Revenons sur l’affaire du déménagement du FNRS pour en préciser quelque peu les tenants et les aboutissants.

1. Que s’est-il passé ?

Ça ressemblait à un poisson d’avril… un 3 mai . Le même poisson dans chaque journal: dans L’Echo, dans Le Soir, la RTBF, la DH, etc. Et localement, on s’empressait assez naturellement de se réjouir de l’aubaine, dans L’Avenir (édition du Hainaut) ou Skyscraper City, sans bien savoir ce que ça allait réellement représenter.
D’autant moins que les personnalités impliquées affirmaient que l’idée consistait à miser sur l’enseignement pour relancer Charleroi. Outre le fait que le FNRS n’a qu’un lien ténu avec l’enseignement; ceci ne pouvait qu’entretenir la confusion, et celle-ci apparaît dans les commentaires de lecteurs: « les chercheurs vont venir chercher à Charleroi ». Beaucoup de gens ne savent effectivement pas que le Fonds n’est pas un centre de recherche mais qu’il subventionne des chercheurs qui travaillent dans les universités et des centres de recherche. L’installation du FNRS à Charleroi n’impliquerait strictement rien en matière de développement local, si ce n’est que le personnel (environ 70 personnes) viendrait y travailler et que les nombreux experts étrangers membres des commissions scientifiques y viendraient une journée deux fois par an. On ne peut vraiment pas dire que ce déménagement aurait beaucoup d’effet sur l’économie locale ou l’emploi, en dehors d’un effet symbolique, bien sûr.

Ensuite, la polémique ne tarde pas à se manifester. Dans La Libre de mardi d’abord, puis dans un billet diffusé ce jeudi 9 par la RTBF qui revient sur le sujet et laisse entendre que le Fonds aura bien du mal à ne pas plier, face au principal bailleur de fonds de l’institution. Certes, mais il faut aussi considérer qu’en dehors de la Fédération et de la Région, un bon tiers des moyens financiers proviennent d’autres sources qu’il convient également de ne pas heurter par un déménagement qui pourrait être mal interprété: 24% proviennent de l’Etat fédéral, 5,1% du TéléVie et 5% de la Loterie Nationale (chiffres 2012). Par ailleurs, le patrimoine de la fondation, largement immobilisé, comprend la moitié du bâtiment actuel de la rue d’Egmont (l’autre moitié appartient au FWO) ainsi que des dons et legs en nature. Ces biens dont une partie est valorisable en faveur de la recherche sont du domaine privé et seul le Conseil d’administration du Fonds peut en disposer.

Durant la semaine dernière, les interpellations au Parlement de la FWB se succèdent et Alain Berenboom y va de son commentaire acidulé…

Il faut toutefois reconnaitre ce qui doit être reconnu: le Gouvernement a sécurisé et pérennisé l’enveloppe financière de la FWB, elle sera fixée à 103,8 M€ annuels (indexés) dès 2015 et c’est une excellente nouvelle. La Fédération ne pouvant atteindre ce niveau en 2013 et 2014, la Région Wallonne lui permettra d’y arriver grâce à un appoint de 5,3 M€.
Il faudrait faire preuve d’un très mauvais esprit pour insinuer que le déménagement serait la contre-partie de cet appoint, évidemment.

2. Pourquoi cette réaction vive de la part du C.A., du personnel du siège et de nombreux membres de la communauté scientifique et académique francophone ?

a) Le fait d’apprendre la nouvelle comme un fait acquis et décidé, et par la presse, de surcroît, a certainement été le plus choquant. Pour être complet, il faut signaler que le sujet avait été évoqué en bureau du C.A. du FNRS il y a quelques semaines, sans que ce soit à l’ordre du jour. Seule l’installation d’une « antenne » du FNRS à Charleroi avait été évoquée, nullement un déménagement complet du siège. A l’heure de la communication électronique, comme la grande majorité des membres présents, j’avais réagi défavorablement, tout au moins en l’absence de motivation claire et d’information documentée sur ce dont il pourrait s’agir, les conditions de cette installation, etc. Depuis lors, plus un mot.
Il est certainement bon de rappeler ici à quel point les statuts du FNRS et son autonomie, en particulier, lui ont valu, depuis 85 ans exactement, la fierté du monde de la recherche belge et ont suscité l’envie de nos voisins. Le modèle est en effet quasiment unique en son genre et fait l’admiration de tous. Porter atteinte à cette autonomie aujourd’hui ne peut que déclencher une levée de boucliers, il faut le savoir.

