Que d’effervescence autour des fusions d’universités !
Nous en avons eu notre lot, depuis une semaine !

Reprenons rapidement.

Premier épisode.
• 25 janvier, « Le Soir » : L’UCL examinerait un projet de fusion avec les FUNDP, les FUSL et la FUCaM.
• 27 janvier, « Le Soir » : Le projet de fusion des quatre universités catholiques belges francophones pourrait voir le jour d’ici à 2015.
• 29 janvier : même sujet dans « Le Jour-Verviers », « Le Soir » et « La Meuse ».
• 31 janvier : « La Libre Belgique », « Le Soir » et « L’Écho » : Bernard Coulie, recteur de l’UCL, a confirmé la possibilité d’une fusion entre les universités de l’Académie Louvain d’ici à 2015 lors d’une rencontre avec la presse consacrée à la présentation de l’offre de masters à la prochaine rentrée académique.

Deuxième épisode.
• 1er février, « Le Soir » : Un avant-projet de décret sur une fusion de la Faculté universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux avec l’ULg est à l’étude au cabinet de la ministre de l’enseignement supérieur.

Décodons.

Premier épisode. Une « fuite » a dévoilé à la presse namuroise l’existence de négociations « secrètes » entre les quatre institutions de l’Académie Louvain : l’Université Catholique de Louvain, les Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur, la Faculté Universitaire Catholique de Mons et les Facultés Universitaires Saint-Louis de Bruxelles. Cette nouvelle a ensuite fait traînée de poudre dans la presse francophone du pays.
Quoi de plus naturel pourtant si les membres d’une Académie entament des discussions exploratoires dans l’optique d’une éventuelle fusion ? Ce n’est tout de même pas extravagant lorsqu’on se reporte au décret du 31 mars 2004 qui ouvre la possibilité pour les universités de la Communauté Française de Belgique de s’associer, dans le respect de l’identité de chacune d’elles, en Académies. Il y est explicitement prévu que cette mesure portera jusqu’en 2015. N’est-il pas sage, dès lors, de réfléchir à ce que pourrait devenir le paysage universitaire à partir de cette date ?
Beaucoup de gens s’agitent à ce sujet autour de moi et m’interrogent sur mon calme face à cette (r)évolution.
A ceux-là, je réponds : certes, la constitution d’un bloc homogène d’universités catholiques risque fort de cliver la Belgique francophone en deux, surtout si cette alliance à quatre appelle la formation d’une autre alliance à cinq, à savoir l’ULg, l’ULB, l’UMH, la FPMs et la FUSAGx, les institutions non confessionnelles, soit les deux autres Académies. Laïcité contre catholicisme, nous voilà revenus aux tristes jours de la guerre scolaire et dans un contexte fâcheux de fracture nette de l’enseignement universitaire.
On me rétorquera, au sein de l’Académie Louvain, que ses universités membres n’ont plus rien de catholique si ce n’est leur nom et qu’il est loin le temps où elles se revendiquaient d’une mission confessionnelle. A cela, je rétorque que les quatre membres de l’Académie Louvain ne peuvent avoir le point commun d’être catholiques que par pur hasard.
Mais là n’est pas le débat, à mon avis — même si c’est bien là qu’il est encore, pour beaucoup de monde !—. Le débat est réellement de savoir si notre enseignement universitaire est destiné à se cliver ou à s’unir.

Deuxième épisode. La fusion Liège-Gembloux apparaît en fait sous deux petites lignes d’un avant-projet de décret portant sur tout autre chose, une restructuration spécifiquement montoise et correspond également à une « fuite ». On se demande ce que cette fusion vient faire là. Ce n’est en tout cas pas une manœuvre du Recteur de l’ULg, contrairement à ce que d’aucuns peuvent penser. L’Académie Wallonie-Europe (ULg-FUSAGx) se porte bien, merci. Elle a d’emblée fonctionné parfaitement bien et une fusion entre ces deux institutions n’apporterait, à première vue, d’avantage à personne. Mais ceci n’exclut pas l’intérêt éventuel qu’il pourrait y avoir à trouver des avantages à une fusion, on y reviendra sûrement dans les mois qui viennent.
Il y a donc une similitude dans ces deux cas : la transformation des Académies en universités agrandies et multi-sites. On peut en attendre deux effets : une perte d’autonomie relative et une certaine rationalisation, donc une diminution de coût. A quel prix…?
La question d’une fusion au sein de notre Académie n’était pas à l’ordre du jour. Le décret de 2004 prévoyait explicitement que les fusions d’institutions au sein des Académies devraient être l’aboutissement de négociations entre elles et ne pourraient se faire que sur une base d’accord solide entre les parties. C’est évidemment dans ces conditions que nous l’envisagerons. Le mérite de cet incident est de poser clairement la question.

