au lecteur un maximum de chances de lire tout ce qui l’intéresse. En même temps, on ne tue pas le modèle de la publication de journaux car il restera toujours une demande pour feuilleter des revues, avec l’avantage de tomber par hasard sur un article qu’on n’aurait nullement cherché. Mais en même temps on maintient une pression en faveur du retour à des coûts mesurés et on offre un accès total à l’information.
9. A la limite, on pourrait imaginer qu’un jour, les publications se fassent exclusivement par cette voie et que les chercheurs reprennent enfin la maîtrise complète d’un processus tout au long duquel ils contribuent activement, en rédigeant, en révisant et en achetant. Il suffirait alors d’assurer la révision par les pairs (eux-mêmes des chercheurs) et de constituer des comités d’évaluation qui auraient un label de qualité et qui accorderaient leur feu vert aux articles de bonne tenue, les universités s’engageant à assortir de cette garantie les articles qui l’auraient méritée. On pourrait même envisager que seraient publiés conjointement les commentaires des réviseurs. Chacun saurait ainsi que tel ou tel article a été revu. Dire que ceci est impossible en se passant des éditeurs est, d’une part, absurde puisque les éditeurs vont chercher des chercheurs pour effectuer les révisions et, d’autre part, méprisant pour les chercheurs car l’insinuation est que seuls les éditeurs peuvent garantir le sérieux et l’impartialité.
Voilà donc l’objectif d’EOS: rassembler les universités et les institutions de recherche autour d’une action concrète à mener pour ramener à un niveau supportable les dépenses liées à la documentation scientifique au sens large. Et rendre la littérature scientifique accessible à tous, avec une référence particulière aux pays en développement pour lesquels le changement sera le plus radical: de pratiquement rien à tout.
* : j’ai amendé le texte sur base du commentaire reçu.