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Que d’émois dans les media !
Toute la presse écrite régionale s’est emparée du « scoop » lancé dimanche 11 décembre par la RTBf : « L’Université de Liège se désintéresse de ses bibliothèques ». Retentissement majeur, jusqu’au journal télévisé.
Que d’honneur !
Une bonne nouvelle, que sais-je, une découverte scientifique, une évolution majeure de notre Institution, recueillerait-elle autant d’attention ? Jusqu’à Bruxelles ?
La même nouvelle, recoupée, comme on dit en langage journalistique, c’est-à-dire ayant fait l’objet d’une simple question auprès des autorités universitaires ou du Recteur en particulier, donc ramenée à ses justes proportions, aurait-elle eu autant de retentissement ?

Je dois à la vérité de préciser que seul l’auteur du billet du dimanche qui a mis le feu au poudres s’est abstenu de cette vérification. Mais ensuite, le mouvement était lancé et il était difficile de ne pas y donner écho.

Que s’est-il passé ?
La situation du réseau des bibliothèques n’est guère bonne depuis plusieurs années. Le financement consacré au fonctionnement et aux acquisition documentaire a été plafonné à 2 millions d’Euro. Le personnel a été réduit de plus du tiers. Le coût des revues a augmenté de manière déraisonnable et a nécessité un abandon progressif de nombreux abonnements importants.

Ayant moi-même présidé le CSBi (Conseil Scientifique des Bibliothèques) depuis 1997, puis le Réseau des Bibliothèques, j’ai pu me sensibiliser au sort de notre documentation et me rendre compte de la nécessité de faire perdre au réseau son statut de « centre de coût financier » pour lui donner le rang de « centre de profit intellectuel, scientifique et culturel ». Bien sûr, ceci implique des coûts ainsi qu’une restructuration sérieuse, un regroupement des unités permettant une rationalisation et des économies d’échelle, une meilleure répartition du personnel et des compétences, et certains choix parfois difficiles.

Cette petite révolution se prépare depuis un certain temps, s’organise depuis mon élection et se concrétise depuis deux mois, aboutissant à une série de prises de décision que je réservais au Conseil d’Administration du 14 décembre.

Il est bien évident que l’absence de mesures, combinée à une situation difficile à la Faculté de Philosophie et Lettres due à la perte de deux agents dès janvier, nous aurait mis dans des conditions où nous ne pouvions assurer le plein service de la Bibliothèque générale et des bibliothèques de la Faculté. Un affichage — un peu hâtif il est vrai — annonçant ces mesures restrictives qui devraient être prises dès le 4 janvier, a créé une vive inquiétude chez les étudiants et chez certains de leurs professeurs, a amené les premiers à constituer un comité de sauvegarde, à lancer une pétition et à prévenir la presse, malheureusement sans me consulter pour connaître mes intentions, ce que je déplore.

Les documents du Conseil d’administration étaient déjà communiqués aux membres de celui-ci, y compris aux représentants étudiants, depuis trois jours. Ils contenaient des propositions que j’y faisais pour un ensemble de mesures qui allaient résoudre cette difficulté avant même qu’elle n’existe vraiment et entamer la relance des grands projets du Réseau.

A savoir :

1) réserver une part du subside fédéral à la Recherche pour la documentation, pour un montant de 250.000 € ;
2) investir dans l’achat de compactus et assurer le regroupement de la biliothèque des Sciences et Techniques, pour un montant de 350.000 € ;
3) augmenter le budget ordinaire du Réseau, pour un montant de 250.000 € ;
4) créer 3 nouveaux postes de personnel scientifique, pour un montant de 140.000 € ;
5) créer 3,5 nouveaux postes de personnel ATO, pour un montant de 193.000 € ;
6) ajouter à l’existant 2.000 heures de jobistes, pour un montant de 21.000 € ;

soit un supplément de budget de 1.204.000 € pour 2006, la plus forte augmentation annuelle jamais accordée en une seule fois aux bibliothèques de l’ULg.

Toutes ces mesures viennent s’ajouter à d’autres, prises déjà en 2005 :
- augmentation du budget ordinaire du réseau de 250.000 €
- engagement de 2,5 scientifiques, 2 PATO et 245 heures de jobistes pour un total de 139.000 €
- engagement d’un budget additionnel d’investissement de 1.500.000 € à étaler sur 3 ans.