Réfléchissons.

L’union au sein des académies est normale mais est-ce là l’ultime phase ? Est si c’est le cas, est-ce l’idéal ?
L’enseignement universitaire francophone en Belgique compte moins de 70.000 étudiants, soit le nombre qu’on trouve dans bien des universités de taille moyenne à grande.
Ne pourrait-on se pencher utilement, plutôt que sur l’éventualité d’une « guerre » des réseaux, sur celle d’une fédération de l’existant ? Au moment où nous sommes tous d’accord pour dire que le mal des universités francophones belges vient de l’âpre compétition que la législation a créée entre elles depuis 35 ans, n’essaierions-nous pas d’au moins atténuer celle-ci et de la remplacer par une saine émulation, toujours salutaire ? Bâtir la coopération pour réduire la compétition et préserver l’identité pour stimuler l’émulation, n’est-ce pas là l’autre choix ?
Je l’avais déjà suggéré lors de ma première Rentrée Académique en tant que Recteur, en septembre 2005 : « Si l’on veut bien ouvrir les yeux, on ne peut manquer de s’apercevoir que notre paysage universitaire francophone en Belgique manque de rationalité, de logique et partant, d’efficacité. Un gaspillage considérable de forces vient tout simplement d’impératifs politiques et régionaux ou plus exactement sous-régionaux. Et pourtant, on peut également voir qu’il n’est nul besoin de fermer des institutions pour résoudre ce problème et que l’efficacité ne naît pas nécessairement de la centralisation à outrance —ce ne sont pas nos amis français qui me démentiront ! —. Certaines institutions sont petites, mais toutes sont de qualité, avec leurs spécificités propres. Je prétends qu’il est possible de maintenir les universités et les centres universitaires ou les facultés isolées dans leur situation géographique et leur proximité locale, dont on comprend l’importance, tout en réexaminant leurs statuts et en organisant leur fédération. Ouvrons les yeux : A neuf, nous représentons un potentiel universitaire tout à fait remarquable.
[Je plaide] donc pour une Université francophone de Belgique unie et solidaire, dans le respect de son incomparable diversité de pouvoirs organisateurs, de réseaux, de tendances, de valeurs et d’implantations géographiques, une Université qui apparaîtra à la face du monde comme une grande Fédération, diversifiée mais homogène, parlant d’une même voix, fière de la position à laquelle ses synergies la feront immanquablement accéder parmi les meilleures institutions de la planète dans les classements internationaux désormais incontournables, fière d’apporter à sa communauté, à ses régions et à son pays un label de qualité et de prestige international. »

Je n’ai pas changé d’un iota sur ce plaidoyer.

Une solution définitive ?

Nous en revenons ainsi au concept d’une « Confédération des Universités Francophones de Belgique » dans laquelle tous les sites actuels seraient préservés, dans neuf campus répartis sur le territoire, dix avec celui d’Arlon. Les formations dites « de proximité », à savoir celles des bacheliers, seraient maintenues en place et les maîtrises et doctorats se répartiraient en fonction des compétences spécifiques. La duplication des formations de maîtrise ne serait pas interdite, mais mûrement réfléchie et une distribution rationnelle des compétences se mettrait assez naturellement en place.
Une gouvernance générale serait nécessaire. La transversalité inter réseaux briserait un véritable tabou belge alors qu’elle semble représenter, aujourd’hui encore, un obstacle insurmontable.

Une confédération dont l’objectif serait l’excellence par la coopération des compétences, l’optimalisation des moyens et l’émulation réciproque, n’est-ce pas là le vrai défi collectif que devraient s’imposer des universités qui visent à apparaître comme un point fort aux yeux du monde ?