« Liège, et son université avec elle, ne prétendent pas être le nombril du monde, mais c’est aujourd’hui l’un de ces carrefours du monde où les valeurs essentielles à notre survivance ont rendez-vous ».
Hubert Nyssen, « Neuf causeries promenades », L’écritoire, Leméac/Actes Sud, 2007.
Il est aujourd’hui, dans la vie d’un recteur d’université, des moments précieux qui compensent au delà de toute espérance la longue litanie des corvées et devoirs fastidieux, voire ennuyeux parfois, celle des complaintes et des revendications, celle des récriminations et des reproches, celle des arbitrages de querelles mesquines, celles de toutes ces petites choses qui meublent inutilement les journées et ne laissent que trop peu de place aux débats de fond, à la réflexion et aux projets.
Parmi ces moments privilégiés, il y a ceux de la création et de l’innovation, ceux où l’on pense avoir trouvé la solution globale à de nombreux problèmes et difficultés, ceux où l’on croit pouvoir donner du souffle et de l’ampleur aux ambitions de cette Institution dont on vous a confié les rênes. Ils sont hélas souvent de courte durée. Toutes sortes de contraintes, de décrets bancals, de résistances obstinées et obtuses ont tôt fait de mettre un frein à ces enthousiasmes et à vous faire retomber plus bas qu’avant que l’idée n’ait germé. Mais à obstination, obstination et demi, l’enthousiasme rebondit toujours…
Il y a aussi les moments du dialogue, de l’intérêt pour ce que nos collègues entreprennent et de la compréhension de ce qu’ils accomplissent. La richesse de l’Université est infinie et elle surprend chaque jour. Elle donne envie de faire connaître à chacun, mieux encore et plus intensément, le foisonnement de la Maison dans ce qu’elle a de plus noble et de plus généreux.
Il y a enfin ces rares moments lumineux des rencontres exceptionnelles, celles que l’on découvre ou que l’on retrouve, celles qui donnent à notre métier tout son sens et tout son ravissement. Il y a quelques jours, j’ai pu vivre à nouveau un de ces moments exceptionnels grâce à un déjeuner amical avec Hubert Nyssen et son épouse, Christine Le Bœuf, la talentueuse traductrice des œuvres de Paul Auster, de Siri Hustvedt, d’Alberto Manguel, de Bahiyyih Nakhjavani et de tant d’autres. Pascal Durand nous accompagnait, celui qui m’a procuré le plaisir de rencontrer le grand auteur-éditeur et sa femme et grâce à qui l’ULg est devenue dépositaire des archives d’Hubert Nyssen en 2005. Nous avons longuement discuté de quelques auteurs qui parsèment le monde de leurs qualités originales de passeurs de savoir et de culture et que j’aimerais faire venir à Liège pour célébrer prochainement, en un grand moment lumineux et collectif, l’universalité de la pensée et le franchissement des barrières des langues et des civilisations.
Hubert Nyssen m’a offert son dernier ouvrage, Neuf causeries promenades, joliment dédicacé. Contrairement à mes habitudes, je l’ai dévoré en un week-end et j’ai eu le plaisir d’y trouver le discours qu’il avait fait en 2003 dans notre Alma Mater lorsqu’il en devint un des membres les plus éminents, par le doctorat honoris causa. Une véritable petite perle sur la brillance des universités au milieu de l’obscurantisme du monde. Dès le 7 mars, il a rapporté notre rencontre dans son blog, qu’il appelle plus joliment ses carnets, je m’en voudrais de ne pas faire de même!
Je reste sous le charme de Christine et d’Hubert, nous distillant des anecdotes et décrivant si bien en quoi chacun des écrivains qu’ils évoquaient s’inscrit dans cette générosité qui consiste à faire connaître le monde des autres et à propager une culture qui les transcende toutes…
Et je ne peux m’empêcher de penser qu’ils sont, eux, l’archétype du passeur généreux, lui l’éditeur et elle la traductrice, exerçant avec passion les deux métiers de la littérature qui sont le plus pleinement au noble service des autres.