Vous comprendrez pourquoi il me fut pénible de voir l’ULg accusée de désintérêt à l’égard des bibliothèques par toute la presse, pour un simple problème lié à la pause-carrière de deux agents entraînant une hypothétique nécessité de réduire les heures d’ouverture.

Mais seul compte le progrès accompli. Le Conseil d’Administration s’est rallié unanimement à mes propositions et je lui en sais gré. Nous continuerons le mouvement et ferons de la création d’une seule grande bibliothèque de Philosophie et Lettres une réalité. Et nous montrerons que ce que certains considèrent aujourd’hui comme une solution dictée par de médiocres considérations d’argent constituera un véritable progrès pour le confort des utilisateurs et la qualité du service qui leur sera offert.

Je tiens à réaffirmer ma conviction qu’il n’existe pas d’université de qualité sans un accès de qualité à la documentation, quel qu’en soit le mode.

Cette semaine s’est avérée riche en évènements révélateurs.

Lundi, conférence de presse sur la collaboration FN Herstal-ULg. J’en retire qu’au delà de collaborations technologiques que nous pouvons avoir avec des industries dans bien des domaines, il existe également des collaborations qui se révèlent très pluridisciplinaires. C’est le cas ici, avec le développement d’armes (fleuron du savoir-faire liégeois depuis des siècles) dont la dangerosité est réduite. Chacun s’accordera à dire que dans le maintien de l’ordre comme dans le maintien de la paix, nul ne souhaite voir utiliser des armes mortelles ou très dangereuses. La mise au point et la commercialisation d’armes à dangerosité réduite nécessite l’intervention d’ingénieurs, de physiciens, de chimistes, mais également de médecins légistes, de criminologues, de sociologues et de psychologues. Notre institution renferme toutes ces expertises et la collaboration paraît idéale.
C’est un superbe exemple de la complémentarité des spécialités, qui peut engendrer des développements très complets et intégrés.

Jeudi, conférence de presse sur la collaboration Arcelor-ULg. De celle-là, je retire essentiellement la mise en contact de chercheurs de l’entreprise et de l’Université, chercheurs de formation très différente. De la rencontre entre Biologistes, ingénieurs et physiciens de la recherche spatiale, chimistes d’une part et ingénieurs sidérurgistes d’autre part, sont nées une cinquantaine d’idées originales et totalement inattendues, qui elles-mêmes ont donné naissance à une cinquantaine de projets étonnants. Aucun d’entre eux ne serait arrivé à concevoir de tels projets sans ces rencontres fertilisantes.
C’est un superbe exemple du caractère indispensable du choc des cultures scientifiques pour la vraie innovation, celle qui ne se contente pas d’une amélioration de procédés mais qui fait naître des concepts totalement neufs, ceux-là même qui nous permettront de sauver l’avenir économique de notre région.

Il faut ajouter que, du côté de l’Université, les chercheurs impliqués dans ces programmes innovants ont derrière eux des années de travail acharné sur des sujets dont peu de gens ont jamais compris à quoi ils pourraient servir un jour. Ce sont les recherches fondamentales, qui semblent un luxe inutile de recherche pure de la connaissance pour elle-même, qui nourrissent le processus d’innovation, à condition d’être replacées dans un contexte inattendu.

Favoriser la rencontre de ces mondes apparemment distants est précisément notre rôle.

L’excellent commentaire de Rudi Cloots à mon affichage précédent, Partir…, m’amène à m’expliquer avec un peu plus de précision sur ce que j’attends d’un séjour de longue durée à l’étranger. En effet, cela ne peut se résumer à chercher un dépaysement.

Il s’agit en fait:

- d’exercer son métier dans un autre environnement, de cesser de ronronner dans les mêmes idées, de discuter autrement de son travail, de ses recherches;

- de changer éventuellement d’axe de recherche, d’aborder les problèmes autrement, voire de changer de sujet et de réaliser qu’il y a éventuellement mieux à faire que ce qu’on fait;

- de bénéficier d’autres approches méthodologiques ou techniques, de discuter au quotidien avec d’autres chercheurs que ceux de son environnement d’origine;

- de vivre ailleurs, d’être confronté aux difficultés que rencontrent nos visiteurs lorqu’ils viennent chez nous (visas, problèmes de langue, logement, etc…);

- d’améliorer sa connaissance des langues étrangères pour autant que le séjour ne se fasse pas en francophonie;

- de créer des liens souvent très solides avec des chercheurs étrangers, infiniment mieux que dans des colloques et congrès, ou même lors de courts séjours, forcément trop brefs, d’entrer ainsi dans la grande famille des chercheurs migrateurs au sein de laquelle existe une solidarité et une reconnaissance mutuelle inimitables;

- de se grandir et retrouver éventuellement son université avec un regard différent et pouvoir ainsi contribuer utilement à son évolution, en connaissance de cause;

- de transmettre, après son retour s’il a lieu, à ses étudiants, le sens du voyage et de la mobilité, en ayant montré l’exemple.

