lun 29 oct 2012
Petits et grands évènements de l’Open Access Week
Posté par Bernard Rentier dans Généralités3 Commentaires
La semaine dernière était celle de l’Accès Libre, l’Open Access Week. Chaque année, elle revient au mois d’octobre. Chaque année, elle est émaillée d’événements un peu partout dans le monde. Chaque année, elle renforce chez les militants de l’OA la conviction que, même si on avance trop lentement à leur goût, on avance.
Je ne sais pas pourquoi mais cette année, il me semble que l’ »OA Week » fut particulièrement trépidante.
Sans doute d’abord parce que j’ai moi-même reçu des invitations nombreuses un peu partout dans le monde (un recteur militant, c’est très demandé !), le succès d’ORBi commençant à intriguer de plus en plus. J’ai choisi de me limiter à deux invitations: l’une à Braga, Portugal, à l’Université de Minho (diapositives de la présentation), qui a adopté la même politique de l’ « Accès Libre Vert » que nous et qui organisait une rencontre des universités portugaises sur le sujet; l’autre à Paris, à l’Université Pierre et Marie Curie (diapositives de la présentation), pour participer à un colloque sur l’OA et exposer le « phénomène ORBi ». Deux moments passionnants.
Sans doute aussi parce que cette semaine a été fertile en nouveautés de toutes sortes:
• En Belgique, signature lundi 22 par divers acteurs majeurs du monde scientifique (FRS-FNRS, FWO, CReF, VLIR) de la « Brussels Declaration on Open Access » indiquant que, désormais, la publication en accès libre sera la règle pour les recherches subventionnées par des fonds publics. Un pas de géant à condition que le caractère obligatoire de cette mesure soit bien respecté, comme il l’est à l’ULg depuis 2008 et qui explique son succès. Coïncidence frappante: en peine semaine de l’Open Access, ORBi a franchi le cap de son millionième téléchargement !
• En Australie, déclaration du nouveau directeur du principal Fonds de recherche australien en faveur de la publication en Open Access.
• En Grande Bretagne. Même Elsevier, l’ennemi mortel historique de la philosophie de l’Open Access, célèbre l’OA Week! C’est dire si un revirement a eu lieu, mais attention: cela veut surtout dire que, face à une progression inévitable, le grand éditeur a compris qu’il était temps d’inverser sa politique et qu’il fallait vite se saisir du nouveau paradigme à son profit pour préparer l’époque où tout sera en accès libre. Car qu’on le veuille ou non, qu’on aime ça ou non, c’est tôt ou tard vers là qu’on va. Probablement tôt. Il a compris qu’il fallait favoriser l’OA « Gold » (publication dans un journal offrant l’OA immédiat), en offrant ses services pour cela et en les faisant payer à l’auteur, ou à l’Institution de l’auteur, ou à l’organisme finançant la recherche de l’auteur.
C’est ainsi que le lobbying intense des grandes maisons d’édition scientifique a porté ses fruits auprès de la commission « Finch » mandatée par les RCUK (Research Councils UK) pour les conseiller en cette matière et qui ont émis une recommandation importante. Avec l’ambition louable de favoriser l’Open Access, cette recommandation privilégie l’OA « Gold ». Mais une subtilité fatale s’est insérée dans le texte: le chercheur peut opter pour l’OA « Green » (publication dans un dépôt institutionnel, en accès restreint durant la période éventuelle d’embargo, en accès libre dès que possible) mais seulement si l’OA « Gold » n’est pas offert. Cela semble anodin, mais cela signifie que, rapidement, les grands éditeurs pourraient vouloir allonger la période d’embargo qu’ils imposent et proposer une formule « Gold » payante pour l’auteur, et l’on connait la courbe de croissance des tarifs imposés par ses maisons dès qu’elles ont hameçonné le client, elle n’ont plus rien à démontrer à cet égard. Le danger est donc énorme et il a été dénoncé. Il semble que RCUK soit en train de revoir le phrasé de sa décision.
• En France, gros tremblement de terre dans une institution vénérable: le CNRS qui, via sa « filiale » de promotion de la diffusion du savoir, l’INIST et son programme RefDoc, propose contre remboursement, « plus de 53 millions de références d’articles, ouvrages, rapports, actes de congrès… en science, technologie, médecine, sciences humaines et sociales, de 1823 à nos jours (mise à jour quotidienne)« . Si vous avez un jour publié un article de recherche, vous avez beaucoup de chances de l’y retrouver… Allez sur le site de RefDoc, introduisez votre nom, il serait étonnant que vous ne découvriez pas que, pour la somme de 11€ que vous trouverez en cliquant « tarifs », vous pouvez vous faire envoyer votre article! (pour un envoi spécial et rapide, c’est plus cher: 50€).
Que faut-il en penser ?
Le CNRS, visiblement mal à l’aise, a répondu rapidement à ses très nombreux détracteurs (voici un exemple) (l’affaire a fait traînée de poudre, elle a viré au scandale et celui-ci a déjà été surnommé l’ »Inistgate »!). Un collectif d’auteurs s’est immédiatement constitué et propose un formulaire électronique de demande de retrait des articles par chaque auteur indigné.
