La semaine dernière, après le décès tragique d’un étudiant d’une haute école liégeoise à la sortie d’une nuit de libations, organisée en prélude à la célèbre Saint Nicolas des étudiants par l’Association générale des étudiants liégeois (AGEL), un groupement indépendant de l’Université et qui compte des étudiants de toutes les institutions d’enseignement supérieur (et de plus en plus, secondaire), la presse n’a pas manqué de me demander mon avis ni ce que je comptais faire. Allais-je attendre un quatrième décès pour agir ?

En dehors du fait que je n’avais strictement rien à voir avec cet événement, je rappelais que, si je suis en faveur d’un site « en dur » et « sécurisé » pour les guindailles et autres activités « folkloriques », je suis dans l’impossibilité de faire des propositions financières ou immobilières et que j’ai par contre fait des propositions d’emplacement au Sart Tilman. L’AGEL ayant rejeté cette proposition, tout reposant maintenant sur un accord de l’AGEL avec la Ville.

Alors que je donnais une interview, les étudiants commençaient à arriver en cortège sur la place du 20 Août. L’ambiance bruyante, braillarde et joyeuse, pour laquelle j’ai, d’habitude, beaucoup de tolérance et de compréhension (n’ayant manqué moi-même aucune Saint Nicolas lors de mes études, je l’avoue), m’est apparue terriblement choquante, moins de 10 heures après le drame. J’ai donc exprimé mon sentiment d’indignation face à ce que je considérais comme un festoiement déplacé à ce moment-là. Je l’ai dit spontanément et je le maintiens. La décence impose, me semble-t-il, que la mort d’un participant entraîne l’annulation des festivités.

Certes, les mauvais exemples abondent, de la mort de Senna à celle des victimes du Heysel, l’indécence s’est banalisée et va aujourd’hui jusqu’à la considération qu’il est normal qu’un groupe — vaste et hétérogène, je le concède — prolonge ce qui n’est somme toute que réjouissances et festivités malgré la gravité suprême de l’accident survenu. Les justifications entendues sont toutes édifiantes : « l’argent investi ne peut être perdu » ou « il serait dangereux de lâcher en ville une horde d’étudiants frustrés par l’annulation de la fête ». Ou encore, le plus consternant : « le défunt, on ne le connaissait même pas, personnellement ». Ces excuses sont évidemment de mauvaises excuses, qui, toutes, mettent en lumière une terrible confusion des valeurs.

A quoi rime donc la fête, si elle ne solidarise pas ?
Que devient la fête, lorsqu’elle est instrumentalisée par des intérêts financiers divers, par ailleurs externes au monde strictement étudiant, et pour lesquels seul compte la rentabilité ?
Quel est le sens de la fête si elle n’est que pur plaisir égoïste du moment ?
La valeur argent, la valeur plaisir, la valeur « tout, tout de suite », la valeur « moi d’abord » ont-elles remplacé aujourd’hui la valeur de la vie humaine et du respect de celle-ci ?

La cerise sur le gâteau fut l’intervention du monde politique, ou, plus précisément, celui des jeunes engagés politiquement, avec un extraordinaire communiqué de presse émanant des « Ecolo J – ULg », des « Etudiants démocrates humanistes (Edh) de Liège » et des « Etudiants Libéraux Liégeois (FELU) » et fustigeant l’irresponsabilité d’un recteur qui a osé blâmer les fêtards pour ce qu’il appelle de l’indécence. Et d’expliquer pourquoi la décision de continuer la fête était parfaitement décente, responsable et appropriée. A ceci s’ajoute le commentaire sur Facebook de l’incontournable Michel Peters : « L’irresponsable, aujourd’hui, c’est le Recteur de l’Université de Liège ! Il serait peut-être temps qu’il arrête de parler de ce qu’il ne connaît pas. On ne peut pas être malin en tout ! ». Curieuse déclaration d’un conseiller communal dont, évidemment, on connaît l’engagement en faveur de la guindaille et du folklore étudiant, mais dont on attendrait qu’il sache ce qu’est réellement le sens des responsabilités, de l’éthique élémentaire et du savoir-vivre.

Enfin, dans l’énorme débat qui suivit le « buzz » toute la semaine, on vit à nouveau apparaître une totale confusion. Ma déclaration portait exclusivement sur le caractère inapproprié, selon moi, de la prologation de la fête dans l’immédiate période de deuil. Je fus néanmoins rapidement accusé de vouloir combattre la guindaille et liquider le folklore étudiant. Encore une fois, je réaffirme que je ne suis pas opposé aux distractions de la vie étudiante, que j’ai salué la qualité du maintien de l’ordre et de la sécurité, tant par les forces de l’ordre, massivement mobilisées cette nuit-là, que par l’organisation elle-même. J’ai reconnu que l’accident était survenu en dehors de la durée et du périmètre de responsabilité des organisateurs ou de la police. On ne peut reprocher à une organisation tout ce qui va se passer par après. Ca ne viendrait d’ailleurs à l’esprit de personne si ces soirées n’étaient copieusement arrosées, ce qui, évidemment, augmente les risques. Je ne jetais donc la pierre à personne pour l’organisation de soirées, du cortège ou de rassemblements quelconques. Je ne rejette pas la fête. Je pense seulement qu’il y a un temps pour tout et que, parfois, les événements réclament deux comportements honorables: réserve et dignité.