b) quels sont les inconvénients de l’initiative ?
- Tout d’abord, le coût, à examiner attentivement en regard de l’intérêt éventuel de l’opération. Chaque € compte, pour une communauté scientifique peu aisée mais qui arrive néanmoins à se situer très haut sur la scène de la recherche internationale (c’est le « paradoxe belge« ).
- L’éloignement d’un voisinage avec lequel le Fonds et ses employés interagissent au quotidien comme le rappelle le personnel administratif dans sa lettre du 7 mai au C.A.: l’Académie Royale, la Fondation Universitaire, BELSPO, la DGENORS, le WBI, le FWO, les principaux organes de presse, les cabinets ministériels du Fédéral et de la Communauté, la Communauté Europeenne, les agences des Fonds de recherche des autres pays qui ont acquis, elles, – ô ironie – des antennes bruxelloises afin d’être plus proches des lieux de décision européens. Il faut remarquer que les organes en charge de la gestion de la recherche flamande (FWO, IWT et EWI) sont tous à Bruxelles.
- Le bâtiment a été acheté par le Patrimoine du Fonds et lui appartient en copropriété avec le FWO. Il est aujourd’hui amorti. Il ne s’agit donc pas d’un bâtiment de la FWB (il nous est revenu qu’on envisagerait un « échange » de bâtiments pour y mettre la future ARES…). Le quitter impliquerait pour le FNRS de le vendre ou de le mettre en location.
- L’accès moins aisé pour les nombreux experts étrangers qui viennent du monde entier participer aux commissions deux fois par an.
- Le sort des employés (qui aurait dû être pris en considération… Cette omission est incompréhensible). Ceux-ci pensent que « la localisation dans le quartier européen est un atout stratégique majeur pour les contacts avec les centres opérationnels et de décision de tous les niveaux. Déplacer le F.R.S.-FNRS de son lieu d’interaction naturel serait non seulement contreproductif mais hautement préjudiciable à la qualité des relations qu’il doit établir avec ses partenaires. »
- Les chercheurs risquent fort de ne pas comprendre la portée de ce transfert, voire de mal l’interpréter, sur un plan strictement symbolique. Beaucoup se sont déjà manifestés et nous ne pouvons leur donner une explication satisfaisante. A cet égard, on comprendra notre malaise lorsque j’aurai précisé que nous avons tenu le 30 avril, soit 3 jours avant l’annonce fracassante du déménagement du siège, la première réunion très constructive du nouvel organe de concertation et de négociation sociale du Fonds, durant laquelle aucune allusion n’a été faite à ce transfert, et pour cause: nul n’en était averti.

c) Quels en sont les avantages ?
En dehors de l’avantage pour Charleroi et peut-être pour la Region wallonne, en termes de prestige, il est difficile d’en imaginer un seul pour le FNRS, son personnel et son fonctionnement. Personnellement, mais ça n’engage que moi, je ne vois pas.

d) En conclusion
Il me semble donc aujourd’hui que la prudence s’impose et qu’une telle initiative doit être soigneusement pesée par le Conseil d’administration, si toutefois la demande lui en est officiellement communiquée, assortie de toutes les informations nécessaires.

P.S.: Avant que quiconque ne fasse de remarque acerbe ou de plaisanterie sous-régionaliste sur le sujet, je tiens à préciser que j’aurais eu exactement la même réaction s’il s’était agi de déplacer le FNRS vers Liège.