Comme on pouvait s’y attendre, les grandes maisons d’éditions scientifiques ont senti le vent du boulet de l’Open Access et elles construisent leur contre-offensive.

Le monde de l’édition scientifique (au sens large) se compose de quelques grands éditeurs mondiaux et d’une constellation de maisons plus petites, voire très petites. Je m’en voudrais de les mettre tous dans le même sac. La guerre entre les chercheurs et les éditeurs implique les grandes maisons, beaucoup moins les moyennes et généralement pas les petites. Malheureusement, depuis quelques années, les grands poissons mangent les petits et deviennent de plus en plus gros. Ceci a pour conséquence que les intérêts financiers grandissent démesurément en regard des moyens dont disposent les chercheurs pour publier. Deux mondes fondamentalement différents s’affrontent: celui de la recherche globalement sous-financée et celui du grand profit.

Impact

Les « facteurs d’impact » ont permis longtemps de faire croire à l’existence d’une méthode pratique de mesure de la qualité d’un article scientifique (alors qu’ils indiquent en réalité l’impact du journal !). On a même étendu leurs vertus à la mesure de la qualité d’un chercheur ! Leur invention et leur diffusion ont offert aux éditeurs peu scrupuleux, avec la complicité naïve des chercheurs eux-mêmes, un moyen de les « fidéliser », en fait de les rendre parfaitement captifs.
Le prestige de publier dans un journal bien coté est indéniable, mais l’intérêt principal est d’être lu et d’ainsi contribuer activement à la progression du savoir. Dès que chacun aura compris que ses chances d’être lu sont plus grandes s’il publie dans des revues à accès électronique et qu’elles deviennent infiniment plus grandes encore si la publication est en accès libre, la perception sera toute différente.

Le bout du tunnel ?

Pour ceux d’entre nous qui se sont engagés résolument dans ce combat, les choses ont bien changé et nous voyons notre cause gagner du terrain tous les jours. Nous ne sommes pas opposés à l’existence de maisons d’éditions, elles sont fort utiles, nous sommes opposés au racket qui, hélas, lorsqu’il est question de gros sous, se met en place en situation de monopole.

La preuve du succès de la campagne de l’Open Access est double: d’une part la croissance exponentielle des journaux électroniques en accès libre et d’autre part la montée en puissance de la réplique des éditeurs.

Le Pit Bull

La dernière indication claire de la mise en place d’une contre-offensive organisée nous est révélée par la revue anglaise Nature qui annonce que les principaux grands éditeurs scientifiques se sont groupés pour charger une « boîte de com » d’assurer leur campagne contre le mouvement pour l’information libre. Ils en ont choisi une, tristement célèbre pour sa consultance auprès d’Enron ou d’Exxon au secours de causes peu recommandables à défendre par tous les moyens contre l’opinion publique. Le directeur de cette firme est connu sous le sobriquet du « Pit Bull », ce qui en dit long sur ses méthodes.

Sa stratégie est simple. Elle repose sur un adage que j’ai déjà cité dans un autre contexte: « Dites un mensonge, il en restera toujours quelque chose ». On peut en effet faire passer dix grosses contrevérités plus rapidement et plus efficacement qu’une seule idée vraie, scientifiquement démontrée et présentée avec toutes les nuances que l’honnêteté nous impose. Comme le dit avec beaucoup de cynisme la porte-parole de l’éditeur Wiley: « Un message médiatique n’est pas un débat intellectuel ».

Le Pit Bull a immédiatement identifié le problème: jusqu’ici la stratégie des grands éditeurs contre le mouvement de l’Open Access est simplement trop défensive et trop attachée à ne reposer que sur des déclarations précises et exactes, par peur que les scientifiques, que l’on sait rigoureux, ne démontent les arguments. Or, selon lui, peu importe qu’on démonte ses arguments, c’est leur effet premier qui compte. On doit donc être approximatif, voire inexact ou grossièrement mensonger, et percutant. Ca marche sur le grand public, même éduqué, pourquoi cela ne marcherait-il pas sur les scientifiques? Personne ne lira les réfutations ennuyeuses. Tout le monde aura compris le message immédiat et le retiendra.

Selon Nature, la stratégie du Pit Bull pour la campagne des éditeurs sera basée sur les idées-forces suivantes: « L’accès public, c’est la porte ouverte à la censure gouvernementale ». On joue là sur le légitime désir de liberté d’expression du chercheur en lui faisant croire que ce système permet la censure alors que c’est indéniablement le contraire qui se produit. Un autre argument consiste à dire « l’accès libre, c’est la mort du peer review, imaginez le monde de la Science sans peer review! ». Scandaleux mensonge donc, puisque l’accès libre repose précisément sur la revue par les pairs. Mais on joue ici habilement sur la confusion qu’a créé le fait que le libre accès n’est imaginable que pour une diffusion électronique par internet et que l’internet a la réputation — méritée — de véhiculer des milliards d’informations totalement incontrôlées et dépourvues de la moindre rigueur. C’est méconnaître le fait que si l’internet est vaste et incontrôlable, il peut parfaitement contenir des sites bien contrôlés et dignes de confiance, où les chercheurs eux-mêmes assurent la qualité de ce qui est publié par leurs pairs.

Attendons-nous donc au pire lors de cette contre-offensive. Nous allons lire et entendre beaucoup d’énormités et il faudra y faire face. Je reste convaincu que tout cela ne pourra que retarder l’échéance, à condition que nous n’abaissions pas notre garde et surtout que, tous ensemble, nous assurions l’installation pour toujours d’un autre principe de diffusion des informations scientifiques, moins cher, plus juste, plus efficace, plus ouvert, bref, plus généreux.

Le combat sera dur, inégal, sans concessions. Mais ce sera vérité contre mensonge, connaissance collective contre profits particuliers. Voilà au moins une guerre nécessaire, pour une fois, un vrai défi à relever. Le monde de la recherche en a la capacité, mieux que quiconque. Il doit aussi en avoir la clairvoyance et la volonté.

(Pour rappel, signez la pétition pour l’accès libre aux résultats des recherches effectuées avec des fonds publics européens)