Certes, je ne prétends pas qu’on ne peut être un bon universitaire sans cela, mais je prétends qu’une université comme la nôtre se doit de vérifier l’acquis de cette expérience chez toute personne qui va faire partie de la Maison pour longtemps et donner l’exemple aux jeunes. C’est un critère, sinon obligatoire, en tout cas prépondérant parmi ceux qui prévalent lors du choix d’un membre définitif de l’Institution.

Un long débat s’est installé dans l’Institution ces dernières années concernant les séjours à l’étranger que nous imposons — avec une fermeté toute relative — avant toute nomination à un poste permanent (premier assistant, chercheur qualifié et, a fortiori, chargé de cours) et une clarification s’impose.
Certes, il s’agit là d’un beau cas de discussion au sein du Collège rectoral, mais je désire dès à présent faire part de mon avis sur le sujet.

Tout d’abord, je ne parle ici que de séjours de longue durée : 6 mois au moins, mais de préférence un an, d’un seul tenant, et non d’une accumulation de petits séjours ou visites étalés dans le temps. Je ne parle que de séjours consacrés majoritairement à une activité de recherche, conduisant à une ou des publications, que l’intéressé(e) a rédigé seul(e) ou en collaboration, attestant de son activité scientifique (au sens large).

Pourquoi de tels séjours ? Parce qu’ils sont l’occasion d’une réelle sortie de son milieu professionnel et d’une adaptation à un autre environnement et une autre culture, dans bien des cas. Une université qui se veut internationale ne peut faire moins que de s’assurer que ses enseignants et ses membres permanents aient fait l’expérience d’un dépaysement professionnel important. En effet, comment demander de manière crédible aux étudiants d’aller étudier ailleurs (on me pardonnera de ne pas encore redire pourquoi c’est souhaitable !) si on n’a, soi-même, fait l’expérience d’un séjour dans un autre pays ?
Et, bien sûr, s’il est souhaitable d’avoir fait la preuve de sa capacité de collaborer avec des collègues étrangers, d’avoir même, si possible, un renom international, de s’être intégré dans un réseau international de recherche, cela n’enlève rien à l’intérêt d’avoir vécu et significativement travaillé ailleurs.

Je pense donc qu’il est bon que le critère ’séjour à l’étranger’ ait une bonne place parmi ceux qui sont pris en compte pour une nomination à titre définitif à l’ULg.

Il est clair que cette exigence peut, dans certains cas, ne pas être rencontrée, à condition qu’une argumentation sérieuse justifie cette carence et que de telles exceptions soient et restent rares et ne risquent donc pas de devenir la règle.

Le mauvais argument est de dire qu’on n’a jamais été prévenu de cette exigence. Il y a suffisamment longtemps que le Conseil d’Administration a annoncé cette règle. Malheureusement, il ne l’a pas toujours appliquée avec la même rigueur.

Je souhaite qu’elle soit dorénavant clairement réaffirmée et que chaque chercheur débutant à l’ULg en soit averti et ne puisse ultérieurement arguer du fait qu’il ignorait cette obligation.

Pour être complet, il faut préciser que le Conseil a également établi que, si des exceptions pouvaient être retenues et des nominations comme chargé de cours acceptées malgré l’absence d’un séjour à l’étranger, cette déficience serait prise en considération dans les éventuelles demandes de promotion. Là aussi, il convient d’être ferme mais pas inébranlable. Toutefois, une argumentation convaincante est alors nécessaire pour justifier des mérites d’une promotion dans ces conditions.

On comprendra donc que l’intention n’est pas d’être ‘intégriste’ mais de faire en sorte que la très grande majorité de nos collègues soient à l’avenir forts d’une expérience solide de travail à l’étranger.

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