« Comment le management gangrène les unifs ». Etonnante, la carte blanche dans la Libre Belgique par 15 universitaires — et non des moindres — (dont 5 liégeois) qui pose ainsi cette question (LLB, 5/1/11, p27). Amorce de débat légitime, en soi, mais curieusement hétéroclite dans sa rédaction, inégale et brouillonne dans son raisonnement.

En résumé, voici l’argument: deux évènements indépendants récents, la démission du recteur de l’ULB et l’échec de la fusion des quatre institutions universitaires catholiques en une UCLouvain, dénonceraient un même malaise qui s’étendrait, au delà des universités impliquées, à l’ensemble de l’enseignement universitaire belge francophone. Ce malaise serait dû à trois causes majeures: 1) l’élitisme universitaire qui freine la démocratisation des études, 2) les regroupements d’institutions qui nuisent à la formation de proximité et donc également à la démocratisation et 3) l’évaluation, miroir aux alouettes des responsables universitaires, tous fascinés par le conformisme unificateur à la bolognaise et terrorisés par la sanction des classements d’universités. Ce raisonnement un peu compliqué aboutit à une conclusion à laquelle je ne puis cependant que me rallier totalement: la loi de financement et la restructuration du paysage universitaire doivent faire l’objet d’une révision sur base d’un débat démocratique.

Ce débat a eu lieu, au sein des commissions de la Table Ronde sur l’Enseignement supérieur du printemps 2010 et, contrairement à ce qui est écrit dans l’article, ces différents aspects ont été débattus, longuement. Que rien de concret n’en soit encore sorti, c’est évidemment regrettable, mais on s’accordera à reconnaître que les conditions politiques ont été pour le moins perturbantes chez nous cette année.

Que l’Université devienne un business est certes inquiétant et doit être évité. Que ceci se passe ailleurs ne fait pas de doute. Qu’il s’agisse d’un reflet d’une pensée qui a tendance à devenir dominante est alarmant et appelle à la vigilance. Mais inférer de la mise en place de procédures d’évaluation qu’elles signent la soumission bêlante des universités au principe de la marchandisation à outrance constitue un raccourci surprenant et, pour tout dire, inacceptable.

Autant l’on peut s’accorder sur l’affirmation que « la permanence d’une mentalité élitiste et une loi de financement à enveloppe fermée placent constamment les différents établissements en situation de concurrence » (même si personnellement, je mettrais un bémol à l’élitisme car ça se discute), autant il est choquant de lire que « le pilotage des universités est guidé par une boussole omniprésente, celle qui vise la conquête de quelques places dans les classements ». Car en effet, c’est faire un bien mauvais procès aux dirigeants des universités que de réduire leur pilotage à un objectif aussi médiocre. C’est aussi totalement confondre d’une part le principe de l’évaluation et d’autre part les conséquences qu’on pourrait éventuellement risquer d’en tirer. C’est là un procès d’intention permanent qui deviendrait lassant s’il n’avait pour vertu de garder vive notre attention à ne pas laisser s’installer de dérive.

L’évaluation est un processus parfaitement légitime et naturel, trop longtemps absent du fonctionnement des universités (si ce n’est qu’il a toujours été omniprésent dans l’activité des universitaires vis-à-vis de leurs étudiants ou vis-à-vis de leurs pairs). Les conséquences de l’évaluation peuvent être diverses et le danger n’est certes pas nul de voir s’installer, comme dans certains pays, des sanctions immédiates et spectaculaires. Il suffit toutefois d’être clair sur cette question et d’éviter tout mauvais usage de l’outil qui est, lui, extrêmement salutaire et informatif pour l’évalué, s’il est bien manié.

Toutefois, le rapport avec la recherche d’une progression dans les classements est un fantasme qui revient souvent à la surface et qui me semble hors de proportion. Y attribuer le malaise qui a conduit à la démission du recteur de l’ULB en septembre dernier est complètement à côté de la question. Philippe Vincke a été très clair : sa démission était la conséquence d’un problème interne, spécifique à son institution, à savoir l’existence de plus en plus dérangeante de comportements claniques parmi les administrateurs, comportements contraires à son éthique personnelle. La démission du recteur visait à dénoncer ces pratiques et à sensibiliser la communauté universitaire à l’impasse dans laquelle ces comportements la conduisaient. Rien à voir avec un malaise général lié à l’élitisme, ni, comme ses détracteurs ont voulu le laisser entendre, en raison d’un désaccord sur le principe de l’avenir de l’académie universitaire Wallonie-Bruxelles.

Par ailleurs, l’affirmation que « la population universitaire ne compte pas aujourd’hui plus de jeunes issus de milieux populaires que par le passé » est contredite par toutes les études statistiques sur le sujet.

Il est également inexact que le regroupement de 2004 en académies était « soutenu par les autorités universitaires » et encore plus inexact qu’il reposait sur « un regroupement selon les obédiences philosophiques ». Cela semble évident, mais il s’agit là d’une constatation a posteriori. En réalité, avant même que les discussions et négociations sur le regroupement qui leur était imposé n’aient pu s’accomplir, l’Académie Louvain s’est formée entre les 4 institutions catholiques et c’est cette décision-là qui, dans son extrême rapidité, a conditionné tout le reste. Toutes les universités n’avaient donc pas « choisi de raviver le clivage philosophique qui segmente la société belge ». Il est toujours dangereux de réécrire l’Histoire.

Je partage par contre entièrement l’idée de « privilégier les formes de l’offre de formation de proximité » afin de permettre à l’enseignement universitaire de « s’adresser aux publics qui s’en trouvent encore toujours écartés ». Mais je ne puis être d’accord avec l’affirmation que, « avec le zèle de nouveaux convertis, les universités mettent en place des procédures d’évaluation des personnes et des équipes » afin de se conformer à la « nouvelle logique de l’esprit de Bologne ». C’est évidemment très réducteur et cela fait injure au discernement dont les autorités universitaires sont capables, comme si l’accession aux commandes des institutions rendait subitement stupide, en quelque sorte. Je prétends au contraire que le système d’évaluation mis en place — avec plus ou moins de bonheur, je le reconnais — vise à donner des bases plus rigoureuses (même si la vraie rigueur est, hélas, utopique) à des processus qui, jusqu’ici étaient aléatoires ou pire, injustes et éminemment subjectifs. D’autre part, la compétition pour les moyens de la recherche a toujours existé, elle était bien plus féroce lorsque j’ai commencé ma carrière qu’aujourd’hui.

Je suis donc étonné qu’une brochette d’excellents universitaires nous serve une telle macédoine de concepts, de manière aussi désordonnée et confuse. Personnellement, le malaise qu’ils dénoncent, c’est à la lecture de leur article que je le ressens, même si, en définitive et par un autre raisonnement, j’adhère à leur requête: la loi de financement en enveloppe fermée contient beaucoup des maux dont l’enseignement universitaire de la CFB est perclus. Il s’agit d’une part du financement dégressif de l’étudiant puisque le montant est fixe et que la population augmente, et d’autre part de l’effet de compétition et de son corollaire pervers, la chasse à l’étudiant. Focalisons-nous tous ensemble sur cet objectif commun et évitons de polluer le débat avec des éléments qui n’ont rien à voir et servent d’autres visées.