Certes, le procédé dérange au plus haut point. Il reflète une immense maladresse certainement due à la méconnaissance, par une grosse machine administrative, de ce qu’est l’Open Access. En effet, hormis des livres (nous en avons retrouvé un, scindé en articles séparés et provenant d’un éditeur qui n’a jamais été consulté !), un grand nombre d’articles sont déjà en accès libre et gratuit, soit sur des sites ad hoc comme PubMed, par exemple, soit dans les dépôts institutionnels comme ORBi. Si vous vous apprêtez à télécharger un article émanant de l’Université de Liège à partir de RefDoc, venez donc le chercher sur Orbi, il vous en coûtera 11€ de moins, c’est à dire zéro !
Comment ne pas penser que cette initiative, avec son caractère massif, soit une entreprise de diffusion payante (donc cela n’a rien à voir avec l’OA !) de biens qui ne lui appartiennent pas. C’est exactement le reproche que font certains à l’OA « Green », sauf que dans ce cas, l’expédition n’est pas payante et l’accès (libre ou restreint) est accordé par les auteurs eux-mêmes (qui conservent, quoi qu’il arrive, la propriété intellectuelle et le droit au crédit).
Ce qui me dérange, c’est précisément qu’un tel scandale puisse être utilisé par des opposants à l’Open Access qui feraient un amalgame totalement abusif entre les deux initiatives.
Plusieurs de mes collègues qui se sentent spoliés me demandent d’intenter une action en justice. Ce n’est pas mon intention, pour toutes sortes de raisons et d’autres ne manqueront probablement pas de le faire. Il me semblerait plus important d’exiger de l’INIST qu’il indique clairement qu’un article qu’il vend est aussi disponible en accès libre sur un dépôt institutionnel. Cette revendication-là me semble essentielle. Toutefois, j’apprends aujourd’hui hui que l’INIST a choisi de supprimer de son inventaire les articles qui sont par ailleurs accessibles en Open Access. Réaction prudente, mais révélatrice du mobile: l’argent et non pas la diffusion du savoir !
En conclusion, tout ceci n’est qu’un épiphénomène parasite. Ne laissons pas ce parasite nous distraire de nos véritables ennemis que sont les grands prédateurs de la recherche, gardons notre objectif qui est, à terme, de pouvoir diffuser librement toute information émanant de nos recherches sans contrainte légale et/ou financière, via l’Accès Libre Vert.
Bonjour et merci du relai pour l’affaire dite de l’Inistgate.
Juste une précision : « Il me semblerait plus important d’exiger de l’INIST qu’il indique clairement qu’un article qu’il vend est aussi disponible en accès libre sur un dépôt institutionnel. » Je peux vous assurer qu’il s’agit également de mon point de vue et de celui de l’essentiel des signataires mobilisés par cette affaire Le problème étant double : d’une part, les demandes répétées dans ce sens à l’Inist n’ont jamais eu de réponses, et d’autre part, à supposer que l’Inist souhaite accéder à ces demandes, la base Refdoc est tellement mal fichue qu’elle est inaccessible au moissonnage (démonstration ici : http://bibliotheques.wordpress.com/2012/10/15/inist-et-maintenant-on-fait-quoi/)
Cordialement
Commentaire de olivier ertzscheid, le 30 oct 2012 à 12:58Olivier
Bonjour, merci pour ces informations. Merci également de relayer ces informations du monde « libre ». Il est intéressant de voir que des scientifiques ont toujours cette volonté de partager leur connaissance entre eux et avec le monde.
Je me pose cependant une question: comment est-ce possible que des chercheurs doivent payer pour publier leurs travaux alors que d’autres doivent payer pour les consulter? Il y a longtemps de ça, plusieurs universités ont décidé de se connecter entre elle pour partager leur savoir et cette initiative est devenue Internet, ou ce qui sera certainement vu dans le futur comme un élément déclencheur de « l’époque de l’information ». Aujourd’hui, ces universités disposent toujours d’une des plus grande richesse de l’humanité: le savoir. Elles ont également tous les outils pour le mettre en commun.
Liège me semble être à la pointe des universités européennes (voire mondiales) dans le domaine du libre accès aux publications scientifiques. D’un autre coté, on ne peut que louer des initiatives comme celle du MIT de proposer des cours en libre accès. Ces universités de pointes sont donc en train de proposer chacune de leur coté des petits éléments de savoir. Ne serait-il pas possible de lier ces différentes initiatives sous un projet commun, permettant d’effectuer une recherche centralisée sur un ensemble de publications scientifiques et de cours? Ceux-ci indiqueraient les auteurs et la ou les université(s) qui ont participé à ces articles. A terme, ils pourraient même intégrer des liens à la manière d’internet. Pour ce faire, il est nécessaire que ces universités, un maximum, s’accordent sur un standard. Une fois ce standard défini, le coût de cette méta-base de donnée ne serait même pas plus élevé que la somme des coûts de chaque base de données avec un nombre de références beaucoup plus large, et une maitrise des articles qui resterait au sein des institutions.
Cordialement,
Yves
Commentaire de Yves, le 30 oct 2012 à 23:20@ Yves
Commentaire de Bernard Rentier, le 31 oct 2012 à 6:28C’est amusant: ce que vous évoquez là est exactement le projet que nous sommes en train d’élaborer, appelé « Worldwide Classroom » (WW@), un site sur lequel toutes les universités du monde pourront, moyennant un engagement de qualité et passage par un filtre modérateur et organisateur, déposer gratuitement et en accès libre des cours et formations, en format libre (en termes de volume, de type de document, texte, images, vidéos, tutoriels, interactivité, etc.) et dans de nombreuses langues. Une Wikiacademy, en quelque sorte…
Nous avons entrepris ce projet dans le cadre de la candidature de Liège à l’organisation de l’Exposition Internationale de 2017.